La Cour européenne des droits de l’homme face aux actions antiterroristes intra-étatiques

La nécessité d’instruments d’exceptions pour répondre à un acte d’exception

Pourtant, ces deux exemples sont qualifiés d’attentat et leurs auteurs sont qualifiés de terroristes. D’ailleurs, la première législation concernant spécifiquement le terrorisme apparait justement après la série d’attentats de 1985-1986 . Pourquoi vouloir identifier précisément le terrorisme ? Comme se questionne Thierry-Serge Renoux, professeur agrégé des Facultés de Droit : « quels points communs relever entre la destruction, lors d’une opération de commando, d’une Caravelle d’Air France stationnée sur un aéroport breton, la fusillade aveugle des consommateurs d’un restaurant israélien, l’incendie criminel d’un grand magasin à Paris, l’explosion d’engins meurtriers dans les wagons du réseau express régional parisien, aux stations Saint-Michel et Port Royal ou bien les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis, qui ont entraîné la mort de milliers de civils à New York, à Washington et celle de tous les passagers qui se trouvaient à bord des quatre avions de ligne détournés par un groupe organisé de terroristes ? ».
Ce qui lie ces évènements, c’est le terrorisme, et c’est justement parce que le terrorisme est d’une rare violence (l’attentat vise des symboles autant qu’il cherche à répandre la terreur) qu’il doit être spécialement qualifié. Mais surtout, qui dit acte de terrorisme, suppose une organisation. Mais ce n’est pas comme de la criminalité organisée. Le but du terrorisme est tout autre. L’intention n’est pas la même : l’attaque n’est pas seulement contre un bien, un groupe de personne mais contre la cohésion nationale, contre des valeurs. « L’objectif va au-delà de la simple destruction matérielle. Et c’est là toute la nuance avec les délits et crimes dits « classiques ». Il est nécessaire d’adapter le droit pour pouvoir faire face à la menace terroriste.
L’acte terroriste ne peut pas être traité comme un acte « classique ». Ces infractions-là frappent bien plus que l’État : si l’État est menacé, elles remettent en cause plus surement la cohésion de la nation qui en est le soutien » . C’est justement parce que le terrorisme est une exception qu’il doit être traité comme telle. Karine Roudier, dans sa thèse, souligne bien le caractère particulier des dispositifs antiterroristes qui sont des régimes dérogatoires de droit commun adoptés par la voie normative classique : « en d’autres termes, ils ne sont ni l’expression du droit ordinaire de l’État, ni celle du droit exceptionnel prévu par les ordonnancements. Ils finissent par devenir une sorte d’entredeux ».

La complexité de la notion de terrorisme

Le terrorisme retient l’attention médiatique et politique du XXIème siècle mais ce phénomène n’est pourtant pas récent. Étymologiquement parlant, il faut remonter à la Révolution française pour découvrir ce terme. Ce dernier désigne « La Terreur » (juillet 1793-juillet 1794). Cette période étrange où la République nouvelle née s’impose aux citoyens par la terreur. Il est intéressant de noter que l’origine de ce terme montre qu’il peut être l’illustration d’une politique d’État. De plus, elle souligne que le mot est né dans un contexte non problématique puisque le terme « terreur » était revendiqué à l’époque par le pouvoir luimême . Les « terroristes » sont finalement les partisans et les agents du pouvoir en place. Par la suite, le terme terroriste va très vite s’imposer comme désignant des ennemis du pouvoir. Mais avant même que le concept de terrorisme soit défini, on peut considérer des actes antérieurs comme des actes dits terroristes. Les hommes fauves d’Afrique, les Thugs en Inde, les assassinats d’Henri III et d’Henri IV, mais aussi les activistes irlandais dans les années 1850-60 qui ont usé de pratiques violentes pour permettre l’indépendance de l’Irlande vis-à-vis du Royaume-Uni . La liste est longue avant d’arriver aux attentats djihadistes du XXIème siècle. Mais le terrorisme n’est pas uniquement affaire de personne. Certains États occidentaux dès la Première Guerre mondiale ont commis des actes qui, à la lumière des définitions actuelles, pourraient être qualifiés de terrorisme. En effet, la totalisation de la guerre va entrainer des pratiques contestables dans les deux camps. « La stratégie des puissances de l’Entente a été fondée sur l’utilisation de l’arme du blocus destinée à frapper tout aussi bien le potentiel industriel de l’ennemi que la population civile. Le but est de détruire, à la longue, la volonté de combattre de l’autre camp » . Cette stratégie a eu des effets considérables entrainant jusqu’à la famine. Mais de l’autre côté, l’Empire allemand a adopté une stratégie de guerre sous-marine à l’excès, ciblant aussi bien les navires civils que militaires. Le torpillage par un sous-marin allemand du Lusitania avec 1200 civils à bord, le 7 mai 1915, bien qu’instrumentalisé par la propagande alliée, est révélateur de cette pratique. Le professeur Jean Servier en définissant rapidement le terme « terroriser » va dans un sens qui englobe la pratique étatique. Pour lui, il ne s’agit pas d’une « action brève, limitée dans le temps, mais d’une stratégie assurée d’une certaine continuité » . Après la Première Guerre mondiale, on constate un déplacement net de l’appellation terroriste vers des groupements d’individus. Et ce, même si le terrorisme étatique semble parfois ressurgir, comme lors du massacre d’Amristar dans les Indes britanniques par exemple. En l’espèce, plusieurs milliers d’indiens se sont réunis pacifiquement dans la ville d’Amritsar. Le but de ce rassemblement était de protester contre le Rowlatt Act de 1919. Ce dernier permettait d’emprisonner des suspects sans procès. Une troupe britannique bloqua le seul accès de la place et ouvrit le feu après quelques sommations. Les estimations officielles dénombrent plus de 1100 blessés et plus de 370 tués.
Le professeur Thierry S. Renoux constate que le phénomène terroriste se prête difficilement à l’analyse juridique . Le professeur Marc Jacquemain évoque trois « stratégies » pour définir la notion de terrorisme. La première définition serait celle dont le contenu idéologique prédomine. C’est donc finalement une attaque contre le « bon » système politique.
Les théories anarchistes, voire nihilistes, ont contribué au développement du phénomène.
Finalement, ce ne sont plus des actions visant certains individus qui vont primer. On va assister à un changement notable de conception : c’est la société dans son ensemble qui va être la cible des terroristes. « Comme chef de l’Etat, ma responsabilité est d’y veiller. On doit continuer de vivre, la vie doit continuer, parce que ce serait céder à la peur et au terrorisme que de changer nos habitudes, nos modes de vie, nos activités économiques, nos activités associatives, bref, ce qui fait que nous sommes la France. Nous devons continuer à vivre comme nous le voulons, la vie doit continuer » . Cet extrait d’un discours de François Hollande illustre bien cette conception. Le terrorisme serait donc une atteinte à nos valeurs, nos habitudes, nos modes de vie. C’est donc l’idée que le terrorisme veut nuire à la société elle-même.
Marc Jacquemain justifie le fait qu’il faille une définition objective du terrorisme. Il cite la définition de l’encyclopédie virtuelle Wikipédia . Mais à juste titre, on remarque que cette définition englobe les actions étatiques. Or, dans toute situation de guerre, il y a eu et il y a encore des « dérapages », voire un comportement absolument « immoral ». Nous avons insisté sur la
Première Guerre mondiale mais les États vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale peuvent également être accusés de terrorisme. On peut citer un exemple frappant, celui des États-Unis d’Amérique, victorieux du Japon. Au prix du largage de deux bombes atomiques sur des cibles qui n’avaient pas une réelle portée militaire. Bien au contraire, le bombardement avait bien comme but de terroriser les japonais. Mais aussi un objectif moins avouable : celui de tester cette nouvelle technologie ! Les villes choisies étaient hautement symboliques. Hiroshima par exemple était une ville avec une profonde histoire et a été la base du pouvoir impérial durant la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Il y eu près de 250 000 victimes suite à la bombe atomique dans cette ville. On pourrait également évoquer le bombardement de Dresde qui aboutit à rayer de la carte cette ville en exterminant plus de 300 000 personnes. Le but de ce bombardement massif était la vengeance. Cette définition du terrorisme semble donc bien inconfortable pour les États.
Le terrorisme étant défini selon la logique du vainqueur. Ainsi les alliés durant la Seconde Guerre mondiale pourraient être qualifiés de terroristes, mais ils ont gagné la guerre. Il est à noter que d’autres Nations pourraient se voir qualifiées de la même manière. Marc Jacquemain propose une troisième stratégie qui est celle de « laisser le terrorisme dans l’impensé ». C’est-à-dire que la simple évocation du terrorisme doit susciter une réaction de peur, de terreur. « Toute tentative d’analyse causale risque de faire apparaitre chez les terroristes des motivations que nous pourrions partiellement partager : la pauvreté, la domination, l’humiliation, la soif de justice ou de dignité » . Ainsi, selon le sociologue, une forme d’empathie se manifesterait. Ce point de vue peut être critiqué. La motivation des terroristes peut, et même doit, être étudiée et comprise. Mais il y a une différence colossale entre comprendre un acte et l’excuser . Les terroristes commettent des actes inqualifiables même si on se place de leur point de vue. L’analyse globale est primordiale pour comprendre le phénomène terroriste. Le terrorisme est un problème d’anthropologie juridique. « Le terrorisme est un phénomène complexe, parce qu’il évolue en permanence dans ses organisations, ses motivations et ses objectifs, ses méthodes et ses moyens. Ne connaissant pas de frontière, il s’est répandu de manière diffuse à travers le monde sous des formes variées » . Les trois conceptions de Marc Jacquemain semblent s’entremêler pour former un concept plus ou moins juridique.

La difficulté d’une définition internationale

Comment définir le terrorisme ? Finalement, cela peut concerner des groupements d’individus mais aussi des États reconnus sur la scène internationale. De plus, très vite on se rend compte que tout dépend du point de vue : des terroristes peuvent être finalement des combattants de la liberté selon où l’on se place. L’exemple type étant la période de l’occupation allemande de la France. Les autorités allemandes parlaient de « terroristes », alors que les Alliés avec le gouvernement de la France Libre, parlaient de « résistants ». Ces deux termes désignant les mêmes individus commettant des crimes pour le pouvoir en place ou des actes courageux, voire stratégiques, pour les combattants du régime nazi.
On comprend bien le problème de donner une définition internationale du phénomène terroriste. Le « coup d’envoi » d’une réflexion sur une définition internationale du terrorisme est donné dans les années trente. Comme le dit l’Organisation des Nations Unies : « le terrorisme est à l’ordre du jour de la communauté internationale depuis 1934 » . Le professeur Peter Kovacs détaille ce qu’il appelle le « grand précédent », c’est-à-dire l’attentat contre le roi de Yougoslavie le 9 octobre 1934 en France . Ainsi l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne (ORIM) organise un attentat à Marseille, lieu d’accueil du roi de Yougoslavie. Cet attentat a eu un fort retentissement médiatique. Sans rentrer dans les détails de l’affaire, la France va proposer que la Société des Nations travaille sur l’élaboration et l’adoption d’une convention relative au terrorisme. Le texte de la convention fut rédigé à la Conférence pour la répression du terrorisme, qui se déroula du 1 er au 16 novembre 1937, au siège de la Société des Nations à Genève.

L’échelon européen comme rempart supranational démocratique

Il y a désormais une profusion de textes internationaux, régionaux et internes. Comme le souligne le professeur Henry Laurens, cette accumulation donne de ce crime des définitions extrêmement variées, voire contradictoires . Pourtant, les États européens au sein du Conseil de l’Europe ont réussi à s’entendre sur une définition commune (paragraphe 1). C’est la « grande Europe » qui va permettre une protection harmonisée des droits fondamentaux via la Cour européenne des droits de l’Homme et le Conseil de l’Europe (paragraphe 2). Cela est d’autant plus nécessaire au vu des pratiques étatiques sécuritaires (paragraphe 3) et de la tolérance des juridictions suprêmes nationales. Ainsi le Conseil constitutionnel français semble fermer les yeux sur le caractère liberticide de certaines lois (paragraphe 4), légitimant la place de la Cour européenne en tant que gardienne supranationale des droits fondamentaux.

Le consensus européen sur la définition du terrorisme

Il est en effet bien plus facile de se mettre d’accord entre États partageant sensiblement les mêmes valeurs. La garantie juridictionnelle des droits de l’homme, via la Cour européenne des droits de l’homme, repose sur un préalable fondamental : des valeurs culturelles, politiques et juridiques communes pour que les États tolèrent telle ou telle juridiction. C’est pour cela que sur le plan universel il est si complexe pour les États de se mettre d’accord. Il semble en effet difficile d’associer le Qatar, le Luxembourg et le Guatemala pour une juridiction commune. De même ces pays n’ont pas forcément la même notion de terrorisme. Comme le souligne justement, Stefano Manacorda, « les institutions régionales jouissent d’un certain avantage en raison de l’homogénéité des ordres juridiques des États concernés » . Comme le rappel Emmanuel Decaux, « le sujet est loin d’être neutre, même à s’en tenir à une définition strictement juridique, mais il en est sans doute de même de toutes les questions relevant du droit international public ».
On ne trouve pas de définition du terrorisme dans la Convention du Conseil de l’Europe du 27 janvier 1976 sur la répression du terrorisme. Mais l’article 1 er fait référence à plusieurs conventions adoptées sous l’égide des Nations-Unies et ayant trait à la lutte contre le terrorisme . L’article 2, lui, opère la même « dépolitisation » que les dernières conventions onusiennes : « […] un État Contractant peut ne pas considérer comme infraction politique, comme infraction connexe à une telle infraction ou comme infraction inspirée par des mobiles politiques, tout acte grave de violence qui n’est pas visé à l’article 1 er et qui est dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes ». C’est une convention visant à faciliter l’extradition de terroristes entre les États parties à la convention.
C’est finalement dans le cadre de l’Union européenne, le 13 juin 2002, avec la décision cadre du Conseil Européen relative à la lutte contre le terrorisme, qu’une définition internationale de l’infraction terroriste est acceptée par un ensemble d’État (les membres de l’Union). La doctrine s’accorde pour dire que cette décision-cadre est en quelque sorte le produit des attentats du 11 septembre 2001. Dans le cadre du Conseil de l’Europe il faut attendre la Convention pour la prévention du terrorisme du 16 mai 2005, entrée en vigueur le 1 er juin 2007.
Elle définit, dans ses considérants, les actes de terrorisme qui « par leur nature ou leur contexte, visent à intimider gravement une population, ou à contraindre indûment un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou à gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ». Dans son article 1 er elle renvoie pour la définition de l’infraction terroriste aux diverses conventions onusiennes vues supra. Le Conseil de l’Europe a adopté cette convention afin d’accroître l’efficacité des instruments internationaux existant en matière de lutte contre le terrorisme. Un protocole additionnel à ladite convention a été adopté le 22 octobre 2015. Il permet de prendre en compte les nouvelles pratiques des terroristes pour en faire des infractions pénales : se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme, recevoir un entrainement pour le terrorisme, financer des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme,….

La « grande Europe » pour protéger les droits fondamentaux

Le Conseil de l’Europe a adopté la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (plus communément appelée Convention Européenne des Droits de l’Homme : ConvEDH) le 4 novembre 1950 à Rome. La ConvEDH est entrée en vigueur le 3 septembre 1953, après la ratification de dix États. La convention consacre une série de droits civils et politiques mais établit également un système permettant de garantir le respect de ces droits par les États contractants (d’où la création de la Cour en 1959). Depuis 1950, seize protocoles additionnels ont été adoptés. Les protocoles numéros 15 et 16 sont pour l’instant ouverts à signature depuis 2013. La Cour européenne des droits de l’homme, créée le 18 septembre 1959, siège à Strasbourg et est ouverte à la saisine de près de 820 millions de personnes.
Mais qu’est-ce que cette juridiction ? « La terre promise que l’on atteint qu’après un marathon de procédure, se lamenteront les plaideurs. L’interprète suprême de la ConvEDH préciseront les juristes. La première juridiction internationale de protection des droits fondamentaux, rappelleront les historiens. L’ultime rempart de la démocratie sur le Vieux Continent, affirmeront les responsables politiques » . La Cour est une juridiction dont la compétence s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles (article 32 ConvEDH). Ladite Cour peut être saisie d’une requête par une Haute Partie Contractante ou par toute personne physique, toute organisation nongouvernementale ou tout groupe de particuliers qui s’estime victime d’une violation de ses droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles (article 34 ConvEDH).
La Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg « constituent aujourd’hui le principal élément fédérateur des différentes formes de protection des droits et des libertés qui s’exercent en France ».Durant le sommet mondial de 2005, le Conseil de l’Europe par l’intermédiaire de son Secrétaire Général, Terry Davis, après avoir rappelé que ledit Conseil, tout comme l’ONU, a été créé après la Seconde Guerre mondiale, met en garde sur la lutte potentiellement liberticide contre le terrorisme : « L’une des menaces les plus graves aux droits de l’homme d’aujourd’hui est le terrorisme que les habitants de New York ne connaissent que trop bien. L’Europe a trop souffert des atrocités effroyables perpétrées au cours des deux dernières années en Russie, en Turquie, en Espagne et au Royaume-Uni. Le terrorisme cherche à détruire notre mode de vie et à porter atteinte à la liberté, la démocratie et la primauté du droit. Il est injustifiable en toutes circonstances et dans toutes les cultures. Nous devons résolument défendre ces valeurs sur lesquelles les Nations Unies et le Conseil de l’Europe ont été fondées, mais en même temps, nous devons aussi nous assurer que les mesures prises par les gouvernements ne réduisent pas les mêmes valeurs et les droits ». Il rappelle ainsi qu’il faut redoubler d’effort pour éviter tout amoindrissement des libertés dans la lutte antiterroriste. Dans le cas contraire ce serait une victoire pour les terroristes.

La lutte contre le terrorisme et les droits fondamentaux ?

« La France est en guerre ». Ainsi commence le discours du Président de la République, François Hollande, devant le Parlement réuni en Congrès . Les attentats de Paris du 13 novembre sont qualifiés comme des actes de guerre. Le président parle également d’une armée djihadiste.
Ce vocabulaire militaire n’est pas anodin : la guerre, étant une situation exceptionnelle, nécessite des mesures exceptionnelles. Le problème étant que pour vaincre un adversaire, qui plus est un adversaire terroriste, il faut parfois amoindrir certaines libertés. La sécurité devient première face aux libertés. Mais ce processus sécuritaire ne commence pas avec les derniers attentats de Paris.
La sécurité est consacrée par le législateur français comme étant un droit fondamental, « elle est une condition de l’exercice des libertés et de la réduction des inégalités », et ce, dès 2001 . L’État semble devoir adopter des législations toujours plus attentatoires aux libertés pour prévenir des actes terroristes. La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement ou encore la mise en application inédite de l’état d’urgence en sont une bonne illustration. L’État doit faire face à une menace nouvelle. Jean-Charles Brisard explique la mutation problématique de la menace terroriste : « le terrorisme, hier structuré par des organisations et des réseaux, s’est mué en une multitude d’acteurs groupusculaires qui n’entretiennent peu ou pas de liens hiérarchiques ou directionnels avec un des groupes terroristes. C’est ainsi que les actes de terrorisme individuel en Europe ont représenté 12 % des attentats entre 2001 et 2007 et de 40 à 45 % depuis cinq ans ».
Ainsi, il constate que les groupes terroristes se sont finalement adaptés aux nouvelles technologies et aux pratiques sécuritaires des États. De grandes filières sont désormais repérables assez aisément par les services de renseignement. Le terrorisme « microcellulaire » semble être désormais la pratique courante. Pour déceler ces nouvelles formations, les moyens et les méthodes sont de plus en plus attentatoires aux droits et libertés. En témoigne les spectaculaires avancées en matière de collecte, mémorisation et utilisation des données à caractère personnel.
Certains États ont mis en place une surveillance quasi-généralisée de la population. Ces mesures étatiques portent atteinte à la vie privée, droit consacré à l’article 8 de la ConvEDH. Il en est de même avec l’éloignement des étrangers, les États étant tentés de les transmettre à des États pratiquant la torture et autres traitements contraire à la dignité humaine. Hanspeter Mock, conseiller à la Mission suisse près l’Union Européenne, rappelle que les États ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de protéger leur population de la menace terroriste. Pour lui, le fait que la lutte doive se faire, avec la plus grande détermination, mais toujours dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine semble ne plus aller de soi, surtout depuis que la violence des attaques terroristes a atteint des niveaux de barbarie jamais égalés auparavant.

Des mesures dérogatoires limitées à une nécessaire proportionnalité

L’aspect temporaire de l’article n’est pas expressément notifié mais cela se devine dans la dernière phrase du paragraphe 3 de cet article : « elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application ». Le caractère temporaire s’explique par les enjeux des menaces prises en compte par l’article : la guerre et la survie de la Nation.
Si le premier paragraphe décrit les conditions du déclenchement et de la mise en œuvre de la dérogation, il n’en demeure pas moins vague sur le « danger public menaçant la vie de la Nation ». Comme le souligne Gérard Gonzalez, cette imprécision a de quoi rassurer les États soucieux de leur marge de manœuvre face à des évènements de crise intérieure notamment.
La Convention, bien qu’écrite à un moment où le terrorisme et ses méthodes n’étaient à ce point développé, de par l’interprétation souple du juge, permet de répondre aux menaces graves d’aujourd’hui. Le 24 novembre 2015, la France a informé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe qu’un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence instauré à la suite des attentats terroristes perpétrés à Paris seraient susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Le 5 juin 2015, l’Ukraine avait accompli la même démarche. Auparavant, huit États parties à la Convention s’étaient prévalus du droit de dérogation. Quatre d’entre eux ont été soumis à contentieux sur ce point. Ces pays ont ainsi dû justifier les mesures dérogatoires prises au regard des exigences de la Convention. Il s’agit de la Grèce, l’Irlande, le Royaume-Uni et la Turquie. Mais une dérogation, pour prévenir ou éradiquer un péril pour la nation, ne peut être mise en œuvre sans la réunion de conditions matérielles (section 1) mais aussi formelles (section 2). La Cour va opérer un contrôle de proportionnalité. Via ce contrôle, la Cour protège les droits indérogeables. Le problème c’est que la CEDH ne semble pas toujours neutre dans son contrôle extrêmement souple (section 3).

Une dérogation permise en cas de guerre ou en cas de danger public menaçant la vie de la nation

Seule une situation exceptionnelle (paragraphe 1) peut légitimer une dérogation étatique.
Cette dernière doit être limité à ladite situation (paragraphe 2) et compatible avec les engagements internationaux (paragraphe 3).

L’exigence d’une situation exceptionnelle

L’affaire Lawless est la première affaire sur laquelle doit se prononcer la Cour. En l’espèce, le requérant a été arrêté en juillet 1957 car suspecté d’appartenir à l’I.R.A (Irish Republican Army), une organisation illégale dont le but avoué est « de se livrer à des activités terroristes afin de mettre un terme à la souveraineté que la Grande-Bretagne exerce sur l’Irlande du Nord » (§6). Ce dernier se plaint d’avoir été détenu pendant 6 mois sans jugement. La requête avait été jugée recevable par la Commission en 1958 et à défaut de règlement amiable, l’affaire a été portée devant la Cour.
Pour comprendre l’arrêt de la Cour, il parait primordial de contextualiser l’affaire en rappelant les faits historiques qui secouaient l’Irlande. Au début de l’année 1939, l’I.R.A publie une déclaration de guerre à la Grande-Bretagne. Suite à cette déclaration l’I.R.A a augmenté de manière significative, à partir du sol irlandais, ses actes à l’encontre des intérêts britanniques.
L’Irlande, en réaction, a adopté une loi relative aux atteintes à la sûreté de l’État, qui est entrée en vigueur le 14 juin 1939. Elle prévoit, en son titre III, des dispositions relatives à des organisations dont les activités tombent sous le coup de la loi et qui, de ce fait, peuvent être déclarées par Ordonnance du Gouvernement « organisation illégale » (§8). Quelques jours après l’entrée en vigueur de cette loi le gouvernement a promulgué une ordonnance déclarant l’I.R.A comme une organisation illégale.
Une nouvelle loi est adoptée pour faire face à cette situation complexe. La loi n°2 de 1940 confère aux ministres d’État des pouvoirs spéciaux de détention sans jugement, « dès lors que le Gouvernement aura fait et publié une proclamation déclarant que les pouvoirs conférés par la présente partie de la présente loi sont nécessaires au maintien de la paix et de l’ordre publics et qu’il convient que la présente partie de la présente loi entre immédiatement en vigueur » (§11) . Ces fameux pouvoirs spéciaux d’arrestation et de détention ont été mis en vigueur le 8 juillet 1957 .Le 20 juillet 1957, le ministre irlandais des Affaires étrangères a informé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe que la Partie II de la Loi n°2 de 1940 était entrée en vigueur. Cette dernière serait susceptible d’entrainer une dérogation aux obligations résultant de la Convention.
La lettre précisait d’ailleurs que la détention des personnes en vertu de ladite loi était apparue nécessaire à la vue de la situation.
La Cour va rappeler que l’Irlande a le droit de déroger à la Convention en cas de guerre ou de danger menaçant la vie de la nation et, ainsi, de prendre les mesures qui s’imposent. La CEDH a affirmé pour la première fois sa compétence de contrôle sur la réalité d’un danger public menaçant la Nation : « il appartient à la Cour de vérifier si les conditions énumérées à l’article 15 pour l’exercice du droit exceptionnel de dérogation était réunies dans le cas présent » . La Cour rappelle, par là-même, les trois conditions d’admission de cette dérogation . Étant donné que c’est la première fois que la Cour se prononce sur l’article 15, elle va donc donner son interprétation : « le sens normal et habituel des mots « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation » est suffisamment clair; qu’ils désignent, en effet, une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’État; qu’ayant ainsi dégagé le sens normal et habituel de cette notion, la Cour doit vérifier si les faits et circonstances qui ont déterminé le Gouvernement irlandais à prendre la Proclamation du 5 juillet 1957 entrent dans le cadre de cette notion; que la Cour, après examen, retient que tel était bien le cas; que l’existence à cette époque d’un « danger public menaçant la vie de la nation » a pu être raisonnablement déduite par le Gouvernement irlandais de la conjonction de plusieurs éléments constitutifs, à savoir, notamment, le fait qu’il existait, sur le territoire de la République d’Irlande, une armée secrète agissant en dehors de l’ordre constitutionnel et usant de la violence pour atteindre ses objectifs; en second lieu, le fait que cette armée opérait également en dehors du territoire de l’État, compromettant ainsi gravement les relations de la République d’Irlande avec le pays voisin; troisièmement, l’aggravation progressive et alarmante des activités terroristes depuis l’automne 1956 et pendant tout le cours du premier semestre de l’année 1957 » (§28). Bien que le gouvernement irlandais ait maintenu le fonctionnement « à peu près normal » des institutions avec les instruments législatifs ordinaires, la Cour estime que, au vu de la persistance des activités illégales de l’I.R.A, la dérogation était justifiée (§29).

Une dérogation souple au formalisme exigé

Sur le plan formel, dans le cadre de l’article 15§3 de la Convention, l’État qui exerce un droit de dérogation est tenu à des obligations de formalisme. C’est un acte formel qui permet le déclenchement de la phase de dérogation (paragraphe 1). La Cour doit être informée des mesures prises pour contrecarrer la situation exceptionnelle (paragraphe 2), mais aussi de la fin desdites mesures (paragraphe 3).

L’obligation d’un acte formel pour informer le Secrétaire Général

Le rapport de la Commission Chypre contre Turquie de 1983 , avait trait à l’occupation d’une partie de Chypre par les troupes turques. Pour rappel, la Turquie a envahi Chypre le 20 juillet 1974. Le gouvernement chypriote alléguait que la Turquie occupait environ 40% de l’île et violait un grand nombre de droits garantis par la Convention. La commission a conclu qu’elle ne pouvait, « en l’absence d’un acte formel et public de dérogation de la part de la Turquie, appliquer l’article 15 de la Convention aux mesures prises par la Turquie à l’égard des personnes ou de biens dans le nord de Chypre » (§67). Par conséquent, la Convention s’applique totalement en l’espèce.
La Turquie a ainsi violé l’article 5 de la Convention mais également l’article 8 et l’article 1 du protocole additionnel n° 1 de la Convention (Voir les Conclusions).

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Table des matières

Introduction
Titre 1 : La Cour européenne des droits de l’homme face aux actions antiterroristes intra-étatiques
Chapitre 1 : Des mesures dérogatoires limitées à une nécessaire
proportionnalité
Chapitre 2 : Le difficile respect des données à caractère personnel face à la menace terroriste
Titre 2 : La protection préventive des atteintes à la dignité humaine dans les cas d’éloignement des étrangers pour des raisons sécuritaires
Chapitre 1 : La lecture dynamique de l’article 3 par la Cour
Chapitre 2 : La grande fermeté de la Cour malgré une résistance étatique
Conclusion/Ouverture

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