LA CRITIQUE POLITIQUE ET SOCIALE DANS L’EMPIRE DU MENSONGE ET L’EX-PÈRE

Thématisation du réalisme social

    Le roman africain, du fait de son étroite relation avec l’histoire de l’Afrique, est engagé. L’auteur semble écrire que pour prendre position sur un aspect de la vie sociale ou dénoncer des dérives politiques. Ainsi, comme l’affirme Jean Pierre Makouta Mboukou, la littérature négro-africaine est caractérisée par l’implication de ses écrivains dans les problèmes socio-politiques du continent Nos écrivains ont choisi leur camp : ils sont engagés. Toute la littérature négro-africaine l’est. Tout texte négro-africain publié ou inédit est engagé. Chacune de ses lignes, chaque terme qui le composent sont engagés et portent comme la marque de la misère des hommes qu’il défend. De ce fait, on pourrait dire qu’Aminata Sow Fall donne corps au désir que les sociétés africaines et leur volonté manifeste de retrouver au niveau du récit romanesque, leurs préoccupations les plus concrètes Par ailleurs, de même que la réalité sociale sert de référent à l’écrivain dans sa composition romanesque (avant que celui-ci n’y ajoute quelques touches personnelles et subjectives lui permettant de créer son univers fictif), les personnages que le romancier fait évoluer dans cecadre spatial et temporel fictif résultent généralement des modifications ou des opérations de transformation que l’écrivain opère sur des personnes de son entourage. Après l’avènement des indépendances avec leur lot d’insatisfaction, la modernisation accélérée de la société et le recul des valeurs cardinales, les romanciers, comme Aminata Sow Fall, vont s’inscrire dans une logique de critique sociale. De ce fait, l’auteure sénégalaise va s’illustrer dans la description des mœurs du groupe social. Pour mieux appréhender les changements qui s’opèrent dans la communauté, la romancière se pose comme un observateur attentionné du peuple et de ses modes de vie. Elle scrute de l’intérieur les tares et les maux dont souffre la communauté. Ainsi, ce passage de L’empire du mensonge, constitue une belle illustration :
– Papa, hier, à la pose de la première pierre de « l’Université Internationale d’Excellence », j’ai été tellement surpris ! C’est par la télé que j’ai su […]
-Hôpitaux, dispensaires, écoles ! Là où les gens ont le plus mal dans leur chair, continue Boly. A ce jour, rien du tout.
Aujourd’hui « Université Internationale d’Excellence ». Ces gens, ils savent jouer avec le fétichisme des mots. […]
-Va demander aux pauvres populations. Moi j’ai noté dans mon petit carnet. Réflexe d’un vieil enseignant démodé, peut-être. Pour résister à l’amnésie générale qui paralyse les esprits et nous transforme en robots. Cinquante mobilisations grandioses pour des applaudissements vains chèrement payés et rien pour le peuple. Pendant ce temps, des écoles ont fini de s’écrouler, des hôpitaux de s’affaisser sur la tête de malades démunis. Et ça continue. En effet, elle n’observe plus de l’extérieur les faits et les gestes quotidiens des composantes de la société mais se place au milieu pour ainsi avoir une meilleure vision lui permettant de promener son « regard » sur les moindres failles et, par ce biais, être au cœur des préoccupations de la population en combattant les entraves à leur épanouissement social. En plus, dans L’ex-père de la nation, on note les mêmes maux qui gangrènent la société. Ainsi, la narratrice peint une société traversant des difficultés causées par l’homme qui disait être le Père de la nation : Plus je regarde ce peuple, plus je le détestais Tous dans le même paquet : ceux qui, en dépit de leur misère, se disaient heureux de mon règne et m’applaudissaient par peur ou hypocrisie ; ceux qui s’agitaient dans les allées du pouvoir pour m’encenser et me sourire alors qu’ils me haïssaient autant que je le méprisais ; ceux enfin qui étaient mes ennemis irréductibles et qui sortaient sporadiquement de l’ombre pour montrer que le sommeil n’était pas au beau fixe Un certain souci réaliste caractérise donc cette société, car, pour arriver à mieux atteindre la conscience collective, l’écrivain n’a d’autre choix que de se coller à la réalité environnante dans laquelle les destinataires peuvent se reconnaître. Sembene Ousmane avoue avoir comme objectif primordial la volonté de « rester au plus près du réel et du peuple. » Chez Aminata Sow Fall, le roman semble être le moyen le plus approprié pour parler des réalités sociales et analyser le vécu quotidien des diverses couches de la population sénégalaise partagées entre la ville et la campagne, entre la tradition et le modernisme. Ceci dans une certaine mesure confirme le point de vue de Jacques Chevrier qui notait que le roman est le genre « qui participe le plus étroitement des phénomènes sociaux qu’il a pour objet de traduire et de révéler. » C’est la réalité sociale ou historique qui fournit principalement à la romancière les outils lui permettant de mettre en scène son univers fictif : l’écrivain met donc en « forme un matériau que la société lui communique plutôt qu’il ne le crée »

Un roman des mœurs en déconfiture

   L’affaiblissement progressif des mœurs engendre de nouveaux comportements qui participent au processus de dégradation de la vie sociale. En effet, les personnages qui ont enfreint les règles sociales font l’objet d’un châtiment exemplaire. En guise d’illustration, nous pouvons évoquer ce passage de L’empire du mensonge où narratrice condense, sublime sa conviction la plus profonde, sa foi dans les valeurs les plus essentielles : Notre cupidité, nos envies démesurées, notre goût pour la facilité. « Liguey dieurignou ».Pour récolter, il faut semer, patienter, persévérer dans l’effort. On ne le dit plus aux jeunes. Les parents n’ont plus le temps d’assumer le devoir sacré d’éduquer leurs enfants ; ils les encouragent même à sacrifier leur vie pour des richesses hypothétiques. » En dépit de leurs qualités humaines, ils vivent de déshonneur. L’égoïsme et la cupidité engendrent ainsi l’enlisement des coutumes, le déclin des références auquel les anciens accordaient une importance capitale. Mouhamadou Kane souligne à cet effet : « Tout naturellement, la dégradation des traditions entraîne celle des mœurs » La perte des valeurs explique aussi la déchéance humaine. Elle  marque ainsi une époque où l’individu est livré à lui-même, sans perspective d’avenir et sans attache. Une société où la tentative est grande, un monde où la quête de liberté exerce une emprise sur l’être et le conduit inexorablement à sa perte. Ainsi, dans L’ex-père de la nation, son Excellence Madiama était dépassé par la situation du pays qu’il gouvernait. Ses amis avec lesquels il avait, contre vents et marées navigués, démissionnent et le laissent seul dans les moments de difficultés : De nous trois, le destin m’avait choisi pour porter le fardeau. Pourquoi moi et pas eux ? Tout le fardeau sur ma tête afin que le rêve se réalisât. Malang et Séni en mesuraient-ils le poids ? Je revoyais leur enthousiasme dans le rayonnement de leur visage ; j’entendais leur joie exprimée à haute voix, et leur confiance renouvelée, et leurs cris d’allégresse quand nous eûmes passé les turbulences de mes premiers mois de règne. Nous avions continué à naviguer contre vents et marées, moi à la proue, devant pour montrer la route de notre idéal ; eux en poupe pour tenir le gouvernail auprès de milliers et de milliers de femmes et d’hommes. » Mouhamadou Kane renforcera cette idée par ces propos « ainsi la dégradation des mœurs procède à la fois de la déshérence de la tradition, de la libération de l’individu, des sollicitations de la ville et de l’absence de direction en ce dernier lieu »

Des personnages de l’échec

   En observateur averti de la scène politique, Aminata Sow Fall fait le procès des politiciens véreux animés d’un désir de prestige. Elle peint la stratégie de ces derniers dans les moindres détails aussi bien avant qu’après la prise du pouvoir. Les politiciens se font élire grâce à des promesses ou par le biais de coup d’Etat ; ils justifient ensuite leurs actions par des intentions de redressement de la situation catastrophique du pays En effet, ceci se justifie dans L’ex-père de la nation par son Excellence Madiama lors de sa prestation de serment, il disait : « Au nom de Dieu le miséricordieux, je jure de gouverner pour le peuple, avec la volonté du peuple, pour la dignité et pour la sécurité du peuple que je ne trahirai jamais ». La perfidie est le vice le mieux partagé de prétendants du pouvoir. En effet, ils sont prêts à tout renier, pourvu que leurs intérêts soient saufs. L’amitié, la parenté ou la parole donnée n’ont pas de valeur pour eux. Leur but atteint, ils se transforment en tyrans. En guise d’exemple, notons ces propos de Madiama après l’assassinat de sa fille Nafi suite aux manifestations initiés par les syndicats, les travailleurs du secteur public, des étudiants, des chômeurs, des ménagères…qui veulent marcher sur le château : […] me venger de ce peuple qui m’avait ravi ma fille. Lui rendre la souffrance qu’il m’avait infligée. Cet esprit m’avait pénétré après les premières heures du cauchemar quand Andru et Yoro m’avaient relaté les circonstances du drame, telles qu’elles avaient été reconstituées d’après les témoignages […]. Dans une démocratie, la conquête du pouvoir se fait le plus souvent par des candidats, membres de partis politiques. Les candidats et les membres des partis font une campagne de propagande en leur faveur durant une période dite de campagne électorale. Dans les romans, les héros sont présentés comme des démagogues dévoilant des programmes qui n’existent que dans leurs songes. C’est pourquoi quand ils arrivent au pouvoir, leurs ambitionnes se dévoilent : se servir de l’Etat et non le servir. Les nouveaux dirigeants oublient leurs promesses. Cette attitude entraîne la déception du peuple. C’est justement cette déception de l’intellectuel à l’image du peuple tout entier que traduisent ces romans comme l’affirme Diallo Falémé : « Une fois cet espoir trahi par les tenants du pouvoir, le romancier refuse de prendre part à cette liquidation du peuple par un silence de complice. Le peuple est, par lui, présenté comme valeur suprême pour laquelle valeur, il faut se battre avec les armes de la vérité » Cette situation fut l’un des sujets de la littérature africaine d’après l’accession à l’indépendance. Suite au retrait de l’autorité coloniale, la plupart des pays de l’Afrique francophone ont maintenu des liens avec l’ancienne métropole malgré l’appel à l’indépendance immédiate et totale de certains. Cependant, l’ancienne puissance accorde l’indépendance après une période transitoire tout en s’arrangeant à mettre en place des hommes acquis à sa cause. Ceci se justifie par ce discours de cette ancienne autorité coloniale lors de la proclamation du président intérimaire, Madiama. Il disait : « […] Avec Madiama, nous serons à vos côtés en cas de difficultés. C’est un homme intelligent et pondéré qui saura nous trouver des alliés sûrs pour neutraliser toute convoitise étrangère» Aminata Sow Fall peint cette époque allant de la transition à l’installation d’une administration locale après l’indépendance. Cette nouvelle administration est présentée comme le prolongement de l’autorité coloniale. Celle-ci continue d’agir à travers les hommes placés à la tête du pays. Ainsi, tout le parcours du héros de L’ex-père de la nation d’Aminata Sow Fall, Madiama peut être placé sous le signe de l’échec. Cet échec s’avère d’autant plus cuisant, si l’on considère l’espoir et l’enchantement suscités au sein des masses par l’avènement des indépendances. La première déception de Madiama provient de son manque de compétence pour diriger le pays en tant président élu par son peuple : « En réalité je ne gouvernais pas. L’armée, la défense, les finances, tous les secteurs clés étaient encore contrôlés par l’ancienne autorité comme au temps de l’autonomie. « Régime fantoche », criait Dicko, mon seul adversaire politique »

Le népotisme et la corruption

   La perversion de l’administration a engendré des conséquences dans la marche des affaires de l’Etat. Le plus saillant des cas est le népotisme et la corruption des agents de l’Etat dont le premier est le chef lui-même. Le népotisme est le fait d’accorder des faveurs en tenant compte des liens de parenté. La première règle est de mettre ses proches dans les emplois de sinécure sans tenir compte de leurs qualification ni de leur compétence. Le seul critère qui peut prévaloir est la relation de famille et d’amitié. Le mal qui en découle est que rien ne marche dans les normes. Tout l’appareil de l’Etat devient non performant par ce qu’il se trouve entre les mains de gens incompétents, « d’un système qui conduit au pouvoir des hommes à la moralité douteuse, intellectuellement médiocre ». Ces propos de Midiohouan Guy Ossito démontrent clairement le souci du dictateur d’avoir des hommes acquis à sa cause pour leur conférer une partie de son pouvoir et des privilèges. Parfois même, cela s’effectue sur des bases éthniques ou tribales. Comme Buwakanabé Na Sakadé, le tout puissant Président, dans le Pleurer-Rire67, dont la garde rapprochée n’était composée que par des membres de sa tribu. Dans L’ex-père de la nation, le népotisme est bien perceptible dans la gestion de son Excellence, le Président Madiama. L’Etat ressemble à une entreprise familiale où les membres contrôlent la gestion sans en avoir le profil requis. Seuls les liens avec le dirigeant constituent un critère valable. Ainsi, un enseignant, membre du parti, transformer en armateur ; un neveu du président, qui était menuisier, devient chef d’une société de nettoiement. Le président lui-même a donné du travail à son beau-frère, le mari de sa sœur, mieux encore sa propre fille assure la gestion d’une banque alors qu’elle n’en a pas le profil. C’est ainsi que son épouse Yandé donne cette information : […] Mademoiselle Borso Niang, fille de son excellence Madiama, actionnaire et directrice de la banque nationale et bien placée pour devenir dans quelques moi le patron de la banque la plus importante de ce pays… Combien de licenciés en sciences économiques ont cette chance ? L’interrogation de Yandé sous-entend que ceux qui méritent le poste sont écartés au profit de la fille du Président qui ne doit ce poste qu’à ce titre. Il est donc établi qu’on peut devenir quelqu’un d’important par la position occupée par le parent ou l’ami dans l’Administration. Les relations constituent une attestation qui ouvre toutes les portes. A ce sujet, Sassi, la sœur de Madiama lui rappelle que les proches du chef ne doivent pas souffrir « Ku am coudou dou lakk », « trouve-leur du travail » lui disait-elle. Ceci montre combien le népotisme et la corruption sont d’usage dans le pays. Chacun cherche à devenir quelque chose pourvu qu’il soit le méritant, l’essentiel est de faire partie de la ligné du dirigeant ou de connaître quelqu’un qui le connaît.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE REALISME SOCIAL D’AMINATA SOW FALL
CHAPITRE I Une vision introspective de la société
1.1. Thématisation du réalisme social
1.2. Une reproduction fidèle du fait social
CHAPITRE II Une écriture de la dégradation sociale
1.1. Un roman des mœurs en déconfiture
1.2. La représentation de la crise sociale
DEUXIEME PARTIE : LA CRITIQUE POLITIQUE DES ANNEES POSTINDEPENDANCES
Chapitre I Des personnages politiques négatifs
1.1. Des personnages de l’échec
1.2. Des politiciens-prédateurs
Chapitre II La dénonciation des mœurs politiques
1.1. Le népotisme et la corruption
TROISIEME PARTIE : LA REPRESENTATION DISCURSIVE D’UNE SOCIETE MULTICULTURELLE
Chapitre I Un discours romanesque polyphonique
1.1. Un espace textuel multilingue
1.2. L’abondance des dialogues ou la nécessité de communiquer
Chapitre II Une écriture fortement oralisée
1.1. Les proverbes
1.2- Les Chants
C0NCLUSION
DOCUMENT ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE

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