Contexte : point de départ de la recherche
Au cours de ma formation, j’ai effectué un stage de fin de deuxième année dans un Etablissement et Service pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés (EEAP). Au cours de cette, j’ai pu rencontrer une nouvelle population, celle des jeunes personnes en situation de polyhandicap accueillis dans des institutions médico sociales en France. J’ai donc été directement confrontée à des situations parfois déroutantes, que je n’avais encore jamais rencontrées dans mon parcours dans la pratique en ergothérapie. Les sujets de la communication avec les jeunes en situation de polyhandicap et de leur vie quotidienne au sein de l’institution ont été centraux lors de mon expérience.
La communication est essentielle pour s’inscrire dans un rapport au monde et aux autres. En effet, tout le monde effectue cette action selon plusieurs modalités pour entrer en relation et ce, de manière quotidienne. Le langage oral est le support le plus courant pour teinter les relations sociales. Il est parfois accompagné d’autres modalités comme les gestes, les expressions faciales et de diverses manifestations corporelles. Communiquer avec l’autre, c’est aussi échanger avec lui et recueillir ses messages. C’est être attentif à la personne, recevoir et interpréter ce qu’elle exprime pour éventuellement lui exprimer quelque chose en retour (1). Chez les personnes en situation de polyhandicap, le langage oral peut être absent, altéré et plus ou moins compréhensible. Une difficulté mutuelle de communication avec les personnes en situation de polyhandicap peut résulter. L’échange réciproque en est donc modifié, d’autres modalités de communication semblent être utilisées par les personnes en situation de polyhandicap (1).
Une étude a été réalisée par la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) sur les jeunes bénéficiant d’une mesure d’Aide Sociale à l’enfance (ASE) . Elle permet de constater que la grande majorité des jeunes qui en bénéficient sont âgés entre 11 et 15 ans et il s’agit d’une population qui présente « plus de troubles psychiques, du comportement ou de la communication de les autres » (47% contre 25%) (2). Il semble exister une corrélation entre l’orientation dans des institutions, l’âge des jeunes en situation de polyhandicap et leurs difficultés d’entrée en relation. Comment s’explique cette corrélation ? Comment ces difficultés sont-elles accompagnées en milieu institutionnel ? En quoi consiste cet accompagnement institutionnel, en ergothérapie, en France ?
94 % des jeunes en situation de polyhandicap âgés de 6 ans ou plus qui sont accueillis dans les établissements médico-sociaux ne bénéficient pas d’une scolarisation. Leur présence est plutôt marquée dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) ainsi que dans les établissements médico-sociaux. La DREES rapporte qu’en 2001, 34 % des jeunes en situation de polyhandicap sortant des établissements pour enfants ont déjà atteint l’âge de 20 ans (3). Ainsi, existe-t-il des perspectives de vie et de participation sociale pour ces jeunes, en dehors du cadre de l’accompagnement institutionnel et ce, au-delà de l’épanouissement scolaire ? Quel rôle joue la communication dans un travail autour de la participation sociale ?Lorsque des difficultés pour communiquer sont aussi observées du côté des professionnels, quel impact cela peut-il avoir au niveau relationnel et humain ? Au niveau de l’accompagnement vers une inclusion en société ?
L’ergothérapeute, d’après son référentiel de compétences, contribue à cet accompagnement du jeune en situation de polyhandicap en institution, sur plusieurs aspects de la prise en soins. De manière plus ciblée, un de ces aspects comporte notamment la préconisation d’adaptations et de moyens d’assistante technologique dans le but d’aider à une certaine indépendance et autonomie au quotidien .
Thème et explication terminologique
Le thème général qui émerge de ces questionnements est donc le suivant : « La communication avec des jeunes en situation de polyhandicap » Pour cette thématique de recherche, trois grands termes principaux pourraient être dégagés et identifiés en tant que mots-clefs : « communication », « jeunes » et « polyhandicap ». Au regard de ces termes, il serait alors possible de s’appuyer principalement sur quatre champs disciplinaires pour avoir plusieurs regards sur la définition de ces termes. Ces champs disciplinaires seraient donc les sciences Médicales, la psychologie (psychologie sociale), la sociologie ainsi que la santé publique.
Communication : Au regard de la psychologie sociale, la communication serait un processus complexe qui comporte des échanges réciproques d’informations. Il existe donc une considération de tous les paramètres externes à cette communication, qui est alors vectrice d’interactions dans un groupe donné (5). En sociologie et en linguistique, la communication est une activité sociale permanente qui n’est pas accessible à tous les membres d’une société. L’accent est mis sur l’omniprésence d’une non-intentionnalité de cette communication, qui est non soumise aux concepts de normalité ou de pathologie (6). Du point de vue de la santé publique, la communication est vue comme une action importante et elle est considérée dans le cadre des transmissions interprofessionnelles. La communication se fait par plusieurs biais (consultation d’informations numériques, dialogues…) et elle se caractérise par un encodage et un décodage de l’information qui détermine la fonctionnalité de la communication (7).
Jeune : La définition d’un « jeune » est particulièrement travaillée dans les domaines de la sociologie, de la psychologie ainsi que de la santé publique. En sociologie et en psychologie, le jeune est défini comme une personne qui a quitté l’adolescence sans être encore entrée dans l’âge adulte. La jeunesse est alors un concept dynamique qui évolue selon les sociétés et qui est vecteur de changement social. Par ailleurs, c’est aussi une position sociale incertaine dont les caractéristiques seraient floues : il existe un cheminement vers l’indépendance qui serait caractérisé par de vifs changements relationnels avec la famille (7) (8). Du point de vue de la santé publique, les jeunes sont une population dont les habitudes de vie sont en pleine construction : il existe donc un certain regard sur leurs maintien en santé et les inégalités sociales dont ils peuvent être victimes. (9).
Polyhandicap : En santé publique, le polyhandicap est défini par le décret du 9 mai 2017 comme un dysfonctionnement cérébral précoce qui a un impact sur le développement et perturbe la motricité, les capacités cognitives, les compétences perceptives ainsi que la construction de relations avec l’environnement humain et physique. Le caractère évolutif est mis en avant, avec une idée de vulnérabilité des personnes en situation de polyhandicap (10) (11). En sociologie, la personne en situation de polyhandicap est un « être social » (12), inscrit humainement dans sa citoyenneté et son identité, sa singularité ainsi que dans ses relations sociales de proximité (12).
Vivacité sociale de la question
La Haute Autorité de Santé (HAS) a une volonté forte et actuelle de mettre en avant le potentiel des personnes en situation de polyhandicap. De nouvelles recommandations de bonnes pratiques ont été discutées en novembre 2020 (13). L’accent est mis sur l’écoute des besoins des personnes ainsi que sur une démarche d’accompagnement vers la citoyenneté : il y a une véritable volonté de changer le regard porté par la société sur les personnes en situation de polyhandicap (14). La citoyenneté des personnes en situation de polyhandicap apparaît comme une recommandation complète, un axe de travail déterminé. Il s’agit d’un travail sur la communication et les habiletés sociales, pour redonner un pouvoir d’agir aux personnes en situation de polyhandicap. Ainsi, elles sont considérées comme en capacité de s’exprimer, de choisir et d’agir en tant que personne citoyenne. L’appui sur un projet personnalisé coconstruit avec la personne est également un des éléments clés proposés par la HAS dans le travail pour la citoyenneté des personnes en situation de polyhandicap (14). En France, il y a une réelle prise de conscience du retard du système de soins français sur le domaine du polyhandicap. Le Groupe Polyhandicap France œuvre pour faire évoluer l’accompagnement des personnes, notamment avec l’organisation d’un Comité de pilotage du Polyhandicap qui a eu lieu en 2019 pour statuer sur les nouvelles actions à prévoir. Cet évènement a permis de faire l’état des lieux des études effectuées dans d’autres pays que la France, afin de réfléchir à des nouvelles solutions d’accompagnement (15). L’enjeu sociétal et politique est tel que des moyens financiers sont mis en œuvre pour maintenir un accueil en institution des personnes et des réflexions sont en cours sur la possibilité d’accompagner les personnes dans leur milieu ordinaire. Malgré ces moyens mis en œuvre, cette dernière possibilité a du mal à être concrètement lancée, faute de coordination entre les agences régionales actrices de la démarche .
En plus des discussions autour des aspects financiers et de l’organisation du système de soins, il existe une démarche gouvernementale d’enrichir la formation des professionnels avec de nouveaux outils et de nouvelles références de bonnes pratiques pour mieux respecter la singularité des personnes accompagnées. L’approche des personnes en situation de polyhandicap est constamment retravaillée et discutée de manière interprofessionnelle (15). Au niveau de la littérature, la question sociale est d’autant plus vive que la publication d’ouvrages récents (2017-2018) traitent de la communication avec les personnes en situation de polyhandicap. C’est une notion documentée, analysée et questionnée et ce, dans le contexte récent. Des solutions d’accompagnement sont recherchées et des pistes sont transmises dans les ouvrages. La compréhension de la personne en situation de polyhandicap est au cœur des questionnements dans la littérature (16) (17). L’enjeu sociétal est tel que certains organismes comme le Centre Ressource Polyhandicap publie constamment de nouvelles études en lien avec la thématique du polyhandicap, afin d’informer le grand public sur ce thème encore mal connu (18). Des colloques sont également organisés par des fabricants d’aides techniques, en lien avec les nouvelles technologiques de la communication pouvant être utilisées dans les situations de polyhandicap : la réflexion autour des moyens de communication est donc bien présente dans le cadre de l’accompagnement. Cette réflexion s’étend également au niveau politique, avec la Stratégie Quinquennale de l’évolution de l’offre médico-sociale, mise en place le 19 mai 2016. Elle appuie certains axes stratégiques et propose des plans d’action pour faire évoluer la pratique et le système de santé dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de polyhandicap. Parmi ces axes, il y a le fait favoriser la continuité des soins et de mieux coordonner les différents acteurs en lien avec le polyhandicap ainsi que a formation et l’expertise des professionnels de santé sur le sujet. La promotion de la citoyenneté et l’accès aux droits des personnes en situation de polyhandicap est également au centre des préoccupations politiques et sociétales, ainsi que le développement de la recherche sur le polyhandicap .
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte : point de départ de la recherche
1.2 Thème et explication terminologique
1.3 Vivacité sociale de la question
1.4 Revue de littérature
1.4.1 Champs disciplinaires et bases de données
1.4.2 Equation de recherche
1.4.3 Critères d’inclusion et d’exclusion
1.5 Analyse critique de la revue de littérature
1.5.1 Niveau de scientificité
1.6 Analyse de la revue de littérature et problématisation pratique
1.6.1 La singularité de la personne en situation de polyhandicap
1.6.2 Les difficultés pour communiquer
1.6.3 Le contexte de la communication
1.7 L’enquête exploratoire
1.7.1 Objectifs de l’enquête exploratoire
1.7.2 Population ciblée et sites d’exploration
1.7.3 Choix de l’outil de recueil de données
1.7.4 Anticipation des biais de l’outil de recueil de données et stratégies pour les atténuer
1.7.5 Faisabilité de l’enquête exploratoire
1.7.6 Déroulement de l’enquête exploratoire
1.7.7 Choix de l’outil d’analyse de données
1.7.8 Analyse des résultats de l’enquête exploratoire
1.7.9 Mise en tension critique des résultats de l’enquête avec la revue de littérature
1.8 Cadre conceptuel
1.8.1 La communication
1.8.2 L’inclusion sociale
1.9 L’institutionnalisation
1.10 Mise en tension critique des concepts
1.11 Question et objet de recherche
2 Matériel et méthode
2.1 Choix de l’approche méthodologique : l’analyse critique du discours
2.2 Echantillonnage et choix des discours
2.3 Critères de validité d’une analyse critique du discours
2.4 Le traitement de données
3 Résultats
3.1 Résumé des données
3.2 Analyse des données
3.2.1 Analyse horizontale
3.2.2 Analyse verticale
4 Discussion des données
4.1 Confrontation des résultats
4.2 Eléments de réponse à l’objet de recherche
4.3 Critique du dispositif de recherche
4.4 Atouts, intérêts, limites et transférabilité pour la pratique professionnelle
4.5 Perspectives de recherche
5 Bibliographie
6 Annexes