La contribution des Français à l’étude du swahili

« To Krapf, Madan and Steere whose work for the swahili language should never be forgotten » ainsi dit la dédicace du Standard English-Swahili Dictionary (1939a). Publié lors de l’inauguration du swahili standard, dans un dictionnaire destiné à effet, cet hommage est à la fois récapitulatif et prospectif car d’un côté il rappelle les principaux contributeurs à la normalisation du swahili ; de l’autre, il exhorte les futurs lecteurs à ne pas oublier ces pionniers de l’étude du swahili. De ce fait, l’histoire de la description du swahili bâtie essentiellement sur ces trois piliers auxquels s’ajoute Frederick JOHNSON, fut transmise de génération en génération.

Et pourtant, les études swahili vont au-delà de la standardisation, à laquelle ont contribué ces quatre chercheurs. L’auteur de la dédicace, inspiré de l’esprit colonial britannique oublia les autres comme SACLEUX, VELTEN et TAYLOR , soit qu’ils publiaient en une autre langue que l’anglais soit qu’ils ne travaillaient pas en faveur du kiunguja le dialecte choisi par l’administration coloniale pour la langue standard. Ainsi, afin de dresser l’histoire complète, il faut évoquer l’œuvré de ses auteurs négligés. La présente étude se focalisera sur les Français en général et Charles SACLEUX en particulier.

Le swahili est une langue africaine de la famille bantu dont la culture est profondément influencée par la culture arabe. La langue swahili a donc emprunté beaucoup de concepts à l’arabe notamment lors de la colonisation omanaise durant le XIXe siècle dans les domaines de la navigation, de la religion et de l’administration. Avec la colonisation britannique à partir de la fin de ce siècle, la langue s’est enrichie d’emprunts à l’anglais surtout dans les domaines de l’administration, des sciences et des techniques. Ces caractéristiques, ainsi que son statut hors du commun sur le plan politique, en font la langue africaine la plus étudiée dans le monde et celle qui sert d’introduction à l’étude des autres langues bantu.

LE SWAHILI DES ORIGINES AU XXe SIECLE

En 1846, Charles GUILLAIN, un des Français pionniers à décrire la langue swahili avait remarqué qu’elle « est exclusivement employée sur tout littoral, du Djoub à Sofala » et que « les commerçants et les esclaves africains l’ont même apporté sur les côtes de l’Arabie et de l’Inde ». Ce constat qui semble-t-il est le premier à rapporter des informations sur le swahili en France souligne à la fois la souche de la langue et le commencement de son expansion sur d’autres territoires. Ceci constitue l’objet de ce chapitre au cours duquel nous chercherons à identifier les Swahili, à présenter l’origine de leur langue et à en décrire l’expansion principalement sur le continent africain.

Identification du peuple, histoire de la côte et de ses habitants 

Identifier un Swahili est un sujet polémique, car le terme ne renvoie pas forcement au peuple ou à la culture. Etymologiquement, « swahili », est dérivé de l’arabe sahel ساحل) singulier) ou « sawahil » سواحل) pluriel) qui signifie « la côte » ; il désigne la langue et les habitants de la côte africaine de l’Océan Indien. Dans les documents du XIXe siècle, avant la standardisation de la langue, ce nom était diversement orthographié. Il apparaît sous la forme de « souahéli », « swahéli » et même «sawahili ». Or, quoique très ancienne, cette désignation ne fut popularisée qu’au XIXe siècle par les voyageurs européens. Dans les sources anciennes, les peuples établis sur ce rivage étaient appelés par des termes variables selon les époques : « Ethiopiens anthropophages » par les Grecs au Ve siècle, « Zanj » par les Arabes du IXe au XVe siècle et « Maures » par les Portugais au XVe siècle (LE GUENNEC COPPENS, 2002 : 56). Aucune trace du nom originel de la population n’a été trouvée.

Les locuteurs eux-mêmes, bien qu’ils soient fiers de parler cette langue, se référèrent plus aisément à des dénominations d’ordre géographique, national ou religieux car le terme swahili ne porte pas forcement un éloge. On entend, « je suis Zanzibarite, Kenyan, Tanzanien, Africain, Arabe, Musulman, de Pemba » et ainsi de suite. Cette disparité est aussi un héritage des idéologies coloniales omanaises et britanniques avec lesquelles les habitants de la côte ont eu à composer (DE VERE ALLEN, 1993). Comme le dit PRINS (1967 : 11-12), « swahili » est un terme ambigu qui ne se précise que par le contexte ; toutes définitions impliquent des composantes très variées : religieuse, raciale, comportementale, régionale et culturelle.

Ainsi, afin de mieux identifier les Swahili, sans se référer uniquement au terme, il est nécessaire de remonter au début du XIXe siècle, époque où les contacts entre les habitants de la côte et ceux de l’intérieur des terres étaient encore limités et où les Arabes omanais n’avaient pas encore profondément influencé la culture « swahili ». A cette période les habitants de la côte étaient identifiables par cinq critères : l’apparence physique la pratique de l’Islam, l’origine géographique du locuteur, la maîtrise de la langue elle-même et la pratique de la tradition dite « swahili ».

Au début du XIXe siècle pour décrire un Swahili on détaillait sa taille, sa couleur de peau, la longueur du nez et ainsi de suite. Par exemple, pour Edward STEERE (1872 : 144) « le peuple swahili est une race de sang-mêlé : la moitié nègre l’autre moitié arabe ». Pour aller plus loin, l’explorateur Richard BURTON (1821-1890) (1872 : 415) décrivait un Swahili comme une personne dont : « La partie supérieure de la face, y compris les narines, offre bien chez eux tout le développement du type sémitique ; […] ils sont prognathes, ont les lèvres tuméfiées et pendantes, le menton faible et fuyant : toutefois leur crâne est légèrement arrondi, et ne présente pas l’élongation que l’on rencontre chez celui du nègre » (BURTON, 1872 : 415).

BURTON n’est pas un cas isolé, cette manière de décrire est conforme à ce que l’on trouve dans les récits des explorateurs et des missionnaires de cette époque. Et pourtant pour décrire une communauté langagière, l’apparence physique est non seulement une référence insuffisante mais aussi très controversée car la langue est un phénomène culturel tandis que la structure corporelle est un fait biologique .

Histoire des habitants de la côte Est-africaine

Faute de la tradition écrite par les habitants, l’histoire antique de la côte Estafricaine est connue à travers deux textes rédigés par des voyageurs. Il s’agit du Périple de la Mer Érythrée écrit entre le premier et le troisième siècle de notre ère par un auteur anonyme, et La Géographie de Ptolémée écrit en 150 de notre ère par Claude PTOLEMEE (né vers 90, mort vers 168). Ces textes, même s’ils font l’objet de scepticisme parmi certains chercheurs , révèlent la présence d’une communauté humaine en Afrique de l’Est au tournant du premier millénaire. Le Périple, cité par RAYMOND, (1968), raconte ainsi :

« A deux journées de navigation au-delà est le tout dernier marché du pays d’Azania, appelé Rhapta, dont le nom dérive des bateaux cousus (raptôn plorariôn) déjà mentionnés ; il y a là de l’ivoire en grande quantité et de l’écaille. Le long de cette côte les gens ont des habitudes de piraterie. Ils sont de très grande taille et chaque lieu à ses propres chefs. Le chef mapharitique gouverne le pays selon quelque droit ancien qui le place sous la suzeraineté de l’État qui est devenu le premier en Arabie. Et les gens de Muza le tiennent maintenant sous son autorité et y envoient de nombreux et grands navires, utilisant des capitaines et des agents arabes qui sont familiers avec les indigènes et se marient avec eux, qui connaissent toute la côte et en comprennent la langue » (RAYMOND, 1968 : 28).

Cette narration semble fiable parce qu’avant tout, l’historique montre qu’Azania et Rhapta se situent sur le continent africain. Rhapta, selon la carte élaborée par MAUNY (1968) d’après les narrations du Périple, se situait en Tanzanie entre Dar esSalaam et Pangani .

Genèse de la culture et de la langue swahili

La théorie dominante sur l’histoire du swahili est celle de l’expansion bantu qui explique que les langues bantu sont originaires du sud Cameroun. De ce foyer les bantuphones se sont dispersés à partir de 5000 avant l’ère chrétienne pour se diriger vers le sud et l’est. Tout en expulsant les khoisans, qui habitaient la région et dont seuls restent les Hadza et les Sandawe en Tanzanie, les groupes bantuphones s’installèrent en Afrique de l’Est entre le VIe et le VIIIe siècle.

Selon les données linguistiques, archéologiques et ethnologiques, la naissance de la culture swahili est le résultat d’un contact séculaire entre les cultivateurs bantuphones de la région du fleuve Tana (dans l’actuel Kenya) et les marins venus du nord. Les résultats des études menées par NURSE et SPEAR (1985) sur les bancs de coraux des côtes somaliennes, kenyanes, tanzaniennes et mozambicaines montrent qu’au IXe siècle les Swahili s’étaient déjà installés sur la côte de l’Afrique de l’Est. A cette époque, beaucoup d’immigrants en provenance du Moyen-Orient, du monde méditerranéen ainsi que de l’Extrême-Orient commerçaient avec eux.

Sur le plan ethnologique, afin de dégager les usages en commun et le patrimoine culturel, les deux chercheurs étudient les mythes et les légendes chez les Swahili et chez leurs voisins, les peuples mijikenda établis sur la côte kenyane. Ce peuple partage avec les autres africains des traits culturels (RACINE-ISSA, 2001, aussi voir 1.1.4). Concernant le mode de vie, d’après NURSE et SPEAR (1985 : 68-69) :

« The earliest Swahili communities established as they scattered down the coast […]. [They] fished, farmed, kept some livestock, and traded locally produced ironware, shell beads, cloth, and pottery with mainland neighbors » (NURSE et SPEAR, 1985 : 68) .

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Table des matières

INTRODUCTION
1. LE SWAHILI DES ORIGINES AU XXE SIECLE
1.1 IDENTIFICATION DU PEUPLE, HISTOIRE DE LA CÔTE ET DE SES HABITANTS
1.1.1 Histoire des habitants de la côte Est-africaine
1.1.2 Genèse de la culture et de la langue swahili
1.1.3 Le swahili est une langue bantu
1.1.4 Les traits culturels en commun entre les Swahili et ses voisins
1.2 CONTACTS AVEC LE MONDE ARABE
1.2.1 Les voyages et le commerce maritime et terrestre
1.3 LES VILLES PRINCIPALES MOTEUR DE L’INTENSIFICATION DU SWAHILI
1.3.1 Lamu
1.3.2 Kilwa, la plus belle ville du monde
1.3.3 Mombasa (ou Kisiwa cha mvita)
1.3.4 Zanzibar, la capitale du Seyyid SAÏD
1.3.5 Dar es Salaam : havre de paix
1.3.6 La propagation de l’Islam en Afrique de l’Est
1.3.7 Le mariage comme moyen de s’implanter
1.3.8 L’influence arabe dans la culture swahili
2. PREMIERES DESCRIPTIONS DU SWAHILI ET LA STANDARDISATION
2.1 DÉCOUVERTE ET ÉTUDE SCIENTIFIQUE DES LANGUES BANTU (1500-1870)
2.1.1 Les bantuistes français du XIXe siècle
2.2 DÉBUT DES ÉTUDES SWAHILI
2.2.1 Les précurseurs des études swahili : voyageurs, aventuriers, commerçants
2.2.2 Description du swahili par les explorateurs, les évangélisateurs et les antiesclavagistes
2.2.3 La contribution des régimes coloniaux à la connaissance du swahili
2.3 LES ÉTUDES SWAHILI EN DEHORS DE L’AFRIQUE
2.3.1 Le swahili en Allemagne
2.3.2 L’enseignement du swahili au Royaume uni
2.3.3 L’enseignement du swahili dans les autres pays européens et en Amérique
2.3.4 Le swahili en Asie : Inde, Corée et Japon
3. L’APPROPRIATION DES ETUDES SWAHILI PAR LES AFRICAINS
3.1 LE COMITÉ INTERTERRITORIAL DU SWAHILI
3.2 LE SWAHILI DANS LES PAYS ANGLOPHONES D’AFRIQUE DE L’EST
3.2.1 Tanganyika
3.2.2 Zanzibar
3.2.3 Kenya
3.2.4 Ouganda
3.3 LE SWAHILI DANS LES PAYS FRANCOPHONES
3.3.1 Congo belge (Zaire-Congo RDC)
3.3.2 Rwanda-Burundi
3.3.3 Les Comores
3.4 DANS LES ZONES PÉRIPHÉRIQUES (AIRES MARGINALES)
3.5 LE SWAHILI À L’ÉCHELLE CONTINENTALE
3.6 CONTRIBUTION POPULAIRE SANS FRONTIÈRES
4. PREMIERS CONTACTS FRANCO-SWAHILI ET DEBUT DES ETUDES SWAHILI PAR LES FRANÇAIS
4.1 PREMIERES RENCONTRES : LA TRAITE NEGRIERE EN AFRIQUE DE L’EST ENTRE LE XVIE ET LE XIXE SIECLE.
4.1.1 Jean-Vincent MORICE, esclavagiste français du XVIIIe siècle
4.1.2 L’esclavage comme facteur de création des créoles
4.2 L’ÉTABLISSEMENT DU CONSULAT FRANÇAIS À ZANZIBAR : 1840-1844
4.3 L’EXPLORATION FRANÇAISE DU MONDE SWAHILI
4.3.1 Les trois voyages d’exploration de Charles GUILLAIN entre 1846-1848
4.3.2 Les notes d’ordre culturel dans les rapports de Charles GUILLAIN
4.3.3 Adrien GERMAIN, révélateur des éléments culturels en commun entre les Swahili et les communautés voisines.
4.3.4 Philipe BROYON (1844-1884) le premier Européen à vivre avec les Africains de Zanguebar
5. L’ETUDE DU SWAHILI PAR LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS
5.1 LE PÈRE LÉON GALLIER, UN PIONNER DE LA PROMOTION DU SWAHILI
5.2 L’ENVOI DES PREMIERS MISSIONNAIRES RÉUNIONNAIS À ZANZIBAR EN 1860
5.3 LES MISSIONNAIRES DE LA CONGRÉGATION DU SAINT-ESPRIT ET L’ÉTUDE DU SWAHILI
5.3.1 L’histoire de la Congrégation du Saint-Esprit
5.3.2 L’arrivée des premiers missionnaires spiritains à Zanzibar en 1863
5.3.3 Dans les missions : la prépondérance du français face au swahili entre 1863 et 1880.
5.3.4 A Paris, le swahili est utilisé lors de la visite du Sultan Seyyid BARGASH en 1875
5.3.5 L’étude systématique du swahili entre 1870 et 1880.
5.3.6 Les missionnaires spiritains face aux pouvoirs politiques : 1886-1900
5.3.7 Premières publications par les missionnaires spiritains
5.4 LA CONTRIBUTION DES PERES BLANCS A L’EXPANSION DU SWAHILI
5.4.1 L’histoire de la Congrégation des Peres Blancs
5.4.2 Les Pères Blancs ont pour priorité de parler les langues locales
5.4.3 L’étude et l’utilisation des langues africaines
5.4.4 L’étude des langues africaines dans le Vicariat du Lac Nyanza
5.4.5 L’étude du swahili dans les vicariats du Tanganyika et du Congo
5.4.6 Premières publications
5.4.7 Le Centre d’étude du swahili de Tabora (1900-2004)
5.5 LA PRESENCE FRANÇAISE EN TANZANIE CONTEMPORAINE
6. CHARLES SACLEUX : PRETRE, LINGUISTE ET BOTANISTE
6.1 SON ENFANCE ET SA JEUNESSE
6.2 L’INVITATION À REJOINDRE LA CONGRÉGATION DU SAINT-ESPRIT
6.3 PORTRAIT DE CHARLES SACLEUX
6.4 LA PREMIERE PHASE DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES EN AFRIQUE DE L’EST
6.4.1 L’élaboration de ses premiers ouvrages en linguistique swahili : 1880-1884
6.5 SA PARTICIPATION À L’ADOPTION DU SWAHILI DANS L’EGLISE : 1881-1884
6.6 LA RENCONTRE AVEC L’ABBÉ ROUSSELOT : 1886
6.7 LA PUBLICATION DE SES PREMIERS OUVRAGES
6.7.1 Les petits ouvrages pour l’école primaire publiés en 1887
6.8 CONTACTS AVEC LES INTELLECTUELS DE SON TEMPS
6.9 COLLECTE DE PLANTES ET DE GRAINES LOCALES, PUBLICATIONS EN BOTANIQUE
6.10 SA POSITION PAR RAPPORT AUX DROITS DE L’HOMME ET A L’ESCLAVAGE
6.11 SES RÉACTIONS D’ORDRE LINGUISTIQUE FACE À L’OCCUPATION ANGLAISE DE ZANZIBAR : 1895
6.11.1 Priorité de communiquer en langue maternelle
6.11.2 L’étude de la langue d’autrui renforce les relations avec les locuteurs de cette langue.
6.11.3 La connaissance des langues est un atout économique
6.12 SES DERNIERS TRAVAUX LINGUISTIQUE ET SES SÉJOURS À MOMBASA 1897-1898
6.13 LE RETOUR EN FRANCE ET LA PUBLICATION DE SES OUVRAGES PRINCIPAUX
6.14 RETRAITE, FUITE DE LA GUERRE MONDIALE ET MORT : 1939-1943
CONCLUSION

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