La construction de l’identité du « sujet migrant » par le refuge

Un projet franciscain d’aide aux migrants : le migrant comme un sujet à protéger

Les franciscains sont actifs au sud-est du Mexique, notamment dans l’état de Tabasco et du Chiapas, depuis 1951. À partir des années quatre-vingt, les franciscains ont commencé à réfléchir à un nouveau projet d’aide aux groupes vulnérables. Ce projet a débuté en 1995 au moment où la Province Franciscaine « San Felipe de Jesús » fut créée. De nos jours, « La 72 » n’est plus uniquement un projet de frères franciscains, car on observe une variété d’acteurs plus diversifiée : ONG internationales et nationales, personnel non ecclésiastique, etc. Cependant la base religieuse est encore très présente au refuge. Dans ce chapitre, je m’interroge sur l’image que les franciscains ont des migrants centraméricains depuis le début de leur projet et je défends l’idée que cette image est celle d’un sujet à protéger. Cette vision des franciscains est un élément clé pour comprendre le travail réalisé par le refuge. Qui sont les franciscains ? Et pourquoi l’origine religieuse du refuge est-elle importante ?
François d’Assise a donné le nom de « Frère mineur » aux franciscains à la fin du Moyen Âge, à l’époque où « la plus grande partie de la population est composée d’humbles artisans, de journaliers, de mendiants […] Frères mineurs signifient les frères humbles, pauvres et simples ». Dans leurs quêtes pour le bien commun, les franciscains agissent d’une double manière : par le « bas » à travers la pauvreté volontaire et par le « haut » en tant que « religieux engagés dans la voie de la vie parfaite », c’est-à-dire la vie religieuse. Les Frères mineurs « ont prétendu vivre ensemble sans posséder rien en propre ni en commun, dans un état de minorité qui les plaçaient immédiatement au niveau des mendiants et des plus pauvres » . L’aide aux plus démunis est, par conséquent, au centre de leurs attentions. Le but des Frères franciscains n’est pas de s’exclure avec les exclus […], mais bien plutôt d’élargir la perspective économique et la politique générale au point de pouvoir y faire entrer tous ceux qui sont réputés marginaux ».

Un refuge qui lutte pour les droits de l’Homme : le migrant comme un sujet de droit

Le refuge « La 72 » a changé son modèle d’aide aux migrants au fil des années. La casa del migrante a ainsi développé en plus de ses activités humanitaires des actions de défense et de promotion des droits de l’Homme : l’aide aux démarches de demande d’asile, aux démarches de régularisation pour visa humanitaire ou pour rattachement familial. La casa œuvre également pour des changements structurels à travers le travail avec d’autres organisations au niveau régional, national et international afin de promouvoir une migration libre de violence. En avril 2017 le projet « Laudato Si’ : Techo, Trabajo, Tierra » est né. Il s’agit d’une ferme agroécologique qui offre un emploi [non rémunéré] aux migrants résidants au refuge pendant l’attente de leur demande d’asile et qui a pour objectif de nourrir les habitants de la casa. Je soutiens dans cette partie que dans le refuge étudié, le « sujet migrant » n’est pas seulement défini comme un sujet ayant besoin de protection, mais comme un sujet de droit. Voyons les explications sur la ligne de projet du refuge, faites par le directeur, Ramón Márquez : « La 72 est un projet franciscain d’aide aux personnes migrantes et aux personnes réfugiées qui entrent par la frontière sud du Mexique, plus concrètement par l’état de Tabasco […] La 72 est née le 25 avril 2011 afin d’offrir une réponse aux flux qui augmentaient sur cette route. Dans les sept dernières années de travail, on a assisté, reçu et accompagné presque 75 mille personnes […] La casa a une forte ligne de défense, d’exigence et de promotion de droits de l’Homme. Nous voulons en faire une lutte sociale, la lutte sociale d’en bas, où les personnes migrantes et les réfugiés ont un rôle actif dans l’exigibilité de leurs droits. Nous sommes là pour créer des liens de solidarité, donner de la dignité et de l’espoir ».

L’entretien individuel : l’identification du « sujet migrant »

L’entretien individuel a un double objectif pour l’institution. D’un côté, le bénévole doit identifier les besoins du migrant qui vient d’arriver et de l’autre il doit identifier les migrants qui représentent une possible menace.
Pendant l’entretien individuel, le bénévole doit identifier les besoins médicaux, alimentaires et vestimentaires et voir si la personne fait partie d’un groupe reconnu comme vulnérable (LGBTI, des mineurs non accompagnés, personnes du troisième âge, femmes et enfants). Le bénévole doit également voir si le migrant a été victime d’un assaut, d’un kidnapping ou d’une agression sexuelle et aussi déterminer si le migrant est qualifié pour réaliser une demande d’asile, de visa humanitaire, plus simplement pour régulariser sa situation. Ce premier visage de l’entretien d’accueil je l’appelle « créer le sujet migrant ».
L’entretien se compose d’une série de questions sur le pays d’origine, le lieu de naissance, les raisons de migrer, la destination finale et les problèmes qu’ils ont affrontés sur la route. Les bénévoles doivent faire le lien entre le migrant qui arrive au refuge et la catégorie identitaire du « sujet migrant ». Ces liens se font grâce à un questionnaire élaboré par le refuge. En plus de suivre le questionnaire, les bénévoles doivent être attentifs aux non-dits pour être capables de diriger les migrants vers les systèmes d’appuis existants. Cette méthodologie de travail nous permet d’observer comment l’institution met en place des protocoles guidant les actions de bénévoles, notamment les guides d’identification des besoins et des droits et comment se fait la canalisation des migrants vers les responsables de santé ou des démarches administratives.

La gestion collective des migrants

Le cadre de vie du refuge est modelé par la catégorie identitaire du « sujet-migrant ». Comme nous l’avons vu, ce sujet est une figure du protégé et du vulnérable. Le refuge répond à cette image à travers la prise en charge totale de ces personnes jugées inoffensives et incapables de subvenir à leurs besoins. Au moment de l’admission au refuge, les bénévoles expliquent aux migrants le fonctionnement de la casa, ils présentent les services offerts tels que l’alimentation, les services de communication et les services de santé.
La cuisine est ouverte toute la journée, deux équipes de cuisiniers préparent trois repas par jour qui sont servis à huit heures, quatorze heures, et dix-huit heures. Une heure avant chaque repas, les migrants doivent contribuer aux activités de ménage des espaces communs et le samedi matin à sept heures, c’est le « ménage général » auquel tous les résidents migrants et les bénévoles doivent participer. Les migrants ont à leur disposition un centre de communication où se trouvent deux ordinateurs qu’ils peuvent utiliser pendant quinze minutes par jour. Dans ce centre, les migrants peuvent utiliser les réseaux sociaux pour communiquer avec leurs familles, ils peuvent recevoir des appels sur le téléphone, mais il n’est pas possible de passer des appels. Si les personnes ont besoin d’appeler un membre de leur famille ou un ami, ils ont la possibilité de faire un appel de trois minutes par mois via l’installation mobile de la Croix-Rouge. Le bâtiment de Médecins Sans Frontières est disponible aux migrants ayant besoin d’une consultation médicale. Si le médecin et la Croix-Rouge ne sont pas présents, il existe une infirmerie gérée par les bénévoles où les migrants peuvent se faire traiter les ampoules aux pieds, les douleurs à la tête et au ventre, ainsi que recevoir des kits d’hygiène.

Les stratégies des bénévoles et responsables face aux négociations des migrants

Face aux migrants, les bénévoles et les responsables doivent trouver des moyens pour se faire respecter et faire respecter les règles du refuge. Pour réaffirmer leur autorité, les bénévoles s’éloignent parfois du discours officiel qui lie les migrants aux sujets vulnérables pour réaffirmer leur autorité. Les bénévoles cherchent à se faire respecter tout en conservant leur image de bénévole au service des migrants. Ils cherchent à conserver leur rôle de dominant à travers la démonstration d’un degré d’autorité, sans pour autant sortir de leur rôle missionnaire. Ces démonstrations d’autorité peuvent s’avérer difficiles étant donné que les bénévoles sont parfois pris dans des liens d’amitié et dans les stratégies de séduction des migrants.
Face aux femmes migrantes, les bénévoles mettent en avant leur manque d’attention envers leurs enfants. Elles redonnent aux femmes migrantes leurs responsabilités en se distançant du rôle de la bénévole qui prend soin de l’enfant migrant. Face aux adolescents, l’équipe de bénévoles relativise leur vulnérabilité sans pour autant oublier qu’il s’agit de mineurs dans une situation structurelle compliquée. La stratégie consiste à ne plus penser uniquement l’adolescent comme appartement à la catégorie « mineur non accompagné », mais à voir un adolescent avec une maturité émotionnelle suffisante pour comprendre que mentir n’est pas acceptable. Il faut donc encore une fois responsabiliser le mineur. Un autre apprentissage nécessaire pour les bénévoles est de savoir dire « non ». Au fur et à mesure que le séjour du bénévole dure, le bénévole apprend à s’éloigner de l’image du missionnaire et commence à refuser plus facilement les demandes des migrants : « non, je ne peux pas ouvrir l’infirmerie après les horaires, si ce n’est pas une urgence, vous avez eu toute la journée pour demander un doliprane ». Finalement, j’ai trouvé que la stratégie la plus efficace des bénévoles pour faire face aux négociations constantes des migrants est de se plaindre des migrants dans la salle des bénévoles.
C’est le fait de partager avec les autres bénévoles, de sortir du texte public et de se sentir protégé dans leur propre texte caché qui permet aux bénévoles de gérer les tensions permanentes. Être capable de se plaindre des migrants, discuter des attitudes qu’ils ont trouvé inacceptables et parler des cas qu’ils ont trouvés trop dramatisés sont quelques exemples.

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Table des matières

Introduction 
Partie I. La construction de l’identité du « sujet migrant » par le refuge
Chapitre 1. Le « sujet migrant »: du sujet à protéger au sujet de droit
I. Un projet franciscain d’aide aux migrants : le migrant comme un sujet à protéger
II. Un refuge qui lutte pour les droits de l’Homme : le migrant comme un sujet de droit
III. Le « sujet-migrant » défini par « La 72 »
Chapitre 2. La cérémonie d’entrée au refuge et la définition du « sujet migrant »
I. L’explication de trois règles
II. L’entretien individuel : l’identification du « sujet migrant »
Chapitre 3. Le refuge migrant : un espace créé pour le « sujet migrant » 
I. La gestion collective des migrants
II. Les tensions et rapports de pouvoir entre les bénévoles, les gardiens et les migrants
Partie II. Les stratégies des migrants pour faire face à l’identité collective
Chapitre 1. Les migrants et les stratégies négociation face à la gestion collective 
I. Les stratégies des migrants pour négocier le traitement collectif
II. Les stratégies des bénévoles et responsables face aux négociations des migrants
III. Les stratégies des migrants pour obtenir une attention individuelle
Chapitre 2. Les stratégies de réaproppiation spatio-temporelle des migrants
I. Meubler le vide par les activités du quotidien : sport, loisir et culture
Chapitre 3. Les stratégies des migrants face à la stigmatisation et la précarité
I. Faire face à la stigmatisation : l’entrée des « indésirables »
II. Faire face à la précarité
Partie III. L’appropriation de l’identité du « sujet migrant » : un moyen pour se reconstruire en tant que sujets autonomes 
Chapitre 1. Les stratégies employées pour se créer une identité valorisante au refuge
I. Le statut de groupe vulnérable, moyen de se réconcilier avec son identité
II. Les événements culturels au refuge migrant : des espaces de valorisation des identités
III. Montrer ses capacités de mobilité
IV. La recherche d’une identité masculine
Chapitre 2. La demande d’asile : un moyen pour reconstruire son projet de vie
I. La demande d’asile, une démarche compliquée
II. La demande d’asile, une stratégie pour les migrants ?
Chapitre 3. Du « sujet migrant » au sujet autonome : la reconstruction biographique à travers du discours
I. Une histoire de rédemption : le récit de vie de Ricardo
II. Une histoire d’aventure : le récit de vie de Leonardo
III. Andrea et Viviana : du centre de rétention au refuge migrant
IV. L’histoire de Juan Carlos, un défenseur de la communauté garifuna
Conclusions

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