La construction de la différence dans le discours politique lors de l’initiative Schwarzenbach

La construction de la différence dans le discours politique lors de l’initiative
Schwarzenbach

Introduction et présentation de la problématique

Introduction Ce travail de mémoire est né d’un intérêt pour la thématique de la « construction de la différence », un sujet vaste, complexe, et particulièrement intéressant à étudier en lien avec les questions migratoires. Mon intérêt pour ce sujet a été éveillé alors que je parcourais le monde : j’ai été surprise de la manière dont, dans plusieurs pays que j’ai traversés, les citoyen-ne-s ou habitant-e-s construisaient la figure de l’« autre », en partant du postulat récurrent selon lequel les personnes provenant d’une autre région, ou possédant une autre nationalité/religion, étaient « naturellement différentes », ce qui provoquait des inquiétudes concernant la manière de « vivre ensemble ». De retour en Suisse, j’ai trouvé intéressant que cette même thématique jaillisse fréquemment dans les débats politiques concernant les questions migratoires, dans lesquels la figure de l’« étranger », l’ « autre », apparait de manière récurrente. Il faut dire que dans le contexte politique suisse, la thématique de l’« étranger » est un sujet qui est mobilisé de façon répétée, entre autres, lors de référendums et d’initiatives populaires. Ainsi, déjà entre 1965 et 1977, plusieurs initiatives anti-immigration ont mis cette thématique à l’ordre du jour durant plus d’une décennie (Piguet, 2006) ; plus récemment, d’autres initiatives, comme celle « pour le renvoi des étrangers criminels » (Chancellerie fédérale, n.d.f) ou « contre l’immigration de masse » (Chancellerie Fédérale, n.d.d), ont également porté ce thème sur le devant de la scène politique. Dans ce contexte, la mobilisation de la figure de l’« étranger », de l’« autre », est toujours en lien avec un processus de construction de la différence, qui renvoie en retour à un sentiment d’appartenance. En partant de ces constats, c’est alors la construction de la différence dans le discours politique en Suisse qui est au centre de l’intérêt de ce travail. Il me paraît particulièrement intéressant de me pencher sur le discours de politicien-ne-s, étant donné que ces personnes ont souvent un rôle important dans la mise à l’agenda politique d’initiatives ou de référendums concernant les thématiques migratoires. De plus, leurs discours créent souvent la base d’un débat plus large en société concernant la question des étranger-ère-s. La suite de ce travail se présentera de la manière suivante : tout d’abord, je vais présenter ma problématique, ainsi que mes questions de recherche. Puis je décrirai le contexte dans lequel s’inscrit mon sujet. Ensuite, je présenterai mon cadre théorique, qui contient les notions, les concepts, et les théories les plus importantes pour ce travail. Ces parties seront suivies d’une présentation de la méthodologie que j’ai suivie. Finalement, j’exposerai mon analyse, qui sera suivie d’une brève conclusion. 2 2. Présentation générale de la problématique Selon Wimmer (2002), la formation des Etats-Nations modernes résulte d’une réorganisation des principes de l’inclusion et de l’exclusion selon une logique nationale particulière. En effet, cet auteur dit qu’avec la formation des Etats-Nations modernes « the legal, political, military, and social mechanisms of inclusion, that used to be organised on the basis of various criteria of belonging, are now all adjusted to the principle of national membership » (Wimmer, 2002 : 62). Avec la formation de l’Etat-Nation moderne, le principe de membre de la communauté nationale est donc devenu un élément très important pour structurer l’inclusion et l’exclusion, définir une frontière entre un « nous » et un « eux », déterminer des droits, etc. Un effet de la logique de l’Etat-Nation a ensuite été que les migrant-e-s sont devenu-e-s l’objet d’une attention politique particulière. En effet, une fois que le modèle national a été institué, ils/elles sont apparu-e-s comme étant une anomalie dans ce dernier, car, en migrant, ils/elles allaient à l’encontre du fait qu’un peuple soit lié à un Etat-Nation et à un territoire particulier. Ce point est notamment soulevé par Dahinden (2016a) : « migration appears as an anomaly in the ‘national container’ » (Dahinden, 2016a : 2210). Cela a eu comme conséquence que les Etats, de même que des acteurs nonétatiques, ont tenté de gouverner la présence des migrant-e-s sur leur territoire. Des régimes de migration nationaux1 se sont développés. La question des migrant-e-s s’est invitée dans les débats politiques, et, en Suisse, des initiatives et référendums populaires concernant le thème de l’immigration sont apparus dans le paysage politique. A partir de ce qui précède, il peut donc être soulevé que la formation des Etats-Nations modernes implique un travail de frontière (boundary work), une différenciation entre « les membres de la communauté nationale imaginée » et les « autres », au terme de laquelle les migrant-e-s sont devenue-s des « paradigmatic others » (Anderson, 2013, cité par Fischer et Dahinden, 2016 : 5), et des objets de l’attention politique. J’utilise ici la notion de « communauté nationale imaginée », car je pars du principe que l’identification nationale se réfère à un groupe abstrait. En effet, aucun-e citoyen-ne ne connaîtra jamais tous les autres membres qui constituent la nation, si bien que cette dernière sera toujours imaginée : En proposant de considérer la nation comme une forme de communauté imaginée, Anderson entend mettre en évidence le fait que l’identification nationale participe de ces processus d’identifications collectives qui se réfèrent à des groupes abstraits car “même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens […] bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion” (Watson, 1997, Anderson, 1996, cité par Patez, 1998 : 3) Ainsi, en différenciant les membres de la communauté nationale des « autres », les individus se réfèrent à un groupe abstrait et imaginé. Il s’agit maintenant de se pencher sur le cas suisse. Maire et Garufo (2013) relèvent qu’en Suisse, l’identité nationale s’est fortement construite en opposition à l’étranger. Cela peut déjà être illustré par les mythes fondateurs de l’histoire nationale, qui montrent des héros de légende, tel Guillaume Tell, luttant farouchement contre des tyrans étrangers. Ainsi, selon ces auteur-e-s « le combat des pères fondateurs pour établir et maintenir les frontières du pays affirme la construction d’une identité en opposition à l’étranger » (Maire, Garufo, 2013 : 127). Ces auteur-e-s ajoutent que la frontière entre « nous » et « eux » est un élément important de l’imaginaire politique suisse, que l’opposition se fasse sur des bases territoriales, ou alors symboliques. Cette notion de frontière (territoriale ou symbolique) est utilisée explicitement dans la communication politique du pays. Cela concerne toutes les tendances politiques : « d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, la frontière est ainsi toujours convoquée pour penser le rapport de la Suisse et de ses habitants au monde extérieur » (Ibid. : 128). En plus de l’importance de la notion de frontière dans l’imaginaire politique suisse, ces auteur-e-s remarquent que la personne étrangère/ l’ « autre » est souvent représentée dans les débats politiques suisses sous forme de menace. Cette menace est, entre autres, liée à l’idée de surpopulation étrangère (Überfremdung). Historiquement, c’est depuis le 19ème siècle que le mythe de la Suisse comme étant un petit pays devant lutter contre le risque de surpopulation étrangère (Überfremdung), a été utilisé politiquement. En effet, depuis cette période, l’idée d’une menace de surpopulation étrangère a fait irruption dans le débat public et dans certaines initiatives populaires, comme cela est relevé par Dahinden, Duemmler et Moret (2014). Ainsi, l’initiative contre l’emprise étrangère (1970), aussi appelée initiative Schwarzenbach, qui vise à ce que la confédération « prenne des mesures contre l’emprise démographique ou économique en Suisse » (Chancellerie fédérale, n.d. b), de même que l’initiative contre l’immigration de masse (2014), s’inscrivent dans ce cadre de la lutte contre la « surpopulation étrangère ».

Contexte

Cette partie du travail est dédiée à la mise en contexte de mon sujet. Pour comprendre le cadre dans lequel s’inscrivent les deux initiatives sélectionnées pour ce travail, et la manière dont se construit la différence entre la communauté nationale imaginée et les « autres », il est important de revenir sur l’histoire de la politique d’immigration suisse depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. Cette mise en contexte permettra de situer plus concrètement ces initiatives concernant l’immigration au niveau historique. De plus, cela permettra aussi de bien comprendre le contexte institutionnel dans lequel se déroulent ces deux initiatives, et les discours politiques qui y sont associés. Analysant le contexte des cinquante dernières années d’immigration en Suisse, Piguet (2006) relève que les gouvernements successifs en Suisse voulant énoncer une politique d’immigration ont souvent été confrontés entre les questions du besoin économique, d’un côté, et la peur d’une xénophobie populaire, de l’autre. Ces deux éléments ont influé de façon centrale sur la manière dont les politiques d’immigration ont été formulées au fil des époques. En plus de ces éléments, il faut aussi relever que les relations internationales, les changements dans la balance des pouvoirs au niveau interne, ainsi que les particularités du système politique suisse influencent également la politique d’immigration suisse, et par là, les constructions des frontières entre « nous » et « eux ». La question des particularités du système suisse est notamment mise en avant par Fischer et Dahinden (2016), qui relèvent que : « local particularities of Switzerland – the idea of ‘over-foreignization’ and the system of direct democracy – play a significant role » (Fischer, Dahinden 2016 : 3). Dans les paragraphes qui suivent, je commence donc par décrire ces phases de la politique d’immigration suisse depuis 1945, en me me concentrant plutôt sur la migration liée au marché du travail, qui est au centre de l’intérêt lors des deux initiatives qui m’intéressent. Après cette mise en contexte générale, je me penche plus en détail sur l’histoire des partis politiques de droite radicale, dont certains sont responsables de la mise à l’agenda politique des deux initiatives dont il est question dans ce travail. Ce faisant, je décrirai également les points principaux des textes de ces deux initiatives, ce qui permettra d’avoir une idée précise de leur contenu. 4. Les phases de la politique d’immigration suisse depuis 1945 Selon Piguet (2006) l’histoire de la politique d’immigration suisse depuis 1945 peut être divisée en cinq phases. Je les décris ici, en m’attardant plus longuement sur les deux phases dans lesquelles s’inscrivent les initiatives qui m’intéressent, la deuxième et la dernière. La première phase de la politique d’immigration suisse après la deuxième guerre, selon Piguet (2006), dure de 1948 à 1963. Il la nomme la « period of open door policy » (Piguet, 2006 : 69) Il faut dire 8 qu’après la deuxième guerre mondiale, l’économie suisse manque de main-d’œuvre. L’idée est donc d’aller se fournir à l’étranger : en effet, contrairement à la majorité des pays d’Europe, en Suisse, l’appareil de production n’a pas souffert de la guerre et doit répondre à une demande importante. C’est ainsi qu’en 1948, un accord avec l’Italie dont le but est de recruter de la main-d’œuvre est signé par le gouvernement suisse.

 

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Table des matières

Introduction et présentation de la problématique
1. Introduction
2. Présentation générale de la problématique
3. Question de recherche et sous-questions
Contexte
4. Les phases de la politique d’immigration suisse depuis 1945
5. Populisme de droite et initiatives populaires concernant l’immigration
5.1 La première phase du populisme de droite et l’initiative Schwarzenbach
5.2 La seconde phase du populisme de droite
5.3 La troisième phase du populisme de droite et l’initiative contre l’immigration de masse
Cadre théorique
6. Frontières et différenciation entre les groupes sociaux
6.1 Différenciation entre les groupes sociaux : in- et out-group
6.2 Les notions de « groupes » et « catégories »
6.3 Boundary work et paradigme de l’ethnic boundary-making
6.3.1 Ontologie herdérienne
6.3.2 Le paradigme de l’ethnic boundary-making
6.4. Une remarque concernant les stratégies de boundary-making
7. Intersectionnalité
8. Définition des notions mobilisées dans ce travail
9. L’Etat-Nation sous une perspective du boundary work
9.1 Le compromis culturel et la clôture sociale
9.2 Le compromis culturel et la clôture sociale appliqués à l’Etat-Nation
Méthodologie
10. Présentation générale
11. Entretien d’expert-e
11.1 Position de l’entretien d’expert-e dans le design de recherche.
11.2 Echantillonnage
11.2.1 Définition des expert-e-s
11.2.2 Technique d’échantillonnage
11.2.3 Description de l’échantillon
11.3 Le guide d’entretien
11.3.1 La structure du guide d’entretien
11.4 La situation d’entretien
12. L’analyse des entretiens : de la transcription à la généralisation théorique
13. Critical discourse analysis et discourse-historical approach
13.1 Utilité et position de la discourse-historical approach dans le design de recherche 13.2 Les principales notions de la discourse-historical approach13.3 Présentation des sources utilisées 14. Les étapes de l’analyse
15. Ethique de la recherche
Analyse : la construction de la différence dans le discours politique lors de l’initiative
Schwarzenbach (1970) et de l’initiative contre l’immigration de masse (2014
16. L’initiative Schwarzenbach
16.1 Les Italien-ne-s comme outgroup principal opposé à la communauté nationale imaginée
16.1.1 Marquer la frontière avec la classe sociale, et une hiérarchisation plus générale entre un
« nous » de statut supérieur et un « eux » de statut subalterne renvoyant à un imaginaire postcolonial
16.1.2 L’âme suisse : marquer la frontière entre « nous » et « eux » avec un mythe lié à l’origine
nationale
16.1.3 Marquer la frontière avec la « culture » et le « style de vie »
16.1.4 Intersection de la classe et de la culture
16.1.5 Le marqueur religieux : une très petite importance
16.1.6 Le rôle de genre comme marqueur universel
16.1.7 Marquer la frontière en combinant la culture et les relations de genre
16.1.8 Qualité de la frontière envers les Italien-ne-s et stratégies de boundary-making
16.2 Focus sur les travailleuses immigrées
16.2.1 Marquer la frontière avec le rôle de genre
16.2.2 Intersection de la classe et du genre
17. Conclusion intermédiaire
18. L’initiative contre l’immigration de masse
18.1 Deux outgroups principaux et une « ennemie » opposés à la communauté nationale imaginée
18.2 L’outgroup des Extra-Européen-ne-s musulman-e-s
18.2.1 L’importance du marqueur de la religion pour construire la frontière envers les Extra-Européenne-s musulman-e-s
18.2.2 Le marqueur religieux : détailler les arguments utilisés pour marquer la frontière
18.2.3 Intersectionnalité de la religion et de la culture : la différence culturelle comme étant la
conséquence du cultuel
18.2.4 Marquer la frontière : la « culture »
18.2.5 Le rôle de genre comme marqueur : un « nous » égalitaire et un « eux » inégalitaire
18.2.6 Qualité de la frontière envers les Extra-Européen-ne-s musulman-e-s et stratégies de boundarymaking
18.3 L’« ennemie » de l’UE et la question de la souveraineté suisse
18.3.1 Marquer la frontière avec l’UE
18.3.2 Qualité de la frontière envers l’UE et stratégies de boundary-making
18.4 L’outgroup des Européen-ne-s
18.4.1 Marquer la frontière avec le « territoire
18.4.2 Focus sur les frontalier-ère-s et les faux et fausses indépendant-e-s
18.4.3 Marquer la frontière avec le mode de vie économique (economic way of life)
18.4.4 Qualité de la frontière envers les Européen-ne-s et stratégies de boundary-making
19. Conclusion intermédiaire
20. Comparaison des cas étudiés
20.1 Comparaison des outgroups et des arguments entre 1970 et 201420.2 Déplacement des marqueurs et boundary-shifting
20.3 Evolution des marqueurs
Conclusion
21. Synthèse des résultats
22. Limites et perspectives
Bibliographie
23. Références bibliographiques
24. Pages web et documents électroniques
Annexes
Annexe 1. Texte de l’initiative populaire fédérale ‘Contre l’emprise étrangère’ (initiative Schwarzenbach)
Annexe 2. Texte de l’initiative populaire fédérale ‘Contre l’immigration de masse
Annexe 3. Liste globale du matériel empirique disponible pour l’initiative Schwarzenbach et pour l’initiative
contre l’immigration de masse, utilisée pour sélectionner mes sources (cf. point 13.3
Annexe 4. Guide d’entretien

 

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