Les fondements de la cosmologie moderne
L’expansion de l’Univers
Le diagramme de Hubble
L’observation fondamentale à la base du modèle du big bang est sans conteste celle faite par Edwin Hubble de la récession des galaxies. Les galaxies présentent un décalage de leur spectre vers le rouge systématique (Slipher, 1918) que l’on peut interpréter comme un effet Doppler. Le décalage vers le rouge est défini par la variation relative des longueurs d’onde :
z = λo − λe / λe
où λe est la longueur d’onde d’un photon au moment de l’émission et λo est la longueur d’onde mesurée par l’observateur. Un décalage vers le rouge z << 1 peut être interprété comme un effet Doppler dû à une source s’éloignant de l’observateur avec vitesse v = cz. Hubble a observé que la vitesse de récession v ainsi mesurée est proportionnelle à la distance d de la galaxie : v = H◦d
Cette observation a été rendue possible grâce à une nouvelle technique de mesure des distances extra-galactiques basée sur les céphéides. Ces objets présentent en effet une oscillation de leur luminosité absolue avec une période dépendant de leur luminosité maximale. La forme en dent de scie de la courbe de lumière les rend facilement détectables et différentiables des autres objets variables. En déterminant la relation période-luminosité sur des céphéides proches, dont la distance peut être mesurée par un autre moyen (parallaxe), la distance des galaxies proches (jusqu’à ∼ 30 Mpc avec le Hubble Space Telescope) devient accessible par la mesure de la période et de la luminosité apparente. L’avantage des céphéides est qu’elles sont nombreuses (on peut en mesurer plusieurs par galaxie), stables (on peut observer les mêmes céphéides à plusieurs reprises), et l’écart à la relation période-luminosité est très faible. Enfin, la raison de la variation de la luminosité est comprise et modélisée. Toutefois, il n’est pas possible de détecter les céphéides individuelles dans les galaxies éloignées de plus de 30 Mpc (problème de confusion et de luminosité trop faible) et à ces distances, proches d’un point de vue cosmologique, les vitesses locales des galaxies (qui modifient le décalage vers le rouge d’origine cosmologique) ainsi que les effets d’absorption par la poussière galactique entourant les céphéides ne sont pas négligeables et doivent être corrigées. Une mesure précise de H◦ nécessite donc d’obtenir d’autres chandelles standard, autorisant des mesures de distance jusqu’à quelques centaines de Mpc. Un exemple, dont nous reparlerons plus loin , est celui des supernovae de type Ia : on peut vérifier sur des galaxies proches, pour lesquelles la distance peut être mesurée grâce aux céphéides, que les supernovae de type Ia sont des chandelles standard, c’est-à-dire que la luminosité absolue au maximum de l’émission est identique pour toutes les supernovae (après une correction donnée par une relation entre temps de décroissance et luminosité absolue). Elles ont l’avantage incomparable d’être observables à des distances de plus de 400 Mpc (leur luminosité apparente atteint celle de la galaxie hôte), et sont donc très peu sensibles aux vitesses locales.
Le diagramme de Hubble obtenu récemment (Freedman et al., 2001) par le Key Project du télescope spatial Hubble est représenté sur la figure 1.1. Différents types de sources et méthodes de mesure de distance ont été utilisées (Supernovae Ia, Céphéides, relation de Tully-Fisher entre autres, voir (Coles et Lucchin, 2002) pp. 79-83 par exemple). La valeur de la constante de Hubble mesurée aujourd’hui est :
H◦ = 72 ± 8 km/s/Mpc
La constante de Hubble a la dimension de l’inverse d’un temps. L’échelle de temps caractéristique associée, tH = H−1◦ , appelée le temps de Hubble, donne un ordre de grandeur de l’âge de l’Univers. En 1929, Hubble avait mesuré H◦ ‘ 500 km/s/Mpc, donnant un âge de l’Univers entre un et deux milliards d’années, plus petit que l’âge de la Terre… La mesure actuelle de H◦ donne un âge plus raisonnable d’environ 13 milliards d’années.
L’interprétation en terme d’effet Doppler du décalage vers le rouge devient problématique lorsque l’on mesure z ‘ 1. La vitesse de récession correspondante est en effet de l’ordre ou supérieure à la vitesse de la lumière. On pourrait être tenté d’utiliser la formule obtenue par la relativité restreinte de l’effet Doppler, mais celle-ci n’est en fait pas utilisable, car elle n’est valable que dans un espace-temps plat de Minkowski, ce qui, nous allons le voir, n’est pas le cas de notre Univers. C’est dans le cadre de la relativité générale que nous allons retrouver la loi de Hubble, avec une interprétation très différente d’un effet Doppler. Nous allons voir que c’est l’espace lui-même qui est en expansion. Le décalage vers le rouge correspond en fait à un étirement de la longueur d’onde du photon au cours de son trajet entre l’émission et la réception. Il est donc d’autant plus important que le trajet a duré longtemps et c’est en cela qu’il constitue une mesure de distance.
Toutefois, l’effet Doppler existe bien et se superpose au flot de Hubble . Une grande difficulté de mesurer la constante de Hubble provient justement de la confusion possible entre les deux effets. La vitesse particulière de la source, due à l’attraction gravitationnelle par d’autres galaxies ou amas de galaxies, introduit, au moment de l’émission, un décalage Doppler qui s’ajoute à l’effet dû à l’expansion. Cette confusion est particulièrement importante pour les galaxies proches, car le flot de Hubble y est du même ordre que l’effet Doppler. Ce problème est à l’origine de l’erreur dans la mesure faite par Hubble (ses galaxies les plus lointaines étaient à quelques Mpc).
Le principe cosmologique
La cosmologie observationnelle repose sur une hypothèse simplificatrice fondamentale : l’Univers est isotrope, c’est-à-dire que ses propriétés sont statistiquement identiques quelle que soit la direction d’observation. Si par ailleurs, on accepte, suivant en cela Nicolas Copernic , que notre position n’est pas privilégiée dans l’Univers, et donc qu’un observateur sur une autre galaxie peut faire la même hypothèse d’isotropie de l’Univers, alors l’Univers doit être homogène. C’est clairement faux à l’échelle du système solaire, et même de notre galaxie. En fait, cette hypothèse n’est valable qu’aux très grandes échelles, de l’ordre du Gpc.
Une preuve observationnelle forte de la validité de l’hypothèse d’isotropie est apportée par le fond diffus cosmologique : les variations de température observées en fonction de la direction ne sont en effet que de quelques 10⁻⁵ . Les échelles sondées par le CMB sont bien plus grandes que celles sondées par les sondages de galaxies (de l’ordre de 6 Gpc). Il est donc légitime de supposer que l’Univers était dans le passé extrêmement homogène (à mieux que 0,1%), et que c’est la croissance des structures initiales par effondrement gravitationnel qui est à l’origine des inhomogénéités observées aujourd’hui.
Le principe cosmologique, par son haut niveau de symétrie, contraint très fortement les théories possibles, comme nous allons le voir dans la prochaine section. Mentionnons l’existence d’un principe cosmologique fort qui stipule que l’Univers doit apparaître identique quels que soit la direction et le point d’observation, mais aussi l’instant d’observation. Cette version va plus loin que le principe cosmologique standard, en disant que, de même notre position n’a rien de particulier, l’instant actuel n’a lui non plus rien de particulier. Ce principe fort est à la base du modèle de l’état stationnaire développé par Fred Hoyle, dans lequel il n’y a pas de big bang. Ce dernier modèle étant largement contredit par les observations actuelles, nous utiliserons dans la suite le principe cosmologique standard, qui conduit, lui, à la prédiction du CMB.
Notions de relativité générale
La seule interaction fondamentale capable d’agir sur les très grandes échelles spatiales étudiées par la cosmologie est la gravitation. Les interactions nucléaires forte et faible agissent uniquement à courte distance, et l’interaction électromagnétique est négligeable car la matière est globalement neutre.
La relativité générale est une théorie géométrique de la gravitation basée sur le principe d’équivalence. La théorie newtonienne de la gravitation fait usage de deux types distincts de masse : la masse inertielle, qui caractérise la difficulté à modifier le mouvement d’un corps, intervient dans l’équation F = mIa et la masse gravitationnelle entre dans la définition de l’interaction gravitationnelle entre deux corps massifs Fg = Gm (1) G m (2) G /r2 12. A priori, il n’y a pas de raison que mI et mG soient égales, et pourtant, on ne mesure, expérimentalement, aucune différence entre elles (par exemple, mI/mG(Cu) − mI/mG(Be) = (0, 1 ± 1, 0) × 10⁻¹¹ (Adelberger et al., 1990); pour une revue plus récente (Adelberger et al., 1998)).
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Table des matières
Introduction
1. La cosmologie et le fond diffus micro-onde
1.1 Les fondements de la cosmologie moderne
1.1.1 L’expansion de l’Univers
1.1.2 Le principe cosmologique
1.1.3 Notions de relativité générale
1.1.4 La métrique de Robertson-Walker
1.1.5 Les équations de Friedmann-Lemaître
1.1.6 Où l’on retrouve la loi de Hubble
1.1.7 Les paramètres cosmologiques
1.1.8 L’histoire thermique de l’Univers
1.1.9 Le scénario du big bang
1.2 L’inflation
1.2.1 Les motivations de l’inflation
1.2.2 Le scénario
1.2.3 Le formalisme et les paramètres de roulement lent
1.2.4 Fluctuations et inflation
1.3 Le fond diffus cosmologique
1.3.1 Le spectre des fluctuations
1.3.2 La physique du CMB
1.3.3 Influence des paramètres cosmologiques
1.4 La polarisation du fond diffus cosmologique
1.4.1 La génération de la polarisation
1.4.2 Description de la polarisation
1.4.3 Intérêt cosmologique de la polarisation
1.5 Les expériences futures
2. Les expériences Planck et Archeops
2.1 Le satellite Planck
2.1.1 Les objectifs de la mission Planck
2.1.2 Description du satellite
2.1.3 L’instrument basse fréquence (LFI)
2.1.4 L’instrument haute fréquence (HFI)
2.1.5 La stratégie de balayage
2.2 Archeops : une expérience ballon pour préparer Planck
2.2.1 Description de l’instrument
2.2.2 La stratégie de balayage
2.2.3 Le vol scientifique du 7 février 2002
3. L’étalonnage de l’instrument HFI de Planck
3.1 Les paramètres de l’étalonnage
3.1.1 Les lobes principaux
3.1.2 La réponse spectrale
3.1.3 La réponse temporelle
3.1.4 La polarisation
3.1.5 La réponse absolue
3.1.6 Caractérisation des détecteurs
3.1.7 Niveau de bruit
3.1.8 La diaphonie
3.2 La cuve Saturne et le système optique
3.3 La sphère intégrante
3.3.1 Le banc optique
3.3.2 Les surfaces testées et les résultats
3.4 Le polariseur
3.4.1 Introduction
3.4.2 Caractéristiques des différents polariseurs
3.4.3 Montage expérimental
3.4.4 Mesures des polariseurs
3.5 Effet d’un faisceau ouvert sur la polarisation
3.5.1 Transmission à travers deux polariseurs
3.5.2 Polariseur et analyseur non parallèles
3.5.3 Faisceau incident non parallèle
4. Quelques effets systématiques dans la mesure de la polarisation
4.1 La mesure de la polarisation
4.1.1 Cas de la température
4.1.2 Cas de la polarisation
4.1.3 Les effets systématiques
4.2 Méthode pour l’étude
4.2.1 Intérêt de l’approximation plane
4.2.2 Description de la méthode
4.2.3 Les lobes polarisés dans l’approximation plane
4.3 Influence des lobes sur la mesure des spectres
4.3.1 Erreur d’intercalibration
4.3.2 Erreur de reconstruction du plan focal
4.3.3 Erreur de pointage
4.3.4 Erreur de constante de temps
4.3.5 Effet de lobes asymétriques
4.3.6 Effet de lobes réalistes
Conclusion