La croissance des arbres et la formation des cernes : un intégrateur des variations climatiques
Les arbres sont soumis à des variations climatiques au cours de leur vie et y répondent de différentes manières, notamment, en modulant leur croissance en épaisseur. Cette modulation de leur croissance est, entre autres, utilisée pour effectuer des reconstructions paléoclimatiques.
Les arbres et leurs réponses aux changements climatiques
Les arbres sont très sensibles au climat et à ses variations, qui modifient aussi bien la répartition géographique des espèces, que le fonctionnement annuel et saisonnier des individus.
Les forêts et le climat
Les arbres occupent une grande partie des continents et cette partie représente une surface de 40.10⁶ km2 soit environ 30% de la surface terrestre (Bonan, 2008; Dixon et al., 1994). Ils sont individuellement fixés à leur substrat et possèdent une longévité pouvant aller au-delà du millier d’années (Dupouey, 2010; Stahle et al., 2013). Cette immobilité fait qu’ils sont astreints à un environnement donné (type de sol, précipitations, température, ensoleillement…). Cet environnement est variable dans le temps et l’espace et cette variabilité a entrainé la multiplication des espèces. Ces différentes espèces possèdent chacune une valence écologique1 qui lui est propre et dont l’ensemble des caractéristiques constitue sa niche écologique (Grinnell, 1917; Hutchinson, 1957; Odum et al., 1971). Les arbres sont soumis à des variations parfois importantes de leur environnement au cours de leur vie, et, ils répondent à ces variations en termes d’individu et de peuplement2 . Les changements climatiques ont donc un impact visible sur les groupements végétaux. En effet, les peuplements, de par leur capacité de dispersion, peuvent migrer géographiquement afin de suivre les fluctuations spatiales de leur niche écologique, ces déplacements ayant pour particularité, entre autres, de se faire sur plusieurs décennies (Walther et al., 2002; Williams et al., 2004). L’étude des pollen a par exemple mis en évidence la migration du chêne caducifolié3 à travers l’Europe depuis le dernier maximum glaciaire du fait de la remontée des températures (Figure I-1; (Brewer et al., 2002)). La reconstruction des fluctuations temporelles et géographiques des peuplements repose sur l’hypothèse de la conservation temporelle de la niche écologique de chaque espèce. C’est-à-dire que pour une espèce donnée, sa niche écologique est considérée comme stable dans le temps (Martínez-Meyer and Peterson, 2006; Peterson et al., 1999). Cette hypothèse n’implique en aucune façon un immobilisme géographique des niches écologiques, mais simplement, qu’une espèce donnée, ayant une niche écologique donnée aujourd’hui, avait la même par le passé et aura la même dans le futur.
Les modifications climatiques ne sont pas non plus sans conséquences sur les arbres à l’échelle de l’individu. Ils y répondent, en effet, de différentes manières par des modifications physiologiques4 , morphologiques 5 et phénologiques 6 (Fritts, 1976). Un certain nombre d’études a ainsi porté sur l’impact qu’a le réchauffement global de notre planète au cours des 150 dernières années sur les arbres et leur croissance. Grâce notamment aux relevés en continu effectués par la National Oceanic and Atmospheric Admisnistration, il a été montré que, depuis 50 ans au moins, le taux de CO2 atmosphérique augmente continuellement (Figure I-2a). Cette augmentation est principalement le reflet de la combustion d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz) par l’homme pour son développement (IPCC, 2014). En outre, depuis 1850, les températures moyennes des surfaces continentales ont augmenté de +1°C (Figure I-2b). D’après les rapports de l’Intergouvernemental Panel on Climate Change, cette augmentation des températures est, entre autres, le reflet de l’augmentation du taux de CO2, de par l’intensité toujours croissante de l’effet de serre que celui-ci entraine.
Le CO2 atmosphérique est primordial pour les écosystèmes forestiers. Les arbres sont en effet des organismes photosynthétiques et ils produisent leur matière organique en utilisant le carbone atmosphérique. De ce fait, les forêts stockent une grande quantité de carbone. Elles représentent ainsi presque la moitié du carbone stocké par la biosphère continentale (FAO, 2007), et sont responsables de la moitié de la production primaire nette de la planète7 (Zhao & Running, 2010).
Les forêts et les arbres face au changement climatique actuel
Le carbone stocké par les forêts se trouve principalement dans le bois (cf I.1.2) car il représente la plus grande masse de l’arbre. Il a ainsi été montré que l’augmentation de la pression partielle de CO2 atmosphérique et des températures mondiales a provoqué une augmentation de la productivité primaire continentale de 6% à la fin du XXème siècle, avec près de la moitié de cette augmentation due à la seule forêt amazonienne ((Nemani et al., 2003); Figure I-3a). Il existe de nettes disparités régionales et temporelles dans les variations de la productivité primaire continentale : elle augmente par exemple de manière générale dans les moyennes et hautes latitudes suite à l’augmentation de l’activité photosynthétique (Myneni et al., 1997) dans les dernières années du XXème siècle. Elle augmente également dans le même temps en Europe mais diminue fortement lors des années de sécheresse ((Ciais et al., 2005; Granier et al., 2007); Figure I-3a). Il a par exemple été montré que la diminution de la production primaire en Europe en 2003 par rapport à 2002 est reliée à l’augmentation du stress hydrique lors de la grande sécheresse de 2003 ((Granier et al., 2007); Figure I-3b).
Cette modification récente du climat provoque dans les zones froides une diminution des contraintes thermiques agissant sur les arbres (Cooper et al., 1986; Zhang and Wilmking, 2010), augmentant ainsi leur productivité primaire alors que, dans les contextes arides, l’augmentation des sècheresses provoque un accroissement des contraintes hydriques (Jump et al., 2006; Piovesan et al., 2008) diminuant ainsi la productivité primaire. Le changement climatique entraine également à une modification de la phénologie des arbres (Cleland et al., 2007; Körner and Basler, 2010) avec notamment un avancement de la date de débourrement8 (Menzel et al., 2006; Sarvas, 1973a, 1973b; Schaber and Badeck, 2003), une modification de la fructification9 par exemple chez la vigne (Mira de Orduña, 2010), une maturation plus rapide des feuilles (Davi et al., 2008; Morin et al., 2007), un allongement de la saison de végétation (Lebourgeois et al., 2010; Linderholm, 2006; Menzel and Fabian, 1999) et une réactivation différente de la zone de croissance du bois (Deslauriers et al., 2008; Oribe et al., 2001). Physiologiquement, d’importants changements ont aussi lieu, notamment dans la capacité des arbres à conduire l’eau du sol (Cochard et al., 1992), ainsi qu’au niveau cellulaire où la division et l’allongement des cellules sont modifiés (Saxe et al., 2001). Les variations du climat impactent les arbres aussi bien en modifiant leur répartition géographique qu’en influençant leur fonctionnement individuel. Le climat joue ainsi un rôle primordial dans la croissance des arbres, permettant, en climat tempéré, un développement annuel particulier.
Le bois et les cernes d’arbre
Le bois est le composé biologique le plus important sur Terre (Groombridge and Jenkins, 2002) dont 80% se trouvent dans les forêts (FAO, 2010). Son importance culturelle est également très forte puisqu’il a été montré qu’un lien étroit existe entre sa disponibilité et le succès ou le déclin des civilisations (Perlin, 2005). Il représente en outre, de nos jours, une source de plus en plus importe d’énergie (FAO, 2007). La formation du bois, ou xylogenèse, est un processus primordial pour la croissance des arbres. En région tempéré, elle se déroule annuellement et abouti au fil du temps à l’accumulation de cônes de bois. Ces cônes marquent dans le plan transversal la succession de cernes de croissance annuels (Figure I-4). La xylogenèse est influencée par des facteurs aussi bien internes qu’externes (climatiques).
La xylogenèse : de la cellule à la molécule
Le bois, ou xylème secondaire, est composé de plusieurs types de cellules assurant différents rôles :
– les vaisseaux, empilement de cellules mortes conductrices de la sève brute provenant du système racinaire et permettant l’alimentation en eau et minéraux de l’arbre (Figure I-5).
– Les cellules des fibres, qui servent notamment au soutien mécanique et donc au port général de l’arbre (Figure I-5).
– les cellules de parenchyme, qui servent entre autres à l’accumulation de réserves (Figure I-5).
– Les cellules des rayons ligneux, qui sont des cellules de parenchyme servant au soutien mécanique et au transport radial de composés chimiques (Figure I-5).
Les cellules végétales présentent un plan général d’organisation qui peut être décrit comme suit, en allant de l’extérieur vers l’intérieur de la cellule (Figure I-6a). En premier se trouve la lamelle moyenne servant à la jonction des cellules entre elles et qui est fortement lignifiée. Ensuite la paroi primaire, qui est souple et peu différenciée d’une cellule à l’autre. Elle est constituée de cellulose, hémicellulose et pectine en proportions équivalentes. Enfin, la paroi secondaire, qui est composée de cellulose, hémicellulose et lignine, organisées en 3 souscouche S1, S2 et S3. Dans la paroi secondaire, la conformation particulière en réseaux croisés des différentes fibres assure une grande résistance mécanique et son épaisseur est importante puisqu’elle représente 60% de l’épaisseur globale des parois cellulaires (Figure I-6a.b).
Le bois est ainsi constitué d’environ 50% de cellulose (Thygesen et al., 2005), 30% de lignine (Sarkanen and Hergert, 1971) et 20% d’hémicellulose. Ces valeurs peuvent cependant varier s’il s’agit de bois de tension ou de compression qui sont des parties de bois dont le rôle est de redresser l’arbre à la verticale. La cellulose est un polymère de sucres (le (1,4)-D-glucopyranose; Somerville, 2006 ; Figure I-7a) qui forment des chaînes (ou microfibrilles) qui sont plus petites dans la paroi primaire que dans la paroi secondaire (Brett, 2000). La lignine est un polymère aromatique dont la structure n’est pas encore complètement déterminée (Figure I-7b pour un exemple de structure possible) et constituée de trois alcools phenylpropanoïques. Elle possède des propriétés hydrophobes et assure un soutien mécanique dans les parois et la lamelle moyenne. Les hémicelluloses sont des chaînes de polysaccharides qui s’intègrent à la surface des microfibrilles de cellulose (Cosgrove, 2001). Contrairement à la cellulose qui est un enchaînement de monomères de glucose, les hémicelluloses peuvent contenir des monomères de différents sucres.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
ChapitreI. Etat de l’art
Introduction
I.1.) La croissance des arbres et la formation des cernes : un intégrateur des variations climatiques
I.1.1.) Les arbres et leurs réponses aux changements climatiques
I.1.2.) Le bois et les cernes d’arbre
I.1.3.) Les variations climatiques et leur impact sur les cernes : Les paléoclimats par la dendroclimatologie
I.2.) Les isotopes stables du carbone : principes généraux et utilisation en dendroclimatologie isotopique
I.2.1.) Les isotopes stables : principes généraux
I.2.2.) 13C dans les végétaux
I.2.3.) Variabilité 13C des cernes d’arbre et son utilisation en dendroclimatologie
I.3.) Les charbons de bois de feux domestiques retrouvés en contexte archéologique
I.3.1.) L’anthracologie
I.3.2.) Effet de la carbonisation sur le bois 13C
Conclusion
ChapitreII. Matériels et méthodes
Introduction
II.1.) Référentiel actuel et carbonisation expérimentale
II.1.1.) Référentiel actuel : site d’étude
II.1.2.) Référentiel actuel : Les carbonisations
II.1.3.) Référentiel actuel : les mesures dendrochronologiques
II.2.) Le site archéologique de Chalain station 4
II.2.1.) Site d’étude
II.2.2.) Charbons issus des foyers domestiques de Chalain station 4
II.3.) Méthodes
II.3.1.) Dendro-anthracologie
II.3.2.) Traitements préliminaires acido-basiques
II.3.3.) Microspectrométrie Raman
II.3.4.) Spectrométrie infra-rouge par transformée de fourrier (IRTF)
II.3.5.) Micro-prélèvements
II.3.6.) Analyseur élémentaire et spectrométrie de masse isotopique
II.3.7.) Tests statistiques
Conclusion
ChapitreIII. Etude des variations de croissance 13C à l’échelle annuelle et saisonnière d’un chêne de la parcelle des Cagouillères (Poitiers)
Introduction
III.1.) Croissance radiale et climat 102
III.1.1.) Croissance radiale de l’arbre C
III.1.2.) Relation cerne – climat de l’arbre C et comparaison aux données dendroclimatiques
III.2.) Relation 13C – climat de l’arbre C et comparaison aux données dendroclimatiques
III.2.1.) 13C du bois non carbonisé
III.2.2.) Relation 13C – climat de l’arbre C
III.3.) Comparaison des réponses climatiques en largeur de cerne 13C
III.3.1.) Comparaison des réponses entre 13C, dendrologie, et climat
III.3.2.) Variations chronologiques 13C et des variables dendrologiques
Conclusion
ChapitreIV. Etude des effets de la carbonisation 13C du bois à l’échelle interannuelle et saisonnière
Introduction
IV.1.) Caractérisation exploratoire des carbonisations en foyer oxygéné
IV.1.1.) Développement d’un indice de carbonisation
IV.1.2.) Variations de carbonisation à micro-échelle
IV.2.1.) Etude des variations de taux de carbone
IV.2.) Effets des carbonisations expérimentales 13C du bois
IV.2.1.) Gammes de valeurs 13C du bois carbonisé
IV.2.2.) Etude multi-proxy des variations 13C cerne à cerne des charbons expérimentaux
IV.3.) Comparaison des relations 13C – climat calculées avant et après carbonisation
IV.3.1.) Dendrochronologie isotopique ( 13C) du bois carbonisé
IV.3.2.) Comparaison des réponses calculées avant et après carbonisation
Conclusion
CONCLUSION GENERALE