LA CRISE DE L’AUTORITE CHEZ HANNAH ARENDT

L’EXPERIENCE ROMAINE DE LA FONDATION DE LA CITE DE ROME

    Arendt considère que le problème que pose la disparition de l’autorité ne peut être résolu sans qu’on identifie les sources ou les causes de la crise. Ainsi, dans ce premier chapitre, nous allons nous efforcer, simultanément, à chercher et identifier les fondements de la crise et à procéder à une définition des outils conceptuels avec lesquels nous comptons travailler. Et, pour ce faire, cela nécessite une analyse historique détaillée qui met en lumière les faits qui ont présidé à cette crise. Autant le dire d’emblée, Arendt considère que l’unique expérience politique qui a introduit l’autorité comme mot, concept et réalité dans notre histoire fut l’expérience romaine de la fondation de la cité de Rome. Ainsi, pour Arendt, nous ne trouvons chez leurs prédécesseurs grecs, ni dans leur vocabulaire ni dans l’organisation politique des cités, la présence d’une autorité spécifiquement politique. Pour, Arendt le mot et le concept d’autorité proviennent de l’expérience romaine de la fondation qui a vu naître concomitamment l’autorité, la religion et la tradition dont nous étudierons les liens dans le deuxième chapitre pour mieux comprendre ce qui a mené à la crise. Cela dit, Arendt dénie aux Grecs toute paternité du concept politique d’autorité qui, selon elle, ne correspond à aucune expérience politique chez ces derniers. C’est en ce sens qu’Arendt précise d’ailleurs que : « Le mot et le concept sont d’origine romaine. Ni la langue grecque, ni les diverses expériences politiques de l’histoire grecque ne montrent aucune connaissance de l’autorité et du genre de gouvernement qu’elle implique ». Ainsi, pour Arendt le concept d’autorité découle d’un acte de fondation, « c’est-à-dire le commencement délibéré de quelque chose de neuf ». Cette fondation correspond, selon Arendt, à la fondation de la cité de Rome d’où a surgi le concept politique romain d’autorité qui garantira une certaine stabilité du domaine séculier en Occident pendant de très longs siècles. Ce faisant, chez les Romains, l’autorité avait ses racines dans le passé et ceux qui étaient dotés d’autorité tiraient la leur de ce passé. C’est pourquoi, chez les Romains, le passé n’était pas considéré comme un simple passé ; il était, au contraire, considéré comme un passé modèle pour lequel toutes les générations doivent garder le souvenir afin de perpétuer l’autorité qui est particulièrement liée à ce passé fondateur. De ce fait, pour Arendt, « le respect du passé était un trait essentiel de l’esprit romain ». Compte tenu de ce qui précède, Arendt affirme que : « L’autorité reposait sur une fondation dans le passé qui lui tenait lieu de constante pierre angulaire, donnait au monde la permanence et le caractère durable dont les êtres humains ont besoin parce qu’ils sont mortels ». Il en résulte que la source de l’autorité, chez les Romains, se situait on ne plus dans le passé, dans l’acte de fondation de Rome et la grandeur des ancêtres qui en découlait. Il s’ensuit également que les Romains considéraient avec beaucoup d’égards la vieillesse dont ils distinguaient du pur et simple âge adulte. Pour ces derniers, la vieillesse était le summum de vie la humaine, c’est-à-dire son plus haut point de développement, et ce non pas tant en raison de la sagesse et de l’expérience engrangées qu’en raison de la plus grande proximité du vieillard avec les ancêtres et avec le passé. Ainsi, l’éloge des vieillards s’explique non en fonction de leur plus grande expérience, mais parce qu’ils sont plus proches des ancêtres, parce qu’ils ont été témoins de la fondation sacrée que la tradition nous a transmise, nous reliant ainsi à eux. C’est ce qui explique d’ailleurs que, chez les Romains, « en toutes circonstances, les ancêtres représentent l’exemple de la grandeur pour chaque génération successive, qu’ils sont les maiores, les plus grands, par définition ». Ceci étant, les Romains estimaient que toute grandeur réside dans ce qui a été. Fidèle à cette ligne de pensée, les Romains n’avaient pas dévolu l’autorité aux lois mais ils l’avaient plutôt incorporée dans une institution politique, notamment le Sénat. De ce fait, l’autorité était incarnée par les sénateurs dont le rôle consistait d’ajuster et d’augmenter les décisions prises par le peuple qui, soit dit en passant, détenait le pouvoir. Pour les Romains, les actions du peuple, à l’image de celles des enfants, sont exposées à l’erreur, et du coup, il fallait les augmenter pour leur donner plus de poids. Donc, chez eux, « la fonction de l’autorité était politique, et consistait à dispenser des avis ». De ce fait, les sénateurs romains jouaient un rôle central dans le corps politique. Ils tenaient leur autorité du fait qu’ils représentaient les fondateurs de Rome. C’est de cette réincarnation des ancêtres qui avaient fondé le corps politique que les sénateurs romains tiraient leur autorité. C’est dans cet ordre d’idées qu’Arendt mentionne dans De la révolution que : [Dans] le Sénat romain, les patres ou pères fondateurs de la République tiraient la leur _leur autorité_ de ce qu’ils représentaient ou plutôt de ce qu’ils réincarnaient les ancêtres dont le seul droit au pouvoir dans le corps politique était précisément de l’avoir fondé, d’en être littéralement « les pères fondateurs ». Par le truchement des sénateurs romains, c’étaient les fondateurs de Rome qui étaient présents, et avec eux le commencement [..].1 C’est précisément ce même point de vue que s’efforce d’exprimer le philosophe français, commentateur de Hannah Arendt, Yves Sintomer lorsqu’il déclare dans son article intitulé « Pouvoir et autorité chez Hannah Arendt » que : « l’autorité sénatoriale était indissolublement liée à l’acte de fondation de la République, car l’autorité des vivants était toujours dérivée d’un rapport à la tradition ». De ce point de vue, les Romains estimaient que la fondation était l’action politique centrale, le grand acte unique qui instituait le domaine publico-politique et rendait la politique possible. Cela dit, l’acte de fondation dont découlait l’autorité revêtait un caractère sacré qui était liant pour tous ceux qui s’adonnaient à la politique. Pour les Romains, la fondation est liante, elle oblige toutes les générations à y être liées et à la conserver. Pour eux, la fondation était un événement singulier qui ne pouvait même pas être répété dans l’établissement de nouvelles colonies. C’est ce que souligne précisément Arendt lorsqu’elle écrit ceci : Au cœur de la politique romaine, depuis le début de la république jusqu’à la fin de l’ère impériale, se tient la conviction du caractère sacré de la fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé, il demeure une obligation pour toutes les générations futures. S’engager dans la politique voulait dire d’abord et avant tout conserver la fondation de la cité de Rome. [..]. La fondation d’un nouveau corps politique__ pour les Grecs expérience presque banale__ devient pour les Romains le début central, décisif, irrépétable de toute leur histoire, un événement unique. Sur ce point, Arendt précise que l’autorité qui découlait de cette fondation faisait office d’augmenter celle-ci. En effet, l’autorité était douée d’un pouvoir d’augmentation qui était fonction de la vitalité de l’esprit de la fondation. En d’autres termes, c’était en vertu de la vitalité de l’esprit de la fondation qu’il était possible d’augmenter, d’étendre, d’agrandir les fondations telles qu’elles avaient été posées par les patres, c’est-à-dire les pères de la République romaine. Chez les Romains, les hommes dotés d’autorité étaient les anciens, le Sénat ou les patres. Ces derniers l’avaient obtenue par héritage et par transmission de ceux qui avaient posé les fondations pour toutes les choses à venir, les ancêtres, que les Romains appelaient pour cette raison les maiores, c’est-à-dire les plus grands. Sous cet angle, la fondation fut l’événement décisif qui permet de saisir le sens de cette expérience politique romaine dont découle le concept politique central romain d’autorité. Compte tenu du symbole, du sens et de la signification de l’acte de fondation, les Romains étaient liés à la cité unique et spécifique de Rome, et, contrairement aux Grecs, ils ne pouvaient pas dire devant une situation de crise ou de surpeuplement : « Allez fonder une cité nouvelle, car où que vous serez vous serez toujours une polis ». De ce fait, le commencement et le souvenir constituaient des catégories politiques centrales pour les Romains. En effet, ces deux catégories politiques, qui assuraient la vitalité de l’esprit de la fondation, correspondaient chez les Romains à des divinités. À ce propos, Janus correspondait à la déesse du commencement et Minerve désignait la déesse du souvenir. C’est d’ailleurs ce qu’Arendt s’efforce d’illustrer en ces termes : « Et les divinités les plus profondément romaines étaient Janus, la déesse du commencement, avec laquelle, pour ainsi dire nous commençons encore notre année, et Minerve, la déesse du souvenir ». Ceci étant, les Romains restaient pieusement liés par le souvenir au commencement inauguré par les ancêtres. C’est en ce sens que Hannah Arendt souligne que : « Le pouvoir de la fondation elle-même était religieux […] ».. Ici, le terme religieux sur lequel nous reviendrons plus loin correspond au fait d’ « être lié en arrière », c’est-à-dire être relié au passé. Dans la même ligne de pensée, il sied de souligner que la corrélation entre fondation, extension et conservation fut la notion la plus importante de l’expérience romaine de la fondation. En effet, les Romains ne perdaient pas de vue le fait que l’augmentation des fondations consistait en un accroissement ou extension de la République romaine. C’est pourquoi les Romains se lancèrent à la conquête de l’Italie pour transformer la République romaine en Empire romain. C’est d’ailleurs ce lien entre fondation, extension et conservation qu’Arendt s’évertue d’illustrer lorsqu’elle invoque les propos de Cicéron qu’elle traduit comme suit : Ici, ce qui était censé représenter la plus haute vertu humaine, ce n’était pas de légiférer (même si c’était relativement important à Rome) et de gouverner, mais plutôt de fonder de nouveaux États, où de conserver et d’agrandir ceux qui avaient été fondés ». De plus, pour Arendt, chez les Romains, le changement n’était ni plus ni moins qu’une extension ou un accroissement de ce qui était originellement fondé par les ancêtres. En d’autres termes, toutes les innovations, tous les changements opérés par les Romains demeuraient reliés à la fondation en même temps qu’ils augmentaient et élargissaient les fondements originaux de la République romaine. Ce faisant, le changement était lié à la permanence dans la mesure où tout changement demeurait lié à la fondation, au commencement. Par conséquent, chez les Romains, le changement faisait figure d’une extension, d’un accroissement du passé. C’est précisément cette idée de coïncidence entre la fondation et la préservation en vertu de l’augmentation que s’efforce d’illustrer Arendt à travers les propos qui suivent : « L’autorité étant synonyme d’augmentation des fondations […]. En vertu de l’auctoritas, la permanence et le changement étaient liés, et tout au long de l’histoire romaine, le changement ne pouvait signifier que l’accroissement ou l’extension du passé ».

LA TRINITE ROMAINE : RELIGION, AUTORITE ET TRADITION

    Chez les Romains, l’autorité ne se perpétue pas seule ; elle a besoin d’autres éléments pour se maintenir. Elle s’inscrit plutôt dans une trinité. Dans celle-ci, l’autorité est soustendue et par la religion et par la tradition. Ainsi, il convient de souligner à ce propos que dans le champ politique romain, ces trois concepts se présentent comme étant liés et complémentaires. En d’autres termes, la pérennité de cette trinité est fonction de la préservation des différents éléments qui la composent. De ce point de vue, pour mieux saisir l’intrication de ces trois composantes de la trinité romaine, nous allons procéder à leur analyse détaillée. Et, enfin, nous allons nous pencher sur les éléments qui ont conduit à leur étiolement, c’est-à-dire à leur effondrement. Pour ce faire, nous allons d’abord nous intéresser à la religion, ensuite à la tradition et enfin à l’autorité. La trinité romaine de la religion, de la tradition et de l’autorité fut le socle sur lequel reposaient « les affaires séculières et spirituelles des hommes depuis le début de l’histoire romaine ». En effet, cette trinité romaine procède de l’acte de fondation de la cité de Rome. En d’autres termes, c’est à partir de l’acte de fondation lui-même que ces trois éléments, qui constituent la toile de fond de l’histoire romaine, ont vu le jour. C’est précisément cette simultanéité de ces éléments qui forment la trinité romaine que met en relief Arendt lorsqu’elle mentionne ceci : « La coïncidence de l’autorité, de la tradition et de la religion, toutes trois nées simultanément de l’acte de fondation, forma l’ossature de l’histoire romaine du début à la fin » .Ainsi, il sied de relever d’emblée que, chez les Romains, la religion a un sens tout à fait distinct de celui que nous lui attribuons aujourd’hui. En effet, chez les Romains, la religion était foncièrement liée à la politique. Elle constituait en clair une conjonction entre le passé et le présent. C’est d’ailleurs cette idée que s’efforce de clarifier Arendt lorsqu’elle couche par écrit ces propos qui suivent : […] Ici religion voulait dire littéralement re-ligare : être lié en arrière, obligé à l’effort énorme, presque surhumain et par conséquent toujours légendaire pour poser les fondations, édifier la pierre d’angle, fonder pour l’éternité, être religieux voulait dire être lié au passé […]. Ainsi l’activité religieuse et l’activité politique pouvaient être considérées comme presque identiques De ce fait, chez les Romains, la conservation de l’autorité politique était liée au souvenir de l’acte de fondation, du commencement inauguré par les ancêtres. Ce souvenir du passé, du commencement correspondait à la piétas romaine qui consistait à rester pieusement lié, par le souvenir et la conservation, au commencement ; c’est être religieux, relié au passé et à ses commencements. C’est en ce sens qu’Arendt souligne que : « Le pouvoir de la fondation elle-même était religieux [….] ». D’un autre côté, il est important de souligner que même si chez les Romains la religion entretient un lien significativement solide avec la politique, il n’en demeure pas moins qu’elle soit également en rapport avec les dieux. En effet, chez les Romains, au rebours des Grecs, les commandements des dieux et toutes leurs interventions dans les affaires humaines se limitent à l’approbation ou à la désapprobation des actions humaines mais ne les commandent pas. Ce faisant, Arendt considère que les dieux étaient doués d’un pouvoir d’augmentation et de confirmation des actions humaines. C’est, bien entendu, ce point de vue qu’Arendt expose lorsqu’elle mentionne ceci : « Les dieux aussi ont de l’autorité chez les hommes, plus qu’un pouvoir sur eux ; ils « augmentent » et confirment les actions humaines mais ne les commandent pas ». Il découle de ce qui précède que, chez les Romains, la religion n’avait pas de soubassements purement spirituels. En revanche, elle entretenait un lien crucial avec la politique. Elle faisait fond sur le réel. De ce fait, elle jouait un rôle structurant dans la transmission et dans la pérennité de l’autorité politique. Cela dit, il convient également de souligner que la religion et le souvenir qu’elle implique ne peuvent se pérenniser que grâce à la tradition. La tradition constitue un élément crucial de la trinité romaine. Selon Hannah Arendt, la tradition renvoie à cette « transmission, à travers une lignée ininterrompue de successeurs, du principe posé au commencement ». La tradition est donc liée, d’une part, à la religion d’autant plus que, chez les Romains, être religieux, signifiait, comme nous l’avons dit précédemment, être relié au passé, au commencement. D’autre part, la tradition est liée au passé même si, par ailleurs, elle diffère de celui-ci. En sus, pour Arendt, même si la tradition est différente du passé, il n’en demeure pas moins que la disparition de la tradition met inéluctablement en péril toute la dimension du passé .Cela dit, la tradition confère au passé une longévité en transmettant de génération en génération les témoignages des ancêtres qui ont participé à la fondation de la cité. La tradition jouait également un rôle politique éminent chez les Romains du fait qu’elle servait à transmettre le passé, le souvenir que constituait l’acte de fondation. C’est cette fonction de la tradition qu’Arendt s’emploie d’illustrer lorsqu’elle couche par écrit ce mot qui suit : C’est dans ce contexte essentiellement politique que le passé était sanctifié par la tradition. La tradition préservait le passé en transmettant d’une génération à la suivante le témoignage des ancêtres, qui, les premiers, avaient été les témoins et les créateurs de la fondation sacrée et l’avaient ensuite augmentée par leur autorité à travers les siècles. Aussi longtemps que cette tradition restée interrompue, l’autorité demeurait inviolée ; et agir sans autorité et sans tradition, sans normes et modèles admis, consacrés par le temps, sans l’aide de la sagesse des pères fondateurs, était inconcevable. De plus, pour Arendt, la permanence de l’autorité et son accroissement ne pouvaient se perpétuer que grâce à la tradition qui transmettait de génération en génération le témoignage des « patres ou père fondateurs de la République ». En effet, ce témoignage constant des ancêtres reliait les nouvelles générations à l’acte sacré de la fondation qui constituait le socle de cette trinité. De ce fait, la pérennité des deux autres concepts connexes, notamment la religion et l’autorité était largement tributaire de la solidité de la tradition. Ce rôle pivot de la tradition au sein de la trinité romaine est évoqué par Arendt en ces termes : « La vigueur de cette trinité résidait dans la force liante d’un commencement autoritaire auquel des liens « religieux » rattachaient les hommes au moyen de la tradition ». Ainsi, la tradition, grâce au fait de la natalité, c’est-à-dire de « la naissance d’hommes nouveaux», permet de conserver le lien avec l’acte sacré de la fondation au moyen des témoignages des ancêtres. De ce point de vue, la tradition permet aux nouveaux venus par naissance de retracer et de s’approprier le « principe posé au commencement » qui, en même temps, régit le domaine des affaires humaines. Elle permet, en outre, à ces nouvelles générations de s’insérer dans une continuité historique qu’elles ont pour tâche de réactualiser et de revigorer aux fins de conserver et d’accroître la vitalité de l’esprit de la fondation. Sur ce point, il apparaît clairement que la religion aussi bien que l’autorité ne peuvent se conserver sans une transmission ininterrompue du principe posé au commencement. En somme, la tradition jouait donc un rôle central au sein de la trinité romaine. Elle faisait, pour ainsi dire, office de courroie de transmission de la religion et de l’autorité au moyen des témoignages rapportés par les ancêtres à l’intention de la nouvelle génération. Chez les Romains, la tradition avait vocation à conserver et à transmettre un « principe posé au commencement », un passé politique central. La religion et la tradition constituaient par conséquent le socle sur lequel reposait l’autorité.

LES REVOLUTIONS : UNE TENTATIVE DE REFONDATION DE L’AUTORITE

   La sécularisation, c’est-à-dire l’émancipation du domaine séculier de la tutelle de l’Église, avait impliqué, pour la première fois depuis les Romains, une perte d’autorité dans le domaine politique. Ainsi se posait le problème suivant : comment fonder et constituer une autorité nouvelle pour le domaine séculier ? La première tentative de réponse à ce problème fut fournie par l’absolutisme « qui tentait de résoudre ce problème de l’autorité sans avoir recours aux moyens révolutionnaires permettant une nouvelle fondation », mais en recourant plutôt à la légitimité de la domination en général et de l’autorité de la loi et du pouvoir temporel en particulier en les reliant à une source absolue qui, elle, n’était pas de ce monde. En d’autres termes, l’absolutisme s’efforçait de résoudre le problème de l’autorité en se référant au cadre hérité qui veut que pouvoir et autorité découlent d’une source absolue et non mondaine. C’est en ce sens que Yves Sintomer affirme que : « La période de l’absolutisme ne fit que dissimuler quelques siècles durant le problème le plus sérieux de la vie en commun des hommes». Cette même idée, on la retrouve dans l’ouvrage d’Anne Amiel intitulé Le vocabulaire de Hannah Arendt. Il y est écrit ceci : « L’absolutisme qui semblait avoir trouvé un substitut à la perte de sanction religieuse a en fait servi à masquer le problème de l’autorité, de l’instabilité des corps politiques modernes ». En effet, c’est contre cet absolutisme, qui laissait demeurer entier le problème que posait la sécularisation, qu’est née la Révolution française de 1789. C’est également dans ce même élan de fonder et de constituer une autorité nouvelle qu’a vu le jour, un peu plutôt, la Révolution américaine de 1776. Ce dessein des révolutions à fonder et à constituer une autorité nouvelle fait dire d’ailleurs à Sintomer que : « La question de l’autorité constitue donc le problème central des révolutions modernes ». Dans ces Révolutions de l’époque moderne, nous retrouvons un exemple de fondation qui reflète dans une certaine mesure l’esprit de l’expérience romaine de la fondation d’où naquit l’autorité. En d’autres termes, une fondation dans laquelle nous décelons des éléments de l’expérience romaine de la fondation de nouveau corps politique. Cet exemple ou cette tentative de fonder un nouveau corps politique, en s’inspirant de l’expérience romaine de la fondation de l’autorité, nous le retrouvons dans les révolutions du XVIII dont la plus aboutie fut la Révolution américaine. Quant à la Révolution française, sa tentative de fonder une nouvelle autorité calquée sur le modèle romain s’est soldée par un échec dont la principale cause fut la question sociale sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs dans les développements qui suivent. À ce propos, même si ces deux révolutions présentent quelques disparités par rapport au modèle romain, il n’en demeure pas moins que les instigateurs de ces dernières s’étaient résolument tournés vers l’exemple qu’offraient les institutions romaines pour accomplir leur mission. C’est d’ailleurs cet état de choses que rapporte Arendt lorsqu’elle énonce que : « Ce fut en définitive le grand modèle romain qui s’imposa de manière presque automatique et inconditionnelle à l’esprit de ceux qui s’étaient tournés consciemment, délibérément, vers l’histoire et les institutions politiques romaines ».Ainsi, même si ce dessein de fonder et d’instituer une nouvelle autorité pour répondre à la crise d’autorité dont souffraient les institutions françaises aussi bien que celles du Nouveau Monde n’était pas que succès, il n’en demeure pas moins que ces révolutions, notamment la Révolution américaine nous a démontré, tout de même, qu’il est encore possible de fonder l’autorité au sens où l’entendaient les Romains afin de redonner une stabilité au vivre-ensemble des mortels. Pour mieux établir le rapport entre les révolutions et l’autorité, nous allons d’abord nous efforcer de passer en revue l’origine du mot révolution ; ensuite, nous nous évertuerons de décliner les objectifs et les sources d’inspiration des acteurs révolutionnaires ; enfin, nous allons nous pencher sur le déroulement même de ces révolutions et sur leurs résultats. Dans cette réflexion sur le rapport entre autorité et révolution, il convient, d’entrée de jeu, de préciser que le terme « révolution » a connu divers glissements sémantiques. En effet, le terme révolution appartenait à l’origine à la terminologie astronomique. Il indiquait sur ces entrefaites un mouvement cyclique des astres. Ce mouvement n’était nullement porteur de nouveauté ni de violence. Cela montre nettement que le mot n’avait, à l’origine, aucune orientation politique. Cette acception originelle du terme révolution est clairement établie par Arendt lorsqu’elle couche par écrit : À l’origine, le mot « révolution » était un terme d’astronomie[…]. Dans cet usage scientifique, il gardait son sens latin précis de mouvement régulier de rotation des astres, régi par des lois, et, puisqu’on le savait hors de l’influence humaine et dès lors inéluctable, il ne se caractérisait certainement ni par la nouveauté ni par la violence. Au contraire, le mot désigne manifestement un mouvement cyclique et récurrent . De ce fait, pour Arendt, rien ne pouvait donc être plus éloigné de l’acception originelle du mot révolution que l’idée qui habita et obséda tous les acteurs révolutionnaires, à savoir : être les agents d’un processus qui signifie la fin certaine d’un ordre ancien et donne naissance à un monde nouveau.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: LES FONDEMENTS DE LA CRISE DE L’AUTORITE CHEZ HANNAH ARENDT
CHAPITRE I : L’EXPERIENCE ROMAINE DE LA FONDATION DE LA CITE DE ROME
CHAPITRE II : LA TRINITE ROMAINE : RELIGION, AUTORITE ET TRADITION
CHAPITRE III : LES FONDEMENTS DE LA DISPARITION DE L’AUTORITE DANS LES DOMAINES PRIVES ET PREPOLITIQUES DE LA FAMILLE ET DE L’ECOLE
DEUXIEME PARTIE: L’AUTORITE ET LE DOMAINE DES AFFAIRES HUMAINES 
CHAPITRE IV : DISTINCTION ARENDTIENNE ENTRE DIVERS MOTS CLEFS TELS QUE « POUVOIR », « AUTORITE », « FORCE », « PUISSANCE » ET « VIOLENCE »
CHAPITRE V : LES REVOLUTIONS : UNE TENTATIVE DE REFONDATION DE L’AUTORITE
CHAPITRE VI : LE TOTALITARISME : UNE PULVERISATION DE NOS CATEGORIES POLITIQUES
TROISIEME PARTIE: LES LIMITES DE LA CONCEPTION ARENDTIENNE DE L’AUTORITE
CHAPITRE VII : L’ABSENCE D’USAGE DE MOYENS EXTERIEURS DE COERCITION
CHAPITRE VIII : INCOMPATIBILITE ENTRE AUTORITE ET PERSUASION PAR ARGUMENTS
CHAPITRE IX : L’AUTORITE IMPLIQUE UNE OBEISSANCE DANS LAQUELLE LES HOMMES GARDENT LEUR LIBERTE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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