La construction de l’État colombien au prisme de l’éducation

C’est une révolution que d’installer le plaisir comme critère et comme règle, là où ont régné tour à tour la « mission » et le fonctionnariat politique de l’historien, puis la «vocation » mise au service de la « vérité sociale », enfin la loi technocratique des institutions de savoir. Michel de Certeau, Annales, E.S.C., n°6, nov.déc. 1972

Reste que les circulations culturelles ne sont pas des transferts de fonds, que les concepts se trafiquent davantage qu’ils s’échangent et qu’ils se piratent bien plus qu’ils se monnayent. De ces passeurs qui les convoient, pas toujours pour des raisons noblement désintéressées, et parfois à leur corps défendant, certains tentent aujourd’hui d’écrire une histoire corsaire. Une histoire où les civilisations ne s’entrechoquent davantage qu’elles ne se métissent, où l’on ne prétend pas placer des grandes idées à majuscule dans la tête des morts, mais où l’on se penche simplement vers des visages et des paysages, vers des moments, vers des rencontres. Une histoire qui espace un peu le temps. Boucheron, Patrick, L’entretemps, Verdier, 2012.

À l’heure où j’écris ces pages, la Colombie traverse un tournant de son histoire. Depuis quelques années le gouvernement du Président Santos discute à La Havane une sortie négociée du conflit avec les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) afin de mettre fin à une guerre civile dont les origines socio-politiques remontent aux années 1960, où, dans le contexte des luttes révolutionnaires de la Guerre froide, une série d’acteurs se sont engagés dans la lutte armée afin de prendre le pouvoir et d’instaurer un gouvernement communiste – maoïste, guevariste, marxiste, selon la déclinaison politique . Afin de légitimer ces accords négociés à huis clos par les coupoles de chaque partie, et étant donné l’opposition tenace de l’extrême droite, le président Santos décide de lancer une consultation populaire via un référendum. Dans le cadre de cette consultation, une campagne d’information et de propagande, à fort contenu idéologique, s’est jouée afin de convaincre la population de l’appui ou non aux accords décrétés à La Havane. L’extrême droite s’est chargée de nourrir la peur en véhiculant l’idée que la signature de cet accord conduirait à la mise en place d’un gouvernement « castro chaviste » . Entre autres, ce gouvernement se chargerait d’imposer « l’idéologie de genre » dans toutes les écoles du pays .

En effet, quelques mois auparavant le pays avait été secoué par un ensemble de manifestations de rues. Des milliers de personnes ont protesté contre le Ministère de l’éducation à cause de ce qu’ils dénonçaient comme une imposition de « l’idéologie de genre » dans les écoles du pays. En raison des nombreux cas de harcèlements et de violences contre des adolescents homosexuels au sein des établissements scolaires, le Ministère avait décidé de mettre en place une série de formations auprès des recteurs d’écoles et des secrétariats d’éducation publique, autour du genre et de la diversité sexuelle. Malgré la propagande idéologique et mensongère qui a entouré le débat, celui-ci a longuement tourné autour de la question de la liberté d’enseignement. La ministre de l’Éducation, chétive face à l’opposition dans ses allocutions publiques, s’est mise à l’abri de toute critique en arguant qu’il ne s’agissait que de simples recommandations et non pas d’injonctions normatives. La liberté d’enseignement apparaît en effet comme un maître mot dès lors qu’on étudie la question de l’État et de l’éducation en Colombie. Derrière cet argument, se barricadent certes l’extrême droite la plus récalcitrante, mais également les communautés paysannes, indigènes et afrocolombiennes, tout comme un ensemble divers d’acteurs qui entendent défendre leur droit à l’autonomie culturelle, sociale et politique, et qui voient dans ce principe le gage d’une autonomie face aux prétentions d’ingérence de l’État dans le domaine de l’éducation. Ce principe en effet nous renvoie à une tendance historique dans le pays. En Colombie, l’éducation s’est principalement développée par l’initiative privée et l’État garde un rôle assez réduit en tant que régulateur du système. L’idée semble faire consensus : El Estado docente n’existerait que de manière limitée dans le pays. Comment s’est cristallisée cette configuration au point d’en devenir son principe fondateur ? L’histoire républicaine est marquée par des tentatives de construction d’une configuration autre. Pendant les années 1930, les gouvernements en place ont cherché à attribuer un nouveau rôle à l’État dans le domaine de la culture et de l’éducation. Là encore, le principe de la liberté d’enseignement a été érigé en étendard par les opposants pour se protéger de la couleur politique du régime en place. Par la suite, les gouvernements conservateurs « régénérateurs », tout comme l’establishment réuni derrière le Front National (1957-1991), l’ont déclaré en principe inaliénable. Cette thèse se place dans la lignée de cette réflexion, elle cherche à comprendre comment se sont construites historiquement les configurations qui régissent les relations de pouvoir entre État et éducation dans le pays. Elle revient sur un moment que je considère fondateur dans cette histoire. Dans les mémoires collectives , la République libérale apparaît comme les débuts de la modernisation éducative dans le pays.

À la différence d’un grand nombre de ses voisins continentaux , la Colombie entre dans le XXe siècle sous l’égide d’un gouvernement conservateur. Les gouvernements de « l’Olympe radical » du XIXe siècle (1863-1886) ont entraîné un mouvement de réaction de la part des secteurs modérés du libéralisme et des conservateurs qui s’est conclu par la victoire d’une alliance bipartisane vers la fin du siècle et l’instauration d’un régime ultramontain et centraliste connu sous le nom de la Regeneración (1886-1900). « L’Hégémonie conservatrice » correspond à la période allant de 1900 à 1930, années aux cours desquelles se sont succédés au pouvoir des gouvernements « républicains », c’est-à-dire des gouvernements conservateurs qui ont établi une cohabitation partisane avec les secteurs modérés du libéralisme . La « République libérale » a été le terme donné par l’historiographie à l’étape inaugurée par le retour au pouvoir des libéraux en 1930 et allant jusqu’en 1946, moment où les conservateurs reprennent à nouveau le pouvoir. Elle est souvent présentée comme une alternance entre gouvernements radicaux et modérés. La Revolución en marcha (1934-8) constituerait son noyau. Le Front populaire qui s’est regroupé autour du premier gouvernement d’Alfonso López Pumarejo et son projet de transformation « révolutionnaire » constitue le moment le plus radical de la période, tant dans ses réalisations institutionnelles que dans ses bouleversements discursifs. Au contraire, les gouvernements d’Olaya Herrera (1930 1934), et d’Eduardo Santos (1938-42) sont plutôt envisagés comme des moments de faible intensité ou bien comme des transitions. Finalement le dernier gouvernement d’Alfonso López Pumarejo (1942-45) correspond à la débâcle du régime. Ce dernier, face à la radicalisation croissante de l’opposition, a quitté le pouvoir avant même la fin de son mandat.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
I. La République libérale : l’irruption de l’État social
II. La République libérale : polarisation politique et historiographie
III. Une histoire politique et sociale de l’éducation
IV. L’État dans son processus de construction quotidien
V. Dans le dédale des archives
VI. Fils et nœuds de l’écriture
CHAPITRE I. L’INSTITUTIONNALISATION PROGRESSIVE DE L’ÉTAT EDUCATEUR (1903-1934)
I. L’héritage de la réforme éducative conservatrice : une modernisation catholique ?
II. Le « gouvernement hermaphrodite » d’Olaya Herrera: rupture ou continuité?
Conclusion
CHAPITRE II. CENTRALISATION EDUCATIVE ET CONFIGURATIONS DE POUVOIR (1934-1938)
I. L’institutionnalisation de l’État social : une nouvelle acception de l’État éducateur
II. Hégémonie et professionnalisation: le rôle des médiateurs
III. Ériger des normes sans légiférer : les canaux informels de la réforme
Conclusion
CHAPITRE III. LE NATIONALISME CULTUREL DE LA REVOLUCIÓN EN MARCHA (1934-1938)
I. Enseigner la nation
II. … Et la découvrir
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

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