L’isolement social
Selon une étude de l’Office Fédéral de la Statistique est considérée comme en situation défavorable une personne possédant un réseau affectif de moins de 5 personnes, amis et parents proches additionnés (12% de la population suisse), un réseau de circonstance, voisins et collègues proches, de moins de 2 personnes (14% de la population) et une fréquence de contact avec des personnes extérieures au ménage inférieure à 8 contacts mensuels (9.8% de la population). Tristan affirme : « Je n’ai pas d’amis ». Les seules personnes avec qui il noue des relations, en dehors du travail, sont son père et ses deux soeurs et ceci, pas de manière régulière. Tristan tout comme Travis entre dans les critères d’une personne isolée socialement.
Les groupes à risque d’isolement sont formés des personnes à bas revenu, des personnes vivant seules ou avec un enfant à charge, des personnes en mauvaise santé, des personnes atteintes d’un déficit de formation qui sont ainsi exclues du marché du travail et des personnes qui sont de nationalité étrangère. Les personnes travaillant dans les Ateliers font partie du groupe à risque et ces derniers sont cumulés, d’une part à cause de troubles psychiques et, d’autre part, en raison de leurs bas revenus et de leur handicap. Les causes de l’isolement sont d’une part individuelles, comme expliqué précédemment, mais également collectives. La société moderne a beaucoup changé et énormément évolué : la société de type familial où le groupe passe avant l’individu a été supplantée par une société plus individualiste.
Le sociologue Tönnies soulignait, il y a déjà un siècle, « le passage de la Gemeinschaft, société de statut, où chacun avait sa place définie et où la solidarité était de type familial, à la Gesellschaft, société de contrat, axée sur les échanges, les réseaux, les liens que chacun doit construire et qui, de ce fait, requièrent une capacité à les créer et à les maintenir ». Ces relations s’avèrent d’autant plus difficiles à créer, lorsque la personne souffre de troubles psychiques. Iphigénie, infirmière en psychiatrie, relève ce problème en disant que les TR ne « choisissent pas [l’isolement] du fait de leurs problématiques. C’est difficile de créer du lien et de le maintenir en raison de l’impulsivité, de gestion des émotions et d’un rapport à l’autorité délicat. Ils se renferment de plus en plus. »
Pour Kaufmann, l’isolement contemporain est en rapport étroit avec le mouvement historique d’individualisation de la société qui repose sur l’autonomie croissante des personnes. Etant donné que la population des ASTH présente déjà des difficultés à être autonome, le risque d’isolement est accru.
Les entretiens
En troisième année, j’ai étudié les entretiens professionnels en tant qu’outil, avec une définition bien précise : l’entretien se déroule entre deux personnes ; il a un but clairement défini. J’utilise l’entretien de manière quotidienne, pour vérifier comment se sentent mes travailleurs, pour mettre en place des projets d’action personnalisés (PAP) qui durent en général une année.
Lors de ces entretiens, il m’arrive de devoir clarifier certaines situations, gérer ou prévenir des conflits. Mon rôle est éducatif, professionnel et social, durant ces entretiens : le MSP peut savoir ce que la personne vit, si elle est isolée socialement et comment elle vit cet isolement ; il peut être proposé des solutions pour vaincre l’isolement. L’importance de la régularité est relevée par Iphigénie. Cunégonde convoque les personnes isolées toutes les deux à trois semaines ; des techniques comme la reformulation et le résumé sont relevés par la psychologue. Matthieu remarque « qu’il n’est pas facile pour nos travailleurs de venir vers nous », mais que de « forcer » les personnes à venir s’entretenir avec nous a un impact sur les compétences sociales, ils n’ont pas le choix que d’exprimer ce qu’ils vivent ».
Il affirme aussi que « pour ceux qui ont des problèmes d’anxiété, c’est un réel effort. Tu sens quand ils viennent dans le bureau, au moment de s’asseoir, tu sens que c’est pesant. » Anne-Sophie dit que lors des entretiens, il est important de rester attentif au non-verbal qui est « parfois plus important que ce qui est dit ». « Une personne qui prend la responsabilité de ce qu’il dit est congruent (Carl Rogers), le non-verbal et le verbal est en harmonie. Le non-verbal est émis de façon inconsciente. Il reflète l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons. Contrairement au verbal, il ne peut être que partiellement contrôlé ou maquillé. L’importance du non-verbal nous permet de préciser la définition de relation et de communication.16 » Lors des entretiens, cette attention au non-verbal permet de connaître l’état d’âme de notre interlocuteur, ce qui permet au MSP d’aller plus loin, de vérifier et de reformuler ce qui est dit.
Afin de déterminer si l’isolement social constitue un problème inquiétant pour les personnes interrogées, j’ai directement voulu savoir si la demande systématique de l’étendue du réseau social est réalisée en entretien. Pour Michel, le privé et le professionnel doivent être séparés. Il ne pose pas la question de manière directe. Matthieu l’a effectué avec les derniers arrivés. « Sinon le truc, c’est fait au fur et à mesure, à la base, je le faisais pas systématiquement mais maintenant oui. » Pour Anne-Sophie, poser la question de manière directe « permet de comprendre la personne de manière globale , l’aspect est soulevé, l’attention est posée » ; l’isolement cache parfois une dépression. Iphigénie le demande clairement, puisqu’elle organise dans les trois mois un réseau avec l’entourage qu’elle appelle « personnes ressources ». Prudence dit : « Oui, le réseau social est tenu en compte systématiquement dans l’anamnèse et il faut également prendre en considération le degré de souffrance de la personne isolée et il est important de l’interpeler si le MSP met à jour un isolement prononcé ».
L’entretien en tant qu’outil de base est donc en première ligne pour soulever la problématique, faire un état des lieux avec le TR afin de connaître l’étendue de son réseau social. La pratique aux ASTH consiste à réunir les informations recueillies dans un journal de bord et dans un dossier. Ces informations sont accessibles par l’équipe des MSP et par la direction dont fait partie la PSY.
Les compétences sociales
Dans un deuxième temps et au fur et à mesure de la réflexion et des entretiens exploratoires, je me suis aperçu que la présence en atelier et la fréquentation d’autres travailleurs dans le cadre sécurisé de l’institution pouvaient à elles seules suffire à améliorer les compétences sociales de la personne accueillie. La direction de cette réflexion est ainsi formulée : « La présence en atelier améliore les compétences sociales de la personne accueillie. » « L’OMS introduit les compétences psychosociales comme la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir l’état de son bien-être mental en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et l’environnement « .
La compétence sociale peut se définir ainsi : « C’est être capable d’établir des relations de réciprocité positive avec ses partenaires (donner et recevoir avec équité, développer des coopérations conditionnelles) dans sept disciplines implicites de la vie quotidienne : santé, vie familiale et affective, formation, emploi, budget, logement, loisirs, tout en mettant en oeuvre des facteurs de succès comme motivation, anticipation, image de soi positive, sens des responsabilités, maîtrise de l’espace, et utilisation des acquis « .
Trois grands groupes peuvent diviser ces compétences : Le premier est en rapport avec la relation à soi-même : confiance en soi, estime de soi, confiance en ses propres capacités, réflexion sur soi et auto-évaluation. Travis le confirme : « On reprend confiance en soi », en venant travailler.
Le second groupe de compétences se développe dans la relation aux autres : empathie, esprit critique, respect, autodiscipline, capacité de s’exprimer. Il est en rapport avec les travaux en groupes où le MSP laisse parler les TR entre eux. Tristan l’explique très bien : « Si j’arrive à discuter ici, avec une personne, même un nouveau que je ne connaissais pas, je peux très bien le refaire dehors avec une personne que je ne connais pas non plus. »
Le troisième groupe de compétences sociales s’exprime dans la relation à une équipe : capacité à coopérer, aptitude à entrer en conflit et capacité de communication. A propos de travaux organisés par le MSP demandant aux TR de coopérer pour mener à bien la tâche, Iphigénie relève très enthousiaste: « C’est excellent! » et « Ca crée de la vie ». Elle affirme également que c’est au MSP de favoriser les conditions propices à l’entraide ; les TR risquent autrement de reproduire des comportements connus ; le MSP se doit donc de les encadrer, de les rassurer, de les entraîner et de les reconditionner ; seuls, les TR ne l’effectuent pas. Prudence ajoute que les TR ne viennent pas seulement en atelier pour le travail, mais également pour rencontrer du monde. Ainsi, les TR trouvent un cadre à l’atelier permettant les échanges entre eux.
Les conditions mises en place par les MSP avec une intention pédagogique comme le déclare Matthieu : « Consciemment, je casse les habitudes, assembler des gens improbables ».
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Illustration
1.2 Questionnement
1.3 Méthodologie
2. Développement
2. 1. Les outils du MSP
2. 1. 1. Le Programme d’Etude Cadre (PEC)
2. 1. 2. Créer le lien
2. 1. 3. Les entretiens
2. 1. 4. Les cercles de paroles
2. 1. 5. La valorisation des rôles sociaux
2. 1. 6. La communication non-violente
2. 1. 7. Le travail de réseau
2. 1. 8. L’engagement des intervenants
2. 1. 9. Conclusion du premier axe
2. 2. Les compétences sociales
2. 2. 1. Conclusion du deuxième axe
2. 3. L’atelier, lieu d’intégration
2. 3. 1. Le travail en groupe
2. 3. 2. La valeur du travail
2. 3. 3. L’atelier en tant qu’outil, l’accueil, les repas, les pauses
2. 3. 4. Conclusion du troisième axe
2. 4. Synthèse des trois axes de réflexion
3. Conclusion
3. 1. Limites du travail
3. 2. Pistes d’action
3. 3. Conclusion personnelle
4. Bibliographie
Annexe A Cercle de réaction image/compétences
Annexe B Guide d’entretien « travailleur isolé »
Annexe C Guide d’entretien « travailleurs sociaux »
Annexe D Extrait de la grille de dépouillement
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