Depuis longtemps, la communication qui, dans son sens large, renvoie à toute opération de transfert ou d’échange d’information entre un émetteur et un récepteur, occupe une place de choix dans toutes les sociétés. Selon les rhéteurs grecs du cinquième et sixième siècle avant Jésus Christ cette activité inhérente à tout individu nécessite des manœuvres stratégiques et rhétoriques pour pouvoir susciter non seulement des opérations réactives de son récepteur, mais aussi et surtout pour assurer l’efficacité de son discours. A l’époque, cet art du langage se faisait sentir dans plusieurs domaines tels que la politique et la justice. A ce moment, la rhétorique était consacrée à la seule communication orale. Mais il s’avère de nos jours que les sciences du langage en général et l’analyse du discours en particulier ont relancé un intérêt pour la rhétorique qui, désormais, s’appesantit sur une entité linguistique afin de décoder le pouvoir de la parole, sa visée.
Du fait que la linguistique classique ne prenait pas compte de la fonction pragmatique du langage, les analystes du discours se contentaient de faire, dans les textes, des analyses phrastiques ou une simple description des langues, car leur préoccupation se focalisait seulement à l’étude des éléments de la langue non reliés ou des phrases isolées. En s’intéressant aux faits linguistiques non pragmatiques, Mbow (2004 : 25) soutient : « La linguistique traditionnelle se limite à une simple description des langues. Elle étudie non pas des réseaux de conception mis en relation pour donner un sens précis, mais des lexèmes isolés ou des phrases isolées ayant un contenu et une expression ». Cela explique que le système d’analyse proposé par les anciens ne concernait pas le discours de façon générale, mais plutôt des parties distinguées du texte. C’est ce qui fait qu’il n’était pas question, à cette période, de considérer le genre romanesque comme une activité discursive ou appréhender sa parole comme un acte d’énonciation. A cet effet, avec l’avènement de nouvelles approches linguistiques, on est arrivé à des études plus avancées : dans l’analyse du discours, les acteurs commencent à tenir-compte de l’énoncé et des circonstances dans lesquelles il a été produit. Cela semble s’aligner aux propos suivant : « l’orateur tente d’infléchir des choix et de déclencher une action tout au moins, de créer une disposition à l’action susceptible de se manifester au moment opportun. Il ne peut le faire qu’en tenant-compte des croyances, des valeurs, des opinions de ceux qui l’écoutent. », Amossy (2000 : 7). Cette assertion, si nous la plaçons dans son contexte selon lequel les analystes veulent élargir le domaine de la linguistique alors, nous comprenons que l’abondance de ces théories dans le domaine de la linguistique en général et de l’analyse du discours en particulier a favorisé un regard approfondi sur les énoncés. Ainsi, il convient de comprendre que l’émergence des recherches dans un domaine, élargit souvent les points de vue. C’est en fait, le cas des réflexions effectuées sur l’énonciation, récemment connues. Ces dernières ont, sans doute, apporté un nouveau regard sur l’analyse des textes, car elles prennent en considération l’histoire et les circonstances dans lesquelles l’énoncé a été produit. En d’autres termes, le texte et le contexte sont mis en relation grâce aux nouvelles approches linguistiques. Le sens du discours est ainsi à rechercher dans la relation que le texte entretient avec le contexte. Dans la même perspective Micheli (2012) dit : « Au-delà des traditions rhétoriques particulières qu’ils sont susceptibles de mobiliser et des données qu’ils prennent pour objet, ils rejoignent sur deux orientations majeures (quand bien même celles-ci ne sont pas formulées de manières explicite par les chercheurs ». Cela fait savoir que les travaux scientifiques sur la langue se développent davantage envers des domaines plus étendus.
Les théories de l’énonciation
Comme le souligne Emile Benveniste, l’énonciation implique que le locuteur mobilise la langue pour son compte. Cela revient à considérer l’énonciation comme un processus individuel d’actualisation de la langue dans une situation de communication précise. Plusieurs linguistes comme BENVENISTE et JAKOBSON se sont intéressés à l’étude des faits de langue qui renvoient à la situation d’énonciation. Ainsi, l’approche énonciative porte son attention aux termes de la langue qui renvoient non pas à des référents extralinguistiques, mais à l’acte d’énonciation lui-même. Cela signifie que cette approche de la linguistique cherche les traces d’inscription dans le système de la langue. Pour ce faire, elle fixe son regard non seulement aux éléments indiciels, mais aussi et surtout aux éléments de modalisation. Par éléments indiciels, il convient de comprendre tous les outils de la langue dont l’interprétation ne peut, en aucun cas, sortir du cadre énonciatif. A cet égard, Catherine FUCHS et Pierre GOFFIC disaient ; « Depuis l’antiquité la tradition grammaticale a connu la spécificité de certains termes (connus sous l’appellation de ″deixis″) qui ne prennent de valeur déterminée qu’à travers l’actualisation momentané que leur confère la production de l’énoncé où ils apparaissent. », (ibidem : 133). Ainsi, la réflexion de ces auteurs suppose que la production des énoncés se faisait toujours à travers des éléments linguistiques qui traduisent l’actualisation de la langue par les partenaires qui sont reliés par un contrat. Cependant, de nos jours, nous avons noté qu’il existe, selon les chercheurs, des phénomènes d’amélioration qui prétendent changer le comportement de l’autrui par une production efficace de la parole. Parmi les éléments indiciels, nous pouvons citer à titre d’exemple : les indices personnels (je, tu, nous, vous), les indices temporels (aujourd’hui, maintenant,…) et les indices spatiaux (ici, devant, derrière…). Il semble ainsi important de remarquer, avec une nette précision, que ces éléments de la linguistique énonciative qui ont mis en valeur dans le discours argumentatif à visée persuasive, permettent au locuteur de s’approprier la langue afin de la convertir à travers cet ensemble de signe qui rend possible l’appareil formel de l’énonciation.
De surcroît, l’ensemble des travaux du courant énonciatif qui, au lieu de replier sur l’arbitraire des outils et ses règles, fournit également à l’énonciateur d’autres moyens qui lui permettent de se situer par rapport à son énoncé. Cette prise de position de l’énonciateur face à son discours est rendue possible grâce aux éléments de la modalisation. Il faut cependant, comprendre que la modalisation doit être considérée comme un concept auquel correspondent des moyens d’expressions de la langue qui différent d’une catégorie à une autre. En effet, ces modalités énonciatives peuvent être réparties en trois parties que sont :
D’abord, la modalité élocutive qui révèle la position et la subjectivité du locuteur vis àvis à ce qu’il dit.
Ensuite, la modalité allocutive qui implique l’allocutaire dans son acte d’énonciation et lui impose le contenu de son énoncé. Après un acte d’énonciation, le discours est censé de s’interrompre pour donner à l’allocutaire la possibilité de réagir.
Enfin, il y a la modalité délocutive qui ne prend pas en charge, ni le locuteur ni l’allocutaire.
Dès lors, il y a lieu de savoir que le travail majeur effectué dans le cadre de l’énonciation a établi un rapport de complémentarité avec l’ancienne méthode de l’analyse du discours. Reprenons sur ce point, l’affirmation de MAINGUENEAU (2000, p.01) dans son avantpropos : « Les instruments dont on dispose pour analyser ces textes peuvent paraître modestes si on les compare à ceux de la stylistique littéraire, mais on aurait tort de penser que pour analyser ces textes on n’a pas besoin d’outils élaborés ». Delà, nous comprenons qu’utiliser les nouvelle méthodes de l’analyse du discours ne signifie pas ignorer celles qui sont anciennes. Il faut souvent les alterner en cas de besoin. D’ailleurs c’est qui peut constituer la richesse d’une bonne analyse linguistique.
Partant de cette logique, nous avons vu peu à peu, à travers les éléments indiciels et ceux de la modalisation, que le courant énonciatif tend à se construire en une véritable théorie de la production des énoncés en situation.
Les théories de la pragmatique
Par souci de mieux comprendre le terme « pragmatique », nous allons nous jeter un peu dans l’histoire de son évolution sémantique. Pour ce faire, GOUVARD (2005) nous explique que le terme « pragmatique » a pour racine le nom grec pragma qui a pour sens « action ». De ce mot, a été dérivé l’adjectif pragmatikos qui a pour sens : tout ce qui est « relatif à l’action ». Dans la langue française, le mot pragmatique a été d’abord utilisé dans le domaine juridique. Au moyen âge, on l’utilisait dans les expressions telle que « pragmatique sanction » qui renvoie à un édit visant à’ régler une affaire importante.
Pendant le XVIIème siècle, par une évolution sémantique, le terme pragmatique signifie, dans le domaine scientifique, toute recherche ou découverte susceptible d’avoir une application pratique. Très récemment, ce terme est passé dans le langage courant et s’emploie dans les expressions comme « c’est un esprit pragmatique » ou « c’est un pragmatique » pour désigner quelqu’un qui est porté à trouver des solutions réalistes. Le mot a été également employé dans un champ philosophique où on le qualifiait comme toute démarche qui pose la représentation ou « l’idée » que nous avons un phénomène, (BRACOPS 1998, p.04). Pour donner une définition de la pragmatique, nous poserons la question : Qu’est-ce que la pragmatique ? Martine BRACOPS donnerait une définition selon laquelle : « La pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usagers des signes ». La lecture de cette définition nous fait savoir que la pragmatique étudie les procédures et les termes qui, dans le discours de chaque individu, traduisent directement la relation qu’il a de lui-même et du monde. Elle est issue principalement des travaux de John LANGSHAW AUSTIN et de John ROGER SEARLE en philosophie du langage. Elle constitue, en fait, le domaine le plus récent de la recherche linguistique. Le terme regroupe l’ensemble des théories et des approches qui ont comme point commun l’étude du système linguistique. Autrement dit alors, si la linguistique envisage l’étude du système en lui-même, la pragmatique se propose d’étudier, dans l’énonciation, tout ce qui implique la situation d’énonciation. Cela se reflète dans les propos de Jean Michel GOUVARD (1998, p. 04) : « L’étude de la pragmatique (…) porte donc sur les relations qu’entretiennent, dans le discours, certains signes linguistiques avec le monde réel ». Dans la même perspective, Catherine FUSCHS et Pierre Le GOFFIC (1992 p.135) soutiennent : « De façon générale, on peut donc dire que la pragmatique linguistique est concernée par l’étude des relations entre les expressions de la langue (signes ou énonces) et leur mise en fonctionnement effective des sujets dans des situations de communication ». Une réflexion particulière sur ces deux citations précédentes permet de réaliser que la théorie de la pragmatique est venue pour élargir considérablement le domaine de la linguistique en général et de l’analyse du discours en particulier. Elle œuvre sur toutes les relations qui entretiennent entre le discours et les modalités de production. De ce fait, l’application des théories de la pragmatique dans l’usage de la parole conduit sans doute à une bonne production d’un discours. Suite à l’approche des philosophes du langage anglo-saxons, la pragmatique qui a pris de l’importance sans pour autant être définie avec précision, va évaluer en suivant deux courants distincts qui sont : la pragmatique cognitive et la pragmatique intégrée. Le premier s’intéresse à l’étude de la compétence de l’individu sur le plan de la mentalité. « La pragmatique cognitive s’efforce de rendre compte des rapports entre le langage et ses usagers en faisant des concepts d’un système bien plus vaste d’un traitement d’information. » est la position de Martine BRACOPS (2005, p.28). Le deuxième courant, quant à lui, son étude s’inscrit dans les faits du cadre énonciatif qui, dans le discours, englobe toutes les circonstances de la communication. Selon les axes de recherche de Martine BRACOPS, la pragmatique intégrée s’oriente vers « la description de la situation de communication et des conditions de réussite de la communication, l’étude des mots situationnels comme je, tu, maintenant, ici, … (déictiques de personne, de temps et de lieu) qui s’interprètent relativement à la situation de communication. » (ibidem p.28).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1
1 PROBLEMATIQUE
1.1 Contexte et justification
1.2 Position du problème
1.3 Question de la recherche
1.4 Objectifs
1.5 Hypothèses
2 REVUE DE LITTERATURE
PARTIE 2
3 Les théories de l’énonciation
4 Les théories de la pragmatique
5 L’analyse conversationnelle
6 L’argumentation
PARTIE 3
7 Présentation générale
7.1 L’auteure
7.2 L’œuvre
7.3 Les thèmes
7.4 L’organisation séquentielle du roman
7.4.1 Etat initial
7.4.2 Elément perturbateur
7.4.3 Action ou péripétie
7.4.4 Elément de sanction
7.4.5 Etat final
8 Les arguments émotionnels
8.1 L’argument d’alternatives
8.2 L’argument par définition
8.3 L’argument ad hominem
8.4 L’argument persuasif
9 Les éléments linguistiques mis en place pour provoquer des émotions
9.1 Les connecteurs
9.2 Qu’est-ce qu’un connecteur
9.2.1 Les connecteurs énumératifs
9.2.2 Les connecteurs logiques
9.2.1.1 Les connecteurs argumentatifs (explicatifs et justificatifs)
9.2.1.2 Les connecteurs contre argumentatifs (opposition ou concession)
9.2.1.3 Les connecteurs conclusifs ou consécutifs
9.3 La ponctuation
9.3.1. Le point d’interrogation
9.3.2 Le point d’exclamation
9.4 Les éléments anaphoriques
9.4.1. La reprise par des pronoms
9.4.2. La reprise par des déterminants
9.4.3. Les représentations totale et partielle
10 . Les éléments non linguistiques présents à la provocation des émotions
10.1 Les gestes
10.2 Le comportement
11 L’étude typologique des émotions
11.1 Les bonnes émotions
11.2 Les mauvaises émotions
12 La régulation des émotions
12.1 Les stratégies d’augmenter ou diminuer l’intensité d’une émotion
12.2 Les stratégies de modification des émotions
Conclusion