La communication publique, ciment de la relation État-citoyen
La professionnalisation de la communication qui s’installe dans les entreprises depuis quelques années concerne également les organisations publiques. La communication s’y institutionnalise en effet et fait partie des représentations incontournables d’un ministère. Des services sont dédiés à la communication, les professionnels de la communication y sont de plus en plus spécialisés (relations presse, relations publics, événementiel…) et les institutions n’hésitent pas à recourir à des prestataires privés (agences de communication…) Le Service d’information du gouvernement (SIG), créé en 1976, garantit la cohérence de l’ensemble des campagnes, par-delà les changements de gouvernements. Noyau professionnel de la communication de l’État, il garde la mémoire des précédentes campagnes et donne le ton des prochaines .
Afin de comprendre comment l’État entre en communication avec les citoyens, quelle relation cela induit entre eux, et, plus particulièrement, comment l’État communique au sujet de l’impôt, sujet sensible s’il en est, nous verrons tout d’abord la genèse de la communication publique et son rôle dans notre démocratie. Puis nous étudierons ce qui la rapproche de la communication politique et les outils dont elle dispose. Enfin nous soulèverons la question plus spécifique de la communication autour de l’impôt et de ce qu’elle suppose comme destinataires et comme supports.
Une condition de la démocratie
Tant par sa naissance faite d’oppositions que par sa modulation démocratique contemporaine, la communication publique est l’une des conditions de la démocratie. L’étude de son histoire nous donne à voir une naissance en opposition – à la propagande, à la communication politique, au pouvoir parlementaire et à l’opacité. Elle a émergé peu à peu, au gré des besoins de l’État. Jusqu’en 1939, la relation directe entre le gouvernement et les Français était très faible, voire inexistante. Caroline Ollivier- Yaniv l’explique ainsi : « La tradition parlementaire s’est longtemps opposée, en France, à toute relation entre les gouvernants et les gouvernés, entre les représentants du pouvoir exécutif et les citoyens. » L’importance de la représentativité prenait donc le pas sur un éventuel contact direct entre gouvernants et gouvernés.
Au début de la seconde guerre mondiale, l’information est utilisée comme une arme et, en 1939, le Commissariat général à l’information est créé. Avec lui commence une nouvelle ère pour l’information, qui apparaît dès lors comme « une préoccupation gouvernementale continue. » .
La première opposition se trouvant à l’origine de la naissance de la communication publique prend racine sous Vichy : prédomine alors l’idée d’information d’État, autrement dit de propagande. L’association propagande-dictature a conduit, après la seconde guerre mondiale, à une réflexion sur la communication publique et sur le métier de communicant public, qui est vraiment né à cette période. La nécessité de s’éloigner de la propagande, « apanage des régimes totalitaires » , et d’entretenir une relation entre l’État et le citoyen a mené à la conception de la transparence démocratique : le citoyen doit être informé de l’action de l’État.
Jusqu’en 1969, l’État gère à la fois la politique d’information gouvernementale et les moyens de diffusion de cette information. Les années 1970 verront cela changer avec la suppression du ministère de l’Information , l’éclatement de l’Office de radiodiffusiontélévision française (ORTF), la création d’un département Opinion au Service d’information et de diffusion (SID, futur SIG). Les territoires, les préfets, servent de relais de l’information aux citoyens et doivent donc être non seulement informés mais également formés à la transmission de l’information. Des publications sont produites, ciblées. Valéry Giscard d’Estaing intervient régulièrement à la télévision et dans la presse, notamment pour rendre publiques ses directives au Premier ministre. La propagande est ainsi devenue la communication publique : le changement de dénomination indique bien la distance, l’opposition que l’on a voulu marquer entre les deux conceptions. Ce changement de modèle implique également des interdits auxquels se plie de manière systématique la toute jeune communication publique. Pour répondre par exemple à l’absence de pluralisme des sources d’information propre à la propagande, la communication publique s’interdit la monopolisation des sources d’information des citoyens. Ainsi la communication publique, opposée à la propagande, n’a plus besoin de contrôler les médias pour s’adresser au citoyen : elle peut établir une relation directe avec lui.
Toutefois cette discipline toute neuve n’a pas de cadre précis : elle se cherche une définition et, avant tout, un nom : dans les années 1990, la dénomination «communication publique » finit par l’emporter sur le syntagme préféré dans les années 1980 « communication sociale » par le biais d’associations professionnelles – notamment Communication publique, fondée en 1989 par Pierre Zémor.
La deuxième opposition importante dans la naissance de la communication publique est celle qui la confronte à la communication politique, pour les mêmes raisons que celles qui l’ont conduite à se construire en opposition à la propagande. La communication politique a en effet des visées partisanes de manipulation de l’opinion publique, de séduction, alors que la communication publique se doit à une neutralité la plus stricte possible, ou du moins à ce que Pierre Zémor appelle « le respect par chaque émetteur du degré de consensus social attaché au message. » La communication publique est née d’une troisième opposition, institutionnelle, cette fois, réduisant avec la Ve République l’importance du pouvoir parlementaire et donnant une voix plus puissante à l’exécutif qu’au parlementaire. Il est toutefois important de préciser que si l’on peut « relier la découverte de nouvelles formes de relations entre gouvernants et citoyens et les changements constitutionnels de 1958, c’est aussi parce que les deux phénomènes se nourrissent réciproquement. » Relation, communication et forme institutionnelle du gouvernement sont ainsi connectées.
Au cours des années 1990, la question de la relation entre l’État et le citoyen devient de plus en plus présente. La Commission nationale du débat public (CNDP) est créée en 1995 ; sa mission, « Vous donner la parole et la faire entendre », montre bien le lien bidirectionnel existant entre l’État et les citoyens, donnant à ces derniers une place qu’ils n’avaient encore jamais occupée.
Enfin, la communication publique est née en réaction à l’opacité : communication et transparence de la vie publique vont de pair. À partir des années 1975, pour une amélioration des relations entre les citoyens et l’administration, l’État aspire à davantage de transparence, mais toujours en éloignant le champ politique de l’information. Le SID réalise ainsi, de 1978 à 1987, le Guide de vos droits et démarches, représentatif d’une démarche d’information apolitique du citoyen. En 1993, la loi dite « Sapin 1 », relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, est votée au sortir d’une période de grands procès concernant les marchés publics. L’absence d’encadrement légal laissait en effet libre cours à certaines pratiques depuis les années 1980. Éliminer la corruption, ajouter de la transparence : telle était la genèse de l’écriture de cette loi. En 2016, la loi « Sapin 2 » s’inscrit dans le prolongement de la loi de 1993, en une volonté de favoriser l’intérêt général notamment grâce à une relation de confiance avec le citoyen . En 2001, c’est au tour du budget de l’État d’apparaître comme plus transparent et démocratique, grâce à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). L’État se doit d’être précis et compréhensible par les députés qui votent ensuite les lois de finances.
Information, démocratie, intérêt général, neutralité, transparence, confiance : tel est le « nuage » de mots qui pourraient permettre d’amorcer une définition de la communication publique. Cette naissance en opposition induit un « renversement du contrôle de la parole institutionnelle : longtemps encadrée par des interdits, cette-ci se trouve étroitement contrainte aujourd’hui par l’obligation de parler, et de parler d’une seule voix. » Cette voix unique de la communication publique se doit de représenter l’outil démocratique qu’est devenue cette dernière. L’intérêt général est en effet au cœur de la communication publique que Pierre Zémor, fondateur de l’association Communication publique, définit comme « la communication formelle qui tend à l’échange et au partage d’informations d’utilité publique, ainsi qu’au maintien du lien social, et dont la responsabilité incombe à des institutions publiques ou à des organisations investies de mission d’intérêt collectif. » Accompagnant, par exemple, la mise en œuvre d’une réforme, cette communication « se situe nécessairement sur la place publique, sous le regard du citoyen. Ses informations, sauf rares exceptions, sont du domaine public. S’assurer de l’intérêt général implique la clarté des messages et la transparence des règles du jeu. » .
Dans le cadre de cette relation sans cesse enrichie, ces dernières décennies ont vu la montée en puissance de la concertation, du débat, de la participation des citoyens à l’offre politique, jusqu’au succès actuel de la démocratie participative. Affinons le public concerné par cet outil démocratique : il est constitué de citoyens et d’usagers, qui forment une même personne type vue de l’angle politique ou administratif. « En termes sémantiques, la définition de l’“usager” constitue la traduction administrative de celle de citoyen. Le citoyen, c’est l’individu qui doit être informé de la politique que mène le gouvernement afin d’exercer pleinement ses capacités de participation. L’usager, c’est l’individu amené à entretenir des relations avec l’appareil administratif d’État » Ces deux types de récepteurs tiennent de la fonctionnalité démocratique de la communication publique. La communication publique est donc bien un outil au service de l’information du citoyen, en une sorte de boucle démocratique qui part du vote menant à l’action gouvernementale, action sur laquelle le gouvernement informe le citoyen, qui vote ainsi en connaissance de cause. Mais le citoyen n’a pas nécessairement la compétence pour juger de l’information qu’on lui donne, pour la comprendre dans toutes ses implications. Pour résoudre ce point, un seul chemin : l’exercice pédagogique d’information, l’explication de texte. C’est le rôle que Jean Paul Delevoye attribue à la communication publique, qui doit désormais, selon lui, être « une communication apprenante » qui mette sur un pied d’égalité émetteur et récepteur et qui prenne le temps de préparer son public à recevoir l’information communiquée . La communication publique se doit ainsi de rendre accessible à tous, et compréhensible par tous, l’information communiquée sur « des causes, pas des intérêts. Les causes transcendent les peuples, les intérêts les déchirent. » Au-dessus de la mêlée politique, la communication publique a un devoir de pédagogie démocratique universelle.
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Table des matières
Introduction
Pourquoi ce sujet ?
Problématique et hypothèses
Problématique
Première hypothèse
Deuxième hypothèse
Troisième hypothèse
Corpus
Méthodologie
Annonce du plan
I. La communication publique, ciment de la relation État-citoyen
1. Une condition de la démocratie
2. Le théâtre public
3. La délicate communication fiscale
II. L’impôt sur le revenu : du citoyen actif au contribuable passif ?
1. L’impôt, socle de la démocratie
2. Consentements et résistances à l’impôt
3. Entre technique et symboles : la réforme du prélèvement à la source
III. Pour une acceptation du prélèvement à la source
1. Une orchestration symphonique
2. Une mise en scène pour une mise en confiance
3. Une communication incarnée
Conclusion
Bibliographie
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