L’état de nature : un état hypothétique
Dans Le Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes, ROUSSEAU se donne la tâche de connaître l’homme. Il perpétue l’héritage socratique selon lequel l’impératif du «connais-toi » ordonne à la conscience de se rendre compte de son ignorance. Se connaître désigne une étude introspective pour découvrir ce qu’on est réellement et les possibilités qu’on a pour appréhender le monde. Connaître l’homme pour ROUSSEAU, consiste à saisir l’être de l’homme ; dépravé et déchiré, l’homme n’est que l’ombre de lui-même dans la société ; c’est-à-dire que son être laisse place au paraître et à l’illusion. Henri GOUHIER souligne cet aspect de l’impératif socratique en montrant que le « connais-toi » dévoile l’être enfoui par le mensonge et l’apparence ; il met en lumière l’homme véritable. Il affirme : L’inscription du temple de Delphes doit sa signification philosophique à la connaissance qui distingue en elle « être » et « paraître », ou plutôt « être » et « se paraître ». Se connaître n’a jamais voulu dire : se voir tel que l’on paraît être. Toute la philosophie du connais-toi est une invitation à chercher ce qui cache l’homme à lui-même pour l’amener à se connaître tel qu’il est.11 Connaître l’homme, c’est montrer ce qu’il est vraiment, mettre son vrai visage au grand jour. Cette entreprise s’annonce d’emblée difficile et ROUSSEAU est conscient de cette difficulté. Défini comme un être social et doué de raison, l’homme fabrique des artifices qu’à la longue, changent sa vie et creusent un fossé entre l’homme lui-même. Il devient un être vaniteux, violent, arrogant, orgueilleux et avide de pouvoir et de grandeur. Cette situation reste insaisissable aux yeux de la philosophie, autrement dit, la culture et la civilisation constituent une pierre d’achoppement pour connaître l’homme puisque quand on veut le connaître, la culture et la civilisation l’enveloppent de telle sorte qu’on a toujours le même être : un être social. En ce sens, la sociabilité de l’homme ne permet pas de le connaître, de saisir son état primitif il dit : Ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progrès de l’espèce humaine l’éloignant sans cesse de son état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connaissances, et plus nous nous ôtons les moyens d’acquérir la plus importante de toutes et que c’est en un sens à force d’étudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de le connaître De cet extrait se dégage l’idée selon laquelle l’approche déjà appliquée pour connaître l’homme est vaine car le progrès l’éloigne de son état primitif. Pour y parvenir, ROUSSEAU se trouve dans la nécessité de poser l’état social avec l’état de nature : l’état primitif. Cette position n’est pas une pure négation ou un mépris de la société, mais c’est un moyen lui permettant d’expliquer dans l’existence la situation présente de l’homme. En ce sens, l’état de nature n’est pas un désir fantasmatique d’un retour à l’âge des pierres mais une explication et donc il est du domaine de la recherche scientifique. Effectivement, cet état, ROUSSEAU ne le considère que dans l’état hypothétique pour mieux cerner l’homme dans l’agrégat social. Il affirme : « Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entre sur ce sujet pour des vérités historiques mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels plus propres à éclaircir la nature des choses qu’à en montrer la véritable origine.»13 ROUSSEAU explique son ambition présente à l’égard de l’état de nature. Ce dernier désigne une hypothèse, l’état de nature est un instrument de travail pour le chercheur ; autrement dit, pour connaître l’homme et de tout ce qui lui arrive dans la société, l’auteur recourt à l’imaginaire pour dénouer ce problème, ce qui veut dire que l’état de nature est une pure invention, une fiction. En ce sens, comme le dit très bien Henri GOUHIER, « l’état de nature est une hypothèse décrivant un état-limite qui comme tel, est situé au-delà des faits »14 ce qui revient à dire que l’état de nature n’est pas réel ou un état déjà existant; cet état nous permet de saisir l’état primitif de l’homme. Dans ce cas, ROUSSEAU dit : Ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent 15 Dans cette perspective, l’état de nature ne prétend autre chose que d’élucider et de mettre en lumière l’être de l’homme. La phrase, « il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent » atteste cela. L’état de nature, cependant, est hors de l’état social, de toute société, il est infra-social et infra-rationnel. Ce qui signifie que cet état ne se situe pas à un temps donné et dans un espace donné. C’est seulement une méthodologie d’explication de l’état actuel de l’homme. Pour le mettre en exergue, ROUSSEAU laisse de côté tout l’apport de la culture et de la civilisation, il trouve un être naturel vivant en harmonie avec la nature. Il dit : En dépouillant cet être, ainsi constitué, de tous les dons surnaturels qu’il a pu recevoir, et de toutes les facultés artificielles qu’il n’a pu acquérir que par de long progrès, en le considérant, en un mot, tel qu’il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais, à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous.16 La lecture de cet extrait nous permet de dire que l’abstraction est la mise entre parenthèses de tout ce que le progrès a donné à l’homme, on aboutit à l’homme de la nature. Ce qui revient à dire que le progrès cache ou dissimule sous une apparence l’être de l’homme et le conduit dans une déchéance. De là, la nécessité d’enlever ou de débarrasser tout ce que le progrès a apporté à l’homme pour avoir l’homme dans son état naturel; cela veut dire que dans cet état, l’homme est vraiment ce qu’il est : un être naturel. La conception de l’état de nature de Jean-Jacques ROUSSEAU a tant suscité de controverses que de remous. Ses détracteurs ont vu dans cette conception le retour à l’état de nature, vivre avec les animaux17 ; pour eux, cela constituerait un état régressif de la culture et de civilisation à l’état sauvage. Pourtant, pour ROUSSEAU, l’homme de la nature n’est pas le sauvage que l’ethnologue a tant décrit dans ses ouvrages car ce sauvage est un être historique situé dans le temps et dans l’espace ; tandis que l’homme de la nature est une fiction méthodologique, une hypothèse de travail pour cerner l’être de l’homme. Or cet être n’a jamais existé, n’existe pas et n’existera jamais ; ce qui suppose l’impossibilité d’un quelconque retour à l’état de nature. De plus l’homme de l’état de nature est un être dont son développement moral et intellectuel est inexistant ; autrement dit, il ne s’agit pas d’un être moral et intellectuel. En ce sens, l’état de nature n’est pas un idéal à atteindre. Ainsi, le retour à l’état de nature n’a jamais figuré dans les entreprises de ROUSSEAU. Cependant, dans l’état de nature, il n’y a pas une grande différence entre homme et animal. En effet, l’état de nature restitue l’homme dans son état naturel ; Henri GOUHIER montre que cet état réduit l’homme présent à « un minimum vital de l’ordre du presque rien ».18 Ce presque rien connote l’état primitif de l’homme ; il n’a rien et ne possède rien. Il est un et solitaire. Comme tout être naturel, l’homme a des besoins. Mais ces besoins ne diffèrent aucunement de ceux des animaux : se nourrir et se conserver restent le souci majeur de cet homme. Voilà pourquoi ROUSSEAU n’hésite pas à le confondre avec les animaux. Dans cette perspective, ROUSSEAU situe l’homme dans son contexte naturel, dans son état primitif et le compare aux autres espèces. Selon lui, l’homme naturel ne diffère pas totalement de l’animal, il lui ressemble tant dans la manière de vivre que dans la manière d’être. C’est-à-dire que tous les deux, homme et animal, ont nécessairement besoin de pouvoir satisfaire leur besoin naturel, mais l’existence les sépare et fait de l’homme un être solitaire. Ce qui veut dire que cet être ne s’affilie à aucune association, il n’a ni famille ni foyer ni société, il vague dans mille lieux pour satisfaire ses besoins. En ce sens, la nourriture constitue sa principale préoccupation ; c’est dans l’immédiat, l’instantané que se fonde sa raison d’être. Ce qui fait que cet être harmonieux, bien dans sa peau, ne se soucie d’aucune sorte des choses de la vie. ROUSSEAU dit : La terre abandonnée à sa fertilité naturelle, et couverte de forêt immense que la cognée ne mutila jamais, offre à chaque pas de magasins et des retraits aux animaux de toute espèce. Les hommes dispersés parmi eux observent, imitent leur industrie et s’élèvent ainsi jusqu’à l’instinct des bêtes, avec cet avantage que chaque espèce n’a que le sien propre, et que l’homme n’en ayant peut-être aucun qui lui appartienne, se les approprie tous, se nourrit également de la plupart des aliments divers que les autres animaux se partagent, et trouve par conséquent sa substance plus aisément que ne peut faire aucun deux.19 L’homme naturel vit dans la forêt comme les animaux ; se nourrissant et agissant comme les animaux, l’homme acquiert une telle agilité, une telle endurance et une telle force à un point où son corps se durcit ; il devient féroce comme les bêtes. ROUSSEAU explique la différence entre l’homme naturel et l’homme social par la force et la faiblesse. L’homme social est faible, il utilise des artifices pour allonger sa force ; autrement dit, la voiture remplace l’endurance naturelle ; il a besoin des outils pour apprivoiser la nature. Tandis que l’homme naturel est fort ; sa force réside dans la rigueur de son corps. Il peut parcourir des kilomètres à pied. ROUSSEAU montre que cette vigueur du corps de l’homme s’est formée dès l’enfance et constituée au fil du temps un être puissant. Il dit : Accoutumés dès l’enfance aux intempéries de l’air, et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants apportant au monde l’excellente constitution de leurs pères, et le fortifiant par les mêmes exercices qui l’ont produit, acquièrent ainsi la vigueur dont l’espèce humaine est capable 20 En ce sens, l’homme naturel est un être puissant physiquement, cette cette puissance l’aide à se procurer de la nourriture et à se protéger contre les autres espèces. Henri GOUHIER souligne un point capital de cet être ; selon lui, ROUSSEAU fait une sélection naturelle de l’homme car les robustes peuvent survivre. La nature « ne laisse survivre que des individus robustes qui donnent naissance, sauf exception, à d’autres individus robustes ».21 Ce qui veut dire que les faibles n’ont pas droit de cité dans l’état de nature. C’est ce qui fait que cet être naturel est hors d’atteinte de toutes sortes de maladies. Cela donne une grande importance au corps humain; autrement dit, faisant du corps humain inattaquable à toute maladie, ROUSSEAU explique que le mal que ce soit physique ou moral n’existe pas dans l’état de nature. Il affirme : « Avec si peu de sources de maux, l’homme dans l’état de nature n’a guère besoin de remèdes, moins encore de médecins ; l’espèce humaine n’est point non plus à cet égard de pire condition que toute les autres.»22 Dépourvu de maladies, le corps humain est sain, il est capable d’effectuer bon nombre de tâches. Cependant, ROUSSEAU compare le corps humain à une machine. Il est un outil d’exécution et d’application des tâches naturelles. Déjà DESCARTES et les cartésiens parlent d’un animal-machine. Mais ils précisent que c’est un animal, c’est un être dénué de raison, agit par un simple mécanisme incorporé dans son corps. Or ROUSSEAU en fait un fait humain, c’est-à-dire à l’état de nature, l’homme rejoint l’animal et réagit comme lui. Le mécanisme caractérise l’acte de l’homme naturel. Il affirme : Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger ; j’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre.23 Dans cet extrait, on peut retenir l’idée selon laquelle homme et animal sont des machines à la différence que l’homme est un être libre. Cette liberté se manifeste dans ses actes. Cette liberté que ROUSSEAU confère à l’homme fait de cet être naturel un être de choix. Tandis que l’animal est statique, l’homme a la possibilité de choisir, de faire ce que bon lui semble, choisir sa nourriture et la diversifier. Cette capacité de choisir fait de l’homme un être à part. Cette particularité met en exergue le dynamisme de sa vie. C’est pourquoi l’homme s’empare de la nature, autrement dit, l’homme naturel s’accapare des animaux et des végétaux et les utilise à sa guise.
La réflexion : un état contre nature dans l’état de nature
Dans la lignée des philosophes : PLATON, ARISTOTE, DESCARTES, pour ne citer que ceux-là, ROUSSEAU réitère l’idée selon laquelle l’homme est un être doué de raison, capable de réfléchir sur sa condition d’existence et de se projeter afin de réaliser son être. De la racine latine ratio, la raison désigne l’activité intellectuelle visant à sortir l’homme de n’importe quel problème ; elle consiste à forger et à former des idées, des notions de la réalité et d’y prendre un recul pour bien les juger et surtout d’avoir une connaissance exacte. Cependant, ROUSSEAU tient à souligner un trait caractéristique et distinctif de l’homme naturel. Dans l’état de nature, la faculté de réfléchir était à l’état embryonnaire et rudimentaire, elle n’avait pas atteint sa maturité dans laquelle elle devient une forme de calculatrice et d’ordonnatrice de la vie de l’homme. Cette position se heurte à la conception hobbesienne de l’homme. Pour HOBBES, dans l’état de nature, l’homme possède déjà toutes ses facultés, c’est ce qui explique la méchanceté effrénée des uns et des autres. Par contre, soutenant que les facultés de l’homme peuvent se développer, ROUSSEAU prend le contre pied de HOBBES et affirme que l’homme dans l’état de nature, était bon et harmonieux avec lui-même et avec le monde. En effet, ROUSSEAU ouvre une autre voie et affirme que la sensibilité, les sentiments, les sens caractérisent l’homme naturel. C’est ce qui nous a amené à dater chronologiquement d’une manière virtuelle l’état de nature. Selon lui, il est26 « antérieur à toute réflexion »44 . Ce qui montre que dès que l’homme a commencé à réfléchir et à user les pouvoirs de la raison, son innocence s’est balayée à coup de revers de main, s’est détruite pour laisser la place à l’insatisfaction, aux désirs : on parle, ici, des désirs superflus comme le luxe ou la découverte du monde, et au manque. Dans l’idée de manque, il y a l’idée de vide ; pour combler ce vide, l’homme se trouve dans la nécessité de remuer ciel et terre pour assouvir son besoin. Pourtant un être qui n’utilise pas encore sa capacité de réfléchir, son action est limitée dans le temps et dans l’espace ; autrement dit, il ne se contente que de ce que la nature lui procure. En ce sens, l’état de nature se situe avant l’émergence de la réflexion, l’homme naturel jouit par le truchement, des sens les fruits de la nature. ROUSSEAU avance : Quoi qu’en disent les moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’est par leur activité que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir, et il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner… L’homme sauvage, privé de toute sorte de lumière, n’éprouve que les passions
Les dérapages des sciences et des arts
L’évolution des sciences trouve un souffle au XVIIIe siècle; l’avènement de la machine à vapeur change le visage du monde. Le siècle des Lumières en fait de la science un outil désenclaver l’homme, de le rapprocher de ses semblables, et par conséquent, elle augmente la rentabilité de la production humaine. Comme un poisson torpille, ROUSSEAU interroge les sciences et y trouve une source dont son effet immédiat est de dénaturer ou de corrompre l’homme. Il prend alors une distance. Ces pairs tels que VOLTAIRE77, pour ne citer que celui-là, voit dans les sciences, un support de l’économie, d’en tirer profit pour l’enrichissement de soi et de la patrie. Ce qui revient à dire que l’auteur de Zadig, considère les sciences dans ses effets positifs, comme un moyen de réaliser l’être de l’homme. L’auteur du Contrat social tient un autre discours ; en tant que philosophe averti, il prend un recul devant les sciences. Ce qui ne veut pas dire qu’il les rejette ou les dénigre ; loin de là, il juge qu’au regard de l’histoire, l’histoire de l’Egypte78, de la Grèce79, de Rome80, des cités dont les sciences étaient au sommeil de son évolution, elles n’ont pu qu’engendrer ruine et désolation. C’est dans cet esprit qu’il commence à étudier les sciences et les arts. ROUSSEAU critique les sciences et les arts en tant que philosophe des Lumières. Ce qui veut dire qu’il ne s’écarte pas du tout du problème auquel vivent ses contemporains81. Dans son analyse, il admet les bienfaits de la science, l’énorme potentialité qu’elle offre à l’humanité, des possibilités de productions à grande échelle ; à l’instar des Lumières, il soutient que les sciences donnent et peuvent donner à l’Europe et au monde le surpassement de leur être. Pour affermir cela, dans le premier chapitre de son œuvre le Discours sur les sciences et les arts, il l’ouvre dans une tonalité d’admiration et d’émerveillement du pouvoir des sciences. Cette attitude peut être interprétée d’ironique à l’égard de ce qu’il va dire des sciences. Mais nous sommes convaincus que son intention est de dire ce qu’il en est des sciences et de là d’en tirer les inconvénients qui en découlent. Il affirme : C’est un grand et beau spectacle de voir l’homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts, dissiper par les lumières de sa raison les ténèbres dans lesquelles la nature l’avait enveloppé ; s’élever au-dessus de lui-même ; s’élancer par l’esprit jusque dans les régions célestes, parcourir à pas de géant ; ainsi que le soleil, la vaste étendue de l’univers ; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l’homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations.82 Dans cet extrait, ROUSSEAU ne nie pas l’apport des sciences à l’humanité. Il loue, d’ailleurs, l’effort humain de s’extirper du déterminisme assigné au règne animal pour se construire un destin et pour parfaire son être. Cependant, il ne manque pas de soulever un problème inhérent à la science ; il la compare à un médaillon ; d’un côté, les effets positifs, de l’autre, les négatifs. Il insiste dans ce dernier point à relever les indices attestant que le développement des sciences et des arts porte atteinte à la dignité humaine et qu’il faudrait en tenir compte afin de préserver l’homme d’une déchéance fatale. Dans son investigation, ROUSSEAU scrute d’une manière chirurgicale les effets de la science ; il y voit l’expression de l’anéantissement, la négation ou la destruction de la liberté humaine. Dans son essor, la science est considérée comme la forme la plus rassurante à réaliser et à parfaire l’être de l’homme. On peut dire que cette tendance est du point de vue des optimistes, de ceux qui ont placé leurs espoirs dans les sciences. Dans celui des pessimistes, ROUSSEAU sonne le glas des fins des sciences. Pour lui, au lieu de parfaire l’être de l’homme, les sciences ne vont qu’à l’assujettir et l’abrutir, c’est-à-dire les faits obtenus ne sont pas les faits escomptés, l’homme devient de plus en plus dépendant d’elles de telle sorte qu’il a du mal à s’en défaire ou à s’en détourner. La liberté se trouve, dans la même foulée, sacrifiée sur l’autel du progrès. Ici ROUSSEAU critique les valeurs des sciences et pense qu’il y a effectivement une aliénation. Il dit : « Les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaines de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclaves et en forment ce qu’on appelle des peuples policés.»
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: L’ETAT DE NATURE, SOURCE DE LA BONTE HUMAINE
CHAPITRE : I LA SIGNIFICATION DU L’ETAT DE NATURE
1 – L’état de nature : un état hypothétique
2- L’homme naturel
CHAPITRE II : LES CARACTERISTIQUES DE L’HOMME NATUREL
1- La pitié source de compassion
2- L’amour de soi : principe de conservation
CHAPITRE III : LE DEPASSEMENT DE L’ETAT DE NATURE
1 – La réflexion : un état contre nature dans l’état de nature
2- Le dynamisme de la perfectibilité
DEUXIEME PARTIE: HISTOIRE : FORMATION ET DEVELOPPEMENT DU MAL SOCIAL
CHAPITRE I: LA NAISSANCE DE LA SOCIETE
1-Le funeste hasard, fondement de l’histoire
2 – La propriété : naissance de la société
CHAPITRE II – LE PROGRES, CORRUPTEUR DES MŒURS
1 – Caractéristique du siècle des Lumières
2 – Les dérapages des sciences et des arts
CHAPITRE III : LES CARACTERISTIQUES DE L’HOMME SOCIAL
1 – L’amour-propre comme source d’égoïsme
2 – Les remèdes du mal social
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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