La critique marxienne de la conception hegelienne de l’etat

L’ETAT HEGELIEN : UNE MYSTIQUE

La critique marxiste de l’Etat s’épanche sur un terrain particulier : celui de la philosophie de Hegel. L’enjeu est de taille si l’on sait que l’Hégélianisme passe comme étant une pensée encyclopédique et totalitaire. Etudier la pensée politique de Marx revient à emprunter le champ de la connaissance philosophique de Hegel avec une attention particulière. En Aristote des Temps modernes, Hegel représente bien le résumé substantiel de son époque dont il constitue la figure de proue. Sa pensée politique articulée autour de l’Etat se trouve principalement dans des écrits tels que les Principes de la philosophie du droit et l’Encyclopédie.

De la critique de la transcendance de l’Etat chez Hegel

Héritier d’une combinaison entre le Platonisme et le Machiavélisme, Hegel assigne à sa philosophie politique un statut apologétique dont la mission est de comprendre la science politique. Si la tâche de la philosophie consiste à dire ce qui est, tout en sachant que ce qui est c’est la raison, alors celle-ci revient à comprendre la rationalité immanente à l’Etat. L’Etat doit être connu par ceux qui l’administrent et par ceux qui en reçoivent l’exercice. D’où le caractère différentiel et étanche des tâches. En la refondant sur des bases nouvelles, Hegel attribue à l’Etat moderne, la mission d’assurer la sécurité et la garantie des individus et de leurs propriétés, à travers un processus de formation et d’éducation des individus membres de la société, dans leur élan de participation à la bonne marche de l’Etat. Chez Hegel, l’Etat est élevé à la dignité suprême du concept en tant que produit et moment de l’Idée. Les institutions culturelles, économiques, religieuses et politiques sont conçues comme des modes d’objectivation de l’Esprit. C’est précisément cette conception mystique de l’idéalisme philosophique de Hegel qui fait de l’Etat une entité planant au- dessus de la vie des individus. L’Etat politique, et le Maître de Berlin prend bien le soin de le préciser, se trouve au dessus de la Famille et de la Société Civile. Pour Hegel, la Famille représente l’Etat dans son immédiateté concrète et objective tandis que la Société civile ou bourgeoise est assimilée à l’Etat dans sa nécessité et dans son entendement. Ces deux moments trouvent leur processus de maturation dans l’Etat qui incarne l’unité organique de la vie politique des individus. Par un mouvement dialectique, famille et société civile acquièrent leur accomplissement véritable dans l’Etat comme forme achevée. Au paragraphe 261 des Principes de la philosophie du droit, il expose cette thèse en disant que « Face aux sphères du droit et du bien privé, de la famille et de la société civile, l’Etat est, d’une part, une nécessité extérieure, et c’est leur autorité supérieure ; leurs lois et leurs instruments sont subordonnés à la nature de cette autorité et ils en dépendent » .

En clair, famille et société civile dépendent de l’Etat. De cette dépendance intérieure du droit privé à l’Etat, Hegel subsume une autre « nécessité extérieure » où ces entités s’opposent. Il analyse celle-ci comme un moyen d’éviter certaines collisions entre Etat et société civile pour que cette dernière cède devant les « lois » et intérêts généraux. Dans cette logique nous apprend Marx, Hegel n’évoque nullement la nature du rapport empirique qui devrait prévaloir entre lois et intérêts généraux dans la dualité Etat – Société civile.

Puisque’ « il s’agit du rapport essentiel de ces sphères en tant que telles. Voilà pourquoi l’Etat « se conduit en « autorité » supérieure » à l’égard de leurs « lois et intérêts », lesquels se rapportent à lui en « subordonnés » . Marx dans la même veine dira que ces lois et intérêts « existent dans la dépendance de l’Etat. C’est précisément parce que « subordination » et « dépendance » sont des rapports extérieurs qui limitent et contrecarrent l’être autonome que le rapport de la « famille » et de la « société civile » à l’Etat est celui de la « nécessité extérieure, nécessité qui s’oppose à l’essence intime des choses » . D’ailleurs c’est ce qui fera dire à Jean Hyppolite que l’ « opposition de la société civile bourgeoise et de la vie politique a une histoire dans l’hégélianisme (…) ce dualisme, ajoute-t-il, est celui de l’homme privé, du bourgeois enfoncé dans sa particularité de sa vie et du citoyen » .

Qu’est ce que cela veut dire ?
Pour Hyppolite l’idée d’un Etat hégélien transcendant ne signifie pas autre chose que son caractère objectivant qui rend par là même l’homme étranger par rapport à lui, puisqu’il confond objectivation et aliénation. Rappelons que l’Etat ne peut subsister sans ses artifices que sont famille et société civile qui en constituent une condition nécessaire. Ce qui est intéressant dans cette idée, c’est que chez Hegel « La condition est posée comme le conditionné, le déterminant comme le détermine » . Marx en arrive à voir dans le système hégélien, une pure construction formelle et rationnelle. Etant donné que « Le raisonnement logique qui conduit de la famille et de la société civile à l’Etat est donc pure apparence » .

De l’avis de Marx, Hegel ne prend nullement la peine de montrer explicitement le passage de l’esprit de famille, du citoyen et de toutes les institutions sociales renvoient aux convictions et constitutions politiques. Et en prenant à la loupe le paragraphe 267 des Principes de la philosophie du droit de Hegel, Marx concède que Hegel fait partout de l’Idée, un sujet réel. Dans sa pensée, les déterminations politiques sont idéalisées où la logique des faits est substituée aux faits de la logique. Chez Hegel « Le point de départ, c’est l’Idée abstraite dont le développement dans l’Etat s’appelle constitution politique. Il ne s’agit pas de l’idée politique, mais de l’Idée abstraite de l’élément politique » . Dans ce sillage la constitution politique ne rend pas compte, de façon effective, de la réalité sociale diffuse dans la famille et la société civile. Car « La raison de la constitution n’est donc pas le concept de l’Etat, mais la logique abstraite. Au lieu du concept de la constitution, nous abstenons la constitution du concept » . Dans ce cas de figure, la constitution n’exprime pas la volonté de la base, c’est-àdire, celle du peuple. Elle n’exprime qu’une « décision suprême en tant que détermination de par soi à laquelle le reste se ramène » , entendons celle du Prince ou monarque qui est « volonté réelle ».

L’erreur de Hegel ou la tare de son système, c’est qu’il ne part pas dans son analyse de « sujets réels comme fondement de l’Etat ». C’est pourquoi l’Etat se fait mystiquement sujet. « La substance mystique se change donc en sujet réel, et le sujet réel apparaît comme étant autre, tel un élément de la substance mystique. Aussi la souveraineté, la nature de l’Etat, est appréhendée ici d’abord comme être indépendant, comme faite objet » .

Par ailleurs cette question du mysticisme de l’Etat s’articule autour du Prince ou monarque qu’Hegel présente comme un « Homme – Dieu » , c’est-à-dire comme « l’incarnation réelle de l’Idée ». Il conçoit à cet effet le monarque comme « la personnalité de l’Etat, sa certitude lui-même » ou encore la « souveraineté personnifiée ». Cette souveraineté absolue lui vaut l’expression « l’Etat, c’est moi » Finalement en donnant à l’Etat le cachet de l’éternel, Hegel justifie la réalité politique existante philosophiquement et non concrètement. C’est ce qui fera dire à Hyppolite que « L’Etat hégélien est l’Etat formel moderne. Cette société est individualiste » Ce qui est étonnant dans tout cela, c’est que l’administration de cette volonté absolue n’est perceptible qu’à travers le gouvernement avec ses différentes institutions. Le caractère mystique de l’Etat fait que son exécution ne réside pas au sein de la société civile, mais à l’extérieur d’elle. Toute la conception politique de Hegel s’origine dans la scission Etat-société civile.

La Scission hégélienne Etat-Société civile

L’esprit du Moyen-âge consacrait et cultivait l’identité de la société civile à la société politique, contrairement à la conception moderne de l’Etat telle qu’elle apparait dans les écrits de Hegel. En effet l’esprit des deux sphères étaient confondes, puisque « La société civile, nous dit Marx, était la société politique, le principe organique de la société civile constituant le principe de l’Etat » . Au regard de ces idées, on voit combien la théorie hégélienne se démarque de cette vision identitaire Etat politique-société civile. Dans cette théorie la famille et la société civile parce que déterminées par l’Etat, deviennent accessoires. En ce sens qu’ « Hegel suppose la séparation de la « société civile » et de l’ « Etat politique » en tant deux sphères réellement différentes, absolument opposées » . Dès lors la véritable base ou le lieu du « vrai rapport » entre société civile et Etat repose sur cette seule séparation. C’est précisément ce qu’a consacré la modernité politique qui maintient séparé les ordres sociaux des ordres politiques. Nonobstant l’idée qu’il ait perçu les diverses aliénations ainsi que la dislocation des liens de solidarité et de sentimentalité de la société civile, Hegel n’a pas réussi à dépasser le problème de l’aliénation, même s’il a tenté de le surmonter d’une manière abstraite. Au fond « Famille et société civile apparaissent comme l’obscur fond naturel d’où jaillit la lumière de l’Etat » Mieux, Marx dira pour son compte qu’elles « sont les fondements de l’Etat ; (car) c’est elles qui agissent vraiment ; mais la spéculation inverse ce rapport ». A la vérité Marx récuse et fustige plus le manque de logique réelle et l’incohérence théorique de leur contradiction non résolue d’un point de vue pratique. Avec cette situation d’inconséquence, la critique marxiste s’intéresse aux voies et moyens pratiques de sortie de crise en réduisant l’écart entre les deux. Plus l’écart est grand entre les deux sphères plus l’homme se perd dans la sphère politique. Par société civile, il faut entendre un ensemble ou système de besoins qui engage ou détermine des individus animés par une volonté de domination dans une logique de concurrences et de conflits incessants. Elle représenterait cette portion de la société où le principe de l’individualisme est cultivé et mis en pratique dans une série de contradictions liée à des conditions sociaux de productivité. Elle se rapporte au monde du travail, aux moyens de production et aux travailleurs. Elle est pour Fleischman, un système de dépendance basé sur la division et la répartition sociale du travail.

Autrement dit faut-il admettre que Hegel « a présenté l’Etat politique sous sa forme moderne de séparation des différentes pouvoirs. A l’Etat réel et actif, il a prêté le corps de la bureaucratie, et il a placé celle-ci, tel l’esprit qui sait, audessus du matérialisme de la société civile(…) En un mot, il expose partout le conflit de la société civile et de l’Etat » .

En attribuant le qualificatif de « formalisme politique » l’Etat hégélien, Marx décèle dans sa théorie un refus d’inhiber les différences individuelles de la société civile. Eu égard à la précarité et à la fragilité de la société civile comme foyer de tensions et de conflits, Hegel sut quand même réaliser théoriquement un Etat fort, absolu et transcendant pour surmonter leurs obstacles. Dans sa vision panlogiste de l’Etat, les diverses institutions pénètrent la sphère de l’Idée à travers un vaste mouvement logico dialectique. Suivant ce mouvement trilogique, la famille constitue la thèse comme moment d’affirmation, la société civile son antithèse ou moment négatif et l’Etat sa synthèse ou moment de réconciliation. L’Etat remplit l’union des principes de la famille et de la société civile. Traduit en un langage dialectique, on dira que la société civile est le dépassement de la famille alors que l’Etat est le dépassement de la société civile. Notons que même dans le cadre de la Constitution de l’Etat, Hegel use d’une méthode idéalisée. Cette constitution politique n’est que la constitution du concept suivant ces divers moments. Par ailleurs, l’idée de ces trois pouvoirs séparés en pouvoir législatif, exécutif et en pouvoir monarchique apparaît dans sa théorie politique. Le pouvoir monarchique est représenté et incarné par le prince, l’exécutif par le gouvernement et ses bureaucrates et le législatif par le peuple. Analysant le passage idéel et abstrait d’une sphère à une autre, Marx pose que « La transition de la famille et de la société civile à l’Etat consiste donc en ce que l’esprit de ces sphères, qui est en soi l’esprit de l’Etat, se rapporte désormais, comme tel, aussi à soi même ». Marx va donc critiquer cette forme d’idéalité car pour lui « ce n’est pas l’Etat qui est le fondement de la société civile, c’est au contraire la société civile (la société « bourgeoise » le système des besoins) qui fonde l’Etat » si l’on en croit Calvez.

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Table des matières

INTRODUCTION
1ER PARTIE : LA CRITIQUE MARXIENNE DE LA CONCEPTION HEGELIENNE DE L’ETAT
Chapitre A : L’Etat Hégélien : une mystique
A. De la Critique de la transcendance de l’Etat chez Hegel
B. La Scission hégélienne Etat – Société civile
Chapitre B : La Critique de la conception Hégélienne de l’intérêt commun
A. L’Intérêt général : une notion ambivalente
B. De l’Idéologie de l’intérêt commun
2E PARTIE : DU POLITIQUE A LA POLITIQUE : DE L’INSTRUMENTALISATION DE L’IDEOLOGIE
Chapitre A : De la Critique de l’autonomie de l’exercice du pouvoir politique
A. De l’absence de neutralité du pouvoir d’Etat
B. L’Etat : Un Pouvoir de classe
Chapitre B : La Critique marxiste de la raison bureaucratique
A. L’Elite bureaucratique : un esprit partisan
B. De l’usurpation de l’intérêt commun
3E PARTIE : LA FIN DU POLITIQUE
Chapitre A : De la Transformation de l’Etat bourgeois en Etat socialiste
A. La Disparition de l’Etat bourgeois : mission du prolétariat
B. Les Bases nouvelles d’un Etat socialiste
Chapitre B : De La Suppression de l’aliénation politique
A. Une Nouvelle citoyenneté : une conquête pour la liberté
B. Le Marxisme, un projet politique humaniste
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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