L’évolution de la question transfrontalière avec la construction de l’Union Européenne
L’intensification des échanges entre les pays européens a positionné la frontière au cœur des débats. Au cours du temps, la notion de frontière a évolué avec l’évolution des sociétés et le territoire frontalier s’est positionné comme un espace stratégique tout au long de la construction de l’Union Européenne.
La frontière, une notion évolutive
La notion de frontière et la manière de l’approcher scientifiquement ont évolué au cours des années. Friedrich Ratzel, géographe politicien, explique que la géopolitique de l’époque entre les deux guerres mondiales, s’est surtout tournée vers les questions d’implémentation ou de relocalisation des frontières étatiques, sous l’influence forte de la réorganisation du territoire européen et de ses colonies. La frontière était alors vue comme un lieu où l’on affronte ses voisins, au-delà d’une frontière politique. Provenant du vocabulaire militaire, la notion de « front » a longtemps représenté les limites extérieures d’un ensemble territorial, qui correspondait généralement à un Etat nation. Le front se caractérise par une limite externe d’un territoire dont les politiques ont tendance à le protéger de l’extérieur et à l’élargir .
« La frontière connait une existence concrète dans une fenêtre historique déterminée. Dans un monde démilitarisé ouvert aux échanges, elle perd son sens. »
La frontière est la compréhension linéaire du front. Elle est une construction politique et intellectuelle et se représente par une ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l’une des droits imaginaires de l’autre (A. Bierce). Elle est l’instrument de base d’un Etat, car sans un territoire qui lui soit propre, donc délimité, un Etat ne saurait se développer économiquement, socialement, juridiquement et diplomatiquement.
Dans les années 1960, avec l’avènement de la géopolitique, les anglo-saxons commencent alors à s’intéresser, plutôt qu’à la frontière, aux espaces transfrontaliers. Parler d’espace transfrontalier suppose que la frontière présente un certain degré de porosité (l’ouverture l’emporte sur la fermeture), qu’elle est reconnue par les États (ligne stable) et que les conflits y ont disparu (frontière apaisée). C’est en 1980 qu’est définie pour la première fois la coopération transfrontalière, au travers de la Convention de Madrid (Cf. partie 1-12 a)). La frontière n’est plus seulement un facteur de séparation entre des systèmes politico institutionnels différents, elle devient aussi facteur de contact entre des sociétés et des collectivités différentes (Ratti, 1993). La frontière est alors une interface privilégiée entre des systèmes différents où fonctionnent les effets de synapse (rupture, passage, relais) d’autant plus fort que le gradient entre les deux espaces séparés par la frontière est plus fort . La zone frontalière induit le franchissement spatial. L’adjectif transfrontalier traduit la traversée, le passage, la transgression à travers une limite politique entre deux États. Cependant, la notion de transfrontalier est profondément liée à celle de proximité, les relations entre deux États relèvent en règle générale du transnational.
« L’espace transfrontalier, est alors appréhendé comme « un système relationnel fait de nœuds et de relations entre les éléments internes et externes qui en sont constitutifs » (Carrière et Thibault, 2000). L’espace transfrontalier constitue par conséquent « un espace structuré et à structurer, doté d’une épaisseur et d’un contenu, au-delà de la frontière abordée en tant que simple limite territoriale » (ibid.)» .
Les initiatives européennes de coopération transfrontalière
La signature du Traité de Rome le 25 mars 1957 a engagé les Etats membres de l’Union européenne dans un processus d’intégration spatiale. Les frontières ont accaparé une place importante dans ce processus d’intégration et différents accords ont été pris dans le sens d’une atténuation des frontières en Europe. Après la seconde guerre mondiale, avec la construction de l’Union européenne, les frontières internes ont été repoussées à ses frontières extérieures, transformant ainsi ses zones frontalières en passerelles.
Les bases juridiques de la coopération transfrontalière : Convention cadre de Madrid et Accords de Karlsruhe
La Convention-cadre européenne du 21 mai 1980 sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (Convention de Madrid) a été signée par les Etats membres du Conseil de l’Europe . La Convention de Madrid a pour but d’encourager et de faciliter la conclusion d’accords entre communes et régions, de part et d’autres d’une frontière, notamment dans des domaines tels que le développement régional, urbain et rural, la protection de l’environnement, l’amélioration des infrastructures et l’aide en cas de catastrophe. En d’autres mots, la Convention de Madrid permet de rendre plus compatible les constitutions des différents Etats et d’accélérer les ratifications des accords. Pour tenir compte de la variété des systèmes juridiques et constitutionnels des Etats membres du Conseil de l’Europe, la Convention offre une gamme d’accords modèles permettant aux collectivités locales et régionales ainsi qu’aux Etats de placer la coopération transfrontalière dans le cadre qui leur convient le mieux.
Le Protocole additionnel du 9 novembre 1995 tend à renforcer la coopération transfrontalière entre les pays européens en améliorant notamment le cadre juridique donné par la Convention-cadre. Il reconnaît expressément le droit des collectivités territoriales de conclure, sous certaines conditions, des accords de coopération transfrontalière. Le 2ème Protocole à la Convention de Madrid du 5 mai 1998 a pour objectif de favoriser la coopération entre collectivités territoriales non contiguës qui bordent ou non une frontière internationale. Ce protocole offre notamment un cadre juridique aux collectivités qui peuvent dés lors engager des coopérations internationales. En 1996, le Conseil fédéral a signé avec les gouvernements d’Allemagne, de France et du Luxembourg l’Accord de Karlsruhe sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux. L’Accord concrétise les principes du Protocole additionnel à la Convention de Madrid. Il vise à promouvoir et faciliter la coopération transfrontalière et contient des dispositions sur la conclusion d’accords de coopération transfrontalière, ainsi que sur la création d’organismes transfrontaliers (dotés ou non de la personnalité juridique), appelés groupements locaux. Dés lors, en Europe, alors que les États ont largement décentralisé leurs prérogatives, notamment dans les domaines économiques, sociaux et culturels, les collectivités territoriales ont acquis une responsabilité croissante en matière de coopération transfrontalière. Différentes lois de décentralisation ont ainsi favorisé la responsabilité et l’autonomie des collectivités territoriales.
Des programmes de financements pour tendre vers une intégration européenne
La politique régionale communautaire, fondée sur la volonté d’assurer une cohésion économique et sociale sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, s’est appuyée, dès le milieu des années 80, sur un certain nombre de programmes de développement, financés par les fonds structurels . Dès 1990, la Commission européenne a pris l’initiative de créer un programme destiné à promouvoir le développement harmonieux des régions frontalières et à les aider à tirer profit au mieux de l’intégration européenne. Interreg était né. Trente et un programmes ont vu le jour sur les frontières européennes pour la période 1991-1993. Entre 1994 et 1999, pour le programme Interreg II, ils étaient plus de 70 (dont environ 60 sur le volet transfrontalier), répartis entre le volet transfrontalier (frontières contiguës) et le volet transnational (grandes zones de coopération européenne). Interreg est une initiative communautaire visant à promouvoir la coopération transfrontalière afin d’assurer le développement harmonieux des régions frontalières. Plusieurs centaines de projets de coopération transfrontalière aux champs d’intervention très variés ont ainsi été cofinancés par les fonds européens.
« La coopération transfrontalière de régions frontalières voisines a été préparée en Europe par des commissions gouvernementales et des commissions d’aménagement du territoire ainsi que par des recommandations du Conseil de l’Europe. Elle est financièrement soutenue depuis 1990 par le biais de l’initiative communautaire INTERREG. Presque toutes les régions frontalières ont bénéficié de l’aide apportée par INTERREG afin de constituer des organismes, des structures et des réseaux communs. » SDEC
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Table des matières
Introduction
Partie 1 La coopération transfrontalière, un enjeu européen décline à l’échelle locale
1. L’évolution de la question transfrontalière avec la construction de l’Union Européenne
11. La frontière, une notion évolutive
12. Les initiatives européennes de coopération transfrontalière
13. Enjeux et intérêts de la coopération transfrontalière à l’échelle nationale
2. Des coopérations franco-luxembourgeoises
21. L’organisation des productions d’acier et de charbon
22. Des coopérations face à la crise sidérurgique
23. Une région de coopération
24. Le projet d’une région métropolitaine polycentrique transfrontalière
25. Des réseaux transfrontaliers de villes
26. Le Luxembourg, un « aspirateur à français »
27. Belval, un projet d’envergure
Partie 2 Le projet Belval : potentialités et limites de la gouvernance à l’echelle locale du projet urbain au sein de l’espace transfrontalier
1. Caractérisation de la gouvernance transfrontalière
2. Le projet urbain : un outil de la gouvernance transfrontalière ?
3. Belval, un projet strictement luxembourgeois
31. Présentation rapide du projet urbain local Belval
32. Les relations entre l’Etat et les communes au sein du projet Belval
33. Une opportunité pour le développement local
34. Une gouvernance impliquant le secteur privé
4. Vers la mise en place d’une gouvernance française
41. L’émergence d’une volonté de coopération
42. Limites du comité transfrontalier
43. La constitution d’un nouveau comité
44. Un problème d’identification de la maîtrise d’ouvrage
Partie 3 De la gouvernance du projet urbain local à la mise en place d’un projet urbain global
1. L’émergence d’un projet urbain global
11. Vers une vision stratégique pour le secteur Alzette-Belval
12. Le projet de la voie de contournement à l’image d’un projet transfrontalier ?
13. Perspectives autour du projet d’Alzette-Belval
2. Belval comme un centre relais
21. Un pôle de décongestion
22. Belval au centre d’un projet de mobilité
3. La mise en place d’un GECT à l’échelle du projet urbain global
Conclusion
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