L’apprentissage par l’expérience
(Corder, 1980 p.14) avance qu’il n’y a pas qu’une seule façon de corriger les productions erronées des élèves, en prenant exemple sur la manière dont un parent corrige les énoncés oraux de son enfant pendant son apprentissage de la langue. « Le fait de fournir la forme correcte ne peut être considérée comme la seule façon de corriger ni même la plus efficace, car elle barre la route à la confrontation d’hypothèses entreprises par l’apprenant » (Corder, 1980 p.14) Cette idée de confrontation d’hypothèses peut tout aussi bien être transposée à la production écrite, en imaginant ne pas écrire sur la copie d’un élève la forme qui était attendue, mais en le laissant prendre conscience qu’il a fait une erreur dans sa phrase, et en guidant sa propre correction, par plusieurs paliers s’il le faut (premièrement, en indiquant l’erreur, puis en ajustant le degré d’indices à donner pour que l’élève finisse par trouver la solution attendue par lui-même.) Cette méthode est plus efficace à l’oral qu’à l’écrit en raison de l’immédiateté de la reprise, alors qu’à l’écrit, il faut revenir sur l’erreur, puis recommencer, ce qui peut prendre plusieurs séances et lasser l’élève, les paliers devront donc être raccourcis, on peut imaginer une première indication de l’erreur, puis un guidage en classe lors de la correction. Prince (2009) postule qu’un apprenant peut, par l’autonomie d’une tâche, et quand il est en confiance, expérimenter et ainsi apprendre de ses réussites, mais aussi et surtout de ses erreurs. En suivant cette idée, nous pouvons induire qu’un apprenant apprendra plus de ses propres erreurs, par une correction soignée et guidée mais en autonomie partielle, que par une simple explication, ou par une correction directe du professeur, qui lui indiquera simplement la forme correcte, sans le laisser formuler des hypothèses et tenter de réguler ses erreurs par lui-même. C’est à cette étape que les erreurs de performance et de compétences énoncées plus haut seront distinguées de manière plus pertinente : un apprenant aura, théoriquement, beaucoup moins de peine à corriger une erreur de performance, une fois qu’elle aura été signalée, puisqu’il retrouvera le mécanisme de la langue qui lui manque, ou la règle de grammaire apprise en amont, sans difficulté. Une erreur de connaissance en revanche sera moins aisée à corriger, une fois pointée du doigt ; deux catégories de réponses seront alors vraisemblablement envisagées : premièrement, l’erreur de connaissance commise par l’apprenant fera partie de son bagage linguistique, il devra mobiliser ses souvenirs et potentiellement demander de l’aide, mais sera capable de corriger l’erreur. Deuxièmement, l’erreur commise par l’apprenant concernera un fait de langue qui ne fait pas encore partie de son bagage linguistique (par exemple, une erreur de lexique, ou une tournure de phrase inconnue de l’élève en langue cible, qu’il aura tenté de calquer sur le français). Pour ce deuxième type d’erreur de connaissance, il ne sera a priori pas possible à l’apprenant de corriger cette faute par lui-même, et il lui faudra mobiliser des ressources extérieures afin d’acquérir la structure attendue (manuel, texte authentique, camarades, écoute, professeur).
Approche inductive ou déductive pour une correction en autonomie ?
Dans le cadre de l’acquisition de la grammaire en cours de français (que nous transposerons au cours de langue étrangère ici), Vincent, Dezutter & Lefrançois (2013) définissent deux approches, l’approche inductive et l’approche déductive. L’approche déductive part « du général pour aller vers le particulier (de la règle aux exemples) » (Vincent, Dezutter & Lefrançois, 2013, p. 93), c’est une démarche que nous pourrions utiliser dans le cadre d’une leçon de grammaire, en présentant premièrement une structure, et en exploitant différents exemples pour la démontrer en contexte. Dans le cadre de l’approche par les tâches cependant, le cours de langue préférera le plus souvent l’approche inductive, définie comme une approche « partant du particulier pour aller vers le général (des exemples à la règle) » (Vincent, Dezutter & Lefrançois, 2013, p. 93). Cette approche est utilisée dans le cadre de l’explication de faits de langue en cours de langue étrangère, où le professeur pointera par exemple une phrase dans un texte authentique utilisé pour une compréhension écrite, et demandera aux élèves de reconstruire ou d’expliquer la règle qui est ainsi mise en lumière, puis de la manipuler eux-même pour construire des phrases similaires (phase d’expérimentation). L’idée de l’acquisition de faits de langue précis à partir d’erreurs, mais sans les corriger dans un premier temps, est foncièrement inductive : les élèves visualisent un énoncé qu’ils ont produit, et dont on leur dit qu’il est erroné. À eux de retrouver la structure attendue à force d’expérimentations ou d’exemples concrets qu’ils peuvent rencontrer dans différentes ressources. Dans cet exemple, le professeur n’aura pas vocation à expliquer la règle directement à l’élève, mais lui laissera la possibilité de la construire lui-même, et ainsi de la maîtriser a priori plus aisément.
La correction guidée de l’expression écrite
Mon dispositif expérimental porte sur la correction de la grammaire dans le cadre d’expressions écrites, et vise à analyser les progrès des élèves après correction, en utilisant une méthodologie qui a évolué au cours de l’année. La première méthode, mise en place au début de l’année, reposait sur une correction unilatérale (les corrections venaient toutes de moi, étaient écrites dans la marge, les élèves n’avaient pas de recherche à faire en aval, ni de correction pour eux-mêmes), pour laquelle j’ai élaboré un code-couleurs et une légende de correction, comme suit :
Erreur de lexique/orthographe
Erreur de syntaxe
Erreur de préposition
Erreur de grammaire: encadré en rouge
Erreur de grammaire filée (plus d’un mot en cause)
Erreur de mot de liaison/de connecteur: encadré en noir
Problème de cohérence/de contenu
Français
Structure particulièrement bien rendue : souligné en bleu.
J’ai utilisé ce code pour la première fois dans la correction d’une expression écrite de tâche finale, pour ma deuxième séquence de l’année, qui correspondait à l’axe « Art et Pouvoir » du programme, pour un niveau de Première générale (B1 vers B2 en cycle terminal). Les élèves devaient décrire une œuvre d’art et répondre à une question qu’ils avaient déjà étudiée plusieurs fois en classe au cours de la séquence, individuellement et en groupes, « How does this artwork counter the established power? ». L’ancrage culturel était américain, et l’emphase était mise sur le mouvement Black Lives Matter ainsi que sur les Native Americans . Lors de cette première 1 correction, j’ai utilisé mon code pour signaler les erreurs et les ai corrigées dans la marge, puis ai fait un compte-rendu des erreurs les plus fréquentes pour chaque élève dans mes commentaires. La légende a été expliquée oralement aux élèves le jour de la distribution des copies. Avant la tâche finale, j’avais proposé la même question aux élèves en binômes (ils devaient étudier une œuvre différente, une fresque à la mémoire de George Floyd), et leur avais donné l’opportunité de me rendre leur production à l’issue de l’activité, pour que je puisse souligner leurs erreurs les plus fréquentes, afin qu’ils ne les fassent pas lors de la tâche finale. Pour cette tâche de préparation, je n’avais pas utilisé mon code, seulement mon stylo rouge, et leur avais proposé une liste récapitulative des erreurs et points de grammaire à revoir dans mes commentaires. Les huit productions que j’ai ramassées à l’issue de l’activité contenaient le même type d’erreurs, à savoir l’oubli du -s à la troisième personne au présent simple, et des erreurs de pronoms relatifs (la proposition relative était particulièrement attendue lors des activités puisqu’il s’agissait d’un des points de grammaire révisés pendant la séquence.) Mon hypothèse était qu’en leur donnant l’occasion de visualiser leurs erreurs les plus fréquentes, les élèves seraient poussés à revoir ces points et à tenter de ne pas refaire les mêmes erreurs lors des tâches suivantes. Il s’est avéré que ces efforts n’ont pas porté leurs fruits, puisque j’ai retrouvé et corrigé les mêmes erreurs dans les tâches finales. J’avais proposé une petite note /5 aux élèves volontaires, et je pense qu’une partie du problème se situait là : on peut supposer que les élèves qui avaient entre 3,5/5 et 5/5 n’ont pas pris la peine de lire mes commentaires, puisque la note était satisfaisante à leurs yeux, leurs efforts se sont arrêtés là. Il en est allé de même pour la tâche finale. J’ai remarqué encore une fois que les élèves qui avaient fait un grand nombre d’erreurs mais qui avaient tout de même obtenu la moyenne grâce à la grille d’évaluation, qui s’appuyait plus sur la qualité de la réflexion et du fond que sur la forme et la correction de la langue, n’ont pas pris la peine de revenir sur mes remarques, et les mêmes erreurs se sont répétées par la suite, sans progrès visible. Les élèves concernés se sont contentés de regarder leur copie, de prendre connaissance de leur note, et ont rangé leur copie. Par la suite, j’ai rencontré le même type d’erreurs, à l’occasion d’activités non notées à l’écrit, en relisant ce qu’ils produisaient : puisque l’erreur la plus fréquente lors des premières expressions écrites notées était le -s à la troisième personne du présent simple, il était aisé de constater l’échec de ce mode de correction. Je pense encore une fois qu’une première partie du problème se situe au niveau de la notation : les élèves sont habitués à associer leur réussite au nombre qu’ils voient sur leur copie, et selon la moyenne à laquelle ils sont habitués, ils ne cherchent pas forcément à augmenter ce nombre de manière significative ; par exemple, une élève qui a généralement des notes aux alentours de 11 ou 12/20, et qui a obtenu 12,5/20 à cette tâche, m’a dit être très soulagée et a commencé à ranger sa copie sans même la relire, alors que je leur avais demandé de prendre quelques minutes pour prendre en compte mes commentaires. Un deuxième facteur qu’il faut, je pense, prendre en compte, est l’intérêt des élèves pour une tâche terminée : la tâche finale arrivant, comme son nom l’indique, à la fin d’une séquence, les élèves n’ont pas envie de reprendre leur travail, qu’ils considèrent comme terminé et dépassé, et commencent tout de suite à se concentrer sur les nouvelles notions apportées par une nouvelle séquence. Sans motivation, et sachant que leur note ne changera pas, ils ne considèrent pas avoir besoin de retravailler la tâche, même pour s’améliorer dans l’avenir, puisque le lien leur semble rompu. Un troisième facteur que je souhaite souligner ici est inhérent à cette forme de correction : en écrivant la forme attendue dans la marge, les élèves n’ont aucun contrôle sur la correction de leur langue à la réception des copies, et n’ont donc pas d’intérêt immédiat et visible à tenter de comprendre d’où sont venues ces erreurs, et n’ont encore une fois par de motivation extérieure directe, puisque la note est figée. J’ai essayé dans un premier temps d’inciter les élèves à prendre du recul sur leurs résultats et ce que la grille d’évaluation révélait, en leur donnant la possibilité d’améliorer leur écrit et de m’envoyer le résultat, moyennant une note supplémentaire facultative, qui ne changeait pas la première note obtenue mais leur offrait une occasion d’améliorer leur moyenne. Encore une fois, ce système a révélé un grand nombre de limites et de problèmes que je n’avais pas envisagés : un élève qui avait obtenu 18/20 à la tâche finale a souhaité participer à ce rattrapage, et a utilisé mes corrections « prêtes à l’emploi » pour rendre une expression écrite quasi identique mais qui ne comportait presque plus d’erreurs de langue, et a donc obtenu une note bonus en fournissant très peu d’efforts supplémentaires, ce qui n’était pas mon intention. Plusieurs élèves ont également simplement recopié leur expression écrite en ajoutant mes corrections, avec plus ou moins de succès, et sans réfléchir à ce qu’ils faisaient, puisque la solution se trouvait sous leurs yeux. Puisqu’il s’agissait d’un exercice facultatif et sans enjeu (s’ils obtenaient une note inférieure à leur moyenne d’anglais, je ne la comptais pas), les élèves qui étaient visés par ce rattrapage n’ont pour la plupart rien rendu, et beaucoup d’élèves qui ont quelques difficultés à l’écrit n’ont pas profité de cette opportunité pour s’améliorer. Cet exercice a ainsi seulement profité aux élèves qui avaient déjà une moyenne satisfaisante, et qui n’ont pas eu besoin de fournir d’efforts pour proposer une version améliorée de leur travail.
Les réponses des élèves
Les élèves, interrogés après réception de leurs copies sur leur expérience avec cette expression écrite, on montré un grand intérêt pour ce système de correction, notamment le code couleurs mis en place, dans les deux classes. Seulement un élève a déclaré avoir trouvé le code peu clair sur les 36 réponses obtenues. Les résultats diffèrent légèrement d’une classe à l’autre pour le reste des réponses : une des classes, le groupe 1, est composé à majorité d’élèves au profil plutôt littéraire, et onze d’entre eux (sur vingt-quatre élèves) ont choisi la spécialité LLCE anglais. Une seule élève a choisi de prendre anglais en LVB. L’autre classe, le groupe 2, comporte une majorité d’élèves au profil plutôt scientifique, plus de la moitié ont choisi une spécialité mathématiques ou physique-chimie, aucun n’a choisi la spécialité LLCE, et quatre d’entre eux ont choisi de prendre anglais en LVB (une élève a choisi une LVA allemand, les trois autres ont choisi l’espagnol). Concernant les questions portant sur le rapport au travail de groupe, Pour Dörniey (1997- 2001), il est essentiel à la motivation des élèves dans le cadre de la réalisation d’une tâche. Pour lui, il est fondamental de laisser les élèves s’entraider puisqu’ils comprennent ainsi mieux qu’ils font partie d’une équipe qui a le même objectif final, à savoir la réalisation de la tâche en question, ce qui augmente leur autonomie (ils sont moins demandeurs d’aide du professeur si leurs camarades peuvent les aider) et leur coopération, puisqu’ils sont à la fois donneurs et receveur de ces conseils ; si dans un binôme un des élèves maîtrise bien les articles et pas l’autre, par exemple, mais a plus de mal avec les prépositions, alors que l’autre les maîtrise, ils peuvent bâtir ensemble une réponse aux problématiques de leurs deux devoirs, dans un esprit de partage, et visualisent directement les bénéfices d’un effort global plutôt qu’individuel dans la réalisation des tâches. « Let students help each other. One reason why cooperative, small group tasks are particularly motivating is that students know that they also have their peers working towards the same goals, resulting in a `safety in numbers’ kind of assurance ». (Dörnyei, 2001 p.58) Les réponses aux questions 4), 5) et 9) ce questionnaire confirment le postulat de Dörnyei par la perception des élèves eux-mêmes, puisque la majorité des élèves se sont sentis plus en confiance grâce à cette possibilité, et que la plupart d’entre eux ont le sentiment d’avoir aidé et d’avoir été aidés dans cette tâche. En ce qui concerne la préparation préalable des élèves, j’ai été particulièrement surprise des réponses apportées. En effet, dans le groupe 2, un peu plus de la moitié des élèves ont déclaré avoir effectué des recherches, la plupart portant sur une une dizaine de mots, et dans le groupe 1, seulement un tiers des répondants a déclaré avoir cherché entre trois et vingt mots et expressions. Les élèves ayant eu la consigne de la tâche finale plusieurs semaines avant la réalisation de celle-ci, et ayant eux-mêmes choisi leur sujet, je m’attendais à ce que la quasi-totalité d’entre eux aient cherché un grand nombre d’éléments, étant donné qu’il s’agissait d’une tâche finale, qui avait été préparée à l’avance.
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Table des matières
Introduction
I- Le statut de l’erreur dans l’apprentissage
1.1 L’apprentissage par l’erreur
1.1.1 Terminologie : l’erreur et la faute
1.1.2 L’auto-régulation et le sentiment d’efficacité
1.1.3 L’apprentissage par l’expérience
1.1.4 La rétroaction corrective adaptée aux productions écrites
1.2 L’approche inductive par les tâches au service de la correction en autonomie
1.2.1 L’approche par les tâches
1.2.2 Approche inductive ou déductive pour une correction en autonomie ?
1.2.3 L’autonomie dans la tâche pour les élèves de lycée
II- La correction guidée de l’expression écrite
III- Correction d’une tâche finale en expression écrite
3.1 Présentation du dispositif expérimental et des hypothèses
3.2 Analyse de l’expérience
3.2.1 Analyse de données du professeur
3.2.2 Pistes d’amélioration
3.2.3 Les réponses des élèves
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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