La Cordillère des Andes
La Cordillère des Andes résulte de la subduction des plaques Nazca et Antarctique sous l’Amérique du Sud (Isacks, 1988). L’activité de la subduction se marque par un arc volcanique volumineux et une tectonique active. La Cordillère des Andes surprend par ses grandes dimensions pour une chaîne née d’une subduction océan-continent.
Les plus hauts sommets culminent à près de 7000 m et, dans les Andes Centrales, la chaîne atteint 750 km de large au niveau de l’Altiplano-Puna. Dans cette zone, la croûte de la cordillère orientale atteint une épaisseur de 70 km (Fig. I-1) (James, 1971; Dorbath et al., 1993). La côte ouest de l’Amérique du Sud est une bordure de plaque active depuis le Paléozoïque (Powell et al., 1993; Kennan, 2000). A cette période, se construit la protomarge de Gondwana, la plaque de l’océan Iapetus passant en subduction sous l’Amérique du Sud (Fig. I-2). Cette subduction s’accompagne de l’accrétion de nombreux « terranes ». Du Dévonien au Trias se forment les Gondwanides, la première chaîne de montagne développée le long de la marge Pacifique, elle est associée à la subduction de l’océan Panthalassique. L’océan Iapetus se ferme avec la formation du super continent de la Pangée (Ramos et Alemán, 2000). Ce n’est qu’au Carbonifère terminal / Jurassique que le plancher du proto océan Pacifique passe en subduction sous l’Amérique du Sud (Jaillard et al., 2000). La Cordillère des Andes se développe à partir de la fin du Paléocène et a continué à s’élever jusqu’à nos jours.
La direction de déplacement relatif entre la plaque de Nazca et la plaque Amérique du Sud est relativement constante depuis 49 Ma (Pilger, 1984; Pardo-Casas et Molnar, 1987; Somoza, 1998), elle est orientée globalement N 75 ± 5°. Par contre, la vitesse de convergence entre ces plaques a varié au cours du Cénozoïque (Fig. I-3). Les changements de vitesse de convergence influencent l’activité tectonique dans la Cordillère, les épisodes les plus rapides ayant été associés aux phases compressives majeures de l’orogenèse Andine (e.g. Allmendinger et al., 1983; Jordan et al., 1983; Urreiztieta, 1996; Lamb et al.1997). Entre ~49 et 42 Ma, le taux de convergence dépasse les 15 cm/an: c’est la phase “Incaïque” de l’orogénèse. De la fin de l’Oligocène au milieu du Miocène, la vitesse de convergence accélère pour atteindre des valeurs de 15 à 20 cm/an (Pilger, 1984; Wortel, 1984; Pardo-Casas et Molnar, 1987; Somoza, 1998). Cette accélération correspondrait, il y a environ 26 Ma, à la fragmentation de la plaque Farallón en deux plaques indépendantes, la plaque Cocos et la plaque Nazca (Pilger, 1984; Wortel, 1984). La déformation devient plus importante, le relief s’accentue et s’accompagne d’une reprise de l’activité volcanique dans la cordillère orientale ; c’est la phase “Quechua” de l’orogenèse andine (Pardo-Casas et Molnar, 1987).
La vitesse de convergence diminue progressivement depuis le Miocène moyen, alors que la déformation est particulièrement active dans les zones orientales (Benjamin et al., 1987; Roeder, 1988; Baby et al., 1989; Sheffels, 1990; Norabuena et al., 1998; Kley, 1999; Hindle et al., 2002), et reste active dans la zone d’avant arc, sans raccourcissement (Hartley et al., 2000; Riquelme, 2003). Actuellement la convergence est orientée N 76° avec une vitesse de 6.8 à 8.4 mm/an (Norabuena et al., 1998). Le style tectonique et la morphologie de la Cordillère des Andes varient longitudinalement. Cette segmentation est notamment due à l’hétérogénéité rhéologique de la lithosphère, héritée de son histoire paléozoïque (Allmendinger et al., 1983; Allmendinger et al., 1997; Baby et al., 1989; Kley, 1998; Tassara, 2005). De plus, du nord au sud de la Cordillère, la plaque océanique plonge avec différents pendages sous l’Amérique du Sud (Fig. I-4). Certains segments sont quasi horizontaux alors que d’autres plongent avec une trentaine de degrés. Les variations de pendage du plan de Wadati-Benioff semblent bien corrélées avec les variations du taux de raccourcissement orogénique dans l’arrière arc (Giambiagi et Ramos, 2002), le type de volcanisme (Gutscher et al., 2000) et le style tectonique de la Cordillère (Jordan et al., 1983).
Deux segments de subduction « plane » s’étendent de 2° à 15° sud et de 27° à 33° sud, le plan de Benioff y est incliné de 5° à 10° vers l’est (Fig. I-4). Deux autres segments s’étalent de 15° à 24° sud et à plus de 33° sud avec une inclinaison « normale » de ~30° vers l’est (Stauder, 1973 ; Jordan et al., 1983; Ramos, 1999). Les segments pour lesquels la subduction est plane présentent un avant arc peu faillé et sans vallée longitudinale. Il n’y a pas de volcan actif et l’arrière-arc est déformé par une combinaison de chevauchements superficiels et de raccourcissements de la croûte. Par contre, les segments où la subduction est normale sont caractérisés par des failles normales et une large vallée longitudinale au niveau de l’avant-arc (Dépression Centrale, Fig. I-5). L’arc volcanique est actif et l’arrière-arc est déformé par un système de plis et chevauchements qui migre vers l’est (cordillère orientale et zone subandine, fig. I-5) (Schweller et al., 1981; Jordan et al., 1983). La région étudiée se situe dans les Andes Centrales où la zone de subduction est de pendage « normal ».
Les Andes Centrales
Les Andes Centrales, zone large et coudée de la chaîne, se découpent en sept unités morphostructurales parallèles à l’orogène (Jordan et al., 1983). Elles sont définies par leurs caractéristiques morphologiques et géologiques (Fig. I-5). A l’est de la subduction se trouve l’avant-arc du Pérou et du nord du Chili. La Cordillère de la Côte correspond à l’arc volcanique mésozoïque, la Précordillère et la Cordillère Occidentale correspondent à l’arc volcanique cénozoïque à actuel. Les volcans néogènes et quaternaires reposent sur un substratum porté à plus de 4000 m d’altitude ; ces volcans peuvent atteindre 6000 m d’altitude (le Sajama est à 6520 m). Ils forment la Cordillère Occidentale qui constitue le bord ouest de l’Altiplano-Puna, plateau à ~4000 m d’altitude.
A l’est, l’Altiplano est limité par la Cordillère Orientale dont les sommets culminent aux alentours de 6700 m (massif granitique de l’Illimani, 6428 m). A l’est, la zone interandine est limitée par le Chevauchement Frontal Principal (CFP, Sempéré et al., 1990). La zone subandine correspond à une ceinture de plis et chevauchements d’avant pays. Elle s’amortit à l’est dans les plaines du Beni et du Chaco qui sont composées de la zone de dépôt foredeep et puis du forebulge (Watts et al., 1995; Horton et DeCelles, 1997; Aalto et al., 2002; Roddaz et al., 2005). Depuis le Jurassique, le front de déformation et l’arc volcanique se sont petit à petit propagés d’ouest en est (Lamb et al., 1997). La migration de l’arc est bien contrainte. Au Crétacé, il se trouvait au niveau de l’actuel avant arc Chilien (Coira et al., 1982; Campusano, 1990; Hammerschmidt et al., 1992). Pendant le Paléocène et l’Eocène, il se trouvait au niveau de l’actuelle Précordillère (Campusano, 1990; Hammerschmidt et al., 1992; Scheuber et González, 1999; Cortés, 2000). Il est actuellement au niveau de la Cordillère Occidentale. La déformation a également migré vers l’est au cours du Cénozoïque. Elle se situe actuellement dans les zones subandines, voire même dans la plaine du Beni. Nous observerons les phases récentes de cette migration dans les régions les plus externes, au front oriental des Andes du nord de la Bolivie.
Esquisse de l’histoire tectonique
Jusqu’à la fin des années 1980, l’histoire de la déformation des Andes Centrales était interprétée comme une suite d’évènements courts de compression et de relaxation (Martinez, 1980; Lavenu et Marocco, 1984; Sébrier et al., 1988). Ces phases tectoniques étaient reliés aux changements de vitesse de convergence entre les plaques Nazca et Amérique du Sud (Martinez, 1980; Pardo-Casas et Molnar, 1987). Six phases ont été distinguées pour le Tertiaire: à l’Eocène supérieur (phase Incaïque), à l’Oligocène terminal (phase Aymara), au Miocène inférieur, au Miocène moyen, au Miocène supérieur (phase Quechua) et au Pliocène terminal-Quaternaire (Martinez, 1980; Lavenu et Marocco, 1984; Sébrier et al., 1988). Au début des années 1990, de nouvelles données indiquent une évolution en continu tout au long du Tertiaire (Sempéré et al., 1990; Noblet et al., 1996; Horton et DeCelles, 1997, par exemple). Ce seraient les périodes de migration de la déformation, d’une unité tectonique à l’autre, qui marquent l’histoire de la construction des Andes Centrales (Jordan et al., 1983; Sempéré et al., 1990; Horton et DeCelles, 1997, par exemple).
Dans les Andes Centrales, pendant la première moitié de l’Eocène, la subduction est normale et l’arc volcanique est bien développé. Il est situé au niveau de l’actuelle Précordillère. La déformation est limitée dans l’arrière arc (James et Sacks, 1999). La subsidence y est faible et les dépôts sont peu épais, ceci serait dû à la présence d’un bombement périmontagneux au niveau des actuels Altiplano et cordillère orientale (Sempéré et al., 1990; Horton et DeCelles, 1997; McQuarrie et al., 2005).
C’est à l’Eocène Moyen (45-35 Ma) que la subduction passe de normale à plate (James et Sacks, 1999) accompagnée d’une accélération de la vitesse de convergence (Pardo-Casas et Molnar, 1987). En régime de subduction plane, le raccourcissement et le soulèvement sont concentrés au niveau de l’arrière arc et le volcanisme d’arc s’interrompt (James et Sacks, 1999). Le dépôt est peu épais au niveau de l’avant arc et peut être mis en relation avec un relief encore faible à cette période (Kennan, 2000).
Par contre la dissection y est forte (Riquelme, 2003). L’accumulation est importante au niveau de l’est de l’Altiplano et de la Cordillère Orientale, avec l’individualisation de deux bassins séparés par un système de plis et chevauchements. Ces deux bassins deviendront l’Altiplano et la zone subandine (Rochat, 2000; McQuarrie et al., 2005). La migration majeure du front de plis et chevauchements dans la cordillère orientale s’est produite à l’Eocène terminal – Oligocène (DeCelles et Horton, 2003). C’est à cette période que la subduction redeviendrait normale (Fig. I-6) (James et Sacks, 1999), ce qui provoque la reprise du volcanisme. Notons aussi que la vitesse de convergence chute à cette période (entre ~36 Ma et 26 Ma) (Pardo-Casas et Molnar, 1987). On assiste alors à la croissance du système de chevauchements d’arrière arc des Andes Centrales, au développement de l’Altiplano et à la surrection de la Cordillère Orientale (Lavenu et Marocco, 1984; Benjamin et al., 1987; Roeder, 1988; Sempéré et al., 1990; Kennan et al., 1995; Kennan, 2000; McQuarrie et DeCelles, 2001; DeCelles et Horton, 2003; Pinto, 2003). Une épaisse série sédimentaire se dépose dans l’Altiplano, les sédiments provenant essentiellement des reliefs de la Cordillère Occidentale (Martinez, 1980; Kennan et al., 1995; Pinto, 2003; Mpodozis et al., 2005).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I – LE CONTEXTE GEOLOGIQUE ET GEOMORPHOLOGIQUE
I-A- La Cordillère des Andes
I-B- Les Andes Centrales
I-B-1- Esquisse de l’histoire tectonique
I-B-2- Déformation actuelle
I-C- La région étudiée
I-C-1- Contexte structural
I-C-2- Les séries sédimentaires néogènes
I-C-3- Contexte climatique
CHAPITRE II – SEDIMENTATION ET TECTONIQUE NEOGENE
II-A- Lithostratigraphie
II-A-1- Formation Bala
II-A-2- Formation Quendeque
II-A-3- Formation Cangalli
II-A-4- Formation Charqui
II-A-5- Formation Tutumo
II-A-6- Conclusion sur les environnements de dépôt
II-B- Ages des matériaux
II-B-1- Les datations 40Ar/39Ar sur micas et feldspaths
II-B-2- Analyses de traces de fission dans les apatites
II-B-3- Résultats AFTA
II-B-4- Analyses AFTA dans les échantillons volcano-détritiques
II-B-5- Discussion des résultats AFTA et Ar/Ar
II-B-6- Conclusions
II-C- Relations entre la sédimentation et la tectonique
II-C-1- Le synclinal de l’Alto Beni
II-C-2- Le bassin de Tipuani
II-C-3- Le synclinal de Madidi
II-C-4- Géométrie des chevauchements
II-D- Mise en place des structures et des reliefs au Néogène
II-D-1- La zone subandine nord de Bolivie
II-D-2- Les zones subandines de l’Orocline Bolivien
CHAPITRE III – MORPHOLOGIE DU FRONT DE CHEVAUCHEMENT
III-A- L’ancien cours du Río Alto Beni
III-B- Le relief frontal
III-B-1- Le paléo-cône du Río Tuichi
III-B-2- Les vallées sèches
III-B-3- Les terrasses
III-C- La serranía de Eva Eva
III-D- La zone zubandine du sud Pérou
CHAPITRE IV – GEOMORPHOLOGIE ET TECTONIQUE HOLOCENE
IV-A-Introduction
IV-B-Study area
IV-C- Fluvial terraces
IV-C-1- San Miguel syncline
IV-C-2- Madidi syncline
IV-C-3- Encuentro syncline
IV-C-4- Internal Subandean Zone
IV-C-4- Interandean Zone
IV-D- Tectonic features
IV-E– Alluvial fans and hydrographic network reorganization
IV-E-1- Ixiamas area
IV-E-2- Rurrenabaque-Yucumo area
IV-F- Discussion and conclusion
IV-F-1- Subandean terraces
IV-F-2- Foothills alluvial fans
IV-F-3- Conclusion
CHAPITRE V – MORPHOLOGIE DE LA PLAINE DU BENI
V-A-La zone de dépôt-centre du bassin
V-B Le bourrelet périphérique
V-B-1- Déviations et captures
V-B-2- sinuosité
V-B-3- Mouvements récents du bourrelet périphérique
V-B-4- Géométrie du bourrelet
CONCLUSION