Depuis toujours, l’homme a cherché à dater les grands événements de l’histoire de la Terre. Les premières estimations de l’âge de la planète et de la date de l’apparition de l’homme sont données dans des livres sacrés, dont certains datent de plusieurs millénaires. Cependant, les valeurs données dans ces ouvrages minimisent généralement la durée des temps géologiques ; ainsi, la chronologie établie au milieu du XVIIème siècle par l’évêque Ussher à partir de la Bible situe la création de la Terre 4 004 ans avant la naissance du Christ. Cette datation, que l’on sait être aujourd’hui très en dessous de la réalité, a prévalu en Europe jusqu’au XVIIIème siècle environ et des scientifiques tels que Cuvier s’y tenaient. Par la suite, avec les premiers travaux de stratigraphie et de géologie historique, commencèrent à apparaître les rudiments d’une échelle chronostratigraphique globale, basée en grande partie sur l’étude des assemblages de fossiles marins. A la fin du XIXème siècle, après la découverte des premiers restes d’hominidés fossiles, quatre grandes ères géologiques furent distinguées. Parmi celles-ci, l’ère Quaternaire était caractérisée par une faune identique à la faune actuelle et par la présence de l’homme.
La datation par résonance de spin électronique (ESR)
Découverte en 1945 par Zavoisky, la résonance de spin électronique (en anglais Electron Spin Resonance d’où l’abréviation ESR), aussi appelée résonance paramagnétique électronique (RPE), est aujourd’hui une méthode classique d’analyse de la structure de la matière, couramment employée en physique du solide, en chimie moléculaire, en biologie et en cristallographie (Assenheim, 1966 ; Bersohn et Baird, 1966 ; Ptak, 1975 ; Marfunin, 1979).
Son application à la géochronologie a été suggérée pour la première fois en 1967 par Zeller, Levy et Mattern. Ces auteurs montrèrent alors que l’accumulation d’électrons piégés dans certains défauts des minéraux pouvait être fonction de la dose totale de radiation naturelle à laquelle ces cristaux ont été exposés depuis leur formation. Toutefois, ce n’est qu’en 1975, avec les travaux de Motoji Ikeya sur la datation par ESR d’échantillons de calcite provenant de l’Akiyoshi Cave au Japon, que la méthode prit son véritable essor. Depuis cette date, la datation ESR a été appliquée avec plus ou moins de succès sur divers types de matériaux d’intérêt géologique, géomorphologique ou archéologique et plusieurs articles généraux ont été publiés sur ce sujet (Ikeya, 1978, 1981a, 1983a, 1985a ; Hennig et Grün, 1983 ; Poupeau et Rossi, 1985 ; Bouchez et al., 1987 ; Grün, 1989a et b). Actuellement, une cinquantaine de laboratoires de par le monde, dont environ la moitié au Japon, travaillent sur la mise au point de la méthode qui a été introduite en France dès 1980 par Yuji Yokoyama.
Après un bref rappel portant sur le phénomène physique de la résonance de spin électronique, les principes généraux de la datation E.S.R. seront rapidement exposés : phénomène de base, calcul de l’âge, potentiel et limites actuelles de la méthode.
La résonance de spin électronique
Le phénomène physique
La spectrométrie ESR permet de détecter les électrons non appariés d’un échantillon paramagnétique placé dans un champ magnétique externe en observant l’absorption de l’énergie d’une micro-onde par cet échantillon. On peut se représenter très schématiquement un électron comme une sphère chargée négativement et animée d’un mouvement de rotation sur elle même. Cette auto-rotation, appelée spin de l’électron, entraîne la production d’un moment magnétique µ dont l’orientation dépendra du sens de la rotation. A ce moment magnétique de spin s’ajoute un moment magnétique orbital, lié au mouvement de l’électron autour du noyau de l’atome chargé positivement, et le moment magnétique global de l’électron dépend donc de l’intensité du couplage entre moment de spin et moment orbital. Toutefois, dans de nombreux cas, le moment magnétique orbital est soit identiquement nul, soit « bloqué » (quenching of orbital angular momentum) et le moment global de l’électron se limite alors au seul moment de spin. Dans la suite de cet exposé, nous nous limiterons à ce dernier cas.
Lorsqu’un atome, un ion ou une molécule comporte un nombre pair d’électrons et que ceux-ci sont tous appariés en doublets associant deux électrons de spin opposé, son moment magnétique global est nul. Si un échantillon d’une telle substance est placé dans un champ magnétique externe, on observe seulement un faible moment magnétique induit. On dit d’une telle substance qu’elle est diamagnétique. Par contre, lorsqu’un atome, un ion ou une molécule comporte soit un nombre impair d’électrons, soit un nombre pair d’électrons qui ne sont pas tous appariés en doublets, son moment magnétique global n’est pas nul en raison de la présence d’électrons célibataires. Une telle substance est dite paramagnétique. Les espèces paramagnétiques sont minoritaires dans la nature par rapport aux espèces diamagnétiques, mais elles sont tout de même assez nombreuses. Les principales sont les radicaux libres, les ions des séries de transition, les métaux et les centres-pièges créés par irradiation.
Si un électron célibataire est placé dans un champ magnétique externe H, son moment magnétique ne peut prendre que deux orientations, parallèle ou antiparallèle à H (Fig. I-1). L’application d’un champ magnétique externe divise donc les électrons non appariés d’un échantillon paramagnétique en deux groupes, auxquels correspondent deux états d’énergie, appelés niveaux Zeeman, dont la séparation est proportionnelle à la valeur de l’intensité du champ externe appliqué (Fig. I-2) :
∆E = E2-E1 = g β H (I-1)
où E1 et E2 sont respectivement les états d’énergie inférieur et supérieur, le facteur g est un paramètre lié aux caractéristiques de l’électron célibataire dans la substance étudiée (s.u.) et où β est le magnéton de Bohr (β = 9,2732 10⁻²⁴ J.T-1 = 9,2732 10⁻²¹ erg.G-1).
La répartition des électrons célibataires entre les deux niveaux d’énergie à la température T (en K) est donnée par la loi de distribution de Boltzmann :
N1 / N2= e (∆E/kT) (I-2)
où N1 et N2 sont respectivement les populations de l’état d’énergie inférieur et de l’état d’énergie supérieur et où k est la constante de Boltzmann ( k = 1,3805 10⁻²³ J.K-1 = 1,3805 10⁻¹⁶ erg.K-1 ).
Si on applique perpendiculairement à H une micro-onde de fréquence ν telle que :
∆E = h ν = g β H (I-3)
il est possible d’induire des transitions entre les niveaux Zeeman, c’est à dire d’inverser le spin des électrons célibataires. Cette coïncidence d’énergie s’appelle la résonance (Fig. I-2a). Les probabilités de transitions dans les sens (1∅2) (absorption) ou dans le sens (2∅1)(émission spontanée) sont égales. Cependant, dans les conditions normales de mesure, la population du niveau d’énergie inférieur est légèrement plus forte que celle du niveau d’énergie supérieur et on observe donc une absorption (Fig. I2b). L’affaiblissement de l’énergie de la micro-onde consécutif à cette absorption par l’échantillon est facilement décelable et est à la base de la spectrométrie ESR.
En théorie, lorsque les conditions de résonance sont maintenues, les populations des deux niveaux d’énergie devraient rapidement s’égaliser et par conséquent l’absorption cesser. Expérimentalement, l’absorption est toutefois généralement continue en raison de mécanismes dits « de relaxation » qui font retourner les électrons excités par la micro-onde à leur état stable, restaurant ainsi les populations définies par la loi de Boltzmann. On distingue la relaxation spin-réseau, qui tend à rétablir l’équilibre thermique en transférant le surplus d’énergie au réseau cristallin, et la relaxation spin-spin, par laquelle les électrons excités tendent à céder de l’énergie aux spins d’autres électrons. Ces mécanismes sont caractérisés par des temps de relaxation, définis comme le temps nécessaire pour que 1-1/e % (∼67%) des spins aient retrouvé leur orientation initiale. Les phénomènes de relaxation sont très importants lors du choix des conditions expérimentales. En effet, on va observer, si l’on fait augmenter la puissance P de la micro-onde, que la puissance ∆P absorbée par l’échantillon est dans un premier temps proportionnelle à la puissance P. Ceci est dû au fait que les temps de relaxation sont suffisamment courts pour rétablir l’équilibre thermique. Puis, à partir d’une certaine valeur Psat de la puissance, qui correspond au maximum d’énergie pouvant être transférée au réseau, les temps de relaxation deviennent trop longs pour restaurer les populations définies par la loi de Boltzmann. L’énergie absorbée ne peut plus être alors totalement transférée au réseau, les populations des deux niveaux d’énergie s’égalisent et le signal d’absorption diminue pour finalement disparaître. Ce phénomène est appelé « saturation micro-onde » .
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : La datation par résonance de spin électronique (ESR)
I-A : La résonance de spin électronique
I-A-1 : Le phénomène physique
I-A-2 : Le spectromètre ESR
I-A-3 : le spectre ESR
I-A-3-a : Le facteur g
I-A-3-a-α) Position de la raie ESR – facteur g
I-A-3-a-ß) Détermination du facteur g
I-A-3-a-γ) Anisotropie du facteur g
I-A-3-b : Forme et largeur de raie
I-A-3-c : Intensité du signal
I-A-3-d : Interactions entre électrons non appariés- structure fine
I-A-3-e : Interactions entre spin électronique et spin nucléaire – structures hyperfines et superhyperfines
I-B : Datation par résonance de spin électronique
I-B-1 : Phénomène de base
I-B-2 : Equation d’âge
I-B-3 : Détermination de la paléodose
I-B-3-a : Critères de sélection du signal ESR
I-B-3-b : Méthode de l’addition
I-B-4 : Détermination de la dose annuelle
I-B-4-a : Détermination de la dose externe
I-B-4-b : Détermination de la dose interne
I-B-5 : Potentiel et limites de la méthode
Chapitre II : Datation par ESR de planchers stalagmitiques fossiles – Comparaison avec le paléomagnétisme
II-1 : Caractéristiques ESR de la calcite
II-1-a : Spectre ESR de la calcite
II-1-b : Nature des radicaux observés par ESR
II-1-c : Choix du signal à utiliser pour la datation
II-1-d : Conditions expérimentales, hypothèses et paramètres utilisés lors des calculs des âges ESR
II-2 : Etude du plancher stalagmitique de la grotte de Basura (Italie)
II-2-a : Présentation du site
II-2-b Procédures expérimentales et résultats
II-2-b-α) Paléomagnétisme
II-2-b-β) Analyses radiométriques
II-3: Conclusion
Chapitre III : Datation par ESR de carbonates marins fossiles (coraux et coquilles de mollusques)- Perspectives et limites actuelles
III-1 : Caractéristiques ESR des carbonates marins
III-1-a : Spectres ESR des coraux et des coquilles de mollusques
III-1-b : Courbes de croissance des principaux signaux observés dans les carbonates marins
III-1-c : Comportement des différentes raies ESR lors de recuits isothermes
III-1-d : Choix du signal à utiliser pour la datation
III-1-e : Problèmes liés à la datation U-Th des carbonates marins fossiles et paramètres à utiliser lors des calculs d’âges ESR
III-1-e-α) Coraux
III-1-e-β) Coquilles de mollusques
III-2 : Applications
III-2-a : Massif corallien de l’atoll de Mururoa
III-2-b : Terrasses de Corinthie
III-2-c : Grotte du Lazaret (Nice, Alpes-Maritimes)
III-3: Conclusion
Chapitre IV : Datation par ESR d’émail dentaire. Problématique et comparaison avec la méthode potassium-argon
IV-1 : Généralités
IV-1-a : Composition chimique
IV-1-b : Spectre ESR de l’hydroxyapatite biologique
IV-1-c : Enrichissements en uranium
IV-1-d : Différents modèles mathématiques d’enrichissement en uranium
IV-2 : Datation par ESR du site d’Isernia la Pineta (Molise, Italie) : comparaison avec le potassium-argon
IV-2-a : Présentation du site
IV-2-b : Expérimental
IV-2-c : Résultats et discussion
IV-3: Conclusion
Conclusion
Références bibliographiques