Survol des altérations possibles et de leurs causes
Les causes de la détérioration des peintures rupestres peuvent être naturelles ou anthropiques, on pourrait dire aussi naturelles ou culturelles. On peut également distinguer les causes directes et les causes indirectes, c’est-à-dire celles qui attaquent directement les motifs et celles qui mettent en péril l’équilibre du site.
Comme dans toute approche de conservation-restauration, il faut commencer par décrire la matière et les techniques qui ont permis de créer l’art rupestre, puis s’efforcer de comprendre les processus physiques et chimiques qui conduisent à la dégradation des œuvres. Il faut ensuite identifier les causes de ces dégradations et les conditions dans lesquelles elles se manifestent. Finalement, on peut réfléchir à des moyens de freiner ou d’arrêter l’action des facteurs de dégradation, on peut renforcer, protéger ou consolider les matériaux constitutifs et éventuellement restaurer ce qui a été endommagé.
Les facteurs qui jouent un rôle dans la détérioration des peintures rupestres peuvent agir de deux façons distinctes : Ils peuvent affecter la stabilité de la surface rocheuse, provoquant la perte de la roche et des motifs qui s’y trouvent, ou ils peuvent affecter la stabilité de la couche pigmentée sur la surface rocheuse, dans ce cas seuls les motifs sont menacés.
Sur les roches tendres comme les grès ou certains calcaires, la conservation des peintures ou gravures rupestres dépend avant tout de la conservation du support, de sa résistance à l’érosion. Pour les roches dures et stables ou à surface endurcie, la conservation des peintures dépend plutôt de la qualité du lien entre les pigments et le support. Elle dépend aussi de l’adhérence de la croûte de surface avec la roche qui se trouve en–dessous. La roche peut s’écailler, perdre sa surface par plusieurs phénomènes, parmi lesquels le gel, le feu et la cristallisation des sels. En effet la surface endurcie est souvent peu perméable, ce qui a pour conséquence que les sels qui se trouvent en solution dans la roche ne peuvent pas atteindre la surface pour cristalliser. Ils cristallisent sous cette surface, causant des soulèvements, des cloques, des fissures et des pertes irréversibles.
« Le premier pas à faire pour considérer la préservation de sites de peintures rupestres doit être une évaluation de la dynamique des processus physiques et chimiques à la surface de la roche. »
Comment envisager la conservation de l’art rupestre
Les sites d’art rupestre font partie intégrante de la nature, dont on ne peut les isoler. Ils sont donc pleinement soumis aux agressions du climat. Cela est un peu différent pour les sites renfermés dans des grottes. Là, un véritable équilibre climatique est en jeu, il peut être facilement bouleversé ou artificiellement contrôlé.
Les représentations rupestres qui sont parvenues jusqu’à nous sont celles qui ont pu se conserver grâce au fait qu’elles ont été réalisées dans des endroits favorables à la conservation. D’autres ont disparu, érodées par le vent, la pluie, recouvertes de concrétions, de mousses ou même enterrées, ou parce que la roche sur laquelle elles ont été faites était trop fragile. D’autres ont été effacées par des animaux ou se sont effondrées avec leur support etc. Ces représentations s’altèrent régulièrement, à un rythme lent tant que leur environnement ne subit pas de changement. Aujourd’hui et depuis plus d’un siècle, le danger majeur pour la conservation des sites d’art rupestre est l’homme. L’homme en tant que vandale du dimanche, défigurant volontairement les œuvres, l’homme en tant que visiteur sans mauvaises intentions, peut-être pas assez informé, modifiant le climat des grottes, soulevant de la poussière, touchant par curiosité des dessins, l’homme en tant que collectionneur et trafiquant d’art, prélevant sans remords des parties de roche ornée, l’homme en tant que bâtisseur, constructeur et industriel, causant des pluies acides et autres pollutions atmosphériques, détruisant des sites pour construire des routes, des lacs artificiels, des mines ou exploitant tout simplement le terrain. La lutte contre ce genre de dégâts va souvent au-delà du rayon d’action du conservateur-restaurateur. Il est possible d’effacer ou de masquer certains graffiti, il est possible de protéger des sites par des grillages ou d’en interdire l’accès, mais il y a aussi certaines décisions qui se prennent au niveau politique et financier.
D’un autre côté, les sites d’art rupestre ne sont à l’abri d’aucune catastrophe naturelle, du tremblement de terre à la tempête en passant par les incendies et les chutes de météorites. Il y a des choses contre lesquelles le conservateur-restaurateur ne peut absolument rien faire.
Chaque site est unique : la nature du support, le climat, l’environnement, la situation géographique, les techniques et les matériaux utilisés sont tant de variables qui font qu’il est nécessaire d’envisager le site dans son intégralité. Le sol archéologique et toutes les informations qu’il peut contenir font également partie d’un site.
Les chartes et codes d’éthique
La charte ICOMOS-New Zealand a été adoptée par le comité national néo-zélandais en 1993. ICOMOS New Zealand-Te Mana O Nga Pouwhenua O Te Ao a été fondé en 1987. ICOMOS est l’autorité principale de l’UNESCO en ce qui concerne la conservation et la protection des monuments et sites historiques.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de résumer tous les points de cette charte ici, mais il est par contre important de souligner les points qui sont propres à la Nouvelle-Zélande et qui diffèrent donc de ce que l’on connaît en Europe. Les différences principales sont liées au fait que la Nouvelle-Zélande soit la patrie de deux peuples d’origines différentes, les kiwis (les Européens de Nouvelle Zélande) et les Maoris La charte ICOMOS Nouvelle-Zélande est constituée d’une série d’indications sur la conservation de l’héritage culturel. La charte est largement utilisée dans le secteur du patrimoine en Nouvelle-Zélande et constitue un point de référence pour les standards de conservation et dans la pratique. Elle est utilisée par les ministères et les départements du gouvernement central, par les représentants locaux dans les plans de districts et la gestion du patrimoine culturel ainsi que par les conservateurs-restaurateurs comme principes et guides. Le Historic Places Trust/Pouhere Taonga, le ministère de la culture et du patrimoine et le département de conservation utilisent la charte pour guider leur travail dans la conservation des biens culturels. Elle a été utilisée par les Ngai Tahu dans leur Acte d’Etablissement.
La charte ICOMOS Nouvelle-Zélande traite du but, des principes, de la réalisation et des procédures de la conservation. Elle fournit également d’utiles définitions pour les termes principaux de la conservation comme la préservation, la maintenance, la restauration etc.
L’art rupestre en Nouvelle-Zélande
Depuis 1852, lorsque Walter Mantell fit des relevés de « figures grossières » sur des falaises de calcaire dans le North Otago, des dessins et gravures ont été découverts dans de nombreuses régions différentes de Nouvelle-Zélande, sur l’Ile du Nord comme sur l’Ile du Sud. Les représentations trouvées sur l’Ile du Sud sont caractérisées par leur relative unité stylistique et leur peu de ressemblance avec les motifs maoris traditionnels ; ils sont de ce fait considérés comme datant des temps proches de l’arrivée des Maoris. Les motifs de l’Ile du Nord, très souvent des gravures, semblent être de développement plus tardif. Des renseignements obtenus au 19ème siècle par des aînés maoris concordent sur le fait que les représentations rupestres de l’Ile du Sud seraient l’œuvre de la tribu des Waitaha, qui étaient les premiers habitants de l’Ile du Sud avant l’arrivée des Ngati Mamoe à la fin du 16ème siècle. Les Maoris de South Canterbury racontèrent à H.W. Beattie, un des premiers à étudier la tradition de l’Ile du Sud, que les dessins noirs avaient été réalisés par les Waitaha à leur arrivée sur l’Ile et qu’ils décrivent leur histoire et les animaux qu’il ont rencontré pendant leur voyage. Les dessins rouges seraient l’œuvre plus tardive des Ngati Mamoe, qui dormaient dans les abris-sous-roche lors de leurs voyages entre les villages côtiers et l’intérieur des terres. On dit qu’ils dessinaient pour passer le temps. La plupart des abris qui ont été fouillés ne montrent pas d’occupation régulière, ils servaient principalement d’abri temporaire pour une nuit ou deux. Il est vraisemblable de penser que les occupants étaient les artistes, et des datations au carbone 14 basées sur des charbons et des os d’oiseaux servant à se nourrir donnent des dates approximatives pour l’occupation des abris se situant principalement autour du 15ème siècle. Après cette période, la disparition de la forêt et l’extinction d’un grand nombre d’oiseaux rendit ces régions moins hospitalières et moins fréquentées. Il y a cependant de nombreux exemples montrant que la tradition de l’art rupestre ne s’est pas éteinte au 16ème siècle, mais qu’elle a perduré jusqu’à la période du contact avec les Européens, se manifestant alors par la représentation de chevaux, d’églises ou de voiliers. De plus, certains panneaux montrent de multiples réutilisations et repeints. La dégradation et la disparition de nombreux motifs ont été accélérées depuis que les terres environnantes sont utilisées par le bétail.
Le Ngai Tahu Maori Rock Art Trust
Le Ngai Tahu Maori Rock Art Trust a été fondé en décembre 2002 par les Ngai Tahu. Le Trust n’a pas de lien avec le Historic Places Trust, bien que ce dernier supporte le Rock Art Trust en mettant à sa disposition l’expertise de Dean Whiting, responsable du patrimoine bâti maori au sein du NZHPT, lorsque cela est nécessaire. Le Rock Art Trust a la responsabilité de certains sites qui font l’objet d’un accord spécial entre le Historic Places Trust et les propriétaires des terrains.
Le Ngai Tahu Rock Art Trust a été créé pour supporter les Runaka ou Conseils Régionaux Maoris et leurs communautés dans le soin, la gestion et l’interprétation du patrimoine des Ngai Tahu qu’est l’art rupestre maori. Les objectifs principaux du Trust sont d’assurer la préservation et la protection de l’art rupestre maori des Ngai Tahu à l’intention de la large famille de Ngai Tahu Whanui et de tous les Néo-Zélandais, et en outre de jouer un rôle dominant dans l’encouragement de la conservation et de la gestion de l’art rupestre sur le territoire des Ngai Tahu. Le Trust est financé par les Ngai Tahu ainsi que par des fonds qu’il sollicite pour divers projets, et est soutenu financièrement par Meridian Energy, qui est le plus important producteur d’énergie électrique en Nouvelle-Zélande.
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Table des matières
1ère partie : contexte
1 Introduction
2 L’art rupestre
2.1 Définitions et techniques
2.2 Intérêt, études, datation
3 La conservation de l’art rupestre
3.1 Aperçu historique
3.2 Survol des altérations possibles et de leurs causes
3.2.1 Les roches et leur dégradation
3.2.2 Les motifs et leurs dégradations
3.2.3 L’équilibre des sites
3.2.4 Les causes d’altération
3.3 Interventions et traitements usuels
3.4 Rayon d’action et éthique
3.4.1 Comment envisager la conservation de l’art rupestre
3.4.2 Les chartes et codes d’éthique
4 La Nouvelle-Zélande
4.1 Géographie et géologie
4.2 Histoire
5 L’art rupestre en Nouvelle-Zélande
5.1 Historique
5.2 Répartition
5.3 Aperçu des études réalisées
6 Cadre du stage
6.1 La tribu des Ngai Tahu
6.2 Le Ngai Tahu Maori Rock Art Trust
7 La base de travail : l’avant-projet de plan de conservation
2ème partie : le site de Takiroa
1 Description du site
1.1 Situation, climat
1.2 Le support : la roche
1.3 Les motifs
1.3.1 Nombre et répartition
1.3.2 Les techniques
1.3.3 Les styles
1.4 Le site et son environnement
1.4.1 Les aménagements
1.4.2 Les pâturages
1.4.3 La route
2 Histoire du site
2.1 Le site et les Maoris
2.2 La découverte du site
2.3 Les études, interventions et modifications
3 Propriété et responsabilité
3.1 La Réserve Historique
3.2 Le propriétaire du terrain
3.3 Les groupes impliqués et/ou intéressés
3.3.1 Le NZHPT (New Zealand Historic Places Trust/Pouhere Taonga)
3.3.2 Les Ngai Tahu
4 Intérêt du site
5 L’archéoacoustique
5.1 Un domaine peu connu
5.2 Le cas de Takiroa
3ème partie : le constat d’état
1 État du site en général
2 Etat du support
2.1 Dégradations naturelles
2.2 Dégradations causées par les animaux
2.3 Dégradations causées par l’homme
2.4 Cartographie de l’état du support
3 Etat des œuvres
3.1 Dégradations naturelles
3.2 Dégradations causées par l’homme
4 Résumé des dégradations
4ème partie : le choix des études à entreprendre
1 Les critères
2 Les choix
2.1 La surveillance régulière (monitoring)
2.2 Le climat
2.3 La caractérisation de la roche et de son processus d’altération
2.4 La poussière
2.5 L’eau, sa provenance, ses effets, ses caractéristiques
5ème partie : la recherche
1 Le suivi photographique du site
1.1 Buts du suivi photographique
1.2 Points de départ
1.2.1 Clichés de 1896
1.2.2 Clichés de 1992-1993
1.2.3 Autres clichés
1.2.4 Choix des zones et sujets à surveiller
1.3 Mise en place du protocole
1.3.1 Exigences pratiques
1.3.2 Choix du matériel
1.3.3 Création de documents
1.4 Déroulement de la première campagne
1.4.1 Choix du jour et de l’heure
1.4.2 Utilisation du matériel
1.4.3 Utilisation des archives
1.4.4 Directives pour le développement des clichés
1.5 Utilisation et continuation du suivi photographique
1.5.1 Rythme des relevés
1.5.2 Traitement et utilisation des données
2 Le climat
2.1 Les précipitations
2.2 Les températures et l’humidité relative
2.3 Le vent
3 Caractérisation de la roche et de son processus d’altération
3.1 Notions théoriques
3.1.1 Les roches calcaires
3.1.2 Données régionales propres au calcaire otekaien
3.2 Aspects à caractériser
3.2.1 Morphologie de la roche
3.2.2 Porosité
3.2.3 Sels
3.3 Choix et description des méthodes d’analyses appropriées
3.3.1 Observations macro et microscopiques
3.3.2 Analyses en laboratoire
3.3.3 spot tests pour l’identification des sels
3.3.4 Calcul de la porosité
3.4 Choix et collecte d’échantillons
3.5 Déroulement des observations et analyses
3.5.1 Observations macro et microscopiques, spot tests
3.6 Interprétation des résultats
3.7 Caractérisation de la roche et schéma d’altération probable
4 La poussière
4.1 Prélèvements
4.1.1 Observations et analyses
4.1.2 Résultats
4.2 Provenance possible
5 L’eau, sa provenance, ses effets, ses caractéristique
5.1 Pluies battantes et eau de ruissellement
5.2 Brumes
5.3 Eau infiltrée et remontées capillaires
6ème partie : Conclusions
1 Discussion des résultats
1.1 Résultats du suivi photographique
1.2 Résultat de l’étude climatique
1.3 Résultats des analyses
2 Propositions pour améliorer la conservation du site
3 Suivi et études à envisager
4 Conclusion
7ème partie : Bibliographie, lexique et annexes
1 Bibliographie
1.1 Bibliographie générale
1.2 Sites Internet
1.3 Carte
2 Lexique
2.1 Lexique général
2.2 Lexique des mots maoris
3 Table des annexes
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