L’adolescence est une période développementale intense et déterminante qui sépare l’enfance de l’âge adulte et durant laquelle de nombreux changements s’opèrent aux plans social et personnel (Claes, 2003; Cloutier & Drapeau, 2008; Grégoire, 2005). En effet, l’identité et l’autonomie s’y développent et l’estime de soi s’y consolide (Cannard, 2010; Claes, 2003; Cloutier & Drapeau, 2008). L’adolescence est ainsi une période complexe de construction identitaire et de quête d’autonomie qui s’exprime souvent par de nombreuses conduites d’expérimentation pouvant comporter un risque pour la personne (Michel, 2001). La prise d’alcool et l’essai de différentes drogues sont des conduites à risque particulièrement actives chez les adolescents (Vitaro, Tremblay, Zoccolillo, Romano & Pagani, 1999). Une étude réalisée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) en 2010-2011 a révélé que 60% des élèves du secondaire ont consommé de l’alcool au moins une fois au cours des 12 derniers mois (Laprise, Gagnon, Leclerc & Cazal, 2012). Cette proportion atteint 26% quant à la consommation de drogues, sans égard à la nature de la substance. Ces résultats indiquent également que la proportion de consommateurs, tant pour l’alcool que la drogue, augmente à chaque année d’étude, de la 1ère à la 5ème année du secondaire.
Même si la majorité des jeunes ne développe pas d’abus ou de dépendance, la consommation de substances psychotropes peut devenir problématique pour certains adolescents (Brunelle, Cousineau & Brochu, 2005). Parmi les recherches sur les problèmes d’adaptation psychosociale à l’adolescence, plusieurs ont considéré le jeu complexe d’interactions qui relient l’adolescent à son environnement (Michel, 2001; Vitaro, Carbonneau, Gosselin, Tremblay & Zoccolillo, 2000). Selon les résultats de ces études, l’opérationnalisation de l’adaptation est influencée par des paramètres relationnels provenant du système familial et plus particulièrement des parents.
La période de l’adolescence
La période de l’adolescence, située socialement entre 12 et 18 ans, implique pour l’individu une « tâche développementale » intense due aux transformations physiologiques et sociales, déterminantes pour son intégration sociale (Cloutier & Drapeau, 2008; Grégoire, 2005). Elle se caractérise par un ensemble de phénomènes liés aux transformations physiques et physiologiques de la puberté, ainsi qu’au changement de statut social (Michel, 2001). Au cours de ce processus, l’individu doit apprendre à s’adapter à de nouvelles expériences et situations de vie qui se présentent à lui (Grégoire, 2005).
L’adolescence, comme période de transition, favorise l’émergence d’une instabilité affective, qui s’exprime souvent par un mode comportemental ainsi que de nombreuses conduites d’expérimentation, telles que les relations amoureuses, la sexualité et l’initiation à la consommation (Cloutier & Drapeau, 2008; Cloutier, Champoux, Jacques & Lancop, 1994; Michel, 2001). Avec les nombreux changements inhérents à l’adolescence, ces conduites peuvent comporter un risque et compromettre l’adaptation psychosociale de l’adolescent. Le développement d’un problème de consommation de substances psychotropes en est un qui revêt une importance particulière à l’adolescence.
La consommation de substances psychotropes à l’adolescence
Le phénomène de la consommation de substances psychotropes est un problème psychosocial dont les conséquences néfastes sont généralement reconnues par la communauté scientifique (Dierker, Selya, Piasecki, Rose & Mermelstein, 2013; Silins, Hutchinson, Swift, Salde, Toson & Rodgers, 2013; Stopponi, Soverchia, Ubaldi, Cippitelli, Serpelloni & Ciccocioppo, 2013). Plusieurs auteurs associent l’adolescence à une période propice au développement de comportements de consommation (p.ex. Chabrol, 2004; Cloutier & Drapeau, 2008; Nicholson, 2000). Les résultats d’une étude menée par l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ) en 2010-2011 révèlent qu’avant l’âge de 17 ans, 60% des adolescents des écoles québécoises ont consommé de l’alcool au moins une fois au cours des 12 derniers mois (Laprise & al., 2012). La proportion atteint 26% quant à la consommation de drogues. Depuis plusieurs années déjà, les résultats des études démontrent que la consommation et son expérimentation sont particulièrement liées à cette période cruciale du développement de l’individu, (Zoccolillo, Vitaro & Tremblay, 1999), d’où l’importance de mettre en lumière les facteurs reliés à ce phénomène.
Tout d’abord, l’âge est l’une des caractéristiques sociodémographiques d’intérêt associé à ce phénomène. En effet, les résultats de plusieurs études indiquent que plus l’adolescent avance en âge, plus son niveau de consommation de substances psychotropes augmente (Buelga & Musitu, 2006; Coley, Votruba-Drzal & Schinder, 2007; Gosselin et al., 2000; Laprise & al., 2012). De plus, il a été démontré qu’une consommation excessive à un âge précoce peut avoir des effets négatifs sur l’autorégulation des émotions et la prise de décision, tout en augmentant le risque d’être aux prises avec un problème de consommation à l’âge adulte (Dorard & al, 2014; Nasrallah, Yang & Bernstein, 2009; Norberg, Biernt & Grucza, 2009).
Le réseau social parental
Il est reconnu que le développement de l’enfant est influencé par les relations qu’il entretient avec ses parents (Claes, 2003). À travers les difficultés non négligeables de diverses natures auxquelles l’adolescent doit faire face, la famille demeure un lieu servant de cadre de référence sur lequel il peut se baser au cours de sa croissance et ce, malgré le détachement graduel attendu de l’adolescent envers sa cellule familiale. La famille constitue le premier et le principal milieu de vie du jeune et le soutien qu’il y reçoit contribue au lien qui l’unit à celle-ci de manière significative et durable (Brunelle & al., 2002; Mayseless, Wiseman & Hai, 1998) .
Le réseau social parental concerne l’importance relative accordée par l’adolescent à chacun de ses parents, considérée comme un marqueur de la qualité du lien (Claes, 1994; Dupras, 2012). Selon Claes (1994), les qualités de proximité et d’intimité aux parents sont associées à l’adaptation psychosociale des jeunes. Il est également démontré que la perception du jeune quant au soutien parental joue un rôle important sur l’adoption de certains comportements à l’adolescence (Jaccard, Dittus & Gordon, 2008). À cet effet, il semble que les adolescents sont en mesure de bien percevoir les relations entretenues avec leurs parents et le fonctionnement global au sein de la famille. Il a d’ailleurs été démontré que les propos rapportés par les adolescents sont plus fidèles des dynamiques présentes dans la famille comparativement à ceux de leurs parents (Claes, 2003; Hartos & Power, 2000). Le lien aux parents peut ainsi être spécifié en considérant l’importance que les jeunes accordent à la perception de leurs relations avec chacun de leurs parents (Brunelle & al., 2002; Claes, 2003).
La consommation de substances psychotropes est donc un comportement de l’adolescent susceptible d’être influencé par la relation qu’il entretient avec ses parents. Plus précisément, les relations familiales demeurent un facteur prédominant lorsque l’adolescent choisit d’expérimenter, de faire un usage régulier ou de s’abstenir de consommer des substances psychotropes (Plourde, Ménard, Perreault, Mercier & Lecours, 2002). Pour plusieurs auteurs, la famille est un facteur crucial de protection à la consommation (Buelga & Musitu, 2006; Coley, Votruba-Drzal & Schinder, 2007). Par exemple, une éducation parentale caractérisée par du soutien et de la stabilité favoriserait le développement d’une base solide chez les adolescents, ce qui contribuerait à les éloigner de la consommation (Coley & al., 2007). La présence de cohésion au sein de la famille est aussi associée à une probabilité plus faible de consommer (Williams & Deanne, 1999; Veselska & al., 2009). Selon l’étude de Coley et ses collègues (2007), les adolescents qui rapportent des activités familiales régulières (p.ex., partager les repas ensemble) auraient eux aussi un niveau de consommation moins élevé. Plus précisément, selon cette étude, une activité familiale additionnelle à toutes les semaines prédit une réduction du niveau de consommation de substances psychotropes de 1,9% au cours de l’année suivante. L’engagement dans des activités familiales régulières et routinières favorise la communication familiale et les relations proximales. Plus les adolescents partagent des repas en famille, moins il y a de problèmes de comportements (p.ex., violence physique, vol, fugue, etc.) et meilleure est la satisfaction à l’égard de la vie (Elgar, Craig & Trites, 2013). Aussi, une meilleure connaissance par les parents des relations entretenues par les jeunes avec leurs ami(e)s et leurs professeur(e)s serait liée à un niveau de consommation moins élevé en début et milieu d’adolescence (Coley & al., 2007).
Les relations avec les parents : l’effet de sexe
Selon Claes (2003), Cloutier et Drapeau (2008), les jeunes accordent généralement une influence plus grande à leur mère dans leur prise de décision et coopèrent davantage avec cette dernière qu’avec leur père. Ils sont aussi plus satisfaits de leur relation avec elle et, en ce qui concerne la consommation de substances psychotropes, la qualité de la relation entretenue avec la mère semble être un facteur de prédiction important (Lo & Cheng, 2010). Plus précisément, le soutien offert par la mère est associé à un niveau moins élevé de consommation chez les filles et les garçons (Branstetter, Low & Furman, 2011). La relation mère-adolescent exerce une influence négative sur la consommation lorsque la mère démontre un faible niveau d’engagement auprès de son adolescent de même qu’un style parental permissif comparativement à une mère ayant un style parental démocratique (Tinkew, Moore & Carrano, 2006). Selon les résultats de l’étude de Schinke et ses collègues (2007), la connaissance par la mère des habitudes de sa fille de même que l’habileté de cette dernière à se référer à sa mère sont liées à un niveau de consommation de substances psychotropes plus faible. Quant au rôle du père sur le phénomène de la consommation chez les jeunes, des recherches mettent l’emphase sur l’importance de mieux comprendre le rôle de ce dernier puisqu’il demeure l’une des personnes les plus significatives fréquemment citée par les adolescents (Cloutier & Drapeau, 2008; Coley & al., 2007).
Conclusion
L’objectif de cette recherche vise à mieux comprendre l’association de certaines variables vis-à-vis la consommation de substances psychotropes chez les adolescents. Ces variables, l’importance relative accordée aux parents et l’estime de soi sociale, ont été étudiées en fonction de l’âge et du sexe. Cette recherche s’est intéressée aux possibles interactions entre ces quatre facteurs. D’une part, la manière dont ces facteurs sont liés à la consommation chez les adolescents a été exposée. D’autre part, le portrait actuel du phénomène de la consommation de substances psychotropes chez les adolescents québécois a été dressé dans cette étude.
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
La période de l’adolescence
La consommation de substances psychotropes à l’adolescence
Le réseau social parental
Les relations avec les parents : l’effet de sexe
Les relations parents-adolescents et l’estime de soi
L’estime de soi sociale
Objectif et questions de recherche
Méthode
Les participants
Les instruments de mesure
Questionnaire sociodémographique
Grille de dépistage de consommation problématique d’alcool
et de drogues chez les adolescents et les adolescentes
(DEP-ADO)
Questionnaire de Perception de l’environnement des personnes
(PEP)
Inventaire d’estime de soi sociale (IESS)
Le déroulement
Les consignes
Analyses statistiques
Résultats
Section 1 : Analyses descriptives
Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon
de participants
Structure du réseau social parental
Résultats liés à la consommation de substances psychotropes
Résultats liés à l’importance accordée aux parents
Importance paternelle perçue
Importance maternelle perçue
Résultats liés à l’estime de soi sociale
Section 2 : Analyses de régression linéaire
Analyse des modèles de régression linéaire multiple concernant
l’importance relative accordée au père (modèle paternel),
chez les filles et les garçons
Analyse des modèles de régression linéaire multiple concernant
l’importance relative accordée à la mère (modèle maternel),
chez les filles et les garçons
Discussion
Rappel des objectifs de la recherche
Rappel des résultats de la première question de recherche et discussion
Consommation de substances psychotropes
Importance relative accordée aux parents
Estime de soi sociale
Rappel des résultats de la deuxième question de recherche et discussion
Importance relative accordée aux parents
Estime de soi sociale
Retombées possibles de la recherche
Forces et limites de la recherche
Perspectives et recherches futures
Conclusion
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