L’aménagement du territoire peut être considéré comme l’action correspondant à la volonté de corriger les déséquilibres d’un espace à différentes échelles. Ceci suppose « une perception, une conception d’ensemble et d’autre part, une analyse prospective du territoire » (Baud, 2003, p20). Aujourd’hui, les pressions économiques et géopolitiques dues au phénomène de globalisation et la poursuite de la construction de l’Union Européenne, invitent à reconsidérer les échelles et les angles d’approche des territoires. Un nouveau regard est porté sur les frontières et, priorité est donnée aux espaces transnationaux (Wakermann, 2003, p114). Un nouveau «regard » sur l’espace communautaire s’est développé au cours du dernier demi siècle, mais pas seulement. Si David Hume a pu dire que « l’Europe est, des quatre parties du monde, la plus morcelée » (David Hume, in Foucher, 2007, p131), il n’en reste pas moins que c’est sur ce continent aux nombreuses nations, parcouru de frontières, que les mutations les plus fondamentales des frontières et de leurs fonctions sont survenues (Wakermann, 2003, p132). Le développement de ces territoires transfrontaliers, pose la question complexe de l’aménagement de ces espaces, « séparés » par une frontière mais également « organisés » vis-à-vis de cette frontière. Désormais, l’adaptation voire la création de méthodes et outils efficaces, cohérents avec ces nouvelles « perceptions, conceptions d’ensemble et analyses prospective » du et des territoires de l’UE, constitue un nouveau défi pour l’aménagement des territoires transfrontaliers.
D’une vision fragmentée à une vision partagée
L’aménagement des espaces transfrontaliers suppose l’identification de la nature et du rôle de la frontière sur le territoire pour ensuite déterminer les enjeux et différents modes d’action, commençons donc par préciser le « cadre conceptuel » dans lequel il s’intègre.
De la frontière « coupure » à la frontière « couture »
« Qui dit transfrontalier dit frontière » Mission Opérationnelle Transfrontalière -MOT
La notion de frontière recouvre une diversité de situations qu’il convient de prendre en compte pour envisager l’aménagement de territoires au delà des frontières. « Au sens propre, une frontière est une limite du territoire d’un Etat et de sa compétence territoriale. » (Brunet, 1993). A travers cette définition, Roger Brunet insiste sur la dimension éminemment politique de la frontière, dont le concept est alors inséparable de celui de l’Etat.
Une frontière a également un fort impact sur l’espace (forte implication géographique), on peut lui attribuer trois types d’effets spatiaux (Levy, Lussaut, 2003).
– la création d’une barrière imperméable, d’une « borne physique » (Ricq, 2006), (facteur de séparation)
– la création d’une interface ou les relations sont filtrées et canalisées (facteur de filtre)
– la création d’un territoire frontalier dupliqué de chaque côté de la ligne frontière
D’autres définitions associent la frontière à son rôle de protection du territoire et de l’identité nationale, elle renvoie alors à un reflexe territorialiste. « La frontière est une limite séparant deux zones, deux Etats, c’est-à-dire une ligne de séparation très nette et souvent matérialisée dans l’espace (dans ce cas par des postes frontières, voire des barbelés entre les Etats). Elle représente une rupture souvent franche entre deux modes d’organisation de l’espace, entre des réseaux de communication, entre des sociétés souvent différentes et parfois antagonistes. La frontière a donc une forte implication géographique. » (Baud P., 2003). La définition de la frontière citée ci-dessus correspond à la perception la plus courante que l’on a d’une frontière: l’idée d’une frontière « barrière ou filtre». Elle marque le territoire, limite les flux, les échanges, elle est une césure économique (d’autant plus en cas de monnaies différentes), culturelle et linguistique. On peut même lui attribuer une forte dimension psychologique : elle est « inscrite dans les esprits ».
Quelque soit la définition, on retient que la frontière a un effet spatial, économique, social, culturel, politique et psychologique soit un caractère multidimensionnel. Lorsque l’on étudie une frontière une dernière dimension et non la moindre doit être considérée : le temps. Afin de comprendre l’impact de la frontière sur le territoire on doit comprendre comment et vers quoi elle évolue.
L’effet spatial de la frontière et son évolution dépend fortement de ses caractéristiques morphologiques mais aussi l’histoire du territoire, de conflits dont elle souvent la « cicatrice ». Deux situations sont à considérer : on peut distinguer la « frontière glacis » de la « frontière creuset ». La frontière « glacis » est peu peuplée, a un « effet barrière » intrinsèque à ses caractéristiques naturelles (relief, fleuve…) ou à des événements politiques ou historiques (on peut citer le cas extrême du «rideau de fer »). La frontière « creuset » est elle caractérisée par une absence d’obstacles naturels ou politiques et peut plus facilement être le lieu de flux et d’échanges, comme cela a été le cas pour la frontière franco-belge accueillant aujourd’hui le premier Groupement Européen de Coopération Territoriale –GECT . Au cours de l’histoire, ces deux types de frontières peuvent évoluer, devenir plus ou moins perméables. Cependant, dans un contexte d’ouverture de frontières, le développement des flux et échanges sera souvent bien plus facile dans le cas d’une frontière « creuset » autour de laquelle il existe une longue tradition d’échanges. Dans le cas d’un frontière « glacis » d’origine morphologique ou politique, l’effacement de la frontière nécessitera une volonté politique plus affirmée (d’après www.espacestranfrontaliers.org ).
Aujourd’hui, la reconsidération de la frontière suit deux tendances interdépendantes. D’une part, on passe d’une approche descriptive à une approche prospective, on analyse la structure mais également la structuration, sa dynamique. D’autre part, on passe d’une considération simple de la « ligne » frontière, à la notion d’épaisseur de la frontière, de réseau, de « système relationnel ». La frontière apparaît comme un «espace structuré et à structurer, doté d’une ligne d’épaisseur et d’un contenu » (Carrière, Thibault, 2000, p285) et peut être un lieu privilégié d’échanges et de développement.
De l’espace frontalier à la région transfrontalière
Un espace frontalier se définit comme un espace jouxtant la frontière d’un Etat, il fait donc face à un autre espace frontalier. Selon Wackermann, « l’intégration socio-économique, l’ouverture des frontières, marque le passage de l’espace frontalier à l’espace transfrontalier », on passe donc de la considération d’un espace délimité par une frontière à la considération d’un espace « partagé de part et d’autre de la frontière » (Wassenberg 2003, in Hinfray, 2006, a). Certaines définitions des espaces frontaliers s’attachent à poser les limites spatiales des espaces transfrontaliers. Ainsi, il peut être défini à l’intérieur d’une bande de 10 à 100km à partir de la frontière. La Commission Européenne pose les limites d’une région frontalière grâce aux périmètres des unités territoriales NUTS III : « un espace frontalière est une unité territoriale de rang NUT limitée par la frontière d’un Etat ». Cependant, cette approche spatiale, mis à part son caractère arbitraire, est restrictive. En plus de l’élargissement du périmètre de l’espace étudié, l’approche actuelle est multidimensionnelle. Ce n’est donc pas uniquement la dimension spatiale que l’on observe mais la région transfrontalière dans son ensemble. Raich la définit comme une unité territoriale ayant des points communs historiques, socio-économiques, culturels, une identité régionale et si possible des institutions (culturelles et politiques) autonomes. La création de cette unité demande une définition claire de ses besoins et intérêts (Raich, 1995). La prise en compte des différentes dimensions du territoire n’est pas suffisante : on doit porter attention à leurs interactions. Une région transfrontalière est « constituée d’un espace, d’un certain nombre de collectivités humaines et du tissu spécifique de toutes les relations qui lient ces collectivités et cet espace mais que la frontière perturbe ou même oppose » (Ricq, 2006). L’approche actuelle est donc plus que « multidimensionnelle mais interdimensionnelle . Schmitt-Egner note qu’une région transfrontalière n’est pas seulement une région d’action mais également une « unité » d’action (Schmitt-Egner, 1998, in Perkmann, 2002, p5). L’unité de la région transfrontalière est rendue possible si celle-ci est structurée, si ces diverses dimensions sont mises en relations.
Développer des territoires transfrontaliers n’a pas pour ambition de faire disparaitre la frontière, mais de faire évoluer ce territoire entaillé vers un territoire unifié. C’est-à-dire de trouver des solutions aux problèmes transfrontaliers souvent marginalisés, délaissé des stratégies nationales et de structurer le territoire pour pouvoir lui garantir un développement durable. On doit passer d’un espace de développement spontané à un espace transfrontalier structuré (Hinfray, 2006) au sein duquel sera pris en compte de la complexité de la région transfrontalière et pour lequel seront développé des modes d’action adaptés.
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Table des matières
Introduction
1ère partie: La coopération transfrontalière, quels défis pour l’aménagement des espaces transfrontaliers ? Application au cas Espagne-Portugal
1. D’une vision fragmentée à une vision partagée
2. Origine et évolution des enjeux de la coopération transfrontalière ?
3. L’aménagement des espaces transfrontaliers : quel bilan ?
4. Les défis de la reconsidération de la frontière luso-espagnole
2e partie : Une évaluation adaptée aux territoires transfrontaliers, application au cas de la Galice et de la région Nord du Portugal
1. Une méthode d’évaluation adaptée au territoire transfrontalier
2. Evaluation de l’espace transfrontalier Galice-Nord du Portugal
3. Evaluation du territoire et du projet de territoire Galice-Nord du Portugal
3e Partie : La coopération transfrontalière, un outil intéressant pour réduire les déséquilibres des territoires transfrontaliers?
1. Précisions sur l’objet de l’étude et sur la méthode suivie
2. Analyse de l’espace transfrontalier Chavez-Vérin
3. Bilan de l’évaluation du territoire et évaluation du projet de territoire
Conclusion
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