La corrosion en eau supercritique
Les fluides supercritiques possèdent des propriétés particulières qui ont amené leur utilisation dans de nombreux procédés industriels comme l’extraction-séparation ou la synthèse. Depuis une soixantaine d’années, ils sont également utilisés dans le domaine de l’énergie, les cycles de Rankine de conversion d’énergie des centrales à combustible fossile s’étant peu à peu orientés vers les hautes pressions et les hautes températures pour améliorer leur rendement. Cet essor a remis au goût du jour les projets de recherche visant à utiliser les fluides supercritiques, et en particulier l’eau, comme caloporteur d’un réacteur nucléaire.
Définition et propriétés de l’eau supercritique
Un fluide est dit supercritique lorsqu’il est soumis à une pression et une température supérieures à celles de son point critique. Les propriétés du gaz et du liquide ne se distinguent plus. Sur un diagramme pression-température , c’est le point singulier marquant la fin de la courbe de vaporisation. Le point critique de l’eau est caractérisé par une pression de 22,1 MPa et une température de 374 °C (Les propriétés de l’eau sont celles données par l’IAPWS se basant sur la publication de Wagner et Pruss [WAG02]).
Cette courbe permet de bien délimiter les zones liquide et vapeur. Au-delà, on ne distingue plus précisément ces deux phases et il n’y a plus, à l’équilibre thermodynamique, de coexistence des phases liquide et vapeur ; les propriétés physiques sont alors très particulières, intermédiaires entre celles d’un gaz et d’un liquide.
Les propriétés physiques de l’eau varient fortement autour du point dit pseudo-critique qui correspond au maximum de la chaleur spécifique à pression constante. En effet, la chaleur spécifique présente un maximum très marqué, ceci d’autant plus qu’on est proche du point critique. Dès que l’on s’éloigne suffisamment de cette zone de maximum, on retrouve des propriétés caractéristiques d’un liquide en-dessous de la température pseudo-critique et d’un gaz au dessus. Les propriétés particulières évoquées plus haut, caractéristiques d’un fluide supercritique, se manifestent autour de la température pseudo-critique. Il est important de remarquer que dans les conditions d’utilisation (c’est-à-dire 25 MPa et une température de 290 °C en entrée pour une température de 510 °C en sortie) la capacité calorifique de l’eau passe par un maximum ce qui est avantageux sur le plan du transfert de l’énergie.
On s’aperçoit que la masse volumique de l’eau varie brutalement pour une pression sous-critique de 20 MPa lors du changement de phase liquide/vapeur. Par contre, pour les pressions sur-critiques, la masse volumique évolue sans discontinuité, car il n’y a pas de changement de phase. Toutefois, la variation est très forte sur une trentaine de degrés ce qui constitue une difficulté potentielle pour un concept de RESC vis-à-vis des propriétés modératrices de l’eau. C’est cette forte variation qui est responsable de l’instabilité du débit du fluide.
La baisse de la constante diélectrique traduit une diminution de la solubilité des espèces ioniques. La constante diélectrique ε influence directement la polarité d’un solvant : plus ε est élevée, plus le solvant est polaire. Donc l’eau se comporte comme un solvant polaire pour des températures inférieures à la température pseudo-critique, alors que l’eau réagit comme un solvant apolaire pour des températures supérieures. Par conséquent, en fonction des zones du RESC, la solubilité des espèces sera différente, si bien que des phénomènes de précipitation pourraient se manifester de manière préférentielle dans certaines zones.
De même, le pH de l’eau, d’après les estimations fournies par Saito et al. [SAI06], basées sur le modèle de Helgeson-Flowers-Kirkham (HKF) [HEL81, TAN88, SHO92, SUE02], augmente avec la température d’une valeur de 6 vers 250 °C (pH≤6) jusqu’à une valeur de 11 à 550 °C. Or, la stabilité d’une espèce dépend du pH. Saito et al. [SAI06] ont justement établi des diagrammes de Pourbaix à partir du modèle HKF des éléments fer, chrome et nickel pour des températures comprises entre 400 et 450 °C et des pressions de l’ordre de 50 à 100 MPa. Toutefois, ces valeurs s’écartent de celles rencontrées dans un RESC et les limites du modèle HKF sont atteintes pour les conditions voisines de 600 °C et 25 MPa.
Etude de la corrosion en eau supercritique
Les premières études de corrosion en eau supercritique pour une application à la conversion énergétique débutent dès les années cinquante [BOY56]. Ensuite, les recherches se sont orientées sur les matériaux capables de résister pour des conditions d’oxydation en eau supercritique de déchets ménagers. Enfin, les études de corrosion en eau supercritique ont connu un renouveau avec le forum international de la génération IV au début des années 2000 [KIM07, TAN06, JAN05, WAS07, GUZ05].
Dans cette partie, chaque paragraphe traite d’un aspect étudié pour la corrosion en eau supercritique. Dans un premier temps, les dispositifs expérimentaux employés pour les différentes études seront comparés. Dans un deuxième temps, l’influence de l’élément de base de l’alliage distinguera le cas des aciers de celui des alliages à base de nickel. L’effet de la composition sera ensuite discuté en termes d’éléments d’addition. Enfin, le paramètre de la microstructure du matériau peut également entrer en compte, d’un point de vue volumique ou surfacique via des modifications de l’état de surface. Ces différents paramètres sont généralement traités en termes de formation d’une couche d’oxyde. Pourtant, certaines études mettent en évidence un autre effet de la corrosion en eau supercritique, i.e. la dissolution d’élément métallique, alors qu’un comportement du fluide de type gazeux était plus attendu.
Dispositifs expérimentaux
Différentes études ont tenté d’établir la cinétique d’oxydation des alliages à base nickel ou fer en eau supercritique. La méthode la plus couramment utilisée est le suivi gravimétrique. La perte ou le gain de masse est alors représenté en fonction de la durée d’exposition à l’eau supercritique. Les conditions extrêmes ne permettent pas d’employer une thermo-balance comme en oxydation sous atmosphère gazeuse. Les dispositifs expérimentaux se rapprochent donc des moyens utilisés pour les milieux liquides : soit des systèmes statiques, des autoclaves, soit des systèmes dynamiques comme une boucle à recirculation.
De nombreuses études ont été réalisées en autoclave à partir d’échantillons plans polis ou ayant subi un traitement de surface [WAS07, GUZ05, KIM07]. La corrosion uniforme est le principale objet d’étude mais des échantillons particuliers de type U-Bend sont également utilisés pour la corrosion sous contrainte. Cependant, un dispositif statique présente certains inconvénients comme en premier lieu, l’enrichissement du milieu en espèces dissoutes dû à la corrosion des échantillons, d’une part, et de l’autoclave, d’autre part. Pourtant, du fait d’une température d’étude supérieure à 400 °C et même à 500 °C dans la plupart des cas, le comportement de l’eau supercritique est attendu plus proche de celui d’un gaz. C’est-à-dire que la dissolution a, d’abord, été négligée ou attribuée majoritairement à la corrosion du système dans les parties plus froides.
Par conséquent, dans un système fermé, le milieu s’appauvrit en espèce oxydante et s’enrichit en dihydrogène avec le temps. Cette effet s’accentue du fait que la masse volumique de l’eau supercritique est très faible pour des températures supérieures à 400 °C (et 25 MPa). Deux solutions sont alors envisagées pour limiter cet effet :
– soit un volume d’autoclave suffisamment important (certaines études ne tiennent pas compte d’un éventuel relâchement et utilisent alors l’espace pour placer plus d’échantillons de différents matériaux.
– soit une durée d’essai relativement courte (mais les dispositifs statiques facilitent les essais de longues durées).
Un autre dispositif à volume quasi-constant sans renouvellement du milieu a été utilisé par Boyd et Pray [BOY56]. Ces derniers ont étudié la corrosion sous contrainte en eau supercritique à partir d’échantillons tubulaires. L’intérieur du tube renfermait le milieu d’étude alors que la paroi externe était en contact avec l’air à pression atmosphérique. La différence de pression génère alors une contrainte dans la paroi du tube. Plus l’épaisseur du tube est importante, plus cette contrainte diminue pour une différence de pression donnée. Le système est soumis à la corrosion sous contrainte par conséquent les faibles volumes mis en jeu doivent s’accorder avec un temps d’essai relativement court (de l’ordre de 300 à 400 h) .
Pour éviter ces éventuels problèmes de modification du milieu, quelques équipes travaillent sur des systèmes dynamiques ouverts ou sur des boucles à recirculation. Cependant, on constate que globalement les résultats sont similaires dans tous les cas pour un matériau donné (ou une famille de matériaux). Dans toutes les études de corrosion en eau supercritique (température ≤ 400 °C, pression ≥ 25 MPa), l’échantillon prend de la masse. Cette observation est en accord avec la diminution de la solubilité des éléments métalliques dans l’eau dans ces conditions, d’une part, et montre, d’autre part, que le film d’oxyde est a priori peu sensible à l’écaillage.
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Table des matières
INTRODUCTION
I État de l’art
I-1 La corrosion en eau supercritique
I-1-A Définition et propriétés de l’eau supercritique
I-1-B Étude de la corrosion en eau supercritique
1-B-1 Dispositifs expérimentaux
1-B-2 La couche d’oxyde formée sur des aciers
1-B-3 La couche d’oxyde formée sur des alliages à base de nickel
1-B-4 Rôle des éléments d’addition
1-B-5 Effet de la microstructure
1-B-6 La dissolution
1-B-7 Influence de l’état de surface
1-B-8 Influence de O2 dissous
I-2 La corrosion haute température en présence d’eau
I-2-A La couche d’oxyde
2-A-1 Couche protectrice à haute température
2-A-2 Sur un acier
2-A-3 Sur un alliage à base de nickel
I-2-B La diffusion
2-B-1 La diffusion dans l’oxyde
2-B-2 Courts-circuits de diffusion
I-2-C La dissolution
I-2-D Effet de l’état de surface
I-2-E Les mécanismes pour les couches doubles d’oxyde
2-E-1 Le mécanisme de Robertson en phase solide
2-E-2 Le mécanisme de dissolution-précipitation
2-E-3 Influence des défauts de l’alliage dans les mécanismes
I-3 Bilan et démarche
II Méthodes expérimentales et Matériaux
II-1 Méthode d’essai
II-1-A Le dispositif expérimental : le four à capsule
II-1-B Essais de corrosion
II-1-C Essais de traceur isotopique 16O/18O
II-1-D Les différents types d’échantillons
1-D-1 Le mini-autoclave échantillon
1-D-2 Les plaquettes
1-D-3 Préparation des surfaces
II-2 Techniques de caractérisation
II-2-A Caractérisation de la morphologie
2-A-1 Le microscope électronique à balayage (MEB-FEG)
2-A-2 La préparation des coupes transverses
II-2-B Analyse chimique élémentaire
2-B-1 L’analyse sélective en énergie (EDX)
2-B-2 La spectrométrie à décharge luminescente
2-B-3 La spectrométrie d’émission atomique assistée par plasma
II-2-C L’analyse structurale
II-2-D Méthode de marqueur inerte et analyses par faisceau d’ions
2-D-1 Le marquage par plots d’or
2-D-2 La spectroscopie de rétrodiffusion Rutherford (RBS)
2-D-3 L’analyse par réaction nucléaire (NRA)
II-2-E Méthode de traceur isotopique 18O
2-E-1 Principe du traceur isotopique
2-E-2 Caractérisation isotopique par SIMS
II-2-F Caractérisation de l’état de surface
2-F-1 Le micro-indenteur
2-F-2 Préparation d’une coupe pour mesure de dureté
II-3 Les matériaux
II-3-A L’alliage 690
II-3-B L’alliage 316L
III Résultats expérimentaux : Corrosion de l’alliage 690 en eau supercritique
III-1 Description de l’oxyde formé sur la surface polie-miroir
III-1-A Morphologie de l’oxyde
III-1-B Composition de l’oxyde
III-1-C Structure cristallographique de l’oxyde
III-1-D Bilan
III-2 Évolution dans le temps de l’oxyde formé sur une surface polie-miroir
III-2-A Modifications morphologiques
III-2-B Évolution de la composition de l’oxyde
III-2-C Évolution de la structure cristallographique de l’oxyde
III-2-D La dissolution de l’oxyde en ESC
III-2-E Bilan de l’évolution de la couche d’oxyde avec le temps d’exposition en ESC
III-3 Méthode de marquage inerte
III-3-A Vérification de la méthode
III-3-B Analyse par spectroscopie RBS
III-3-C Dosage de l’oxygène par NRA
III-3-D Bilan des essais de marqueurs inertes
III-4 Influence de l’état de surface
III-4-A Modifications morphologiques
III-4-B Modification de la composition de l’oxyde
III-4-C Modification de la structure cristallographique de l’oxyde
III-4-D Bilan sur l’effet de l’état de surface
IV Résultats expérimentaux : Corrosion de l’alliage 316L en eau supercritique
IV-1 Description de l’oxyde formé sur la surface polie-miroir
IV-1-A Morphologie de l’oxyde
IV-1-B Composition de l’oxyde
IV-1-C Structure cristallographique de l’oxyde
IV-1-D Bilan
IV-2 État de surface et courts-circuits de diffusion
IV-2-A Morphologie de la couche d’oxyde
IV-2-B Composition des couches d’oxyde
IV-2-C Structure cristallographique des couches d’oxyde
IV-2-D Bilan de l’influence de l’état de surface
CONCLUSION