La construction du territoire et la délimitation des frontières du Dahomey (1851-1913)

« Les frontières sont des discontinuités territoriales, à fonction de marquage politique. En ce sens, il s’agit d’institutions établies par des décisions politiques, concertées ou imposées, et régies par des textes juridiques. Les lois d’un Etat souverain à l’intérieur, le droit international public comme loi commune de la coexistence des Etats, même lorsque ceux-ci se défont puisque les traités territoriaux sont les seuls pour lesquels la succession d’Etat est automatique. Lignes de partage des souverainetés, elles enveloppent – par une délimitation suivie d’une démarcation sur le terrain au moyen de bornes et autres outils physiques ou électroniques de séparation – des territoires régis par une souveraineté étatique et formant le cadre de l’attribution et de la transmission d’une nationalité, d’une citoyenneté comme lien juridique d’un Etat à sa population constitutive. Pas d’identité sans frontières ».

Au-delà des liens pouvant les unir pour la défense des intérêts géopolitiques ou géostratégiques d’une entité étatique, territoire et frontière, notions de spatialité par excellence, renvoient à une certaine matérialité de l’espace qui tranche avec le caractère abstrait d’un isomorphisme ou d’une isotropie. Nonobstant leur mort annoncée et programmée par les « squales » d’une mondialisation tous azimuts, force est de reconnaître  que territoire et frontière sont toujours au cœur des préoccupations de nos contemporains et constituent encore un enjeu latent ou déclaré de tant de conflits dans le monde. L’espace géographique dont nous avons fait le choix de retracer l’histoire de la construction et l’horogenèse des frontières s’appelait autrefois le Dahomey, aujourd’hui le Bénin, et plus loin dans le temps la côte des Esclaves . Sa situation géographique actuelle, reste imprégnée de son histoire coloniale qui l’a façonné à l’image de l’idée que les coloniaux européens se faisaient de l’Afrique à ce moment-là. Situé entre le fleuve Niger au Nord et la côte de l’océan Atlantique au sud et entre l’équateur et le tropique du Cancer, il a une forme étirée qui ressemble à une serrure. Comparé à ses voisins, sa superficie de 112 622 km2 fait de lui à la fois un petit et un grand territoire. Il est, en effet, huit fois plus petit que son voisin de l’est, le Nigéria, avec qui il partage une frontière de 809 kilomètres et deux fois plus grand que celui de l’ouest, le Togo, avec 651 kilomètres en commun. Au nord, la ligne de démarcation avec le Niger s’étend sur environ de 277 kilomètres, cependant qu’au nord-ouest avec le Burkina Faso, elle est de 386 kilomètres. Si sa longueur est de 700 kilomètres, sa largeur varie de 125 kilomètres le long de la côte à 325 kilomètres à la latitude TanguiétaSégbana. Deux bornes chronologiques, loin d’être anodines, ont paru s’imposer à l’étude de ce sujet : 1851 et 1913. L’année 1851 et le 1er juillet correspondent à la signature du premier traité de commerce et d’amitié entre le roi de Dahomé et la France pour réglementer le commerce à Ouidah.La signature de ce traité ne fut pas un acte anodin dans le continuum chronologique de l’histoire du Dahomey. En effet, elle constitue une étape importante dans les relations franco-dahoméennes dans la mesure où c’est elle qui a permis au gouvernement français de nouer des relations officielles avec le royaume du Dahomey et son roi Ghézo. En outre, ce fut le début de l’influence française à travers l’action des missionnaires et des négociants. Quant à l’année 1913, elle correspond à la fin des travaux d’abornement de la frontière entre le Togo allemand et le Dahomey français.Il s’y ajoute que l’abornement de la première tranche entre le Dahomey et le Nigéria, c’est-à-dire de la côte atlantique jusqu’à la rivière opkara (9°latitude Nord), date à peu près de la même période, vers la fin de l’année 1912.

L’histoire des peuples habitant cet espace délimité ne date pas des relations mercantiles avec les nations européennes. Tant s’en faut. Différentes populations se sont appropriées ce territoire avant l’arrivée des colonisateurs européens.

Dans les douze volumes qu’il a consacrés à l’histoire universelle, l’historien britannique Arnold Joseph Toynbee a exclu les sociétés qui ignoraient l’écriture . Si l’époque où on déniait à l’Afrique son historicité avant le XVe siècle, en raison d’une absence de sources et de documents écrits, est définitivement révolue , force est de reconnaître qu’il reste pour l’Afrique en général et le Bénin en particulier des efforts à faire quant à la vulgarisation de ce pan de son histoire . Qu’on ne s’y méprenne pas, cette responsabilité qui incombe aux intellectuels africains se doit d’être intégrée aux enjeux actuels de l’historiographie africaine. Les huit volumes de l’Unesco, dont plus de la moitié est consacrée à l’histoire générale de l’Afrique avant la colonisation, écrite essentiellement mais pas exclusivement par des historiens africains, sont traduits dans plusieurs langues y compris africaines, comme le swahili, et en constituent un exemple à suivre. Des initiatives éparses de ce genre existent çà et là sur le continent mais manquent d’impulsions politiques et financières pour prendre leur envol.

Territoire et frontière

On ne peut envisager l’étude de la construction d’un territoire et de la délimitation de ses frontières, fussent-elles coloniales, sans prendre au préalable le soin de définir des concepts dont nous ferons usage tout au long de cette étude. Ils sont comme les piliers qui soutiennent un édifice.

La notion de territoire 

Étymologiquement le mot territoire vient du latin territorium qui aurait un lien avec le droit de terrifier ; c’est-à-dire celui de contrôler, de protéger la terre par la menace . Cette notion a fait son apparition au XIIIe siècle dans le langage courant français. Au Moyen Âge, ce vocable servait à nommer une région, une contrée, etc. À l’époque moderne, son sens a évolué. Ainsi désigne-t-il désormais une ville ou sa banlieue. Selon le dictionnaire Pierre Georges et Fernand Verger, le mot territoire signifiait au Moyen Âge un espace délimité par des frontières étatiques dans une perspective politico-administrative. Nonobstant cette apparition dès le XIIIe siècle, il a fallu attendre les années 1980 pour voir son appropriation par diverses sciences sociales dont la géographie, qui le définit comme une étendue de terre appropriée par des groupes humains . Au début du XXe siècle, elle fut d’abord associée à l’étude des animaux ainsi que l’ornithologue anglais Howard l’avait défini dans son ouvrage Territory in Bird Life, dont la première édition date de 1920. Il a déterminé et montré le rôle du territoire dans la vie des oiseaux ; le rapport entre socialisation et territorialité. Il faut par ailleurs souligner que l’approche anglo-saxonne de cette notion, expliquée par Malmberg, considère que « le comportement territorial humain est un phénomène d’écologie éthologique ». Cela signifie que les hommes s’installent sur une portion de terre dans le but de protéger ce territoire contre la venue d’autres individus et d’y tirer des ressources qui leur permettent de satisfaire les besoins vitaux. Imposer son contrôle sur une aire géographique serait la motivation première des humains occupant un territoire. Claude Raffestin fut l’un des premiers géographes français, dès 1980, à utiliser cette notion dans son ouvrage, Pour une géographie du pouvoir .Cependant, pour Bernard Élissalde, c’est grâce à Jean-Paul Ferrier, et notamment aux articles issus de sa thèse d’État en 1981, que l’on doit le renouveau de l’emploi de ce mot . Quoi qu’il en soit, depuis, son usage par diverses disciplines, que les pratiques discursives ont rendu polysémique, se décline différemment : en géographie (physique, politique, humaine, etc.), en économie, en sciences politiques, biologie ou marketing, etc. C’est pourquoi les divers usages du mot« territoire » ont été recensés par plusieurs auteurs dont Lévy, Le Berre, Di Méo. La première chose sur laquelle ils s’accordent est que ce terme de territoire est intimement lié aux concepts d’« espace », de « lieu », au point  parfois d’en devenir dans certains écrits ou expressions orales des substituts. Et pourtant spatium dont est issu espace ne désigne pas autre chose qu’un morceau, un intervalle et ne peut logiquement qualifier un territoire .

Dans les différentes tentatives de sa définition, le territoire est assimilable à quelque chose de concret, de palpable, une terre par exemple, et non à un espace géométrique qui renvoie à quelque chose d’isotrope et d’isomorphe. Cependant, il faut préciser que cette définition purement géographique n’a rien de commun avec l’approche marketing de la notion qui voit le territoire comme, certes, un espace, mais un espace de valeurs et d’attentes où s’imposent une marque et ses produits dérivés auprès d’une clientèle avérée ou potentielle. Roger Brunet, dans une formulation tout aussi philosophique que géographique affirme que : « Le territoire est à l’espace ce que la conscience de classe, ou plus exactement la conscience de classe conscientisée est à la classe sociale potentielle : une forme objectivée et consciente de l’espace . »

En écologie comme en ethnologie, le territoire est considéré comme un milieu de vie, une zone d’habitat d’une espèce végétale, animale ou d’une population humaine où, selon les ethnologues, on étudie le comportement humain. La géographie humaine insiste sur l’aspect culturel et historique cependant que la géographie politique met l’accent sur l’idée de limite comme terme central de la territorialité. La psychologie a également investi la notion de territoire au point de devenir incontournable sur les aspects comme le phénomène du comportement humain. Comment les hommes installés sur un territoire se comportent dans le but de se l’approprier. L’ethnopsychiatrie s’intéresse par exemple à la notion de territoire. La sociologie américaine s’appuie sur l’éthologie pour fonder la notion de territoire et explique le rapport entre les humains et leur milieu. En témoignent les études de Clarence Carpenter et de Torsten Malmberg.

La notion de frontière

Selon Lucien Febvre, le vocable frontière, tel que nous l’entendons aujourd’hui, ne daterait que du XVIe siècle et n’aurait pris tout son sens qu’avec l’apparition de l’approche westphalienne de l’État, consécutive aux traités de Westphalie en 1648. Si l’idée de souveraineté en fut l’épine dorsale, il n’en demeure pas moins qu’un État souverain est tenu de pouvoir dire de façon nette où commence et où s’arrête sa souveraineté. Ainsi un État doit disposer d’un territoire bien délimité, car l’idée de créer des limites précises permet de clarifier les situations juridiques et de prévenir des conflits. Cette conception a influencé la plupart des Européens : Allemands, Français, Anglais, etc. Ainsi, dans leur vision des choses, il y a une supériorité du pouvoir territorial temporel sur le pouvoir spirituel. Théorisée en Europe, cette conception a été l’adjuvant de la colonisation européenne au XIXe siècle. Aussi a-t-elle conforté Allemands, Français et Anglais dans l’assertion selon laquelle seule une délimitation, une séparation, par des lignes bien marquées, faisant la différence entre les territoires, les colonies, méritait d’être mise en œuvre. Les frontières linéaires sont donc un héritage européen.

Monosémique au départ, des termes de plus en plus nombreux et complexes ont envahi l’espace du terme « frontière » au point d’établir une relation d’équivalence entre eux. Ainsi la frontière a pu tisser des liens de synonymie avec le mot « limite » . Il en était de même d’autres vocables : « confins », « lisière », « terme », « bornes », « extrémité », etc. Le dictionnaire de l’abbé Girard en a défini quelques-uns en établissant la relation de synonymie entre eux. Et pourtant, ce mot d’origine militaire rappelant l’idée de front, d’affrontement, de là où l’ennemi devait surgir, n’avait pas, selon Daniel Nordman, connu un chevauchement, une interférence avec le terme « limite » par exemple avant le XXe siècle. Mais le mot frontière fut très tôt approprié au XVIIe siècle par la douane, les juristes, les diplomates, les géographes, etc. avant de devenir une préoccupation des révolutionnaires de 1789 et des théoriciens de la géographie politique avec leurs conceptions de ce qu’est ou ne doit pas être une frontière.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : Des traités de commerce et d’amitié à l’appropriation territoriale du Bas-Dahomey (1851-1890)
CHAPITRE I : Rivalités d’influence et mise en œuvre de stratégies mercantiles : prélude aux manifestations d’un impérialisme de type européen ? (1851-1887)
CHAPITRE II : L’édification des premiers piliers du futur Dahomey (1863-1890)
CHAPITRE III : Reconfigurations territoriales et délimitation des frontières du BasDahomey (1885-1890)
DEUXIEME PARTIE : La naissance d’une entité politique : le Dahomey et Dépendances
CHAPITRE IV : La chute du Royaume d’Abomey : Une étape décisive dans la construction du territoire ?
CHAPITRE V : – L’appropriation territoriale du Haut-Dahomey (1894-1898)
CHAPITRE VI : Des mutations politico-administratives au démantèlement des souverainetés locales (1879-1913)
TROISIEME PARTIE : La délimitation des frontières septentrionales
CHAPITRE VII : Négocier les territoires et penser les limites de l’arrière-pays du Dahomey (1896-1898)
CHAPITRE VIII : Démarquer les frontières du 9e parallèle au fleuve Niger(1896- 1913)
CHAPITRE IX : La délimitation à l’épreuve des réalités du terrain (1885-1913)
CONCLUSION GENERALE
BIBLIGRAPHIE ET SOURCES
ANNEXES

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