La conduite de l’expérimentation d’un dialogue sur les conflits de critères de qualité du travail

Cette thèse a été réalisée suite à une intervention de terrain – en psychologie de travail et, plus précisément, en Clinique de l’Activité -, conduite au Technocentre Renault de Guyancourt, entre novembre 2013 et novembre 2016. L’objet qu’elle propose de considérer, le développement de la fonction psychologique du collectif (Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2000), est au cœur de notre propre discipline, la Clinique de l’Activité. Les travaux de recherches de nos collègues cliniciens de l’activité, concourent tous, d’une manière ou d’une autre, à affiner la conceptualisation de cet objet. En cela, notre propre travail s’inscrit dans une longue lignée de travaux préexistants. Il présente, à notre sens, la particularité de s’attacher à faire la démonstration concrète de la manière dont ce développement de la fonction psychologique du collectif se réalise – en échouant, en étant contrarié, en réussissant, aussi -, dans les dialogues, conduits dans le cadre du dispositif d’intervention déployé. Une autre particularité de ce travail de thèse réside, selon nous, dans l’activité de travail où ce développement a été potentialisé et observé : la conception automobile industrielle. Héritière de l’ergonomie de langue française, la Clinique de l’Activité, a construit ses méthodes d’analyse de l’activité et ses méthodologies d’intervention à partir de terrains cliniques où l’activité de travail se prête, peut-être, plus aisément à nos manières de faire historiques. Sur ce terrain en particulier, nous semble-t-il, ces dernières ont été mises à l’épreuve d’une manière originale. De ce fait, cette mise à l’épreuve pourrait, en retour, être regardée comme une possibilité de les retoucher, afin d’en développer l’efficacité pour des terrains à venir. Enfin, une dernière particularité de cette thèse, liée – selon nous – aux spécificités de l’activité de conception automobile industrielle, tient dans notre tentative de regarder le développement de la fonction psychologique du collectif au travers de la notion de solitude habitée des professionnels, participants aux analyses.

La conduite de l’expérimentation d’un dialogue sur les conflits de critères de qualité du travail

L’origine de la commande institutionnelle

Notre intervention avec des professionnels du Technocentre Renault de Guyancourt, à partir de la toute fin de 2013, s’inscrit dans une histoire et un cadre d’intervention plus large.

C’est en 2010 qu’ont eu lieu les premiers contacts entre la direction générale du groupe Renault et Yves Clot, le responsable de l’équipe de recherche Psychologie du travail et clinique de l’activité du Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD) au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). La direction de l’entreprise a sollicité l’équipe de recherche , afin de résoudre un différend, avec l’un des syndicats représentatifs de l’entreprise, autour de la question des conditions de travail. Il s’agissait pour la direction de Renault d’explorer une piste, suite à la publication de l’ouvrage d’Yves Clot « Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux » (Clot, 2010), d’une possible reconnexion du dialogue social dans l’entreprise avec les enjeux du travail réel.

Après une année d’instruction de cette demande, qui a impliqué un travail avec la direction générale commanditaire mais aussi, une démarche de prise de contact et de travail avec les organisations syndicales représentatives, a été conclu une convention de recherche dont l’objet est l’engagement d’une « expérimentation sociale autour d’un dialogue sur les conflits de critères de qualité du travail » . Cette convention fait mention de deux volets de l’expérimentation sociale : un périmètre « Manufacturing » et un second périmètre, « Ingénierie/Tertiaire ». Chacun de ces deux périmètres allaient être le terrain d’un volet spécifique de l’expérimentation. Des Comité de Suivis Locaux (CSL) spécifiques aux terrains « Manufacturing » et « Ingénierie » devaient réunir trois fois par an les parties permanentes de l’expérimentation dans chaque périmètre : professionnels de première ligne, ligne hiérarchique, direction locale, représentants locaux et nationaux des organisations syndicales et Ressources humaines.

Deux fois par an, un Comité de Suivi National (CSN) allait réunir ainsi les participants des deux périmètres de l’expérimentation sociale, en présence de la direction générale de Renault, afin de traiter des avancées et des difficultés sur les deux terrains d’intrevention.

Le volet « manufacturing » de l’expérimentation sociale et l’émergence de la question du Dialogue sur la Qualité du Travail (DQT)

À partir du mois d’avril 2012, l’équipe de recherche initie un travail clinique avec les opérateurs de ligne des deux équipes de l’Unité élémentaire de travail (UET) d’assemblage des portes du département « Montage » de l’usine de Flins. En septembre 2012 des montages vidéo sont présentés au premier CSL (Comité de Suivi Local) de l’expérimentation à l’usine. Y seront mis au travail et discutés d’une part, le fort « l’engagement des opérateurs dans leur travail » (Bonnefond, 2016, p. 100) et de l’autre, la « parole inutile » des opérateurs, c’est-à-dire, « une expérience répétée d’avoir parlé, signalé, proposé, sans que cela ne produise d’effets pratiques » (Bonnefond, 2016, p. 100).

Début 2013, à l’initiative des opérateurs de ligne, une deuxième série d’analyses d’activités sera consacrée aux postes de pose des « coulisses » et des « lécheurs de vitre », des postes « très durs » (Bonnefond, 2016, p. 105), du point de vue des opérateurs. Alors que les « “ ritournelles “ d’usage » (Bonnefond, 2016, p. 114) donnaient un destin fermé aux difficultés de pose de ces pièces en tant que situation qui a « toujours été » (Bonnefond, 2016, p. 114), leur mise au travail dans le dispositif dialogique clinique, incluant l’encadrement de proximité, va ouvrir la voie à la mise en place de « transformations imaginées par les opérateurs » (Bonnefond, 2016, p. 131) sur les postes de travail.

En juillet 2013, le deuxième CSL (Comité de Suivi Local) de l’expérimentation de l’usine Renault de Flins va prendre pour objet ces développements. En situation, y sera esquissée une nouvelle fonction d’opérateur référent, élu par ses collègues, en tant que « “ verrou “ organisationnel, un artefact qui institue les conditions de l’autorité professionnelle des opérateurs sur leur travail, une force de rappel, un instrument organisationnel potentiel du collectif de travail » (Bonnefond, 2016, p. 141).

A la suite de ce CSL (Comité de Suivi Local) entre octobre 2013 et mars 2014, un dispositif dialogique, qui sera nommé plus tard DQT (Dialogue sur la Qualité du Travail), prenant en compte les problèmes soulevés par les opérateurs, sera structuré. Il reposera sur l’élection par les UET de référents opérateurs, sur un principe de « collecte », par ces référents élus, des problèmes des opérateurs et sur « une organisation temporelle et matérielle du dialogue sur les problèmes de qualité du travail entre opérateurs, entre référents et encadrement puis en réunion d’équipe » (Bonnefond, 2016, p. 142). D’abord testé à l’échelle de l’atelier, il sera plus tard perfectionné et déployé à l’échelle de l’usine de Flins. Une instance nouvelle de dialogue social – une commission tripartite, réunissant direction, OS (Organisations Syndicales) et référents – sera dédiée à la gouvernance du dispositif.

Du « manufacturing » vers l’ « ingénierie » : la question du lécheur de vitre et de la coulisse

Ainsi, après près de dix-huit mois d’analyse du travail, avec les opérateurs de ligne à l’atelier de montage de portes à l’usine Renault de Flins, sont retenus, par ces derniers, des pièces – lécheur de vitre et coulisse -, dont le montage pose systématiquement des problèmes qui peinent à être résolus d’un projet à l’autre. Il s’agit de pièces qui participent à assurer l’étanchéité des véhicules. La direction générale se saisit de cette piste pour faire démarrer le volet Ingénierie de l’intervention. Le périmètre technique en charge des pièces d’étanchéité de la Direction Ingénierie véhicules (DE-V), a ainsi été désigné pour être le terrain de l’expérimentation sociale conjointe Renault-CNAM dans les métiers de la conception .

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Table des matières

Introduction
Première partie : Cadre général de l’expérimentation du dialogue professionnel, centré sur les conflits de critères de qualité du travail et spécificités de l’ingénierie
1. La conduite de l’expérimentation d’un dialogue sur les conflits de critères de qualité du travail
1.1. L’origine de la commande institutionnelle
1.2. Le volet « manufacturing » de l’expérimentation sociale et l’émergence de la question du Dialogue sur la Qualité du Travail (DQT)
1.3. Du « manufacturing » vers l’ « ingénierie » : la question du lécheur de vitre et de la coulisse
2. Le rapport entre santé et efficacité au travail dans l’ingénierie
2.1. Concevoir, une activité proprement humaine ?
2.2. Histoire de l’ingénierie – la conception au sein de l’entreprise Renault
2.3. La question de la santé et de l’efficacité dans les métiers de la conception
2.3.1. La santé au travail, un problème juridique
2.3.2. La santé au travail des concepteurs
2.3.3. La santé au travail des professionnels de l’ingénierie Renault
Deuxième partie : La réalisation du volet « ingénierie » de l’expérimentation d’un dialogue sur les conflits de critères de qualité du travail
3. La conduite de l’expérimentation au Technocentre Renault et l’élaboration d’un « prototype » dialogique idoine
3.1. Arrivée au Technocentre Renault de Guyancourt : première structuration du dispositif d’intervention (nov. 2013-janv. 2014)
3.1.1. Les organisations syndicales
3.1.2. La commande à l’ingénierie
3.1.3. Quelle demande à l’ingénierie ?
3.2. Émergence des sujets portés par les membres du collectif d’analyse
3.2.1. Première mise en mouvement du collectif d’analyse
3.2.2. Émergence des sujets techniques portés par les membres du collectif d’analyse au Technocentre (avr. 2014-nov. 2014)
3.3. Début du travail avec la ligne hiérarchique (oct. 2014- mars 2015)
3.3.1. « On ne peut pas parler à la place de l’architecte » ou la question du collectif porteur du sujet technique
3.3.2. « La peau de chagrin des effectifs », un problème porté conjointement par le collectif d’analyse et par la ligne hiérarchique
3.3.3. Les critères d’éligibilité d’un problème de travail au dispositif dialogique
3.4. Organiser et tenir un dialogue sur les conflits de critères à partir des sujets techniques pour éviter que les problèmes identifiés ne repartent « dans le tas de sable » (avr. 2015 – nov. 2015)
3.4.1. En présence d’une ligne hiérarchique renouvelée
3.4.2. Un collectif « porteur » du problème est-il possible ?
3.5. Les possibilités d’une évaluation divergente des nouveaux arbitrages ou la possibilité de dire « non » à des arbitrages faibles. (nov. 2015 – oct. 2016)
3.5.1. Le Coordinateur Dialogue sur la Qualité du Travail (DQT)
3.5.2. Le binôme : porteurs du sujet / Coordinateur, un effet « cliquet » contre le retour des problèmes dans « le tas de sable » ?
3.5.3. Un dispositif d’intervention chancelant
3.5.4. Une intervention en deux phases
4. De la problématique de l’intervention vers la problématique de recherche
4.1. Problématisation de la question de recherche : de l’impossibilité de dire « non» vers la question du soliloque professionnel
4.2. Les voies de développement du soliloque en pensée dialogique à l’ingénierie
Troisième partie : Collectif, solitude, isolement et santé au travail
5. Les registres dialogiques du collectif et de la solitude
5.1. La socialité constitutive de l’espèce humaine
5.2. Isolements et solitudes, des problèmes anciens et actuels
5.3. Les différents modes d’être seul chez Hannah Arendt
5.3.1. La solitude comme mode d’existence peuplé par autrui
5.3.2. La désolation (esseulement) en tant que mode d’existence d’un sujet déserté par autrui et par soi
5.3.3. L’isolement comme mode d’existence d’un sujet déserté par autrui
5.4. La capacité d’être seul chez Donald Winnicott
5.5. La fonction psychologique du collectif de travail en Clinique de l’Activité
5.5.1. Activité, pouvoir d’agir, genre professionnel et métier
5.5.2. Une clinique de l’activité : un cadre méthodologique pour développer la fonction psychologique du collectif
5.6. Le dialogue concret, un moyen fondamental de développer la solitude habitée du sujet.
5.6.1. Le « triangle magique » d’Ivana Marková
5.6.2. La pensée dialogique de Charles Fernyhough
5.6.3. Le dialogue concret, chemin de passage de l’isolement vers la solitude
5.6.4. Registres dialogiques des différents modes d’être seul
5.7. Solitude, isolement, désolation et santé au travail
5.7.1. D’un sujet exposé à des risques mesurables vers un sujet agissant dans une fabrication sociale de la solitude au travail
5.7.2. Dialogue, genre professionnel et santé au travail
5.7.3. Les registres dialogiques de la solitude professionnelle
6. Méthode d’analyse
6.1. Rappel de la thèse et énonciation des hypothèses générales
6.2. Choix des matériaux
6.2.1. Un cadre d’intervention mettant au travail la solitude habitée des professionnels et développant ainsi la fonction psychologique du collectif à l’ingénierie Renault
6.2.2. Choix des matériaux en vue de tester les hypothèses générales
6.3. Opérationnalisation des hypothèses
6.3.1. Construction et choix des unités d’analyse
6.3.2. Hypothèses opérationnalisées
Conclusion

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