La Métaphysique : quelques théories antérieures au Kantisme
Ne dit- on de l’Homme qu’il est, à la fois un Homo faber, un homo loquens, en un mot l’Homme est un zoon politikon17 ? Un tel animal capable de se socialiser en instaurant des assises qui le gouvernent, en fabriquant des outils pour sa survie, en échangeant avec ses semblables doit forcément avoir une lumière naturelle qui le guide dans le choix de ses actes. Cette lumière naturelle qui commande aussi bien le langage que la pensée, la connaissance et la moralité ; et qui met l’Homme au-dessus de tous les animaux : c’est la Raison. L’importance de la Raison se révèle lorsqu’elle nous permet de saisir le réel par des concepts, de maitriser le Monde, de guider nos actions, de connaitre le sens de notre existence en tant qu’être fini, jeté dans ce Monde ; fut magnifié par les premiers penseurs de la Philosophie qui sont tous convaincus de l’importance de cette faculté supérieure. Que ce soit en Philosophie ou partout ailleurs, la Science trouve essentiellement son origine dans la pensée humaine car c’est l’Homme qui de tous les animaux, veut comprendre le sens de son être en tant qu’être fini. Cet Être fini qu’est l’Homme, veut plus précisément connaitre et comprendre l’origine de son Existence. La connaissance de son étymologie latine cognitio renvoie de ce fait à l’« action d’apprendre ». Cette réflexion le conduit à réaliser l’une des plus importantes productions de la pensée (spéculation) à savoir la Philosophie encore appelé la Métaphysique. La métaphysique, de sa racine grec méta-ta-physica, désignant généralement les œuvres d’Aristote venant après ceux de la physique ; renvoie à l’ensemble des connaissances issues de la raison et qui n’ont point une origine mystique ou religieuse. L’objet de cette conception métaphysique concerne les réalités immatérielles (s’opposant aux réalités dites matérielles ou physiques) à savoir Dieu, l’Âme et les Idées. Chez Aristote, métaphysique et ontologie renvoient à une même chose car l’une et l’autre font de la recherche de l’Essence de l’être, son objet d’étude. De manière plus précise, la Métaphysique viendrait renvoyer à une science suprême ou philosophie première dont l’objet serait l’Absolu ou la recherche du fondement inconditionné (premier) des choses. Mais, dans un sens critique, la signification de la Métaphysique renvoie à toute spéculation dont l’objet serait conçu par abstraction du monde sensible c’est-à-dire en dehors des phénomènes réelles et qui échappe ainsi, aux critères d’objectivité de la science positive (universel et nécessaire). Si en Science, l’objectivité (la vérité) concerne l’adéquation entre la pensée de l’objet et l’existence de cet même objet dans la réalité extérieure ; les objets métaphysiques ne peuvent et ne sauraient répondre à cette critères d’objectivité de la Science. En effet, ni l’Âme, ni le Monde, encore moins Dieu ne peuvent être soumis à une quelconque expérience réelle (faisant l’objet d’une confrontation entre pensée et réalité) car leur matière est extra-sensible – nouménale : il s’agit de l’activité pure de la pensée. Or, si le penseur estime prouver la validée de la connaissance métaphysique grâce à un procédé logique (dialectique avec Platon par exemple) ; il n’en demeure pas moins que la connaissance métaphysique, toujours au statut primaire, n’arrive pas à se départir de ses contradictions et d’entrer dans la voie sûre d’une Science. La preuve en est que, depuis son apparition en Ionie jusqu’au XVIIe siècle, la tendance étant généralement de relativiser l’origine de la connaissance métaphysique en la justifiant par le recours au Divin ou d’un Dieu infini qui serait la figure même de l’infini ; l’histoire enseigne toutefois que le problème de l’origine et le fondement de la connaissance métaphysique reste jusqu’à présent un débat actuel. Dans cette logique de recherche du fondement de la connaissance, la question fondamentale qui se pose reste à savoir s’il n’y-aurait pas d’éléments premiers, naturels (Idées Innées) dans l’Esprit ou la Raison qui constitue le foyer de l’élaboration rationnelle de la connaissance ? Si les partisans de l’innéisme considèrent qu’il y a des Idées qui sont naturellement gravées dans la raison ; pour d’autres philosophes, la Raison ne saurait connaitre à partir de ces idées primitives car la connaissance suppose une construction progressive. Dans ce cas, s’il n’y a pas d’idées innées dans l’esprit, alors l’expérience (donné ou impression sensible) ne fonderait-elle pas la Connaissance ?
Solution du dualisme cartésien par l’Harmonie préétablie de Leibniz
Leibniz voit dans la dualité cartésienne entre le corps et de l’âme (forme et matière) une insuffisance critique qu’il faut, selon lui, surmonter grâce à la mise en place de la théorie de l’Harmonie préétablie. S’accordant d’avec le cartésianisme sur la préexistence des Idées dans la Raison humaine, Leibniz accorde à la monade ou raison une extension naturelle lui permettant de penser Dieu. En effet, la matière de la connaissance est considérée par Leibniz comme une force, un dynamisme ou comme il l’écrit : « une antichambre de la vérité ». C’est-à-dire que le sujet ou Substance est aux yeux de Leibniz, une agrégation d’Idées simple devenant une Idée complexe grâce à l’activité de l’esprit ou Monade. L’Esprit Pur ou Dieu par exemple n’est rien d’autre qu’une idée dont la compréhension réside dans la saisie des idées complexes. Autrement dit, La Monade humaine ou idée est douée de raison et d’aperception lui permettant de penser, de réfléchir en s’élevant jusqu’en l’Idée de son créateur (Dieu) ; constitue le fondement, l’origine de la connaissance car elle est l’élément premier des choses : l’atome des choses. Leibniz écrit à ce propos : Et, c’est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées, comme des inclinations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non comme des actions, quoique des virtualités soient toujours accompagnées de quelques actions souvent insensibles qui y répondent. Ainsi, la conscience pure constitue le fondement de toute notre connaissance car tous les partisans de l’innéisme considérant que « les idées, les connaissances, etc., sont présentées dans l’esprit avant tout apprentissage » voient dans la Conscience pure ou l’esprit le siège des idées naturelles ou innées qui se manifestent par une évidence immédiate. Mais, considéré que la connaissance repose sur une simple évidence immédiate de l’Idée n’est-ce pas en réalité faire de l’Esprit ou de la Raison, le siège des Illusions ? Car si l’illusion est un semblant de vérité, une virtualité et que l’Idée, pure produit de la réflexion pure est loin de refléter la réalité véritable des choses tels que nous les connaissons dans notre monde sensible (exemple de l’Idée de Table diffèrent de la table réelle) alors cette préexistence de l’Idée ne serait-elle pas un Chimère à l’image du rêve ? Si la pensée ou l’Idée ne peut aucunement être première par rapport à la réalité car l’intuition (les sens) constitue notre premier contact au Monde ; donc, le Réel ne serait-il pas au fondement véritable de la Connaissance ?
L’influence de la Révolution des Sciences sur le Kantisme
Suivant le scepticisme de Hume à l’égard de la Raison, La méthode transcendantale de Kant entreprend d’examiner la limite du scepticisme de Hume ou associationnisme de l’imagination. Cette méthode consiste à, partir des règles de l’entendement, constituer une objectivité correspondant à un objet en général. Kant part de l’idée selon laquelle la Science, universel et nécessaire se fonde sur des principes a priori. Autrement dit, toute connaissance rationnelle doit, pour répondre aux critères universelle et nécessaires de la Science, poser son principe a priori. La Critique de Kant qui apparait comme le préambule de toute démarche scientifique part de ce fait de trois constats. Le premier constat concerne la science de la Logique qui aurait accéder au rang de Science en délimitant son objet de connaissance. En effet, considéré comme « le vestibule des sciences », toute connaissance présuppose une logique comme fondement de la détermination de l’objet à connaitre. En d’autre terme, la fonction de la Logique permet la détermination de la forme de l’entendement comme objet de connaissance (de luimême comme objet). La fonction de cette limitation est de donner à la Logique une légitimité (fonder la vérité dans l’entendement). En d’autre terme, depuis Aristote, la Logique semble être une connaissance achevée et close car elle a su, comme le note Kant dans sa Critique : « se déterminer d’une manière tout à fait précise en ceci qu’elle est une science qui expose en détail et démontre avec rigueur les règles formelles de toutes pensées (…) ». Ainsi, la révolution dans la manière d’appréhender son objet a permis à la Logique d’emprunter la voie sûre s’une science. Le deuxième constat concerne les sciences Mathématiques qui ont emprunté la voie sûre d’une science en adoptant une démarche révolutionnaire. Cette révolution consiste dans la manière d’appréhender son objet. Cet objet est construit dans la sensibilité qui fournit la forme par exemple, à la géométrie dont le rôle revient à y ajouter, dans l’espace, ses propriétés. L’intuition pure provient de la sensibilité et permet de poser l’objectivité de l’objet. Cette manière de poser l’objet fut comme le note Kant une illumination. À propos de Thalès qui démontra le triangle isocèle en construisant la figure a priori par la pensée et le concept ; Kant écrit : « (…), il fallait n’attribuer à la chose rien d’autre que ce qui résultait nécessairement de ce qu’il y avait mis lui-même conformément à son concept ». Ainsi, en faisant de la conscience le fondement de l’objectivité, les mathématiques ont pu déterminer nécessairement et universellement leur objet de connaissance. Le dernier constat est celle de la révolution de la science de la nature ou Physique qui est également parvenue à la scientificité en appréhendant son objet dans le sujet qui fonde ses principes a priori. En effet, la Nature désigne à la fois « l’existence des choses en tant qu’elle est déterminée selon des lois universelles » ; mais aussi, « l’ensemble de tous les objets de l’expérience ». Parmi, les lois de la nature, universelle et a priori, nous avons noté : la substance demeure et subsiste (la substance indivisible), tout ce qui arrive est prédéterminé par une cause et selon des lois constantes (la causalité). En d’autre terme, la démarche de la science physique consiste d’abord à construire a priori ses règles universelles et ensuite à partir de celle-là, forcer la Nature à répondre à ses questions. Or, si avant cet avènement, la Physique n’était qu’un simple tâtonnement, désormais : La raison doit s’adresser à la nature en tenant d’une main ses principes, en vertu desquels seulement des phénomènes concordants peuvent avoir valeur de lois, et de l’autre main l’expérimentation qu’elle a conçue d’après ses principes, certes pour recevoir les enseignements de cette nature, (…), mais comme un juge dans l’exercice de ces fonctions, qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur soumet. Ainsi, c’est en posant la relation des jugements de perception (validité subjective) à ceux des jugements empiriques (validité universelle) dans l’expérience a priori que la science de la nature ou Physique empruntât la voie sure d’une Science. En fin compte, si la Mathématique, la Physique, la Logique, qui sont tous des connaissances pures de la raison (ont une partie pures), ont pu accéder au rang de Science grâce à une révolution dans la manière de concevoir l’objet, alors ne faudrait-il pas à la Raison métaphysique qui semble être en permanence dans des difficultés d’adopter une démarche similaire à ces Sciences ? Autrement dit, Comparée aux Sciences Mathématiques ou Physique qui d’une part, fonde leurs théories dans la raison (a priori) et les vérifient par l’expérience ; la démarche purement déductives de la Métaphysique la conduit dans ce que Kant appel : « un tâtonnement entre de simples concept, une arène où ‘aucun combattant n’a jamais pu emporter la plus petite place, ni fonder sur sa victoire une possession durable’». C’est pourquoi, Kant considère que la critique transcendantale doit précéder la connaissance de la Métaphysique en répondant à la question : comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Cette réponse fournira les preuves nécessaires pour juger de la possibilité de la Métaphysique comme Science. Une telle entreprise qui risque l’élimination pure et simple de la Métaphysique comme connaissance du suprasensible (dont les objets s’ont aucuns rapports à l’expérience sensible suprasensible) est celle qu’entrepris le kantisme dans la critique de la Raison pure et dont la fonction est d’« exposer les sources et les conditions de possibilité de cette métaphysique» suivant deux démarches unitaires à savoir la démarche réaliste et la démarche idéaliste.
Le couple Raison-entendement : une originalité du Kantisme
La raison est le lieu où doit se constituer le système de toutes nos connaissances. L’idée est un « concept rationnel de la forme d’un tout, en tant que, à travers ce concepts, la sphère du divers aussi bien que la position des parties les unes par rapports aux autres sont déterminées a priori ». En effet, la raison dans sa démarche scientifique contient, à la fois, le but et la forme de tous les connaissances de tel sorte que chaque partie est déterminable grâces aux autres car : « Le tout est articulé (articulation), et non pas produit par accumulation (coacervation) » ; et ceux-là à partir de l’intérieur. En d’autre terme, la raison se différencie de l’entendement dans leur nature. Si l’entendement est le pouvoir des règles ; La raison est le pouvoir des principes a priori dont le rôle est de réunir sous une unité rationnelle ou a priori, la diversité des règles de l’entendement. En ce sens, les concepts de la raison nommés Idées servent à rassembler, alors que ceux de l’entendement ou Catégories servent à comprendre. Comme le note Kant : « l’entendement peut bien consister en un pouvoir d’unifier les phénomènes par l’intermédiaire de règles : la raison est pour sa part le pouvoir d’unifier les règles de l’entendement sous des principes». Autrement dit, la raison ramène la diversité des concepts à l’unité ou condition universelle en posant trois sortes de raisonnements que sont : le raisonnement catégorique, hypothétique et disjonctif. Les règles de synthèse inhérente au procédé logique de la raison pure qui se fonde sur des principes a priori considère d’abord : la nécessaire soumission des concepts à des jugements. Ces jugements doivent se fonder sur une condition universelle. La tâche revient donc à l’usage logique de la Raison de poser l’inconditionné. Ensuite, partant de la condition donné, on déduit l’inconditionné car si le premier est donné ; la série des conditions l’est également. Enfin, le principe de la raison pure est synthétique car le conditionné se rapporte analytiquement (non pas synthétiquement) à certains conditions et non pas à l’inconditionné. La synthèse de la condition est alors l’atteinte de la totalité absolue. C’est pourquoi, Kant s’exprime, à propos de la raison, en ces termes: « Elle se réserve l’uniquement absolue totalité dans l’usage des concepts de l’entendement et cherche à conduire l’unité synthétique pensée dans la catégorie jusqu’à l’absolument inconditionné ». Cet inconditionné est l’objet des trois Idées transcendantales (Âme, monde, Dieu) qui correspondent à trois espèces de raisonnements dialectiques. L’Idée qui contient l’absolue unité du sujet pensant ou âme est l’objet de la psychologie rationnelle dont le raisonnement dialectique trouve, sa Critique, dans le paralogisme transcendantal. Pour l’absolue unité de la série des conditions du phénomène ou Monde, Kant en fait l’objet de la cosmologie dont la critique concerne les antinomies de la raison pure. L’absolue unité des conditions de tous les objets en générale ou Dieu, objet de la Théologie, est du domaine de l’idéal de la Raison Pure. Nous pouvons retenir et résumer la distinction entre l’entendement et la raison dans cette phrase du paragraphe 76 de la critique de la faculté de juger où Kant écrit : « La raison est un pouvoir des principes et vise, dans sa plus extrême exigence, l’inconditionné, tandis que, pour sa part, l’entendement se borne à être toujours à son service sous une certaine condition, qui doit être donnée ».
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : L’IDEALISME CRITIQUE DE KANT
CHAPITRE I : ORIGINE DE L’IDEALISME CRITIQUE DE KANT
1- La Métaphysique : quelques théories antérieures au Kantisme
2- L’influence de la Révolution des Sciences sur le Kantisme
CHAPITRE II : EXPOSITION DU SYSTÈME DE L’IDEALISME TRANSCENDANTAL ET ORIENTATION REALISTE-IDEALISTE DE LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE
1- L’originalité du système de l’idéalisme critique de Kant (unité de la Raison)
2- Exposition du système de la Raison : démarche réaliste et idéaliste
3- Limites du Kantisme : les conséquences de la dualité du système
DEUXIEME PARTIE : LA CONSTITUTION DE L’IDEALISME ALLEMAND
CHAPITRE III- INFLUENCE DU KANTISME : INCOHERENCE ET INTERPRETATION PAR LES POSTKANTIENS
1- Interprétation théorico- méthodique de la Critique de la raison pure
2- Incohérence du kantisme et le problème de la Chose en Soi
3- Esquisses de solutions des dualismes du criticisme par l’Idéalisme
CHAPITRE IV : LES TROIS ETAPES DE LA CONSTITUTION DE L’IDEALISME ALLEMAND
1- Origines de l’idéalisme allemand
2- L’’idéalisme Subjectif de Fichte
3- L’idéalisme Objectif de Schelling
4- L’idéalisme Absolu de Hegel
CONCLUSION GENERALE
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