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L’économie des idées
Concurrence imparfaite et externalités
Romer (1986) formalise à partir des travaux de Phelps (1966) et Shell (1967) le lien entre les idées et la croissance économique de la façon suivante : les idées sont par nature non-rivales ce qui les distinguent des biens économiques traditionnels dits privés. Cette non-rivalité est à l’origine des rendements croissants ; les agents maximisateurs face aux idées entraînent l’échange économique dans un univers de concurrence imparfaite. Si les idées sont non-rivales, elles partagent cependant avec les biens traditionnels le fait d’être exclusifs par les prix. Le degré d’exclusivité du bien permet à son propriétaire de faire payer les autres agents pour l’utilisation du bien en question. Les systèmes de copyrights et de brevets permettent à leurs inventeurs de faire payer pour l’utilisation de leurs idées. Lorsque de tels systèmes n’existent pas, les « bénéfices économiques » (i.e. évalués en terme d’utilité ou de profit) tirés de l’utilisation du bien ne peuvent pas être intégralement récupérés par le propriétaire. Ce phénomène est appelé externalité positive. Le propriétaire du bien non-exclusif n’est donc pas incité à produire le bien en quantité suffisante ce qui justifie l’intervention correctrice publique pour rétablir le niveau de production du bien permettant d’améliorer les « bénéfices totaux » (ou bien-être global). L’intervention publique prend différentes formes. Elle peut consister à « nationaliser » l’activité économique : aujourd’hui, c’est le cas d’une partie importante de la recherche fondamentale. Les autres formes sont fondées sur le contrôle direct (normes et quotas) ou sur les des mécanismes de marché (taxes, subventions et permis).
Par ailleurs, les biens rivaux doivent être produits à chaque fois qu’ils sont vendus mais pas les biens non-rivaux. Produits une seule fois, ces derniers ont toujours une proportion de coût fixe dans le coût total très élevée. Cette caractéristique est celle des rendements croissants.
Les externalités négatives liées à l’exploitation des ressources naturelles
À l’inverse des biens à l’origine d’externalité positive, les biens qui entraînent une dis-persion des coûts sont souvent produits en quantité trop importante. Dans ce cas, l’intervention publique est également nécessaire. « La tragédie des biens communs » offre un bon exemple. Les biens communs sont des biens rivaux avec un faible degré d’exclusivité. On pense par exemple à l’exploitation inconsidérée des zones de pêche internationales. En général, les biens environnementaux souffrent de la tragédie des biens communs : leur utilisation est trop intensive, inefficiente et menace l’écosystème jusqu’à sa disparition. Les enjeux actuels liés aux pollutions (émissions de CO2, dérè-glement climatique, etc.) et à l’exploitation des ressources renouvelables (eau, air pur, etc.) reflètent bien ces difficultés. Les accords internationaux récents du type du Pro-tocole de Kyoto de décembre 1997, entré en vigueur en février 2005, ont pour objectifs affichés d’internaliser les effets externes négatifs à l’aide d’instruments économiques.
Ainsi, le protocole de Kyoto, ratifié par la Russie (fin 2004), les pays européens en transition et les pays de l’OCDE à l’exception des États-Unis d’Amérique et de l’Australie (pourtant deux pays initialement signataires), prévoit des objectifs quan-tifiés et juridiquement contraignants6. En plus des objectifs physiques, les instru-ments permettant de les atteindre ont été définis : les quotas d’émissions peuvent être échangés entre pays, ces quotas pouvant également être augmentés pour les investis-seurs réalisant des projets permettant de réduire les émissions dans des pays soumis à des engagements quantitatifs (on parle alors de projets d’application conjointe) ou dans des pays sans engagements (on parle des mécanismes de développement propre ; dans ce dernier cas, les projets sont plus encadrés afin d’éviter les comportements de collu-sion). Bien que le dispositif international de certificats de pollution négociable doive entrer en vigueur pour la période 2008-2012, l’Union européenne a choisi de mettre en œuvre, dès 2005, un marché de quotas européens qui rejoindra le marché international en 2008. La directive 2003/87/CE fixe les règles d’organisation du marché européen afin de permettre, grâce à l’émergence d’un prix du CO2, de réduire les coûts supportés par l’Europe pour atteindre les objectifs d’émissions négociés au niveau international.
La protection de l’innovation et le rôle du brevet
Nous revenons à l’économie des idées et au concept de rendement croissant dans la production. L’efficience du marché implique l’égalisation du prix de vente au coût marginal de production : pourquoi les logiciels sont-ils si chers alors que le coût mar-ginal de production est si faible ? La vente du logiciel à son coût marginal constant de production entraîne des profits négatifs à cause des coûts fixes élevés. Le coût moyen se réduit avec l’échelle de production. Si l’entreprise n’est pas libre de vendre le bien à un prix supérieur à son coût marginal, elle supporte seule les coûts fixes et réalise des profits négatifs. Dans cette perspective, l’entreprise ne produira pas le bien. Sa pro-duction nécessite donc que l’on s’éloigne de la concurrence parfaite. La protection de l’innovateur par le brevet est un moyen législatif permettant de garantir l’exclusivité des idées qui empêche les imitateurs de réduire à zéro les perspectives de gains liées à la mise au point des innovations.
Pour North (1981), ces mécanismes expliquent, en grande partie, les évolutions his-toriques du développement et de la croissance économique. Bien que le rendement social des découvertes ait toujours été élevé, dès lors qu’un mécanisme a permis de faire bénéficier à l’inventeur de son rendement privé, le processus de développement du progrès technique s’est mis en œuvre. Ce processus a pris son essor depuis que l’incitation par le marché existe. Comment mesure-t-on la production des idées nou-velles ?
Les dépenses en R&D et les statistiques disponibles sur le dépôt des brevets sont largement utilisées mais restent des indicateurs imparfaits. En effet, les brevets ne permettent pas de distinguer les innovations importantes des autres et toutes les inno-vations ne font pas l’objet de dépenses officielles et quantifiées comptablement en R&D (notamment dans le domaine organisationnel et managérial). Cependant, retenons les faits empiriques suivants qui sont utiles à notre analyse.
Le nombre de brevets déposés entre 1900 et 1990 aux États-Unis d’Amérique a été multiplié par 3,84. Les ressources allouées à la R&D comme le nombre de scientifiques et d’ingénieurs employés a augmenté fortement dans les pays riches depuis cinquante ans. Aux États-Unis d’Amérique, ils étaient 200 000 en 1950, ils sont plus d’un mil-lion en 1990. La part des scientifiques dans la population active a aussi augmenté pour atteindre 0.75 % en 1988, contre 0.25 % en 1950.
Environnement et croissance
Nous avons vu que l’intervention publique était justifiée par l’internalisation des effets externes positifs ou négatifs (par exemple l’exploitation des ressources naturelles pour les externalités négatives). Le bien-être est globalement augmenté par ces mesures correctrices, mais on peut s’interroger sur l’impact de la politique environnementale sur la croissance. La politique environnementale représente une perte de croissance lorsqu’elle entraîne des coûts additionnels supportés par les secteurs de production. L’amélioration continue de la qualité environnementale, même à un rythme peu élevé, nécessite une réduction permanente du flux des émissions polluantes qui est considéré comme un input de production de manière implicite ou explicite (Stockey 1998).
Dans un cadre statique, la politique environnementale pèse comme une contrainte dans la mesure où elle impose des coûts supplémentaires aux firmes : les coûts en question concernent les activités d’abattement et de dépollution ou les coûts de réduction des pollutions à la sortie du processus productif. Par contre dans un cadre dynamique, ces coûts supplémentaires réduisent les rendements du capital à l’origine des pollutions et incitent à investir dans des technologies plus respectueuses de l’environnement. Cet investissement sera-t-il suffisamment élevé pour accélérer à long terme le rythme de la croissance ? Autrement dit, les ajustements induits par la politique environnementale vont-il permettre d’accroître les possibilités de production ? D’après l’hypothèse de Porter (1991) et Porter et van der Linde (1995), il peut y avoir un effet win-win : c’est-à-dire une amélioration de la qualité de l’environnement et un accroissement de la production.
Nous pouvons classer les modèles théoriques qui répondent à ces questions en deux familles distinctes : la première différencie les biens standards (qui polluent) des biens verts (qui ne polluent pas) (Cf. Hung, Chang et Blackburn 1993 pour les innovations de procédés et Gastaldo et Ragot 2000 pour les innovations de produits…) ; la seconde n’opère pas cette distinction forte entre les biens (Cf. le chapitre 5 d’Aghion et Howitt 1998, Grimaud 1999 et Byrne 1997 pour les coûts d’abattement et les activités de dépollution, Musu 1994 pour la R&D qui améliore « les services de l’environnement »). La première famille accorde donc à une frange spécifique de la recherche un effet di-rect sur l’environnement (il peut s’agir des innovations de variété en biens verts), mais opère une distinction forte sur les biens qui ne seraient que de deux types possibles. Par contre, la seconde famille de modèles omet les liens directs entre la R&D et les émissions polluantes : pour obtenir un sentier de croissance qui soit durable au sens fort, la diminution des émissions (le facteur de production environnemental) y est tou-jours compensée par une accumulation suffisante d’innovations standards qui permet, à elle seule, le maintien d’une croissance économique strictement positive. Seul Musu (1994) étudie les effets directs de la R&D sur les émissions, mais son modèle s’inscrit plus dans la lignée des premiers modèles de croissance endogène (notion d’externalités d’apprentissage à la Romer 1986) que dans notre problématique sur la différenciation (verticale ou horizontale) des produits.
Dans la suite de ce premier chapitre, nous décrirons les origines théoriques de ces différents modèles, leurs principaux résultats et les avancées plus récentes.
Vers une remise en cause de la croissance endogène ?
Nous avons considéré jusqu’à maintenant l’existence de rendements croissants dans la R&D, permettant de générer des modèles où les modifications permanentes de la poli-tique économique ont des effets forts et continus sur le taux de croissance de l’économie et le taux d’exploitation des ressources naturelles. On peut également construire des modèles plus proches des données statistiques liées à la croissance et aux brevets dont certains aboutissent au rejet des effets à long terme des politiques sur le taux de crois-sance économique. Les données statistiques concernent le fait que l’effort de R&D (qui peut être évalué par le nombre de scientifiques employés dans la R&D), l’éducation dans les pays développés et l’équipement en informatique aient tous cru plus vite que les revenus. Des nombreux raffinements apportés aux modèles fondateurs, la critique de Jones (1995 a) (également formulée par Kortum 1997 et Segerstrom 1998) marque une étape importante dans l’analyse des fondements de la croissance.
Jones (1995 a) réfute toute pertinence empirique à l’effet d’échelle présent dans les mod-èles traditionnels de croissance endogène : l’effet d’échelle implique qu’une économie deux fois plus peuplée qu’une autre devrait croître deux fois plus vite. Jones (1995 b) propose un modèle dit de croissance semi-endogène qui permet d’éviter l’effet d’échelle, mais où la politique économique n’a d’impact sur le taux de croissance que de façon transitoire. L’accroissement exogène de la population active et les paramètres rela-tifs aux externalités intertemporelles dans la R&D assurent à eux seuls la croissance économique de long terme. Opposée à une conception de la croissance qui retirerait toute efficacité sur le long terme aux politiques économiques, une nouvelle frange de la littérature intitulée la croissance endogène sans effet d’échelle (menée par Aghion et Howitt 1998, Peretto 1998, Young 1998…) propose une modélisation alternative à celle de Jones.
Dans des modèles mêlant à la fois la différenciation horizontale et la différencia-tion verticale, les auteurs tentent de redonner à la politique économique un effet sur la croissance de long terme sans pour autant faire apparaître un effet d’échelle que l’ensemble des spécialistes s’accordent à rejeter.
Le débat reste ouvert. Pour preuve, Jones (1999) juge certaines hypothèses de la croissance endogène sans effet d’échelle trop aprioriste ; tandis qu’Aghion et Howitt (2004) proposent d’inclure à l’analyse la prise en compte de faits stylisés nouveaux que la croissance semi-endogène ne permet pas de prendre en compte. Nous reviendrons sur ces différents éléments dans la suite de ce chapitre.
Dans les sections suivantes, nous exposerons les modèles fondateurs, tout d’abord, de la croissance endogène fondée sur l’innovation (section 1.1), ensuite, de la croissance endogène durable (section 1.2) et, enfin, de la croissance semi-endogène (section 1.3). Les origines et les avancées récentes dans ces différents domaines seront discutées, respectivement, au début et à la fin de chaque section.
Les théories de la croissance endogène
Les théories de la croissance endogène reprennent dans leur analyse les principaux enjeux liés au progrès technique ; elles étudient comment les imperfections de marché, les institutions, les politiques, la démographie, le commerce et les préférences affectent le taux de croissance de la productivité globale des facteurs et la valeur ajoutée par habitant. Nous présentons, d’abord, les facteurs traditionnels de la croissance pour, ensuite, analyser les mécanismes permettant à la R&D d’en devenir le nouveau moteur.
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Table des matières
Introduction générale
Références bibliographiques
I La croissance endogène durable
1 Le développement durable face aux nouvelles théories de la croissance
Introduction sur la croissance durable fondée sur les innovations
1.1 Les théories de la croissance endogène
1.1.1 Les facteurs traditionnels de la croissance
1.1.2 Le capital immatériel de connaissances technologiques
1.2 Environnement et croissance ou les conditions d’obtention d’un développement durable endogène
1.2.1 La croissance durable fondée sur les facteurs traditionnels de croissance
1.2.2 Le modèle canonique de la croissance durable moderne
1.3 La croissance semi-endogène
1.3.1 L’invalidité de l’effet d’échelle et le rôle de la politique économique
1.3.2 La croissance endogène sans effet d’échelle
1.3.3 Les avancées récentes des théories de la croissance
Conclusion sur les facteurs de la croissance
Références bibliograhiques
2 Technologie propre et croissance endogène
Introduction
2.1 Présentation du modèle
2.1.1 L’activité de recherche et développement
2.1.2 Les émissions polluantes
2.1.3 Le bien final homogène
2.2 L’optimum social
2.2.1 Le critère de la maximisation du bien-être
2.2.2 Le sentier optimal de croissance endogène durable
2.2.3 Les conditions nécessaires pour un développement durable
2.2.4 Quelques résultats numériques
2.3 L’économie décentralisée
2.3.1 Trois instruments économiques pour rétablir l’optimum
2.3.2 Le comportement des agents
2.3.3 L’équilibre décentralisé de long terme
2.4 La politique économique optimale pour un développement durable
2.4.1 Subventionner l’achat des biens intermédiaires
2.4.2 Subventionner ou taxer la recherche et développement
2.4.3 Taxer les émissions polluantes
2.4.4 L’existence d’une courbe environnementale de Kuznets
Conclusion
Annexe A. L’optimum
Annexe B. L’économie décentralisée
Références bibliograhiques
II La croissance semi-endogène durable
3 Technologie propre et croissance semi-endogène
Introduction
3.1 Présentation du modèle
3.1.1 Les consommateurs face à la pollution
3.1.2 La R&D face à la difficulté de la recherche
3.1.3 Le bien final homogène
3.2 L’optimum social
3.2.1 Le critère de la maximisation du bien-être
3.2.2 Le sentier optimal de croissance semi-endogène
3.2.3 L’existence d’un sentier de croissance semi-endogène durable
3.2.4 La dynamique transitionnelle
3.3 L’économie décentralisée
3.3.1 Trois instruments économiques pour rétablir l’optimum
3.3.2 Le comportement des agents
3.3.3 L’équilibre décentralisé de long terme
3.4 La politique économique pour un développement durable
3.4.1 Les instruments optimaux
3.4.2 La dynamique transitionnelle liée à la politique de second rang
Conclusion
Annexe C. L’optimum
Annexe D. L’économie décentralisée
Références bibliograhiques
4 Croissance durable et double échelle de différenciation verticale des biens intermédiaires
Introduction
4.1 Les consommateurs face à la pollution
4.1.1 Le comportement du ménage représentatif
4.1.2 Les émissions polluantes
4.2 Le secteur final
4.2.1 La technologie de production
4.2.2 Les demandes de facteurs de production
4.3 Le secteur intermédiaire
4.3.1 Le programme d’optimisation d’une entreprise intermédiaire
4.3.2 Les effets distorsifs de la taxe sur les émissions polluantes
4.4 La recherche et développement
4.4.1 La double échelle de différenciation
4.4.2 Destruction créatrice et concurrence
4.4.3 La qualité standard
4.4.4 L’intensité polluante
4.4.5 L’indice de qualité agrégée
4.4.6 Le comportement d’une firme de R&D spécialisée en qualité standard
4.4.7 Le comportement d’une firme de R&D spécialisée en intensité polluante
4.4.8 La détermination des variables de Poisson et des efforts de recherche
4.5 Le gouvernement
4.5.1 L’équilibre du budget de l’État
4.5.2 L’équilibre Emplois-Ressources
4.6 La dynamique de l’économie décentralisée
4.6.1 Les conditions de long terme du développement durable
4.6.2 La dynamique transitionnelle
4.7 La dynamique de l’optimum social
4.7.1 Les données macro-économiques pour le planificateur
4.7.2 Le critère de la maximisation du bien-être
4.7.3 La dynamique transitionnelle
4.8 La politique économique optimale
4.8.1 La taxe sur les émissions polluantes
4.8.2 L’aide à la recherche et développement
Conclusion
Annexe E. L’optimum
Annexe F. La politique de second rang
Références bibliograhiques
Conclusion générale
Références bibliograhiques
Bibliographie générale
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