Dans le cadre de cette seconde annรฉe de Master professionnel interprรฉtation Langue des Signes Franรงaise /franรงais, j’ai eu l’occasion d’effectuer des stages pratiques aux cรดtรฉs d’interprรจtes diplรดmรฉs et de me familiariser ainsi avec le terrain. Ces stages m’ont permis d’enrichir mon expรฉrience mais รฉgalement, grรขce ร un apport thรฉorique, de faire naรฎtre et de dรฉvelopper des rรฉflexions sur le mรฉtier d’interprรจte .
Lโinterprรฉtation est un exercice pรฉrilleux. Lโinterprรจte se doit de dรฉvelopper des habiletรฉs professionnelles, cโest-ร -dire des tactiques pour faire face aux difficultรฉs prรฉsentes dans le discours et pouvoir transmettre ce dernier le plus justement possible. La dactylologie est une de ces tactiques. Elle consiste en lโรฉpellation manuelle dโun mot en franรงais dans un discours en LSF.
Dโune part, cette tactique demande ร lโinterprรจte en langue des signes de prendre son temps pour la rรฉaliser de maniรจre ร ce quโelle soit comprise par le locuteur sourd. Dโautre part, elle lui demande une grande concentration afin dโรฉpeler correctement le terme de maniรจre lisible et correctement orthographiรฉ. Elle est difficile ร rรฉceptionner pour la personne sourde et รฉloignรฉe de la norme linguistique de la LSF : la communautรฉ des sourds signants franรงais dรฉfendant une langue des signes sans aucune trace de franรงais.
Pourtant, selon les travaux rรฉalisรฉs par Sophie Pointurier (2014 : 85), il sโavรจre que la dactylologie fait partie des tactiques les plus utilisรฉes. La dactylologie mettrait en difficultรฉ lโinterprรจte qui y a pourtant recours au quotidien.
Je mโinscris ici dans le cadre de la TIT (Danica Seleskovitch, 1968) qui envisage l’interprรฉtation comme un processus dynamique et complexe qui demande aux professionnels une formation technique et une parfaite maรฎtrise de leurs langues de travail. L’interprรฉtation doit se dรฉtacher des mots pour prendre en compte le sens du message afin de rendre le vouloir dire de lโorateur.
Danica Seleskovitch affirme que le message reรงu par l’interprรจte s’inscrit dans un contexte prรฉcis, avec des interlocuteurs partageant les mรชmes connaissances. L’interprรจte doit alors analyser le vouloir dire de lโorateur afin dโadapter ses tactiques ร lโenjeu de la situation. Pour Danica Seleskovitch cette analyse passe par une phase de ยซ dรฉverbalisation ยป (1968).
L’interprรฉtation est, pour elle, bien plus complexe que le passage d’une langue ร une autre. Ainsi, elle envisage la situation d’interprรฉtation dans son ensemble, c’est-ร -dire dans un hic et nunc ou ยซ ici et maintenant ยป (D. Seleskovitch, M. Lederer, 2002 : 230-231).
On ne traduit pas des mots, mais du sens dans un but prรฉcis, en cela le skopos (H. Vermeer, K. Reiss, 1984/1991) citรฉ par Christiane Nord (2008 : 41) vient complรฉter la vision de Danica Seleskovitch.
Daniel Gile dรฉfend l’idรฉe que lorsque l’interprรจte n’a pas rรฉussi ร interprรฉter un segment, ce ne sont pas systรฉmatiquement les compรฉtences de lโinterprรจte qu’il faut remettre en cause. Selon lui, les erreurs se situeraient dans les processus cognitifs mis en jeu pendant l’interprรฉtation. Il รฉvoque l’hypothรจse de la surcharge cognitive (D. Gile, 1999 : 169) qui mettrait l’ILS en difficultรฉ ร un moment donnรฉ. Il cherche alors ร situer ร quel moment dans le processus cognitif quelque chose a dรฉclenchรฉ le problรจme d’interprรฉtation ou de traduction.
Le modรจle dโEfforts de Daniel Gile (1995 : 99) est influencรฉ par le modรจle Interprรฉtation-Dรฉcisions-Ressources-Contraintes (D. Gile, 2009 : 74) qui schรฉmatise le processus de traduction en succession de phases de comprรฉhension et de reformulation. Ce modรจle prend systรฉmatiquement en compte les ressources et les contraintes.
Par ressources, Daniel Gile entend par exemple, les ressources linguistiques existantes. Les ressources pour lโinterprรจte en langue vocale et lโinterprรจte en LSF ne sont pas รฉquivalentes. En effet, il existe peu de glossaires en LSF et cette langue ne possรจde pas dโinstance officielle similaire ร lโacadรฉmie franรงaise, ayant pour rรดle de recenser les signes existants et dโinstaurer un cadre rigoureux permettant la crรฉation de nรฉologisme. Avec la contrainte de temps qui caractรฉrise lโinterprรฉtation simultanรฉe, il nโest pas possible dโavoir recours systรฉmatiquement ร une tactique discursive telle que la pรฉriphrase. Ainsi, lโinterprรจte face ร un terme non encore lexicalisรฉ en LSF devra avoir recours ร diverses tactiques dans lโinstant.
Par contraintes, nous entendons par exemple la norme linguistique de la LSF qui privilรฉgiera lโiconicitรฉ ร la dactylologie. Cependant, lโinterprรจte devra prendre en charge le discours en รฉtant en tension entre la norme linguistique de la LSF et la norme de la fidรฉlitรฉ du discours.
ยซ Nous comprenons ainsi que les interprรจtes travaillent dans un environnement oรน lโhistoire de la communautรฉ sourde est prรฉgnante. En France, celle-ci a conduit les sourds ร condamner la translitรฉration ; en Angleterre, les interprรจtes se servent beaucoup plus de la dactylologie et en Australie, on est trรจs partagรฉ entre translitรฉration et interprรฉtation dite ยซ libre ยป (Napier, 2002- b), qui correspond en rรฉalitรฉ ร une interprรฉtation ยซ standard ยป en France. Lโinfluence de la communautรฉ sourde signante sur la langue des signes nationale dรฉciderait ainsi de la norme que les ILS seraient tenus de respecter en interprรฉtation. ยป (S. Pointurier, 2014 : 35) .
Daniel Gile dans ce modรจle essaie de mettre en exergue ce qui, dans le processus, a dรฉclenchรฉ le problรจme de traduction ou d’interprรฉtation. Par ce modรจle, il a essayรฉ de comprendre d’oรน pouvait provenir une erreur sans reporter la faute sur le manque de technicitรฉ ou d’habiletรฉ de l’interprรจte.
|
Table des matiรจres
Introduction
1- Revue de la littรฉrature
1-1 Un cadre : la Thรฉorie Interprรฉtative de la Traduction (TIT)
1-2 Daniel Gile, le modรจle IDRC : Interprรฉtation-Dรฉcisions-Ressources-Contraintes
1-3 Daniel Gile, le modรจle dโEfforts de lโinterprรฉtation simultanรฉe
1-4 Les tactiques en interprรฉtation en LSF
1-5 Des dรฉclencheurs de difficultรฉ
1-6 Norme linguistique versus tactiques de lโILS
2- Mรฉthodologie et recueil des donnรฉes
2-1 Mise en place de la recherche
2-2 Transcription des corpus
3- Analyse des donnรฉes
3-1 Des tactiques associรฉes ร la dactylologie
3-1-1 La dactylologie couplรฉe de la labialisation du terme franรงais
3-1-1-1 La lisibilitรฉ
3-1-1-2 Les omissions ou maladresses
3-1-2 La pรฉriphrase + la dactylologie + la labialisation du terme franรงais
3-1-2-1 La lisibilitรฉ
3-1-2-2 Les omissions ou maladresses
3-1-3 Lโinitialisation couplรฉe de la labialisation du terme en franรงais
3-1-3-1 La lisibilitรฉ
3-1-3-2 Les omissions ou maladresses
3-2 Synthรจse de lโanalyse des donnรฉes
Conclusion
Tรฉlรฉcharger le rapport complet