Collaboration, coéducation, partenariat, coopération… autant de termes pour désigner un seul et même objectif : renforcer le lien entre l’Ecole et les familles. Un lien fragile, discuté et bien souvent mis à mal par trop d’opacité quant à sa mise en œuvre, dans les textes comme dans la pratique. « Les lois promeuvent une coresponsabilité en matière d’éducation et pourtant, les différents acteurs se plaignent régulièrement de démission, surprotection ou indifférence des uns et des autres ». L’école dans laquelle j’enseigne cette année en tant que Professeur des Ecoles Stagiaire (PES) se situe dans le 13e arrondissement de Paris et se compose d’un public que l’on peut qualifier de « mixte ». Il s’agit d’une école polyvalente, constituée de dix classes et où la majorité des familles est bien impliquée dans la scolarité de leurs enfants. Ce qui n’empêche pas une minorité d’entre elles d’être éloignée de la culture scolaire, avec le besoin d’un accompagnement régulier. L’équipe éducative de l’école est emmenée par un directeur très présent dans les relations avec les familles, ouvert et disponible au dialogue régulier. Malgré cela, les situations conflictuelles entre les équipes pédagogiques/éducatives et les familles des élèves restent relativement fréquentes. J’ai été affectée en classe de grande section, que je partage avec une autre stagiaire, sur un rythme d’alternance de trois semaines / trois semaines. Très rapidement, nous avons compris qu’une organisation sans faille serait notre meilleure alliée pour cette année, ainsi que l’élaboration d’un discours commun à tenir auprès des familles. En effet, il s’est révélé impératif d’échanger régulièrement sur ce qu’il se passe dans la classe durant notre absence, d’évoquer les rendez-vous qui ont pu avoir lieu ainsi que toutes les situations pouvant se révéler problématiques à la reprise de la classe. Cela a été une difficulté supplémentaire pour cette année : parvenir à conserver un dialogue efficace entre stagiaires pour transmettre des informations cohérentes et pertinentes aux familles des élèves de notre classe. Car, en tant que professeurs débutants et, au delà de la maîtrise des programmes et de la gestion de la classe (pour lesquelles nous sommes accompagnés et suivis de près par l’ESPE), la relation aux familles constitue une compétence de notre métier restant à acquérir par nousmêmes. Nous manquons encore d’assurance et d’expérience pour tenir un discours solide et constructif auprès des parents. Néanmoins, et d’autant plus à l’école maternelle, école de la bienveillance, la posture que nous devons adopter en tant qu’enseignants face aux parents, doit être la plus claire, intelligible et professionnelle possible. Pour que la relation fonctionne et perdure dans le temps, un investissement important est attendu de notre part mais également de la part des familles, soit « un dialogue régulier et constructif qui s’établit entre enseignants et parents ; il exige de la confiance et une information réciproques ». L’objectif principal de cet outil étant la réussite scolaire des élèves, nous avons, lors de la réunion de rentrée, insisté sur cette volonté d’échange et de partage entre nous, enseignants et eux, parents, et plus généralement la famille. Ils nous ont aussi fait part de leur disponibilité quant aux sorties scolaires et autres évènements où leur présence pourrait être requise. Dans notre classe, les parents et a fortiori les enfants, se connaissent bien et entretiennent de bonnes relations entre eux ; les enfants ont grandi ensemble depuis la petite section, voire depuis la crèche, étant donné qu’ils sont pour la plupart voisins dans les immeubles entourant le quartier de l’école. Face à ce constat plutôt positif de l’investissement des familles dans la scolarité de leurs enfants, il m’est apparu aisé d’ouvrir une fenêtre supplémentaire aux parents sur l’école et de leur donner les outils pour intervenir et favoriser certains apprentissages en classe. Dans l’espoir également de convaincre les familles moins présentes, de s’investir dans ces propositions d’ouverture. Le but de cette expérience était de prolonger et de nourrir le lien existant entre l’Ecole et les familles. Pour cela, décloisonner l’espace de l’école en le faisant entrer à la maison semblait un levier intéressant à exploiter. C’est par le biais d’activités autour du langage, domaine central du cycle des apprentissages premiers que les familles ont été mobilisées. La première proposition qui leur a été faite était de participer à la création d’un album photo personnel de l’élève, réalisé et légendé à la maison et répondant à des critères précis communiqués au préalable. La seconde proposition de collaboration, rendue possible par le matériel informatique présent dans la classe (ordinateur et tablette), était de participer à l’élaboration d’un blog de classe, d’après des modalités là aussi définies en amont par le professeur stagiaire.
Une évolution lente et symbolique
Une méfiance historique de l’école envers les familles
Pour mieux comprendre le chemin parcouru, il est nécessaire de remonter au XVIIe siècle, date à laquelle l’enfant devient « l’élève » : soit « l’idée d’une soustraction au milieu familial qui délègue entièrement la fonction éducative à l’institution scolaire ». A cette époque et jusqu’au XIXe siècle, l’emprise de l’Eglise sur l’Ecole est dominante. Dans les campagnes surtout, les parents n’accordent qu’un intérêt limité à la scolarisation de leurs enfants, en même temps que l’alphabétisation se répand progressivement. Ce sont les enfants issus de familles bourgeoises qui bénéficient le plus de l’instruction, par un enseignant rétribué par leurs familles. La question du rôle des familles devient centrale au XIXe siècle, à travers un large mouvement de ségrégation sociale et scolaire : « la revendication bourgeoise de la liberté d’enseignement se lit comme l’affirmation du droit naturel des familles contre l’idée d’un enseignement de pouvoir public ». Une avancée sociale concrète est réalisée avec le vote de la loi Guizot, ministre de l’Instruction publique à cette époque, qui impose à chaque commune la construction d’une école publique. L’objectif est surtout de renforcer le rôle de l’Etat dans l’instruction de sa population afin de contenir et maitriser davantage les éventuels soulèvements populaires. Mais les familles paysannes ne voient pas toujours d’un très bon œil ce manque soudain de main-d’œuvre et ne comprennent pas immédiatement l’intérêt à long terme pour leurs enfants de cette instruction qui se généralise petit à petit. L’Ecole de la République nait le 28 mars 1882, lorsque Jules Ferry fait voter l’instruction obligatoire pour les enfants entre 6 et 13 ans, un an après avoir rendu l’école gratuite. Cette loi rend également l’école laïque, « établit le contrôle de l’Etat sur l’Ecole et un service publique ouvert à tous au nom de l’égalité ». Mais elle n’est pas pour autant une main tendue vers les familles qui sont bien souvent perçues comme des obstacles à la construction d’une unité nationale. La place des parents était à l’extérieur de l’école. Tandis qu’elle instruisait, les parents, eux, éduquaient. « L’Ecole a donc bien une fonction « d’arrachement » par rapport à la famille, arrachement nécessaire pour construire l’unité de la France… ».
La fin d’un modèle élitiste
La transformation du système éducatif au cours de la Ve République est un prolongement naturel, d’une société en pleine transformation dont l’Ecole est le point central. Les modes de vie sont profondément modifiés en même temps qu’une massification scolaire voit le jour « caractérisée notamment par un allongement de la durée des études et par l’accès d’une large partie de la population à un niveau de qualification élevé ». Durant les années 80, l’objectif impulsé par Jean-Pierre Chevènement est d’amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat d’ici à l’an 2000. L’école fonctionnait alors jusque-là, dans une optique d’identification et de prélèvement des élites. Ce qu’apporte la démocratisation c’est le principe selon lequel « il ne s’agit plus de traiter des flux sélectionnés mais de gérer des générations entières ». L’équilibre sur lequel reposait le système éducatif se fragilise avec l’apparition d’un chômage de longue durée et une véritable course au diplôme apparaît dans les familles. Parallèlement, celles-ci vont trouver une place dans le processus de scolarisation en tant qu’interlocuteurs par le biais de différents textes : en 1968, ils sont admis à rentrer dans les Conseils d’Administration des collèges et lycées et, presque dix ans plus tard, au sein des conseils d’école.
Le début d’une relation formalisée mais complexe
Si une porte s’ouvre pour les parents et les familles à l’intérieur de l’école, appuyée par la loi d’orientation Jospin de 1989 qui consacre la notion de communauté éducative, la relation qui s’installe est loin d’être apaisée. Bien que reconnus comme partenaires à part entière de la communauté éducative, « les parents s’inquiètent de l’inégalité que peut produire le système et du rôle de l’école sur le devenir de leurs enfants ». Cette défiance envers le corps enseignant est aussi la résultante d’une augmentation du niveau d’études des parents et d’une mise en doute de la pédagogie de l’école avec la méthode globale pour l’apprentissage de la lecture. « Le respect de l’institution comme étant incritiquable est mis à défaut ». L’éclatement de la famille traditionnelle avec l’accroissement de la monoparentalité est un facteur supplémentaire d’angoisse pour les parents et donc de méfiance à l’égard de l’institution scolaire : « marier le singulier de chaque enfant, de chaque famille avec l’intérêt collectif de la communauté éducative, qui n’est pas seulement la somme des intérêts particuliers, relève d’un travail quotidien avec les familles ». Enfin, chez les parents éloignés de l’école, un sentiment d’incompétence prédomine, car ils n’en comprennent ni la langue ni les codes scolaires. Pour Philippe Meirieu : « il faut que les parents comprennent ce qu’il se passe à l’école et que les enseignants acceptent d’expliquer ». Des formes d’intervention ont cependant été mises en place par le biais de l’institution qui cherche à renouer avec les parents et mettre en place un lien autre que celui du rapport de force prédominant jusqu’à présent. Malgré cela, la mise en œuvre des outils et dispositifs reste encore aujourd’hui relativement floue pour l’ensemble des parties.
Partenariat : une relation égalitaire ?
Collaborer pour une cause commune
La loi du 10 juillet 1989 introduit la notion de partenariat par l’affirmation d’une collaboration entre les familles et l’école : « elle laisse entendre que l’on peut retrouver un équilibre par le dialogue et la concertation ». Le plus difficile étant de parvenir à articuler les intérêts individuels et les intérêts collectifs. L’enjeu de cette loi est de travailler avec l’ensemble des parents et notamment ceux les plus éloignés de l’école dans le but de favoriser la réussite scolaire de l’ensemble des élèves. Malgré tout, « la collaboration école-familles n’est pas seulement un moyen d’améliorer les résultats scolaires mais doit devenir une fin en soi, d’un point de vue démocratique ». Soit, une école construite conjointement pour le bien commun. Redéfinir la place des parents en tant que partenaires préoccupés par la réussite de leurs enfants est l’ambition affichée par la loi de Refondation de l’Ecole du 8 juillet 2013. Le concept de coéducation réaffirme la volonté d’associer les parents à l’action éducative en ayant en commun, un objet de travail. En reconnaissant les compétences et les complémentarités de chacun, une relation de confiance mutuelle peut dès lors s’établir. Trois principes guident cet objectif : le principe de parité d’estime (contact et communication se fondent sur le respect), le principe de la coopération (faire œuvre commune), et le principe d’explicitation (sur l’organisation et le fonctionnement de l’établissement notamment). La création d’espaces dédiés aux familles dans les établissements d’enseignement est encouragée par la circulaire du 15 octobre 2013. Ils doivent permettre aux parents de mieux accompagner la scolarité de leurs enfants ainsi que de partager leurs expériences et leurs craintes avec d’autres parents. Enfin, un travail en partenariat et en réseaux se développe avec la mise en place des structures d’aide à la parentalité : les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) ou bien encore les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité (CLAS).
Malgré cela, les parents ont encore du mal à considérer l’école comme un lieu où s’investir et on assiste à une confusion des places respectives, liée notamment à des enjeux identitaires, des différences culturelles et des angoisses récurrentes. Voilà pourquoi, « entre ces deux sphères complémentaires mais distinctes que sont l’Ecole et la famille […] il convient de mettre en place un système organisé, structuré et transparent dans lequel chaque acteur puisse communiquer et évoluer en toute confiance et sérénité». Le partenariat lui-même doit avoir ses limites : « proposer ne signifie pas obliger, dialoguer n’induit pas forcément accepter, partager n’entraine pas disposer de tout, s’impliquer n’autorise pas l’action arbitraire ».
Une posture enseignante à renforcer
Si la compétence 12 du Référentiel de Professeur des écoles insiste sur le lien avec les parents, dans la pratique, les enseignants sont peu ou pas formés à la communication avec les familles et craignent ces rencontres plus qu’ils ne les attendent. « L’enseignant en formation doit confronter ses valeurs et points de vue à propos de l’éducation à ceux des parents, en particulier, ceux provenant de cultures différentes de la sienne ». On parle de peur réciproque : les enseignants redoutent que les parents envahissent l’école au lieu de simplement investir la scolarité ou bien encore de « devoir rendre des comptes à des clients usagers ». De leur côté, les familles craignent d’être jugées dans leur rôle même de parents, notamment celles issues des classes populaires. La menace viendrait de part et d’autre, et on oublierait vite que c’est par le biais d’un dialogue commun que l’on comprend mieux les enfants. D’où l’importance de reconnaître l’enfant dans l’élève : « ce qui circule entre les familles et l’école se joue, tout particulièrement dans le cas des milieux populaires et immigrés, au travers de l’enfant qui se situe à l’interface, au point de jonction entre deux mondes qu’il doit faire communiquer ». Pour être réussies, les rencontres individuelles et collectives doivent être conditionnées par un dialogue basé sur le respect réciproque.
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Table des matières
INTRODUCTION
DES ATTENTES PARTICULIÈREMENT FORTES AU CŒUR D’UNE RELATION ASYMÉTRIQUE
I. Une évolution lente et historique
A. Une méfiance historique de l’école envers les familles
B. La fin d’un modèle élitiste
C. Le début d’une relation formalisée mais complexe
II. Partenariat : une relation égalitaire ?
A. Collaborer pour une cause commune
B. Une posture enseignante à renforcer
C. Les formes d’intervention classiques en maternelle
DES OUTILS POUR LES PARENTS, AU SERVICE DES APPRENTISSAGES DES ÉLÈVES
I. La place du langage en grande section
A. Les objectifs langagiers à l’école
B. Langage écrit et ENT (espaces numériques de travail)
II. Quand l’école s’invite à la maison
A. Etablir un contrat de confiance enseignant-parents
B. Prendre en compte la pluralité des familles
ETRE PARTENAIRES DANS LES APPRENTISSAGES : RETOUR SUR UNE COLLABORATION
I. Forces et faiblesses des projets
A. Les réussites en termes d’apprentissages et de collaboration
B. Les difficultés rencontrées et autres freins au projet
II. Prolongements envisageables
A. Au sein de la relation avec les parents
B. Dans les propositions d’activités
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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