La crevette nordique Pandalus borealis (Kroyer)
Aire de répartition et importance commerciale de l’espèce
La crevette nordique Panda/us borealis (Kroyer) est un crustacé décapode de la famille Pandalidae qui présente une distribution circumboréale dans l’hémisphère nord. Cette espèce est amplement distribuée dans l’Atlantique Nord-Ouest dès le détroit de Davis jusqu’au golfe du Maine (Bergstrôm 2000). Dans les écosystèmes de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent (GSL), P. borealis est abondant et représente une espèce importante pour l’industrie des pêches. Dans le GSL, l’exploitation commerciale de cette espèce a débuté en 1965 et a lieu principalement dans les régions de Sept-Îles (nord-ouest), d’Anticosti et d’Esquiman (nord-est) (Savard et al. 2003) . Compte tenu de l’importance économique de l’espèce dans le GSL, il est important de comprendre les facteurs contrôlant le recrutement, particulièrement la survie larvaire, et les facteurs influençant l’abondance des populations afin d’assurer une saine gestion de la pêche.
Biologie et cycle de vie de l’espèce
F borealis est une espèce hermaphrodite protandrique, c’est-à-dire, qui présente un changement de sexe au cours de son cycle de vie. Les juvéniles arrivent à la maturité sexuelle comme mâles environ deux ans et demi après la naissance; ensuite ils passent à travers une phase de transition et deviennent femelles à l’âge de quatre ou cinq ans (Shumway et al. 1985). L’accouplement et la ponte ont lieu au début de l’automne et les femelles portent leurs œufs fertilisés sur les pléopodes pendant l’hiver. À ce moment les femelles œuvées migrent en eau moins profonde ( = 150 m) jusqu’à l’émergence des larves au printemps suivant (Simard & Savard 1990). Le cycle de vie de P. borealis comprend une phase pélagique qui compte cinq stades . Cette période dure entre 3 et 4 mois avant la descente des juvéniles (stade VI) au fond, endroit qui semble être l’habitat préféré à partir du cinquième stade larvaire (Shumway et al. 1985; Bergstrom 2000; Ouellet et Allard 2006).
Une analyse des données historiques a révélé un début de l’émergence des larves entre la fin du mois d’avril et le début de mai dans le GSL. Les deux premiers stades larvaires de la crevette nordique se concentrent dans la couche de surface de la colonne d’eau < 50 m) où les températures sont supérieures à 1°C, au-dessus de la couche intermédiaire d’eau froide (CIF) (Ouellet et Lefaivre 1994, Ouellet et Allard 2006). Cette position verticale permettrait aux larves de se trouver dans le maximum de phytoplancton, région potentiellement favorable à l’alimentation du zooplancton omnivore dû à une concentration maximale de particules organiques en suspension (Ouellet et Lefaivre 1994).
Cycle phytoplanctonique saisonnier dans le GSL
Le golfe du Saint-Laurent (GSL) est une mer semi fermée d’environ 2.4 x 105 km2 qui s’ouvre sur l’océan Atlantique à travers les détroits de Cabot (au sud) et de Belle-Isle (au nord-est). Malgré une latitude moyenne relativement basse, le GSL présente un climat subarctique avec une importante couverture de glace en hiver Uanvier à avril). Les variations saisonnières des débits d’eau douce, la couverture de glace, les marées et la variabilité du régime de vents associés aux dimensions et à la bathymétrie du Golfe génèrent une circulation dominée par les tourbillons, les résurgences côtières et les zones frontales qui se superposent à une circulation estuarienne (Saucier et al. 2003). Des simulations numériques montrent que ces forçages hydrologiques et atmosphériques génèrent des processus hydrodynamiques qui ont un effet marqué sur la variabilité temporelle et spatiale de la production planctonique (Le Fouest et al. 2005).
Lors de la période hivernale, malgré de fortes concentrations de sels nutritifs dans la couche de surface à la suite de la convection thermique de l’automne précédent, la production primaire est peu élevée en raison de la faible intensité lumineuse et de la présence de la glace. Cependant, au printemps, la fonte du couvert de glace, la stratification et l’augmentation de l’intensité lumineuse favorisent une floraison printanière dominée par les diatomées et le début du cycle saisonnier de production zooplanctonique.
Des études antérieures ont suggéré que la floraison printanière se produit entre avril et mai dans le GSL (Steven 1974, Sévigny et al. 1979). Toutefois, l’apparition de la floraison phytoplanctonique ne semble pas synchrone dans tout le GSL. Par exemple, des simulations numériques ont montré que dans la partie nord-ouest du Golfe, la floraison commencerait dès la mi-avril tandis que dans le nord-est elle se produirait plus tard en raison de la présence plus tardive de la glace (De Lafontaine et al. 1991, Le Fouest et al. 2005).
Relation entre l’émergence des larves et le cycle de production printanière dans le GSL : hypothèse du «match/mismatch»
La période d’émergence des larves de la crevette nordique semble coïncider avec le début de la production planctonique au printemps dans le GSL, ce qui suggère une adaptation du cycle de vie afin que les larves naissent au moment où la nourriture sera abondante. Ceci correspondrait à l’hypothèse du «match/mismatch» de Cushing (1990).
Cette hypothèse a été proposée comme une explication à la variabilité observée dans le recrutement de certaines espèces de poissons (par exemple: hareng, morue). L’hypothèse du «match/mismatch» énonce que les variations interannuelles dans le succès de recrutement dépendent de la survie des larves, laquelle serait dépendante du synchronisme entre le cycle de production de proies adéquates lors du développement larvaire et le cycle de production de larves (Cushing 1990).
L’importance du chevauchement temporel entre la production de larves et le cycle de production des proies contrôlerait la mortalité larvaire. Le succès de l’alimentation du stade larvaire serait un facteur important pour la survie de ce stade critique du cycle de vie. Également, la mortalité larvaire en fonction de la prédation et les conséquences possibles pour le recrutement ont été évaluées sous l ‘hypothèse de «stage duration» (Houde 1987).
Cette hypothèse fait allusion au fait que si les larves rencontrent des conditions d’alimentation favorables, elles pourront se développer et atteindre la taille refuge rapidement et éviter ainsi plus efficacement la prédation (Leggett et Deblois 1994).
En somme, l’implication directe de l’hypothèse de « match/mismatch » est qu’une limitation en nourriture lors de la période larvaire est défavorable pour la survie larvaire et, en conséquence, le succès du recrutement. Dans ce contexte, les conditions environnementales peuvent jouer un rôle régulateur du synchronisme et de l’intensité du cycle saisonnier de production planctonique et, donc de la disponibilité et l’ abondance de proies de tailles adéquates pour les larves.
Ouellet et al. (2007) ont corrélé les conditions océanographiques [la température de la surface de la mer (TSM), le taux de réchauffement en surface, la profondeur de la couche de mélange] au moment de l’émergence des larves avec des indices du recrutement de P. borealis entre 1994 et 2003 dans le nord-ouest du GSL. Ils ont révélé que l’émergence des larves de la crevette nordique pendant une période caractérisée par une faible stratification de densité (faible TSM) et une couche de mélange (thermique) profonde, suivi par des taux de réchauffement élevés de la couche supérieure de la colonne d’eau favorisent la survie larvaire.
Contexte général de la nutrition des premiers stades larvaires de l’espèce Pandalus borealis
Il y a peu de données sur la diète des jeunes larves de la crevette nordique dans le milieu naturel. Une première étude concernant les préférences alimentaires de larves de Pandalidés a été réalisée par M. V. Lebour (1922) qui a décrit le contenu stomacal de six individus appartenant à des espèces non-identifiées. Lebour a classifié toutes les larves de crustacés décapodes analysées, excluant celles de crabe et de homard, comme prédateurs de diatomées. À partir d’un examen des tractus digestifs des deux premiers stades larvaires de P. borealis du golfe du Maine, Stickney et Perkins (1981) ont décrit une prédominance de fragments de diatomées telles que Coscinodiscus, ainsi que des fragments de crustacés, de polychètes et d’autres invertébrés dans plus de la moitié des larves examinées. D’autre part, Pedersen et Storm (2002) ont étudié la composition des lipides et ont noté la présence d’acides gras typiques du phytoplancton chez des larves de stades I et II capturées sur la plate-forme continentale à l’ouest du Groenland. Ces résultats suggèrent que le phytoplancton serait une composante importante de la diète des premiers stades larvaires.
De plus, des travaux menés en laboratoire montrent que les jeunes larves capturent efficacement des particules d’ environ 100 µm à 1 mm mais la sélection d’un type de proie varie selon la taille des larves. Ainsi, à partir du stade III, les larves se désintéressent des cellules phytoplanctoniques (Rasmussen et al. 2000). Des expériences en laboratoire ont montré que la plupart des proies ingérées par des larves de stade IV étaient des stades copepodites CI-CIII du copépode calanoide Calanus finamarchicus et des parties du corps de CIV-CVI de la même espèce (Harvey et Morrier 2003).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 :SPRING PLANKTON COMMUNITY STRUCTURE AND DIET OF NORTHERN SHRIMP PANDALUS BOREALIS (KR0YER) EARLY STAGE LARVAE IN THE NORTHWEST GULF OF ST. LAWRENCE
1.1 INTRODUCTION
1.2. MATERIALS AND METHODS
1.2. 1 FIELD SAMPLING
1.2.2 LABORATORY ANALYSES
1.2.3 D ATA ANALYSES
1.3. RESULTS
1.3.1 HYDROGRAPHIC STRUCTURE
1.3 .2 STRUCTURE OF PHYTOPLANKTON COMMUNITY
1.3.3 ZOOPLANKTON COMMUNITY STRUCTURE
1.3.4 LARVAL DI ET COMPOSITION
1.4. DISCUSSION
ACKNOWLEDGMENTS
CHAPITRE 2 :EXPÉRIENCES DE PRÉDATION – CHOIX DE PROIES DU PREMIER STADE LARVAIRE DE LA CREVETTE NORDIQUE EN PRÉSENCE D’UNE COMMUNAUTÉ NATURELLE DE PLANCTON
2.1. INTRODUCTION
2.2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
2.3. RÉSULTATS
2.3. 1 CARACTÉRISATION DES ASSEMBLAGES PLANCTONIQUES PRÉPARÉS POUR LES EXPÉRIENCES
2.3.2. CONTENUS STOMACAUX DES LARVES
2.3.3 COMPARAISON DES COMMUNAUTÉS ZOOPLANCTONIQUES DANS LES BOUTEILLES AVANT ET APRÉS LES PÉRIODES D’ INCUBATION
2.4. DISCUSSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
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