La construction médiatique de Rockstar Games : une dimension subversive faisant écran au regard cinéphile du studio

L.A Noire : une cinéphilie en surface ?

Nous l’avons dit, L.A Noire est un projet collaboratif entre le studio australien Team Bondi, qui a développé le jeu et Rockstar Games, qui a secondé le développement et s’est chargé de la distribution. L’idée du jeu n’a donc pas germé dans l’esprit des frères Houser, mais dans celui de Brendan McNamara, fondateur de Team Bondi. De ce fait, les intentions ne sont pas les mêmes que pour les autres jeux Rockstar que nous avons pu étudier jusque-là. En effet, Team Bondi souhaite avant tout réaliser un jeu d’enquête, prenant comme modèles les mécaniques présentes dans les films et séries policières :
When we initially set out to do this way back in 2004, we thought about why crime fiction is so popular, throughout cinema, and on TV. There’s something attractive about the whole whodunit thing and sitting there and trying to work it out for yourself, whether that’s in a novel or whether that’s in TV. People obviously like the whole idea of trying to get to the bottom of a whodunit and trying to be able to make up their minds up for themselves. We were wondering how we could do that in a game.
Nous pouvons relever dans les propos de McNamara l’idée d’un principe ludique dans la fiction policière : le lecteur ou le spectateur s’amuse à deviner l’identité du coupable en établissant une liste de suspects, en questionnant les indices fournis et en recomposant les pièces du puzzle, en somme il n’est pas inactif. Ainsi, la fiction policière paraît tout à fait propice à la création d’un jeu vidéo. L’idée de l’univers dans lequel pourrait se dérouler L.A Noire est donc venue après l’idée de créer un jeu d’enquête :
I look at film noir and even things before that, like “Metropolis” and Fritz Lang. The thing that I really liked was how, with the use of two or three lights in a scene, you can get so much drama. I think that’s pretty amazing in the older cinema. When we first went over to a new generation of console, I knew we could do fancy simulated lighting on the Xbox 360 and PS3. The question then became how do we want to express ourselves with lighting? Then it dawned on us : well, why don’t we do film noir ? But, as familiar a concept as a cop show is to most people, we wanted to do a fresh kind of game. The core game mechanic isn’t shooting people ; the core game mechanic is asking people questions.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur l’aspect cinématographique du jeu : pensé au départ comme un jeu d’enquête, la référence faite au film noir est-elle simplement esthétique ? À travers les propos de McNamara, nous pouvons constater que l’esthétique du film noir l’intéressait beaucoup pour l’atmosphère de son jeu, mais nous comprenons également que c’est avant tout l’évolution technologique qui a déterminé le choix de cette esthétique « noire ».
Ainsi, nous pouvons nous demander s’il a décidé d’y recourir simplement parce que cela lui était rendu possible et pour conférer une apparence originale au jeu, ou si le choix du film noir est plus profond, servant de toile de fond à un propos ou un discours ? Visiblement, McNamara souhaitait baser son jeu sur la lumière et ainsi créer une atmosphère bien particulière, l’atmosphère qu’il a pu observer dans les films noirs. Bien que le jeu se lance par défaut en couleurs, il est donc possible pour le joueur de faire un réglage dans les paramètres afin de passer le jeu en noir et blanc. Nous pouvons dès lors nous rendre compte que l’expérience n’en est que décuplée, puisqu’un réel travail sur les jeux d’ombres et de lumière a été effectué (Ill. 10 et 11).
Durant les années 1940 et 1950, Les réalisateurs de films noirs ont expérimenté certaines techniques pour obtenir les différents contrastes et nuances présents dans leurs oeuvres, emblématiques du genre. Nous pouvons ainsi citer l’utilisation du low-key lighting (ou clairobscur) grâce auquel les personnages et les objets se fondent dans la pénombre185, ou encore le night for night, qui permet d’obtenir un ciel totalement noir, contrairement à la technique du day for night (la nuit américaine) où le recours à un filtre ou à la sous-exposition pour créer l’effet nocturne donne une tonalité plutôt grise.186 Sur ces images du jeu, nous pouvons constater que les concepteurs ont fait en sorte d’avoir un résultat proche de ceux obtenus par les techniques utilisées au cinéma. L.A Noire ne se contente donc pas de proposer des enquêtes policières dans une époque passée, mais tend réellement à créer une atmosphère digne du noir.
Comme le rappelle Gabriele Lucci dans son ouvrage consacré au genre, l’existence du film noir est fixée entre 1941 (avec la sortie du film Le Faucon Maltais de John Huston) et 1958 (avec La Soif du Mal d’Orson Welles).187 Selon lui, il retranscrit un état d’esprit général aux sortir de la guerre :
Il s’inscrit […] dans la désillusion qui suivit la Seconde Guerre mondiale et donne à voir un monde à la dérive, miroir du déclin de l’american way of life.
Ces films mettent en scène des anti-héros, qui ont en commun de voir leur espoir évanoui depuis longtemps: dark ladies, détectives, policiers, gangsters et serial killers […] portent un regard désabusé sur la vie en société, jusqu’au moment où ils doivent affronter leur destin, presque toujours tragique.
L.A Noire s’imprègne du début à la fin de ces différentes notions pour présenter au joueur des personnages tourmentés et prêts à tout pour toucher, ne serait-ce que du bout des doigts, un peu de lumière. En effet, le joueur découvrira au fur et à mesure la noirceur que cache Cole Phelps, marqué par son poste de lieutenant durant la Seconde Guerre mondiale, ou encore la triste désillusion de la chanteuse Elsa Lichtman, avec qui il aura une liaison, et qui a fui l’Allemagne nazie en espérant trouver aux États-Unis un refuge lui permettant de construire une nouvelle vie. Rockstar puise donc dans un genre particulièrement propice à l’expression d’un discours politisé : sont mis en lumière les inégalités sociales, les luttes de pouvoir, les conséquences de la Seconde Guerre mondiale sur la population, ou encore le fait que les plus pauvres subissent l’influence de personnes puissantes. Tout cela contribuant à créer une atmosphère de tension et de gravité au sein de ces films. Associée à ces éléments idéologiques et narratifs, l’esthétique du film noir, comme son nom l’indique, est fondée sur le contraste entre le noir et le blanc ce qui, selon Patrick Brion, vise à créer une atmosphère oppressive et permet d’accroître la tension dramatique.190 Cette esthétique particulière découle directement de l’expressionnisme allemand, ce qui s’explique par l’immigration de réalisateurs d’Europe de l’Est tels que Fritz Lang, Robert Siodmack ou Karl Freund, contraints à l’exil par la montée du nazisme et du fascisme.Souvent porteurs de valeurs socialistes, ils poussent Hollywood à adopter un regard neuf sur les classes populaires.Dans le film noir, la ville, au coeur et de l’intrigue et de l’esthétique, est souvent montrée de nuit, par un temps froid ou pluvieux. L’environnement urbain est mis en scène dans un jeu de clair-obscur, symbolique des tourments éprouvés par les personnages qu’il voit évoluer dans ses ruelles sombres et malfamées et dans ses appartements luxueux non moins exempts de corruption.
Tout cela, nous le retrouvons dans L.A Noire. Le joueur a la liberté de se déplacer à pied ou en voiture, autant de jour que de nuit, certains événements étant déterminés selon cette temporalité.
Cette atmosphère si particulière est d’ailleurs présente tout autant dans la version noir et blanc que lorsque l’on joue en couleur. En effet, la version colorisée du jeu est tout aussi intéressante, car son esthétique ne correspond pas aux tendances actuelles de l’industrie, mais se rapproche plutôt du Technicolor des années 1950. Gardons en mémoire que le jeu se déroule en 1947. De fait, par la reproduction d’un tel grain d’image et de couleurs, les concepteurs renforcent le sentiment d’immersion pour le joueur, qui semble projeté dans un film de l’époque. Nous pouvons en effet y trouver des ressemblances, notamment avec les héroïnes hitchcockiennes (Ill. 12 et 13).
Nous pouvons voir dans L.A Noire un écho à cela ; le jeu est construit à la fois sur un imaginaire de films noirs classiques, mais prend aussi comme modèles des séries policières plus récentes.
C’est cette pluralité qui a permis aux créateurs de L.A Noire de développer une intrigue complexe mêlant suspens, action et réflexion dans une atmosphère bien particulière de tension, parfois même d’angoisse. Comme pour Red Dead Redemption, nous remarquons à nouveau l’expression d’une cinéphilie ouverte, qui fait se rencontrer cinéma et télévision, dont les spécificités offrent finalement une certaine complémentarité, participant ensemble à la construction de ce jeu vidéo.
Nous pouvons d’ailleurs relever dans les propos de McNamara l’intérêt qui est porté aux mécaniques de jeu lorsqu’il explique qu’il ne s’agit pas de tirer sur des gens, mais de leur poser des questions. Bien que des similitudes soient présentes (comme la map dans le coin inférieur gauche de l’écran), le gameplay est pensé totalement différemment des autres jeux Rockstar et n’a rien d’un GTA-like. Tout est pensé selon les codes de la fiction policière. Ainsi, le joueur passera bien plus de temps à collecter des indices qu’à poursuivre des malfaiteurs en fuite. Les deux éléments que nous pouvons mettre en avant concernent le système d’interrogatoire et la bande sonore du jeu. Muni de son calepin, le joueur peut à tout moment consulter ses notes comme le ferait Sherlock Holmes ou l’inspecteur Colombo. Elles sont réparties en trois types de listes : individus, indices, lieux (Ill. 14 et 15).
Ce travail de recherche mis en avant par les concepteurs nous montre que le jeu ne s’ancre pas uniquement dans un imaginaire cinématographique, mais révèle aussi un certain degré de réalisme quant à l’époque traitée. Dans une certaine mesure, nous pouvons rapprocher cela de la démarche documentaire effectuée par les réalisateurs de films noirs à cette même époque.
Ainsi, L.A Noire est un jeu singulier qui mêle une très forte empreinte cinématographique avec des éléments contextuels réalistes sur cette période et la manière dont elle est perçue aujourd’hui. Avec ce projet, Team Bondi a pris des risques et son association avec Rockstar peut paraître étonnante : When people first sit down with it, they generally seem to be kind of shocked, that A) Rockstar would do this kind of game, and B) how the audience would react to it. But we’ve found that most people who have seen it think that Rockstar are the only people who would do this kind of thing. They’re the only people who are brave enough to try and go out and try and create a new genre. They kind of did that back in the day with “GTA,” and created that kind of sandbox mayhem. Now they’re saying, there’s an older audience out there. It’s a potentially much broader clutch of people, who’ll be wanting different kinds of game experiences.
C’est effectivement surprenant de retrouver Rockstar aux commandes d’un projet comme celui ci, lorsque l’on connaît le type de productions auxquelles le studio s’attèle habituellement. Si l’on considère la série des GTA, elle est à l’exact opposé de L.A Noire avec son humour cynique, son côté décalé et la grande liberté d’action offerte au joueur. Le fait d’incarner non plus un gangster, mais un représentant de la loi est également nouveau. Cependant, aucun propos n’est réellement livré sur ce point-là ; contrairement aux deux autres jeux, la forme ne semble pas servir de propos subversif. L.A Noire, bien qu’il soit un open-world, est plus dirigiste envers le joueur dans le sens ou peu d’activités parallèles sont disponibles en dehors de la trame principale ; notons d’ailleurs que l’une d’entre elles consiste pour le joueur à partir à la recherche de « Bobines dorées », les cinquante bobines comportant chacune le titre d’un film connu représentatif des années 1940 et 1950. Il s’agit là d’un petit clin d’oeil cinéphile de la part des concepteurs, qui par ces petits détails mettent en valeur le septième art au sein du jeu. Le ton est sombre et porte un récit grave, et le joueur est le plus souvent en position de réflexion plus que d’action. Malgré tout, comme le souligne McNamara, Rockstar est également connu pour son audace et l’aspect novateur de ses créations. Et un jeu où l’aspect cinématographique est aussi présent paraît finalement être un choix logique pour le studio, qui a déjà fait preuve de son savoir-faire sur le traitement de genre cinématographique dans ses productions. Le rythme de L.A Noire se calque sur celui des films noirs dont il s’inspire, prenant son temps pour mettre en place l’intrigue, fonctionnant par étapes jusqu’à un climax conduisant à la résolution de l’affaire. C’est une expérience très différente pour les joueurs habitués aux séquences plutôt dynamiques et rapides des jeux Rockstar. Les concepteurs ont d’ailleurs constaté ces différences dans la manière de consommer le jeu.

GTA V : un jeu « patchwork »

Nous pourrions définir GTA V comme une sorte de jeu patchwork, tant ses références sont multiples, ce qui est semble-t-il, toujours en adéquation avec le principe de cinéphilie ouverte que nous avons mis en avant. En effet, sa construction repose dans son ensemble (univers, récit, personnages), sur la reprise d’éléments cinématographiques, télévisuels, sur l’actualité et plus généralement sur des faits sociétaux (impact des réseaux sociaux, de la télé-réalité, etc.), afin d’en faire des éléments de satire nourrissant le jeu, parfois de manière parodique, parfois plus cynique. Il y a ainsi deux différences majeures à relever dans GTA V, face aux deux autres jeux composant notre corpus. Contrairement à Red Dead Redemption et L.A Noire qui situent leur(s) intrigue(s) dans le passé, le récit se place cette fois-ci dans notre monde contemporain, dans les années 2010. Il n’est plus question de la manière dont le pays s’est construit durant la conquête de l’Ouest, ni des conséquences de la Seconde Guerre mondiale sur la population américaine.
Le jeu nous plonge dans la crise des subprimes et expose les effets pervers de la société de consommation poussée à son paroxysme. Pour ce faire, le joueur n’incarne plus un personnage, mais trois. Il n’y a donc plus un récit linéaire unique, mais trois axes narratifs qui alternent, chaque personnage représentant une facette bien spécifique de cette société : le luxe et l’opulence pour Michael qui vit sous la colline de Vinewood, la vie dans le ghetto pour Franklin et un parc de caravanes délabrées dans le désert pour Trevor, qui dresse un portrait peu flatteur des Rednecks. Dans une interview pour The Guardian, Dan Houser décrit GTA comme « l’enfant bâtard de nombreux parents213 ». Nous l’avons vu, depuis ses débuts la série fait de nombreux clins d’oeil au cinéma, mais pas uniquement. De nombreuses autres références appartenant à la pop culture sont présentes et cela est particulièrement vrai pour GTA V. Nous pouvons donc nous demander si le cinéma occupe réellement une place majeure dans ce cinquième opus ?
Tout d’abord, tout au long du jeu nous pouvons remarquer ces fameuses références, leur trouvaille constituant même un jeu pour certains qui s’amusent à les répertorier sur divers forums ou articles web.Ces références sont notamment visibles d’un point de vue géographique sur la carte du jeu. En effet, les quartiers, symboliques de chacun des trois personnages, y rassemblent la culture propre à leur type de vie. Ainsi, le cinéma vinewoodien et ses studios sont établis dans les quartiers proches de ceux où réside Michael, où se trouvent également les cours de tennis et terrains de golf, sports majoritairement pratiqués par les classes aisées. Le cinéma prend tout autant place au sein de la maison de Michael qui, cherchant à occuper son temps depuis qu’il est en retraite, regarde de nombreux films à la télévision. À différentes occasions, le joueur peut ainsi l’observer en train de visionner des « classiques » en noir et blanc, des films de gangsters pour la plupart. Le personnage de Michael se nourrit donc de cet imaginaire autant qu’il contribue à l’alimenter. Nous pouvons ainsi voir dans ce personnage une référence non dissimulée à la série Les Soprano (David Chase, 1999-2007, HBO). En effet, Michael partage de nombreux points communs avec Tony Soprano, patriarche de la famille. Étant créée pour la télévision et diffusée sur cette dernière à partir de 1999, la série opère une prise de recul sur ce qu’elle est en tant qu’objet télévisuel, souvent considérée comme moins prestigieuse que le cinéma, et propose ainsi une version ratée de parrain de la mafia : Tony Soprano, d’origine italienne, n’a que peu d’impact aux États-Unis, où il est submergé par les soucis qu’il doit gérer au quotidien, tant au sein de sa famille que dans le milieu criminel auquel il appartient. La série rend à la fois hommage à de grands personnages du cinéma comme Don Corleone, tout en proposant un pastiche des films de gangsters dans la création de ses propres personnages. Avec la famille De Santa, nous retrouvons une démarche similaire : la famille de Michael est totalement dysfonctionnelle : sa femme Amanda, ex stripteaseuse, dépense son argent sans compter et le trompe avec son professeur de yoga, son fils Jimmy reste enfermé dans sa chambre pour jouer aux jeux vidéo et n’a que peu de contact avec le monde extérieur, et sa fille Tracey a pour seul et unique objectif de devenir célèbre, que ce soit grâce à la télé-réalité ou au milieu du porno. Malgré la « réussite » de Michael, sa vie de famille est chaotique et la communication étant totalement rompue entre ses membres, il est finalement malheureux dans son statut de retraité. Nous pouvons même aller plus loin dans la comparaison entre le jeu et la série, puisque la maison de Michael reprend de manière fidèle celle de la famille Soprano, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. (Ill. 16 et 17).
En ce qui concerne Franklin, il s’agit plutôt de la culture de la rue. Il n’est plus tant question de gangsters, mais plutôt de gang. Les quartiers correspondant, au sud de la carte, montrent des logements précaires où les rues ne sont pas entretenues. Les habitants y sont plus facilement agressifs et la délinquance y est plus forte. À l’instar des représentations médiatiques de la culture hip-hop contemporaine (clips de rap, films, etc.), on y retrouve des codes de références : style vestimentaire, langage injurieux, voitures modifiées, trafic de drogues, etc. Franklin est d’ailleurs le personnage qui a le plus d’interaction possible avec les voitures : c’est avec lui que le joueur débloque les courses de rues216, sa capacité spéciale permettant de ralentir le temps afin de se faufiler entre les autres véhicules et de prendre des virages à grande vitesse, et son premier « travail » dans le jeu consiste à voler des voitures de luxe pour qu’elles soient ensuite revendues. La culture hip-hop et le cinéma sont intrinsèquement liés dans cette représentation du ghetto noir américain et les Houser convoquent dans leur imagerie des films tels que Boyz N the Hood (1991) de John Singleton, Menace II Society (1993) d’Allen et Albert Hugues, 8 Mile (2003) de Curtis Hanson, ou encore Get Rich or Die Tryin’ (2005) de Jim Sheridan, ces films montrant chacun à leur manière la vie d’afro-américain dans les quartiers pauvres, la tentative d’ascension sociale ou encore la difficulté à se faire une place dans le monde artistique.
Enfin, la zone où vit Trevor correspond au nord de la carte ; ce sont des zones désertiques et montagneuses, où le joueur croise peu de monde. Trevor vit dans une caravane totalement délabrée et semble coupé du reste du monde. C’est un personnage ambigu, qui peut être assimilé à des personnages comme Jack Torrance dans Shining, avec lequel il partage d’ailleurs une certaine ressemblance physique et dont la santé mentale fragile le rend tout à fait imprévisible. Nous pouvons également penser au personnage de Mickey O’Neil219 dans le film Snatch (2000) de Guy Ritchie, où Brad Pitt incarne un boxer gitan quelque peu douteux, vivant également dans une caravane. L’acteur prêtant ses traits et sa voix au personnage, Steven Ogg, a également confié s’être inspiré de la prestation de Tom Hardy dans le film biopic Bronson220 (2008) de Nicolas Winding Refn.221 Le personnage de Trevor peut donc renvoyer à de nombreux autres personnages fictifs ou non, caractérisés par leur instabilité, leur violence et leur démesure, chacun pouvant y reconnaître ses propres références. Trevor représente aussi et surtout une caricature des Rednecks, qui répondent au cliché du campagnard peu éduqué, méfiant de l’étranger et passionné d’arme à feu. Ces références que nous pouvons qualifier de géographiques, correspondent donc à chacun des trois personnages jouables et à l’univers qui les entoure. À cela s’ajoute ensuite d’autres références en cohérence avec les différents milieux présents dans le jeu : par exemple, si le joueur décide de conduire aux abords des studios de cinéma de Vinewood, il pourra croiser un acteur revêtant un costume de Xénomorphe (la créature extra-terrestre emblématique des films Aliens) se promener d’un plateau à l’autre, tandis que s’il roule dans les zones désertiques, il pourra, à un endroit précis, apercevoir deux femmes dans une voiture proche d’un ravin (ce qui renvoie au road movie Thelma et Louise (1991) de Ridley Scott). Dans tous les cas, la composition de ces références géographiques est représentative de ce que l’on y trouve. Nous pouvons ainsi déterminer différents types de références : certaines vont relever du clin d’oeil pouvant faire sourire le joueur, tandis que d’autres références vont jouer un rôle de repère et être révélatrices d’un contexte ou d’un modèle particulier. Comme le souligne Christophe Butelet dans l’un de ses articles, la disposition des lieux et leurs caractéristiques ne sont pas anodines ; cela montre quelque chose de plus profond :
Le trio infernal permet également à Rockstar de définir la géographie des lieux et du même coup, nous dire quelque chose de Los Santos et de sa répartition des couches de la société. Car chaque personnage symbolise à lui seul un quartier : bling-bling pour Michael, malfamé pour Trevor et ghettoïsé pour Franklin. Et il sera possible de passer librement d’un personnage à un autre (les surprenant alors dans leur quotidien) et de les faire se rencontrer en forçant le destin, on ressentira néanmoins tout le poids des barrières sociales.

Pour raconter une histoire, il faut des personnages

Dans ce chapitre, nous allons nous attarder sur la construction des personnages principaux de Red Dead Redemption, L.A Noire et GTA V. Nous allons tâcher de comprendre la manière dont ils sont construits ; ces personnages sont-ils fondamentalement inspirés par les genres cinématographiques qui constituent les univers de nos trois jeux ? Prennent-ils leur source dans des références précises ? Et sont-ils finalement représentatifs de ces genres ? Ensuite, nous nous concentrerons sur les raisons de leur marginalité ; comment et pourquoi sont-ils mis à l’écart ?
Est-ce cette marginalité qui leur promet à tous une fin tragique ? Quelle place cela occupe-t-il dans le discours critique porté par le studio Rockstar ?

Des ressemblances notoires avec des personnages de cinéma

Si l’on observe nos différents personnages, nous pouvons nous rendre compte rapidement qu’ils sont chacun, à leur manière, en décalage par rapport au monde qui les entoure. Qu’il s’agisse de John Marston, de Cole Phelps, de Michael De Santa, de Trevor Philips ou de Franklin Clinton, chacun se trouve dans une position d’isolement, au sein d’une société qui ne semble pas vouloir les accueillir. Bien qu’ils aient des traits de caractère et des personnalités qui diffèrent, ils répondent tous à un rôle particulier : cowboy, détective et gangsters. Ces rôles ont largement été représentés au cinéma, jusqu’à faire figure d’icônes. De cette manière, John Marston n’est pas n’importe quel cowboy ; nous pouvons retrouver en lui autant de personnages mythiques que ceux incarnés par John Wayne, James Stewart, Charles Bronson ou encore Clint Eastwood.
John Marston présente à la fois des éléments correspondants aux canons esthétiques du cowboy tel qu’un certain imaginaire cinématographique a pu le construire : chapeau enfoncé sur la tête, gilet en cuir, santiags aux pieds, colt sur la cuisse et carabine dans le dos, mais il présente également des éléments moins communs : mal rasé, vêtements sombres et plusieurs cicatrices lui barrant le visage. De ces éléments, certains seulement se retrouvent dans les tenues portées, par exemple, par Gary Cooper.
Par conséquent, il emprunte aux différentes représentations cinématographiques du cowboy, avec des caractéristiques physiques appartenant aux bons, comme aux mauvais : selon William Bourton, le good guy aura tendance à porter un chapeau clair, tandis que le méchant en arbore un sombre, le méchant est souvent barbu ou mal rasé, porté sur la boisson et fumant le cigare « d’un modèle inférieur au banquier ». Si la tenue de John Marston ne semble a priori n’être qu’un détail dans cette reconstruction de l’imaginaire westernien, nous pouvons toutefois supposer que son rôle ne se cantonne pas au simple rappel esthétique ; en effet, au cours du jeu, le joueur aura l’occasion de débloquer diverses tenues après avoir rempli certains défis ou certaines missions, et l’on peut noter une nette évolution dans celles-ci : les premiers vêtements de Marston sont sombres, mais il passe progressivement à des tenues plus claires et même colorées. Nous pouvons ainsi avancer l’idée que ces tenues sont symboliques de l’évolution de John Marston tout au long du jeu : les couleurs sombres représentant sa vie de hors-la-loi et celles plus claires, le rapprochant de sa rédemption.Mais sa tenue vestimentaire n’est pas le seul témoin de son appartenance à la mythologie westernienne. En effet, John Marston est un personnage mystérieux, peu bavard, passant le plus clair de son temps sur sa monture, à l’instar de James Stewart, qui « manie le colt et la carabine [et] monte à cheval avec une aisance qui ne trompe pas » et dont on connaît, finalement, peu de choses. À l’instar des héros de western,il a l’usage de la parole, mais il l’utilise avec parcimonie. Selon William Bourton, ce sont les grands acteurs du western parlant qui ont composé ce caractère peu loquace et nonchalant.Le silence renforce ainsi l’usage de la parole, contrastant d’autant plus avec les autres personnages rencontrés. Le westerner est un personnage qui lutte plus pour donner une bonne image de lui-même à ceux qui l’entourent que pour la bonne cause. Il est alors intéressant de noter que Marston, bandit en quête de rédemption nous l’avons dit, est plus proche de la figure de l’antihéros que du héros classique. Le terme d’antihéros entrant d’ailleurs en résonance directe avec ces propos tenus par le réalisateur Sam Peckinpah : à la question « pourquoi vos personnages sont-ils toujours des losers » il répond : « Parce qu’ils sont battus d’avance, ce qui est l’un des éléments primordiaux de la vraie tragédie. Marston décide de tirer un trait sur cette vie passée lorsque suite à un braquage au cours duquel il est grièvement blessé par balle, il est abandonné par ses frères d’armes. C’est en s’installant avec sa femme et son fils dans une ferme qu’il espère changer de vie. L’homme marqué par son passé violent est un thème que l’on retrouve fréquemment dans les licences Rockstar. De ce fait, il est également présent dans L.A Noire, aussi bien que dans GTA V. Cependant, il n’est pas traité de la même manière : parfois synonyme de remords, parfois de nostalgie.

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Table des matières
Introduction 
Partie 1 : La construction médiatique de Rockstar Games : une dimension subversive faisant écran au regard cinéphile du studio
Chapitre I : Les débuts du studio Rockstar : le masque de la subversion ? 
1. Des débuts marqués par la polémique
2. Manhunt, l’amorce d’un croisement avec le cinéma
3. Red Dead Revolver, l’ébauche d’une conception plus cinématographique des jeux
Chapitre II : Intégration du cinéma dans le processus de création vidéoludique
1. L’importance des nouvelles technologies dans la création des univers Rockstar
2. The Warriors : une adaptation qui affirme le tournant cinéphile du studio
Partie 2 : Les jeux Rockstar au croisement d’imaginaires cinéphiles 
Chapitre III : L’arrivée du cinéma au centre des préoccupations
1. Distinctions entre le genre au cinéma et le genre vidéoludique
2. La présence croissante d’éléments cinématographiques dans le domaine vidéoludique
3. Rockstar Games : quand le genre vidéoludique fait place au genre cinématographique
Chapitre IV : Red Dead Redemption : la réappropriation d’un imaginaire cinéphile
1. Un hommage au western crépusculaire ?
2. Une déclaration d’amour sonore au genre du western
Chapitre V : L.A Noire et GTA V : une frontière floue entre réalisme et fiction 
1. L.A Noire : une cinéphilie en surface ?
2. GTA V : un jeu « patchwork »
Partie 3 : La cinéphilie de Rockstar au service d’un discours critique
Chapitre VI : Pour raconter une histoire, il faut des personnages 
1. Des ressemblances notoires avec des personnages de cinéma
2. La marginalité comme source de destins tragiques
Chapitres VII : L’utilisation du septième art comme outil subversif : quand Rockstar fait son cinéma
1. Le travail des genres comme exploration des racines mythologiques de l’Amérique
2. Les thématiques principales de Red Dead Redemption, L.A Noire et GTA V
Chapitre VIII : Des salles de cinéma au sein des jeux : un espace critique
1. Une sacralisation de la salle de cinéma
2. La mise en scène de ces salles in game
3. Un lieu d’expression privilégié : des courts-métrages aussi cinéphiles que critiques
Conclusion
Bibliographie
Annexe 

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