La compréhension au cœur de la lecture
Lire est un processus complexe qui nécessite de décoder et de comprendre
Selon le Larousse, lire c’est « reconnaitre les signes graphiques d’une langue, former mentalement ou à voix haute les sons que ces signes ou leurs combinaisons représentent et leur associer un sens. » Deux composantes sont donc nécessaires à la lecture : le décodage et la construction de sens (Gough, P.B; Tunmer, W., 1986). Il s’agit donc de faire évoluer simultanément des habiletés langagières et des habiletés cognitives.
Avant l’activité même de lecture
L’apprentissage de la lecture doit être amorcé dès l’école maternelle, on parle de lecture continuée tout au long de la scolarité. En effet, la capacité à comprendre une information passe également par l’oral. C’est en ce sens que la méthode Narramus, d’initiation à la compréhension en maternelle a été pensée par Sylvie Cèbe et Roland Goigoux. Le but est d’amener les élèves à se représenter mentalement une histoire avant même d’avoir accès aux images. Ainsi, «Narramus prépare les enfants à la compréhension des histoires en leur permettant de développer des compétences narratives déterminantes pour la suite de leur scolarité » (Le café pédagogique, 18 septembre 2017). Au travers de cette démarche, les élèves découvrent les compétences associées à la compréhension, comme l’explicitation de l’implicite en se rendant compte que le texte ne dit pas tout et qu’il faut parfois deviner, et en apprenant à raconter l’histoire, notamment en la jouant. Cet apprentissage dès la maternelle permet notamment de lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge puisque tous les élèves sont amenés à développer des habiletés langagières que certains ne développeraient pas dans leur environnement familial. Avec cette méthode, les élèves qui entrent en CP, ont tous abordé et développé les compétences nécessaires pour appréhender la lecture.
Par ailleurs, les éléments nécessaires au décodage doivent être abordés dès la maternelle : conscience phonologique et principe alphabétique. Cet apprentissage est également voué à susciter l’envie. Si un élève de maternelle confronté à l’écrit dès le plus jeune âge a compris les bénéfices qu’il peut retirer de la lecture, il aura d’autant plus envie de s’y attarder.
Un décodage nécessaire
Le décodage est la capacité à identifier des mots, c’est-à-dire à avoir accès à la forme sonore des mots. Cela demande beaucoup d’investissement et d’efforts à l’élève qui chemine vers la lecture. En effet, décoder nécessite une maitrise du principe alphabétique et une conscience phonologique. L’activité de décodage en elle-même repose sur la capacité à identifier les graphèmes et les phonèmes, et à les mettre en correspondance. Ces compétences nécessaires au traitement du code devront être, au fur et à mesure, automatisées afin de faciliter le déchiffrage de syllabes puis de mots.
Il est important de porter attention au décodage car cela représente une étape nécessaire à la compréhension écrite. Si le décodage demande beaucoup d’efforts à l’élève, dès lors les ressources attentionnelles seront moindres pour accéder au sens. Si l’apprentissage du code alphabétique est indispensable, il ne suffit pas à lui seul, à accéder à la compréhension en lecture (Oakhill & Cain, 2007). Ainsi, certains élèves déchiffrent correctement mais ne parviennent pas à accéder à la signification sémantique d’une suite de mots (Cèbe, Goigoux, 2013).
La compréhension : qu’est-ce que cela implique ?
« Pour construire le sens du texte, le lecteur doit établir des ponts entre le nouveau, le texte, et le connu, ses connaissances antérieures » (Giasson, La lecture – de la théorie à la pratique, 1995, p.13).
Nathalie Blanc précise cette définition « L’activité de comprendre se traduit par la formation d’un réseau représentationnel qui comporte des informations issues des différentes parties d’une historie, les connaissances antérieures pertinentes à leur compréhension et les relations établies entre ces différentes sources d’informations ». (Blanc, Lecture et habiletés de compréhension chez l’enfant, 2009, p.9). Ainsi, il est possible de définir la compréhension comme étant un processus demandant au lecteur de faire des liens entre le texte et son expérience afin de se représenter mentalement le langage écrit. On se rend donc bien compte que la compréhension est au cœur de tous les apprentissages. Or, de nombreux élèves ont des difficultés de compréhension, qui peuvent les poursuivre jusqu’à l’âge adulte.
La compréhension : Les habiletés langagières et cognitives à développer
Comme nous l’avons vu le décodage est nécessaire, mais son apprentissage ne doit pas se faire nécessairement préalablement à l’apprentissage de la compréhension. La compréhension est une compétence à part entière qui se développe aussi bien au travers de supports écrits ou oraux, la modalité d’encodage n’ayant pas d’impact sur la compétence à comprendre du lecteur (Kendeou et al., 2008). Nous allons donc envisager les diverses habiletés à construire chez l’apprenti lecteur-compreneur.
Le rôle du lexique et des connaissances
Il semble important dans un premier temps de distinguer le vocabulaire du lexique. Le premier est l’ensemble des mots utilisés par une personne, alors que le deuxième représente l’ensemble des mots constitutifs d’une langue (Lire et comprendre dans toutes les matières de la maternelle au lycée, Les dossiers de l’académie de Nantes, 2014). L’étude du lexique est indispensable à la compréhension puisqu’il recouvre deux composantes. Une composante contenant des informations de nature formelle (orthographe et phonologique) et une composante contenant des informations de nature sémantique (Perfetti, 2007). C’est sur ce dernier point que l’étude du lexique est fondamentale. Le sens de l’objet mot renvoie à des connaissances générales ou encyclopédiques. Cette représentation mentale du mot écrit donne tout son sens au déchiffrage et représente une étape fondamentale dans l’accès au sens du texte. En effet, les séances de vocabulaire semblent désuètes mais comprise en ce sens, c’est-à-dire accompagnées d’approfondissements sémantiques, elles ne renvoient pas à de simples compétences de mémorisation, mais à la constitution d’un bagage lexical permettant au lecteur d’appréhender sa lecture de manière de plus en plus autonome. Selon le rapport lire et écrire dirigé par Roland Goigoux « le temps passé à l’étude du lexique exerce un effet positif et significatif sur les scores en compréhension » (2016, p.361). Néanmoins, l’acquisition du lexique n’est pas une fin en soi. Celui-ci doit être au service d’une représentation mentale cohérente par le biais d’inférences.
La construction de la cohérence par la production d’inférences
La réception en lecture écrite ou entendue a pour finalité la construction d’une représentation mentale cohérente. « L’élaboration de la cohérence dépend de la disponibilité des structures de connaissances mais elle dépend aussi des mécanismes cognitifs qui sous-tendent l’analyse des relations intra-textuelles et l’établissement de liens entre les connaissances et les informations lues » (Bianco, 2015, p.143). Pour que le lecteur comprenne, il doit s’approprier la structuration du texte et produire des inférences causales, mais aussi produire des inférences de cohérence à partir de ses connaissances propres pour saisir les motivations du personnage, son ressenti et l’écart entre les intentions et le dénouement. Plus précisément, les inférences causales font référence aux différents évènements du récit et aux relations chronologiques et causales que le lecteur opère entre eux (Blanc, 2009). On distingue plusieurs niveaux d’inférences causales en fonction de la partie ou de la totalité du texte étudié, on parle alors de cohérence locale ou globale. La production d’inférences causales permet d’assurer la continuité et la progression thématique. Les inférences de cohérence sont celles qui permettent de se représenter mentalement le texte de manière cohérente. Celles-ci supposent un raisonnement logique et un jugement de la part du lecteur sur les intentions du personnage, les évènements, les résultats et les émotions provoquées, le traitement des informations et leur hiérarchisation (Bianco, 2009). Le lecteur doit faire appel à ses connaissances stockées en mémoire pour pouvoir inférer et faire dire au texte ce qu’il ne dit pas. Dès lors, l’étude du lexique et des connaissances générales qui y sont associées sont fondamentales mais elle ne suffit pas. Pour une représentation cohérente, le lecteur doit être en mesure de les invoquer pour les mettre en relation avec le texte. Pour produire des inférences, le lecteur doit donc être capable de faire appel à sa mémoire et connaitre les moments et les procédures pour lier les informations du texte à ses connaissances.
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Table des matières
1. Introduction
2. La compréhension au cœur de la lecture
2.1. Lire est un processus complexe qui nécessite de décoder et de comprendre
2.1.1. Avant l’activité même de lecture
2.1.2. Un décodage nécessaire
2.1.3. La compréhension : qu’est-ce que cela implique ?
2.2. La compréhension : Les habiletés langagières et cognitives à développer
2.2.1. Le rôle du lexique et des connaissances
2.2.2. La construction de la cohérence par la production d’inférences
2.2.3. Les différents niveaux de compréhension
2.3. Apprendre à comprendre : découvrir et s’approprier des stratégies de compréhension
2.3.1. Au niveau métacognitif
2.3.2. L’enseignement explicite des stratégies de compréhension
2.3.3. Les retours positifs d’un enseignement explicite
3. Lire pour comprendre : une obligation institutionnelle, une nécessité sociale
3.1 Un cadre réaffirmant la nécessité d’allier décodage et compréhension
3.1.1. Les instructions officielles
3.1.2. La réalité dans la pratique enseignante
3.2. Un constat regrettable : des difficultés de compréhension chez de nombreux élèves
3.2.1. Un malentendu chez certains élèves
3.2.2. La situation des élèves français
3.2.3. L’origine des difficultés
3.3. Comprendre : une nécessité sociale
3.3.1. Des disparités selon les origines sociales
3.3.2. Un enjeu scolaire, mais avant tout social
4. Une séquence sur la compréhension d’un texte entendu
4.1. Le contexte et les participants à l’étude
4.2. Une approche expérimentale basée sur le vocabulaire
4.3. Le déroulement de l’étude
5. Présentation et analyse des résultats
5.1 La compréhension littérale
5.2 La compréhension globale
5.3 La compréhension fine
5.4 L’autoévaluation
6. Discussion
7. Bibliographie
8. Annexes