La colonisation : Définition, Causes et processus
Définition et causes de la colonisation
Selon Couvenhes, le terme de colonisation est moderne. Il a comme origine un terme qui n’est pas grec mais latin : colonia est une réunion d’hommes installés dans un autre pays. Les Grecs comme les Romains, ne possédaient pas de terme abstrait pour désigner le processus de colonisation . Cela n’empêche pas que le phénomène a bel et bien existé. Toujours pour lui, « les Grecs employaient différents mots pour leurs migrations et leurs implantations en terre étrangère : apoikia (ai) qui signifie « départ chez soi » ou « les établissements loin de chez eux, de leur maison », dans le but d’aller s’installer ailleurs ; « klérouchia » (ai) clérouquie traduit l’idée d’un partage de « Kléros » (oi), lots de terres, par tirage au sort et « Katoikai » (ai) que l’on peut traduire par « établissement » comme lieu d’habitation » .
Le substantif ktisma indique aussi l’établissement, tandis que les verbes oikizein, «habiter, installer, fonder une cité », oikein, « habiter, fonder une cité », ktizein, «fonder, bâtir », sont utilisés pour exprimer l’idée de créer une cité, en l’habitant, même si cette cité se trouve loin, ailleurs, ce qui ne comporte aucune différence conceptuelle pour ces Grecs. Ces termes sont parfois utilisés avec préfixe pour indiquer des situations particulières dans les mouvements migratoires et qualifier les fondations d’établissements en terre étrangère : les verbes synoikizein, synoikein, avec le préfixe syn, « ensemble, avec », indiquent la coparticipation de plusieurs groupes ethniques à l’entreprise .
En outre, les sources grecques employaient aussi le terme d’emporion qui signifie le commerce dans le but de désigner le comptoir établis outre-mer le plus souvent avec un port de commerce. Ainsi, littéralement la colonisation grecque peut être définie selon Claude Mossé comme : « le vaste mouvement d’expansion des Grecs en Méditerranée, qui débute vers le milieu du VIIIe siècle et qui allait contribuer à répandre la culture et la civilisation grecque du détroit de Gibraltar jusqu’aux rives de la mer Noire » . Le terme de la colonisation est fortement influencé par les réalités modernes : la colonisation du nouveau monde à partir du XVIe siècle et surtout la constitution des empires coloniaux européens au XIXe siècle.
En histoire grecque, un article provocateur de Robin Osborne propose : «d’éradiquer le terme de colonisation des livres portant sur l’histoire archaïque : en cause, le caractère planifié des départs et la comparaison trop évidente avec les réalités contemporaines » .
Mais, c’est la modernité même de ce phénomène qui fait qu’il y a eu un débat sur le terme qu’il faut utiliser pour désigner le déplacement de ses Grecs. Pour certains, il faut utiliser le terme de diaspora. Le terme diaspora désigne une communauté de population dispersée dans le monde mais restant en relation. D’ailleurs certains n’ont pas manqué de donner leur point de vue. C’est le cas de Pierre-Yves Boillet qui écrit: « le mot diaspora vient du verbe grec speirein (semer), ou plus précisément du verbe composé diaspirein (disséminer), et désigne ainsi la dispersion d’une population. Pour l’Antiquité, le mot diaspora est associé à la notion de diaspora juive, c’est-à-dire au mouvement de dispersions juives lors de l’exil de Babylone (587-538 av. J-C) et ensuite à la dispersion qui a suivi la destruction du second Temple de Jérusalem (70 apr. J-C)» . Mais à notre niveau, nous préférons utiliser le terme de colonisation qui illustre bien notre sujet.
Ainsi, pourquoi les Grecs ont-ils quitté leurs cités? La colonisation grecque de l’époque archaïque se présente donc comme un phénomène original, dont il faut essayer de comprendre les raisons, avant d’en retracer les processus. Cette colonisation grecque est engendrée par plusieurs facteurs :
D’abord, il y a le manque de terre qui peut s’expliquer par la situation géographique de la Grèce. La Grèce est une île qui renferme des montagnes et des plaines. D’ailleurs d’après Pierre-Yves Boillet :
Quand on pense au monde grec, on pense forcément à un milieu méditerranéen où dominent la mer et la montagne : plus de 80% du territoire de la Grèce continentale appartiennent à la montagne, et aucun point n’est éloigné de la mer de plus de 90 km. On présente le monde grec comme un monde îles, comme un monde de grandes plaines au nord (Thessalie et Macédoine), et de petites plaines séparées les unes des autres par un relief compartimenté en Grèce continentale et dans le Péloponnèse. On associe au monde grec la côte occidentale de l’Asie Mineure, modelée par de grandes vallées fluviales (Méandres, Hermos) .
Ainsi, sur cette même veine, Fernand Braudel écrit : « la Grèce est un pays agricole, d’économie archaïque, mal doté en vérité : peu de terre arables, moins encore de terre de qualité » .Les Grecs appelaient ce manque de terre sténochoria qui traduit littéralement par« étroitesse de la terre » ; on traduit aussi souvent par la soif de terre.
Ensuite, il y a l’accroissement démographique. Cela est confirmé par l’archéologie. Ainsi, selon Jean Marc Luce :
L’archéologie confirme aujourd’hui l’existence, notamment dans la seconde moitié du VIIIe siècle, d’une croissance démographique qui se manifeste moins par l’augmentation du nombre de tombes, qui peut s’expliquer autrement, que par la multiplication des sites archéologiques, constatée au moins dans trois régions : l’Argolide, l’Attique et la Corinthe » .
On note que la croissance démographique a bien entraîné le manque de terres. La demande est ainsi supérieure à l’offre. Ainsi, selon Françoise Létoublon :
Par la suite un grand nombre de jeunes Grecs cherchant, en raison de la surpopulation, à s’installer ailleurs, se répandit en Asie. Les Ioniens quittèrent Athènes sous la conduite d’Ion occupèrent la partie la plus fameuse de la région côtière, que l’on appelle encore aujourd’hui Ionie, et y établirent les villes d’Ephèse, Milet, Colophon, Priène, Lébédos, Myonte, Erythrée, Clazomènes, Phocée (…) .
A cela s’ajoute la crise agraire. La crise agraire que connaissent de nombreuses cités en Grèce a également favorisé le départ de certains citoyens, dont la condition était devenue précaire. A quoi attribuer cette crise ? Cette crise agraire est liée à des riches qui ont accaparé les terres des pauvres. Ainsi, cette crise nous est décrite par Hésiode dans les Travaux et les jours. Selon Michel Humbert :
Hésiode décrit un monde non pas contemporain, mais postérieur de peu : le VIIe siècle. Période de troubles politiques, où le prestige des aristocrates semble s’être émoussé. A la bienveillance aurait succédé l’arrogance, à une certaine justice l’injustice … . Révolte contre l’injustice des puissants : « rois mangeurs de présents», tels apparaissent les magistrats nobles de la cité béotienne .
Michel Humbert va plus loin. Il écrit :
La paysannerie libre, que les charges militaires contribuent à ruiner, s’enfonce, au VIIe siècle, dans une demi-servitude. Un déséquilibre démographique, inexpliqué mais certain dès le VIIIe siècle, grève le sol de bouches qu’il ne peut nourrir ; le morcellement des héritages là où les solidarités familiales n’établissent pas un frein salvateur fait le reste. Obérés de dettes, hypothéquant leurs terres, obligés de travailler un jour sur six pour le puissant à qui ils ont été contraints de céder leur bien, les petits paysans ne parviennent pas à lutter contre l’accaparement des terres par les nobles » .
Les processus de la colonisation grecque
Selon Jean Marc Luce, la cité grecque dès sa naissance suppose l’existence d’un territoire rural que se partagent les membres de la communauté civique. Fonder une colonie est la plupart du temps une décision qui relève de la collectivité des citoyens formant la cité. Rarement elle est la décision d’un individu et rarement elle est aussi le résultat d’une guerre civile où le vaincu est tenu de partir .Ainsi, Pierre Cabanes définit la fondation en ces termes :
La fondation d’une colonie est toujours précédée d’une progressive découverte de la région par des marins qui repèrent les sites favorables à l’établissement de colons, susceptibles à la fois de leur fournir la terre dont ils ont besoin, éventuellement un port abrité, et de toute façon la sécurité indispensable d’un site facile à défendre .
Toujours selon lui, la décision collective de la fondation fait l’objet d’un vote et d’un décret portant sur trois points. La ktisis appelée aussi (fondation d’une colonie) est à la fois un acte religieux, politique et matériel .
La fondation de la colonie est d’abord un acte religieux. Dans le cadre de la religion grecque antique où les dieux ne cessent d’intervenir dans les affaires des humains, les cités ont besoin d’une caution divine pour légitimer leurs décisions humaines. La fondation d’une colonie est le fruit de la décision collective d’un groupe d’individus qui se décident pour l’aventure et elle est, dans chacun de ces aspects, guidée par un chef oikistès (oikiste ou fondateur) de l’expédition qui jouait un rôle déterminant dans l’histoire et dans les structures de la nouvelle cité. L’oikiste fait appel au dieu lui-même pour le guider dans son expédition. On consultait le plus souvent l’oracle de Delphes. Selon Jean Marc Luce, l’oikiste, qui avec la protection des dieux, choisissait l’emplacement de la ville nouvelle, dirigeait le travail des arpenteurs, présidait à la répartition des lots de terres, adaptait la constitution de la métropole à la nouvelle cité .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA COLONISATION
Chapitre 1 : La colonisation : Définition, Causes et Processus de la colonisation
1) Définition et causes de la colonisation
2) Processus
Chapitre 2 : Les différentes implantations grecques
1) Les implantations agricoles
2) Les implantations commerciales
DEXIEME PARTIE : Les caractéristiques et conséquences de la colonisation
Chapitre 3 : les caractéristiques
1) Le caractère agraire et commercial
2) Les autres caractères de la colonisation
Chapitre 4 : Les conséquences de la colonisation
1) Les conséquences sur les peuples indigènes
2) Les conséquences sur le monde grec
CARTE DE LA COLONISATION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE