La construction d’une représentation architecturale : un processus pensé en amont

Proposition de classification de styles graphiques d’images

son ensemble, et d’architecture en particulier, a engendré une succession de styles de représentation avec des identités visuelles très distinctes.
Ces identités graphiques sont aujourd’hui nombreuses et nous submergent à travers un flot constant d’images d’origine informatique. Pourtant, à la différence de la peinture qui s’illustre à travers divers courants artistiques, elles ne sont pas associées à des styles ou registres graphiques à part entière et n’ont pas davantage fait l’objet d’une classification formelle.
On ne trouve qu’un nombre limité d’informations à ce sujet si ce n’est de brefs articles et amorces de réflexion autour de “genres” de représentation.
Dans un article publié en janvier 2017, Lidija Grozdanic, contributrice sur le site Architizer, détermine sept typologies de styles graphiques «les plus fréquemment utilisées» en représentation architecturale (Voir “The Art of Rendering: 7 Ubiquitous
En quelques lignes, elle tente d’expliquer les spécificités de chacune d’elles en s’appuyant sur divers exemples d’illustrations. Elle met en évidence certaines caractéristiques de ces registres d’images et amorce ainsi le propos. Toutefois, ceci ne constitue pas une base suffisante sur laquelle établir une classification approfondie.
Par ailleurs, l’auteur qualifie les styles de représentation de façon arbitraire. Ses explications ne justifient pas ou peu son choix de nommer les images de telle ou telle sorte.
Globalement, ces dénominations accusent un réel manque d’accessibilité car elles font écho à un référentiel trop élitiste, peut-être parce-que trop orienté vers le cinéma ? Au mieux, leur choix est contestable, encore faut il connaître l’univers de Mad Max ou le synonyme de roman policier «Whodunit» ; au pire, leur rapport à l’image est énigmatique voire imperceptible.
Enfin, l’article se base sur une majorité de références iconographiques de mauvaise qualité qui, à mon sens, ne constituent pas des représentants emblématiques du style qui leur est attribué.
Ces observations démontrent qu’une classification des typologies d’images numériques d’architecture implique de nommer les styles graphiques par des termes évocateurs et de choisir des références de représentations architecturales pertinentes et convaincantes. Ces qualificatifs de
styles doivent donc rester ouverts et se nourrir de références générales.
Pour cela, il faut tendre vers des termes plus génériques, qui ne resserrent pas le propos sur des
personnages ou un univers trop pointu, afin que la classification soit intelligible de tous.
La question de styles graphiques en représentation architecturale a aussi été développée de manière plus approfondie par CLOG, une revue internationale dont la notoriété semble acquise auprès des professions liées à l’architecture. CLOG traite chaque trimestre un thème précis dans une nouvelle publication.
Dans une édition de 2012 intitulée «Rendering»,24 les auteurs ont établi une classification des styles d’images numériques d’architecture en leur attribuant des noms et en listant leurs caractéristiques. Malheureusement, je n’ai pas pu me procurer cette publication qui a été diffusée à un nombre d’exemplaires limité et qui est désormais introuvable à la vente. J’ai toutefois pu me
procurer un extrait de la revue qui présente l’une des pages – ou peut être LA page – où apparaissent diverses images accompagnées de leur intitulé de classification (voir annexes p.XX). Cependant, il n’y a pas de précisions sur ce a motivé les auteurs à nommer chaque style de telle ou telle sorte.
Ce bref constat montre que la démarche de classification reste encore marginale ou peu aboutie. C’est pourquoi il serait pertinent de proposer une classification – au même titre que la peinture – afin de différencier les nombreux genres de représentation architecturale qui existent.
Outre l’intérêt de qualifier l’esthétique à laquelle l’image se rattache, ce serait également l’occasion de constituer une sorte de catalogue de styles graphiques que les commanditaires d’images ou les architectes eux-mêmes pourraient, idéalement, utiliser.
De nombreux architectes encore en exercice se sont trouvés dans cette période charnière du passage de la main à l’outil informatique. Certains n’ont pas su appréhender cette transition et se retrouvent aujourd’hui contraints de fournir une image numérique d’architecture lorsqu’ils soumettent leur projet. C’est rapidement devenu un pré-requis auquel se conformer pour «rester dans la course».
Bien souvent, ces derniers ne parviennent pas à exprimer leurs attentes sur l’esthétique qu’ils souhaitent donner à leur représentation. Établir une classification permettrait à ces architectes de transmettre efficacement leurs souhaits et ainsi, de rester maîtres de leur projet. Une «vulgarisation» s’impose donc afin que la communication autour des modes de représentation soit facilitée.
En basant mon argumentation sur une expérience personnelle et une vision critique de l’image, je propose donc d’établir une classification de styles de représentation architecturale tout en apportant des réflexions sur leurs qualités narratives.
Je tiens tout de même à souligner le caractère relativement subjectif de ce travail, qui dépend majoritairement de l’appréciation personnelle et des références propres à chacun.
De même, le terme de «style» n’est pas arrêté, nous pouvons aussi considérer qu’il s’agit de registres, de typologies ou encore d’esthétiques. Enfin, cette classification ne se veut pas exhaustive, ce domaine de la représentation numérique étant en constante évolution. Les styles graphiques des images de synthèse ne proviennent pas de nulle part et s’inspirent souvent de domaines liés de près ou de loin à l’architecture : peinture, photographie ou encore cinéma. Toute personne un tant soit peu familière de l’architecture intègre un corpus de références culturelles commun que l’on pourrait presque qualifier d’universel. À cela s’ajoute un corpus de références plus personnelles, propre à chacun, qui vient donner un sens particulier à une image aux yeux de celui qui la regarde. C’est comme si chacun possédait son propre décodeur qui lui permette de saisir (ou pas) l’image telle que l’architecte souhaitait qu’elle soit perçue. Les images de synthèse en architecture fonctionnent de la même manière que les publicités ou le cinéma. Elles déclenchent dans notre esprit cette impression de «déjà vu» dont on peine parfois à se remémorer l’origine. Elles réveillent des souvenirs particuliers liés à notre expérience visuelle…
La représentation architecturale d’aujourd’hui applique des principes de base de la communication. Son discours est ciblé en fonction du public auquel elle se destine et le choix du style, motivé par divers critères : type de projet, usagers, références culturelles de l’architecte, état d’avancement du projet, histoire racontée, aspects à mettre en avant…

LE STYLE MATTE PAINTING

À l’origine, le matte paintingest un procédé cinématographique dont les premières applications remontent aux débuts du cinéma. Il consiste à peindre un décor sur une surface plane en y laissant des espaces vides, dans lesquels une ou plusieurs scènes filmées avec la même perspective sont incorporées.
Aujourd’hui encore, il est utilisé dans de nombreux films d’animations car il constitue toujours un moyen économique de représenter de vastes décors avec une tromperie visuelle efficace.
Ce qui a changé depuis, c’est la manière dont il est réalisé. Comme beaucoup d’autres supports, il a évolué vers le numérique en gardant toutefois son esthétique picturale qui lui confère une identité si singulière.
Ainsi, les infographistes ont vu en ce style graphique une alternative expressive à l’image estampillée informatique et un moyen plus lyrique de porter le spectateur dans un univers comparable à celui de la peinture. Transposé à l’image numérique d’architecture, le processus de construction d’une image en matte painting se décompose en deux grandes étapes. Dans un premier temps, l’infographiste réunit un ensemble d’images photographiques dont il va extraire divers fragments. En partant d’une esquisse de composition qu’il aura préalablement défini, il va commencer à assembler ces morceaux d’images entre eux sur le principe de collage jusqu’à obtenir une composition homogène. L’image en construction va subir des transformations successives qui vont peu à peu affiner son apparence d’un état de collage à une photographie imparfaite.
Et c’est à partir de ce moment que l’infographiste engage la seconde phase du processus qui consiste à peindre numériquement l’ébauche réalisée. Pour cela, il utilise toutes sortes d’outils informatiques qui reproduisent l’esthétique du pinceau, de la brosse ou encore de l’éponge.
Dans le matte painting, le rapport au paysage est très marqué. De ce fait, ce style est très utilisé pour représenter une architecture qui entretient un lien fort avec son contexte environnemental, voire où l’agencement paysagé prime sur le bâti.
Mélange hybride entre art numérique et œuvre picturale, le matte painting n’a pas une esthétique propre à l’image architecturale.
On l’utilisera volontiers dans l’univers du jeu vidéo ou encore en «deviant art», pour représenter des univers sombres et post-apocalyptiques où les hommes semblent tributaires des machines et du climat. Les références au péril écologique et au dérèglement climatique sont évidentes, avec une nature exubérante qui reprend ses droits sur l’homme dans des tableaux qui nous plongent dans un univers digne de Tolkien.
Le matte painting fait preuve d’une étonnante ambivalence. Même lorsqu’il met en scène des paysages tourmentés, il s’en dégage une certaine poésie : des tons pastels estompés, une lumière tamisée, une certaine douceur atmosphérique, suggérée par le flou ambiant qui couvre l’image.
Profitant des multiples possibilités offertes par le matte painting, l’infographie s’en est réapproprié l’esthétique et une partie de sa méthodologie d’élaboration. Elle renoue ainsi avec des codes de représentation plus sensibles qui estompent la nature informatique du support d’origine. Le matte painting propose ainsi une vision plus humaine, plus attrayante, de l’architecture avec laquelle l’observateur a l’impression d’entretenir une certaine familiarité. Et c’est peut-être ce qui convient le mieux car il y a un conception.

RéaListe est-iL synonyme de véRité?

A travers les différents styles graphiques dégagés dans cette classification, nous avons vu que de multiples possibilités s’offraient à l’architecte pour la présentation de son projet. A cela s’ajoutent de nombreuses alternatives d’hybridations qui permettent de constituer un récit «sur-mesure» appuyé par des effets appropriés.
Comme nous avons pu le constater à travers les références de studios parmi les plus sollicités en représentation architecturale, la tendance penche pour un certain réalisme de l’image et laisse plus
à l’écart les styles graphiques les moins expressifs comme le style collage. Ceux-là semblent moins répondre aux aspirations des architectes à l’heure actuelle. Sans doute le réalisme tranche t-il des autres styles par sa figuration plus proche de la réalité et sa narration plus riche Mais au delà de la définition que nous avons donné au style graphique, qu’entendons nous réellement par le seul terme de «réalisme» ? S’agit t-il de la faculté des images à présenter un récit vraisemblable (qui pourrait exister) ou s’agitil littéralement de leur faculté à se conformer au mieux à ce que l’architecte projette de faire.
Dans le second cas de figure, il s’agit d’un défi audacieux que de prétendre égaler l’apparence visuelle d’un futur projet encore à l’état de réflexion. Sur cette hypothèse, le choix du réalisme est à double tranchant. Sa capacité à présenter le projet est indiscutable puisqu’il n’y a pas recours à toutes sortes d’artifices. Mais l’architecte prend ouvertement la décision de confronter la notion de vérité à celle de tromperie potentielle. Et c’est à lui qu’appartient de faire en sorte que l’image présentée soit conforme au projet à son état d’achèvement.
Il est évident que le choix du réalisme va accroître les attentes du client sur la concordance de l’image avec l’aspect final de la construction, qu’il s’attendra à voir sensiblement identique. Mais il n’est pas impossible que le projet une fois achevé soit conforme à ce que présentait l’image numérique. On peut d’ailleurs le constater avec les deux images en vis-à-vis sur l double page suivante.
Ceci étant, faire le choix de l’abstraction dans la représentation, c’est aussi prendre une certaine distance par rapport aux divergences que peuvent afficher le projet complété et sa représentation.
Mais l’architecte ne doit pas s’imaginer que cela dépréciera son projet pour autant car c’est un moyen efficace pour mettre en évidence les qualités structurelles, plastiques, lumineuses du projet ou encore son rapport à la nature, au contexte, à l’humain…
Pour relater à une expérience personnelle et factuelle, j’ai souvent présenté une partie de mon travail d’études à mon entourage et bien souvent, ce que j’estimais être la partie la plus «éloquente» -à savoir l’image numérique- de mes projets suscitait une certaine confusion. Cela n’était pas lié au fait qu’elle soit réussie ou non, mais elle tendait déjà vers un réalisme qui mettait en doute son statut de tromperie. Et cela m’a beaucoup questionné sur la nécessité de proposer une image réaliste pour chaque projet.
En réalité, nous sommes constamment incités à produire des représentations qui doivent impressionner mais il nous appartient de choisir le niveau de réalisme que l’on souhaite leur donner.
Ce n’est pas parce que les images numériques d’architecture tendent davantage vers une typologie que c’est le choix vers lequel se tourner pour chaque représentation. La décision du style appartient à l’architecte qui doit s’interroger sur ce qu’il souhaite raconter à travers l’image et à qui elle se destine. Une représentation est unique et intègre un récit qui lui est propre.
On pourrait estimer qu’une image numérique d’architecture a atteint son objectif à partir du moment où son destinataire ne parvient pas à la discerner d’une photographie.
Pour l’infographiste, il peut s’agir d’une consécration, mais en revanche, l’architecte n’a pas forcément intérêt à ce que ce soit le cas. Le réalisme avancé d’une image occasionne parfois l’inverse de l’effet escompté. Dans certains cas, les personnes n’ayant pas une expérience de l’image d’architecture n’apprécient pas la représentation à sa juste valeur puisqu’ils n’en perçoivent pas sa qualité de reproduction du réel. Ils l’associent à une photographie et pensent qu’il s’agit d’une image de référence d’un projet similaire déjà construit. Si nous sommes contraints d’expliquer qu’il s’agit d’une «simulation», l’image ne remplit donc pas son objectif de narration autonome.
Dans d’autres cas, une image extraite directement d’un logiciel de modélisation 3D et présentant le projet de façon sommaire suscite un plus grand intérêt qu’une image travaillée. Au fond, c’est peut être ce qui séduit le «grand public» : visualiser le projet tel qu’il apparaît dans le logiciel de conception de l’architecte et non à travers une représentation aboutie qui cherche à imiter la photographie qui elle, ne provoque plus l’admiration tant elle est banalisée.
Somme toute, il apparaît difficile pour l’architecte de porter un regard objectif sur les images qu’il crée car son exigence par rapport à leur niveau de réalisme sera probablement plus élevée que celle de ceux à qui elles s’adressent. En fin de compte, ce qui importe, c’est que le public s’approprie l’image et se projette dans le récit.

concLusion

La représentation numérique par l’image a désormais une place prépondérante dans la communication du projet architectural. A travers une évolution rapide, elle s’est constituée une kyrielle d’identités visuelles que nous avons pu rattacher à divers styles graphiques. Mais nous avons remarqué que ces univers graphiques ont tendance à empiéter les uns sur les autres, si bien que les frontières entre styles, effets et mouvements sont parfois labiles.
En s’interrogeant sur ses attentes par rapport à la représentation de son projet, l’architecte doit définir ses priorités préalablement à toute démarche d’exécution de l’image. C’est ainsi qu’il déterminera le style graphique le plus en adéquation avec l’orientation principale du projet.

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Table des matières

Introduction
I. La représentation architecturale
A. Définition des termes et considérations sémantiques
B. Un support devenu incontournable à la narration du projet
II. La construction d’une représentation architecturale : un processus pensé en amont
A. Le parti pris dimensionnel : 2D ou 3D ?
B. La posture de l’architecte dans l’élaboration d’une représentation architecturale : phénoménologique ou interventionniste ?
C. Les différentes composantes d’une représentation architecturale
III. Les styles graphiques en représentation architecturale
A. Proposition de classification de styles graphiques.
B. Réaliste est-il synonyme de vérité ?
Conclusion
Annexes
Bibliographie

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