La conception en technologie au collège
L’articulation conception-fabrication-utilisation marque une évolution majeure dans l’enseignement actuel de la technologie au collège depuis les travaux manuels. Dans la précédente version des programmes de la technologie, l’approche curriculaire développée par Martinand et Lebeaume (1998) préconisait de prendre en référence les organisations sociales (pratiques sociales de référence) pour penser les situations d’enseignement, « les activités scolaires doivent être des images d’activités sociales réelles » (Martinand, 1989). Si cette proposition est une ouverture pour rendre compte d’espaces de problèmes dans les disciplines technologiques, elle pose malgré tout des problèmes « La référence à des pratiques pose la question de leur modélisation afin de les faire entrer dans l’école ; ce ne sont pas des pratiques qui, en tant que telle, servent de référence pour un enseignement mais bien évidemment des constructions sur ces pratiques » (Ginestié, 1999a, p. 99).
Aujourd’hui, nous proposons une posture différente. La construction d’objet par les élèves est vue comme un facteur de développement. Le processus de conception est assimilé à une stratégie de résolution de problèmes ouverts sur plusieurs solutions où les interactions entre fonctionnement-fonction-structureforme-matière supposent des niveaux de description et d’intégration des contraintes (Andreucci & Chatoney, 2009; Chatoney, 2009).
La place de la conception dans les prescriptions
Depuis la mise en place de la technologie au collège en 1985, après les travaux de la COPRET (1984), le projet technique (Cazenaud, Favier, Rak, & Teixido, 1992) et la conception en particulier, occupent une place centrale. Ils conduisent, à partir d’un cahier des charges, à proposer un prototype validé ainsi que le dossier définissant l’objet. Cette étape de la démarche technologique se décompose en plusieurs phases : rechercher des idées et des solutions ; étudier les solutions d’un point de vue théorique et pratique (essai, maquette) à partir de différents critères ; étudier et choisir la ou les solutions et communiquer les solutions à travers un dossier. Pour cela, au collège, l’approche fonctionnelle est privilégiée (Cliquet, 2002) avec l’usage des outils de la méthode APTE tels que l’énoncé du besoin, le diagramme d’interaction, le CdCf (Cahier des Charges Fonctionnel) et le FAST (Function Analysis System Technic).
Dans leur ouvrage (Lebeaume & Martinand, 1998) paru au moment de la première refonte des programmes en 1996, les auteurs notent que « l’énoncé du problème pour le concepteur est le cahier des charges fonctionnel. Ce dernier fixe les demandes à satisfaire tout en limitant son activité créatrice » (p. 299), ils précisent que « l’absence de solutions prédéterminées est une caractéristique fondamentale d’un projet technique. Il ne peut y avoir projet technique si les solutions sont prédéfinies » (p. 299) et proposent pour illustrer ces programmes de partir d’un objet, donc d’une solution et de « faire rédiger le cahier des charges fonctionnel au cours d’activité centrée sur la mise en évidence des relations entre solutions techniques et énoncé des fonctions de service. » La référence affichée aux pratiques sociales (Martinand, 1994) permet selon ces auteurs de « contrôler l’authenticité des problèmes techniques. » Par exemple, ils préconisent de mettre en scène « les négociations toujours présentes dans le domaine technique, grâce aux travaux de groupe dans lesquels les rôles assurent cette mise en référence. » (p. 300) Ainsi les élèves sont amenés à conduire des projets dans lesquels ils proposeront des prototypes répondant à des « problèmes réels » mettant en œuvre les fonctions de base en électronique et en mécanique. Ils seront en situation de choisir, d’essayer ou d’améliorer des dispositifs techniques aux travers de six scénarios au cycle central et d’une réalisation sur projet au cycle d’orientation.
« Dans leur complémentarité, les scénarios choisis visent, d’une part à faire acquérir les compétences correspondantes en évitant les redondances, d’autre part à donner les bases d’une représentation des différents moments de la conception et de la réalisation d’un produit ou d’un service. ».
Le scénario « Étude et réalisation d’un prototype » en classe de 5ème illustre cette prescription (Cf. Annexe 1). Il s’agit de se limiter à des activités relatives à la conception et à la réalisation de prototypes. Le prototype est considéré comme une première réalisation permettant de valider le cahier des charges fonctionnel. Le nombre et la nature des dossiers demandés (croquis et schémas) doivent permettre de consacrer l’essentiel du temps à l’étude et à la réalisation des prototypes.
En classe de 3ème les élèves recherchent des solutions à un problème technique (Cf. Annexe 1) dans le cadre d’un projet qui s’articule en quatre étapes : l’étude préalable qui permet d’établir le cahier des charges, la recherche et détermination de solutions conduisant à la réalisation d’un prototype, la production du produit fini et la diffusion c’est-à-dire la mise à disposition du produit. 30 à 35 heures sont consacrées à cet enseignement, soit plus de la moitié de l’année.
Nous pensons que ce choix induit des difficultés prévisibles pour les élèves de nature à limiter leur capacité d’agir. Les activités d’apprentissage induites par de tels dispositifs posent ainsi la question de leurs efficacités.
Avec la réforme récente en 2008 des programmes de la discipline, la référence aux pratiques des entreprises n’est plus affichée. Les finalités de cet enseignement restent les mêmes mais les références changent, des domaines d’applications apparaissent : moyens de transport en 6ème, habitat et ouvrage en 5ème, confort et domotique en 4ème et des méthodes d’enseignement sont préconisées : la démarche d’investigation et la résolution de problèmes. La place de la conception s’en trouve renforcée et les savoirs associés sont présentés en termes de connaissances et de capacités.
« La conception et la réalisation des objets techniques et des systèmes complexes met à profit les connaissances scientifiques sur la matière : choix des matériaux, obtention des matières premières, optimisation des structures pour réaliser une fonction donnée, maîtrise de l’impact du cycle de vie d’un produit sur l’environnement. »
« Les réalisations techniques, l’invention, l’innovation, la conception, la construction et la mise en œuvre d’objets et de procédés techniques servent les besoins de l’homme. »
« …la technique fait appel à des modes de conception et de raisonnement qui lui sont propres, car ils sont contraints par le coût, la faisabilité, la disponibilité des ressources. » .
Au niveau des finalités, l’ambition de cet enseignement est d’apporter des connaissances et des compétences relatives à la conception et à la réalisation de produits en mesurant l’impact de ces produits, d’une part sur la société et d’autre part sur l’environnement.
« Savoir que la conception et la réalisation des produits prennent appui sur des avancées technologiques et des fondements scientifiques qui s’alimentent mutuellement et contribuent à la recherche permanente de l’innovation. » .
L’enseignement de la technologie met en évidence les problèmes liés aux logiques de conception et aux processus de fabrication et d’assemblage (Cf. Annexe 2). L’enseignement du cycle central porte sur « la conception en fonction de contraintes techniques et socioéconomiques liées au cycle de vie du produit. » A partir de la classe de cinquième, l’approche « analyse et conception des objets techniques » succède à l’approche « analyse du fonctionnement » du programme de sixième.
Au cycle central, l’élève passe d’activités d’observation à des activités d’analyse et de conception dans un contexte donné par une démarche de résolution de problèmes techniques. Enfin, en classe de troisième, « riche des compétences acquises, l’élève met en œuvre la démarche technologique pour conduire un projet, proposer des solutions techniques et finaliser sa démarche par une réalisation collective. » .
Les savoirs associés à la conception
Pour le collège, nous retiendrons à ce stade que la conception s’inscrit dans le domaine du design industriel et de l’architecture, qu’elle recouvre l’ensemble de tâches permettant d’aboutir aux choix définitifs des solutions satisfaisant des exigences fonctionnelles et des performances attendues. Cette activité constitue la plupart du temps une réponse au Cahier des charges Fonctionnel (CdCF) et porte sur l’analyse et le choix définitif du produit répondant aux objectifs selon les besoins du marché, une proposition du plan de développement et une évaluation des coûts et des délais de développement. De plus, une relation étroite est nécessaire entre conception, fabrication et utilisation afin de pouvoir réfléchir très tôt aux techniques leur incombant.
Dans cette perspective, l’étude des solutions est effectuée par les élèves au cours de tâches de conception concrétisées sous la forme de dessins d’avantprojets où l’informatique constitue une aide précieuse par l’utilisation de logiciels de CAO et de CFAO de plus en plus performants. Enfin, l’évaluation des solutions doit permettre d’effectuer un choix selon les points de vue coût, faisabilité et risque. Cette phase peut nécessiter un travail de maquettage et d’essais préliminaires.
Pour Ginestié (1995, 2005b; Ginestié, et al., 2001), l’enseignement technologique tel qu’il existe ne permet pas le choix entre plusieurs solutions possibles caractérisé par les pratiques industrielles. En effet, l’objet à fabriquer est connu dès le départ dans ses moindres détails. « Il n’y a pas de choix, le professeur guide les élèves vers ses solutions définies d’avance. » ce qui conduit à une réduction des connaissances. Ginestié propose de développer d’autres approches : l’analyse de la valeur et le design industriel. L’analyse de la valeur qui permet de distinguer dans un objet, ses fonctions en fonctions d’usage (ce qu’il permet de faire) et en fonctions de signe (pourquoi j’achète ce modèle plutôt qu’un autre) mais aussi de mettre une valeur sur chacune de ces fonctions (combien me coûte telle fonction).
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE La conception en technologie au collège
1. Enseigner la conception en technologie au collège
1.1. Comprendre le monde des objets techniques
1.1.1. Mode d’existence des objets techniques
1.1.2. Regards sur les objets techniques
1.2. La conception en technologie au collège
1.2.1. La place de la conception dans les prescriptions
1.2.2. Les savoirs associés à la conception
1.2.3. Enseignement de la conception et usage d’outils
1.2.4. Les outils de CAO utilisés
1.2.5. Des références pour l’enseignement de la conception
2. Épistémologie de référence
2.1. Les sciences de la conception
2.1.1. Objet technique et artefact
2.1.2. Quelques perspectives à partir d’éléments rétrospectifs
2.2. La conception industrielle
2.2.1. Une approche non linéaire et itérative
2.2.2. Une approche nécessairement pluridisciplinaire
2.2.3. Le rôle des outils informatiques
2.2.4. Une référence pour l’enseignement de la technologie
2.3. L’activité de conception
2.3.1. Des perspectives pour modéliser l’activité de conception
2.3.1.1. L’approche par résolution de problèmes
2.3.1.2. Coévolution du problème et de la solution
2.3.1.3. La notion de contrainte en résolution de problèmes
2.3.1.4. Pour une approche réflexive
2.3.1.5. Vers une approche duale
2.3.2. La construction de représentations
2.3.2.1. Les intermédiaires graphiques
2.3.2.2. L’analyse des intermédiaires graphiques
2.3.3. Modéliser l’activité de conception
2.3.3.1. L’hypothèse de la conception générique
2.3.3.2. La conception créative
3. Conclusion de la première partie
DEUXIÈME PARTIE Cadre théorique pour analyser l’activité de conception
1. État de la recherche
2. Les questions de recherche
3. Théorie de l’activité
3.1. Activité, intention, but et motivation
3.2. L’activité, trois niveaux hiérarchisés
3.3. La relation entre tâche et activité
4. L’activité instrumentée
4.1. L’approche instrumentale
4.2. Processus d’instrumentalisation et genèse instrumentale
5. Situation-problème et obstacle
5.1. Situation, milieu didactique
5.2. Obstacle épistémologique, psychologique et didactique
5.3. Objectif-obstacle
6. Apprentissage de la conception
6.1. Tâches de conception
6.2. Rôle des outils informatiques en conception
6.2.1. Pour les spécialistes
6.2.2. Pour les élèves
6.2.3. Évolution du modèle intégrant les outils
6.3. Résolution de problèmes
6.3.1. Résolution de problèmes « ouvert » / « fermé »
6.3.2. Résolution de problèmes et difficultés d’apprentissage
6.3.3. Intérêts et limites de la résolution de problème
6.4. Travail de groupe et interactions didactiques
7. Cohérence du cadre théorique
8. Problématique d’analyse de l’activité
9. Choix méthodologiques pour l’analyse de l’activité
9.1. Tâche / Activité
9.2. Observer et analyser les activités des élèves
TROISIÈME PARTIE Approche de l’analyse de l’enseignement de la conception en technologie : Difficultés des élèves
1. Identification des savoirs
1.1. Compétences : connaissances et capacités
1.2. Entretiens avec des « spécialistes » de l’enseignement de la conception
2. Analyse d’une situation d’enseignement-apprentissage de la conception en technologie au collège
2.1. Analyse de la tâche donnée aux élèves
2.2. Analyse de l’activité a priori des élèves
2.3. Recueil et traitement des données
2.3.1. Méthodologie de l’étude
2.3.2. Test statistique (Khi2)
2.3.3. Planification et dessins élaborés
2.3.4. Échanges verbaux entre les élèves et avec le professeur
2.3.5. Les difficultés rencontrées par les élèves
2.4. Des conclusions en vue d’un choix pour poursuivre l’analyse
CONCLUSION