La culture des cellules souches
Depuis ces dernières décennies la biologie expérimentale a accumulé des progrès considérés comme de véritables acquis et suscitant autant d’espoirs que de craintes. Parmi ces avancées spectaculaires il y a la découverte des cellules souches qui ouvrent une immense perspective qui est la possibilité de guérir des maladies jusqu’ici incurables. Mais avant de réfléchir sur les opportunités qu’offrent ces cellules posons nous d’abord la question de savoir qu’est-ce qu’une cellule souche ?
Qu’est-ce qu’une cellule souche?
Dans Des chimères, des clones et des gènes Nicole Le Douarin nous donne une définition de la cellule souche. Elle affirme qu’une cellule souche « se dit d’une cellule capable de division asymétrique générant une cellule semblable à elle-même et d’une cellule qui s’engage dans une voie définie de différenciation » . En d’autres termes, une cellule souche est une cellule qui est capable de se multiplier et de donner naissance à d’autres cellules semblables en se régénérant à l’infini, pouvant devenir n’importe quelle cellule, elle est dite indifférenciée du fait de sa plasticité car, une fois introduite dans un organe endommagé elle est capable de former les tissus de n’importe quel organe.
C’est ainsi qu’elles sont dites pluripotentes c’est-à-dire qu’en les spécialisant on peut fabriquer une grande variété de tissus cellulaires, cellules de la peau, de foie, de neurones ou autres. Elles sont en quelque sorte bonnes à tout faire car elles ont la possibilité de remplacer des organes endommagés, d’être isolées et de se multiplier sans limite.
Mais par quels mécanismes pourrait-on obtenir ces cellules ? Ces cellules peuvent être tirées d’embryons humains au tout premier stade de leur développement. On peut obtenir ces cellules par le biais du clonage thérapeutique, dans des embryons surnuméraires crées par fécondation in vitro et abandonnés, l’autre source possible est le cordon ombilical des nouveaux-nés. Les cellules souches offrent d’immenses perspectives à la recherche médicale par leur pouvoir de régulation on assiste à une médecine qui ne serait plus palliative ou réparatrice mais régénérative .
Les perspectives ouvertes : vers une médecine régénérative
Les cellules souches constituent pour la médecine ce qu’on appelle les thérapies du futur. Elles permettent le traitement par thérapie cellulaire des maladies comme l’Alzheimer, la maladie du parkinson, les traumatismes de la moelle osseuse, les crises cardiaques ou cérébrales, des brûlures, du diabète etc.… C’est ce qui fait dire à Claude Huriet que « les possibilités actuelles et les perspectives ouvertes par les cellules souches ont trait à la recherche et à la mise au point de nouveaux traitements : identification des mécanismes qui gouvernent la théorie cellulaire dans le but de diriger la différenciation des cellules, des cellules souches pluripotentes pour obtenir des lignées cellulaires différenciées, cellules musculaires, nerveuses, cardiaques, sanguines ou autres « thérapies cellulaires » dont les applications possibles sont multiples » . Ainsi on constate que les progrès techniques réalisés dans le domaine de la recherche sur les cellules souches sont prometteurs d’applications thérapeutiques décisives sur l’avenir des patients atteint de maladies dégénératives. Mais la culture de ces cellules reste problématique parce que leur utilisation suppose l’arrêt du développement de l’embryon or, il est pour certains inconcevable de créer un embryon puis arrêter son développement pour des fins uniquement scientifiques ou thérapeutiques. Pour Marissa Vicari « le débat sur les aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches porte essentiellement sur le prélèvement des cellules souches, sur des embryons humains, et sur la destruction subséquente de l’embryon que cela implique. Le cœur du dilemme éthique concerne ici la position éthique et le statut légal de l’embryon » . En effet c’est là tout le débat que renferme l’impasse à la réalisation des manipulations.
Le problème de l’embryon est un sujet sensible qui renvoie à l’origine, au commencement. Où débute t-il, où finit-il ? Il soulève des questions qui remontent à notre origine, c’est cela qui à fait dire à Marissa Vicari que : « Comme par le passé, les découvertes scientifiques sur l’embryon nous donne matière à revisiter les débats philosophiques et religieux sur l’origine de la vie, sur la notion de personne humaine, et sur nos droits et devoirs en la matière » . Comment devrait t-on définir l’être humain ? La définition de l’homme comme un animal supérieur que l’on propose souvent convient il toujours au chercheur ? Quoi qu’il en soit le constat en est qu’avec les biosciences, la nature ne semble plus être maîtresse du jeu, la vie est domestiquée et nous pouvons constater avec Pierre Leschemelle que « depuis toujours, l’effort de l’humanité a tendu à s’affranchir de la servitude de la nature depuis des siècles notre nature n’a cessé de devenir moins naturelle, elle dépend plus du genre industriel humain et toujours moins de la nature brute » ,En effet après s’être bien outillé il revient à l’homme de décider à la place de la nature. Mais l’homme peut-il décider de la vie ou de la mort. Son niveau de perfectionnement impliquerait-il qu’il met en pratique tout ce que la théorie a fini de prouver techniquement ? Là se trouve toute la problématique éthique que soulèvent ces cellules souches.
Aspects éthiques
En prenant comme postulat que l’être humain constitue une valeur et qu’il ne peut être réduit en un simple objet pour la science le terme éthique suppose dés le départ une interrogation sur les principes qui fondent l’humanité. Mais cela signifie t-elle qu’il soit compris pour autant par la classe scientifique ? Celle-ci ne considère t-elle pas d’ailleurs l’éthique comme un frein pour le progrès ? Ces interrogations ne surgissent que lorsque l’on méconnaît ce que recouvre le terme éthique qui mérite dés le départ une élucidation conceptuelle. Que renferme le mot éthique ? L’éthique signifie t-elle la même chose que la morale ? Dans son livre le philosophe français Roger-Pol Droit nous aide à faire le point sur cette notion mal connue. Pour l’auteur l’usage des deux termes (morale et éthique) s’est différencié avec le temps : la morale est passée du coté des « normes héritées », l’éthique des « normes en construction » : en d’autres termes on peut dire que lorsque l’on parle de morale ou de l’éthique cela renvoie toujours à des normes mais les types de normes différent dans la mesure où les normes de la morale sont dans une certaine mesure figées voire statiques alors que les normes éthiques évoluent, elles sont en devenir, elles suivent l’évolution du monde. Cette définition du philosophe lève un coin du voile dans la mesure où elle nous permet de mieux appréhender les contradictions qui sapent les comités éthiques dans les différents pays. En effet sur un problème donné les avis divergent selon les aspirations et le niveau de culture de chacun. Ce qui justifie aussi les différentes législations sur la culture des cellules souches car si la morale peut prétendre être commune voire universelle l’éthique elle, peut être particulière relative à une culture donnée.
C’est ainsi qu’aujourd’hui elle désigne d’après le philosophe, « la recherche de nouvelles réponses face aux possibilités inimaginables de la biologie et de la technique ou face à la nécessité de faire coexister des morales différentes » . L’éthique constitue donc un outil des temps modernes pour défendre nos valeurs et nous interroge sur le genre d’humanité que nous voulons. C’est pourquoi la culture des cellules souches constituant un enjeu décisif pour l’homme intéresse au plus au point le débat éthique. En effet cette culture des cellules une fois autorisée pourrait remettre en cause les idéaux, les principes sur lesquels reposent jusqu’ici l’humanité. La maîtrise de la vie aujourd’hui rendue possible par les développements récents de la biologie et de la médecine marque une révolution biologique qui bouleverse nos représentations traditionnelles, suscitant bon nombre de problèmes d’ordre éthiques et philosophiques. Le débat bioéthique reste ouvert car beaucoup de questions restent en suspens sur le plan éthique par manque de consensus. En effet il existe deux ancrages possibles. Le premier repose sur la tradition et propose une définition figée excluant toute évolution dans ce domaine. Le second ancrage repose sur une démarche collective argumentée et évolutive. Cette deuxième option semble être la voie de la bioéthique qui tout en permettant l’évolution essaie en même temps de le canaliser mais à quels risques ? Car le monde n’évolue pas simultanément, ce qui justifie les craintes et les angoisses de part et d’autres. Ces questions qui sèment le discorde portent essentiellement sur le fait que ces manipulations remettent en cause le caractère sacré de la vie et de la mort et sur le statut problématique de l’embryon.
Remise en cause du caractère sacré de la vie et de la mort
Ces manipulations remettent en cause le caractère sacré de la vie puisque dans une certaine mesure on assiste à l’effacement des barrières entre l’homme et l’animal. Le biologiste prenant l’homme comme tout autre vivant se considére comme un créateur, un bricoleur à la limite même qui, ayant découvert le secret ultime de la vie se croit tout permis. Il ne s’interroge pas sur la finalité de ses travaux et les valeurs sur lesquelles ils reposent, l’homme semble être dans cette course du progrès un moyen et non une fin. Les barrières entre l’inanimé et l’animé sont effacées tout semble être pour ces manipulateurs que matière or, l’homme n’est pas que matière. Il est corps et esprit et c’est cette dualité qui est le fondement de tout être humain. Cet être humain ayant une dimension spirituelle aspire à un besoin métaphysique qui lui impose des questionnements d’ordre principielles à savoir qui suis-je ? Où allons nous ? Et pourquoi il y’a-t-il quelque chose plutôt que rien ? A ces questions les religions ont tenté d’apporter des réponses diverses pour montrer la dimension supérieure et spirituelle de l’homme. La vie comme la mort constituent pour ces religions des moments sacrés. La culture de ces cellules dans leur désir de prolonger la vie porte un coup dur à ces religions car la mort ne sera plus du ressort d’un quelconque Dieu qui montrerait sa superpuissance en donnant ou en retirant la vie. La mort comme la vie ne sont plus sacralisées car elles reposent sur la volonté non plus divine ou naturelle mais purement humaine. Les développements biotechnologiques semblent ainsi faire échec à la mort. La célèbre phrase de Heidegger disant que l’homme-est-un-être-pour-la mort serait remise en cause. Cette condamnation, cette fatalité face à la mort est comme effacée et les religions révélées qui racontent comment est la mort n’auront plus de prétexte pour asseoir le mystère de cet événement. On voit que ce qui est sous-jacent ici c’est que la mort comme la vie ne sont plus avec le développement des biosciences des événements qui peuvent être décidés hors de l’être humain, par une quelconque volonté extérieure mais elles peuvent être contrôlés. C’est comme si le scientifique après s’être donné les moyens de maîtriser la reproduction (contraception, IVG , procréation médicalement assistée) et l’hérédité (diagnostic prénatal, génie génétique modifiant le patrimoine héréditaire) s’acharne désormais à vouloir maîtriser la mort. C’est là tout le problème que pose le débat euthanasique. Est-il normal de prolonger la vie de ceux qui souffrent ? On voit toutes ces notions sur lesquelles reposaient les religions pour asseoir une certaine légitimité sont redéfinies. Comment alors concevoir désormais leur pertinence dans un monde où la science prétend apporter toutes les réponses ? La science peut-elle nous assurer l’éternité qui justifierait qu-on aurait plus besoin de croire à un éventuel au-delà ? Les réponses qu’elle apporte peuvent elles assouvir nos questionnements métaphysiques ? L’humanité ne court-elle pas un risque si elle permettait à la science de tout explorer ? Qu’en est-il de leur acceptabilité lorsqu’elle remet en cause de manière fondamentale notre façon d’exister et la nature des relations entre les hommes et même ses rapports avec Dieu ? Si pour Colette Voisin le changement et la transgression sont cosubstanciels à la science et que chercher du nouveau est une activité permanente de tous les hommes, il demeure par ailleurs qu’il revient « aux hommes, à leurs représentants, à leurs civilisations d’accompagner ces percées et d’inventer des règles de vie qui en feront des progrès pour le genre humain » .
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Table des matières
Introduction
I la culture des cellules souches
1 Qu’est ce qu’une cellule souche ?
2 Les perspectives ouvertes : vers une médecine régénérative
II Aspects éthiques
1 Remise en cause du caractère sacré de la vie et de la mort
2 Le statut problématique de l’embryon
III Enjeux philosophiques
1 Entre liberté et précaution
2 Le voeau inavoué : la question de l’immortalité de l’homme
Conclusion