Le centre de formation
L’association Frate formation conseil
Tous les trois ans un nouveau dispositif est mis en place par l’OFII. FRATE Formation Conseil est l’opérateur qui a été choisi parmi d’autres pour la seconde fois afin de répondre à cette demande.
Il s’agit d’une association créée en 1972 et qui dès sa création avait comme objectif de faciliter l’intégration des travailleurs étrangers en proposant des cours de français langue étrangère et de savoir de base. Localisée initialement à Besançon, elle a ouvert des centres dans l’ensemble de la Franche-Comté, en Rhône-Alpes, en Bourgogne et en Alsace. Le centre où j’effectue ce stage est à Dijon.
L’équipe opérationnelle comprend une directrice au niveau national, une responsable Comptabilité et RH, une responsable administrative et une responsable administrative adjointe. Il y a également quatre responsables Territoriaux : celui Sud Franche-Comté, celle du Nord Franche-Comté / Alsace, celui du Auvergne-Rhône-Alpes et de Bourgogne, d’une responsable qualité et d’une responsable pédagogique.
L’association est très unie dans les valeurs qu’elle prône 3. Un fort lien se crée au niveau national entre les différents territoires via à une plateforme commune accessible à tous : les expériences, les documents, les travaux sont mis à disposition de tous. Des réunions ont lieu régulièrement et sont l’occasion de mettre en contact ceux qui travaillent pour la FRATE.
Le centre de Dijon où j’effectue mon stage se développe depuis le nouveau marché obtenu, le nombre d’apprenants et de formateurs a augmenté en conséquence. Cette équipe compte la responsable territoriale et pédagogique, dix-sept formateurs. Cette équipe est mobile, les formateurs peuvent se déplacer dans toute la Bourgogne. Un temps plein correspond à quatre jours de face à face pour un jour de préparation.
L’orientation pédagogique
Forte d’une longue expérience dans le domaine de l’enseignement du français langue étrangère, l’association a développé ses ressources et continue régulièrement à s’informer. Elle possède une plateforme Claroline où sont entre autres mis en commun les ressources 3 Site de l’association et les outils utilisés par les formateurs et des aides pédagogiques.
Les formateurs se réunissent lors des réunions de coordination pédagogique trimestrielles où un représentant de l’OFII est invité. Lors de ces réunions, des bilans sont réalisés et les démarches pédagogiques à adopter dans le contexte du dispositif de l’OFII sont rappelées ; de plus, les formateurs participent à des ateliers organisés par la responsable pédagogique afin d’améliorer leur pratique. Le cadre dans lequel l’apprentissage des compétences orales et écrites doit être travaillé est rappelé aux formateurs.
Il s’agit entre autres des travaux de M. de Ferrari sur l’apprentissage de l’écrit, auteur dont le CIEP s’est inspiré pour créer la charpente et qui a également coordonné les deux référentiels du nouveau dispositif de l’OFII. La méthode dont s’inspire l’association est globale, le formateur doit suivre cette méthode ainsi que connaître et adapter le contenu des différences étapes de l’apprentissage de l’écrit (décrites dans le nouveau cadre référentiel de l’écrit du marché F19) qui sont les étapes « découverte », « exploration », « appropriation », « consolidation », « généralisation » (M. de Ferrari 4).
Toutes les étapes de l’apprentissage de l’écrit sont pensées et pour un parcours de 600 heures, 80% des cours doivent être basées sur des compétences orales et 20% sur des compétences écrites ; pour un parcours de 200 heures le taux de pourcentage d’oral diminue pour laisser plus de place au développement des compétences écrites. Ce qui demande aux formateurs une prise de recul par rapport à la formation scolaire qu’ils ont reçue et une adaptation permanente aux différents niveaux de leurs groupes. La FRATE a également la responsabilité de former des bénévoles d’associations locales qui viennent dans les centres de formation pour connaître les bases de l’enseignement du français (par exemple le CECRL et son approche) et organise des conférences comme la dernière intitulée « Comment enseigner le français aux adultes migrants quand on est bénévole ? Outre les formateurs de la Frate, Mathias van der Meulen 5 (un ingénieur pédagogique) présente également les méthodes retenues d’acquisition de la lecture et l’écriture à l’âge adulte. Les bénévoles participent à cette occasion à des ateliers.
L’approche actionnelle correspond à celle du CECRL. Les activités des stagiaires doivent se réaliser à partir de documents authentiques et doivent faire sens pour eux dans leur environnement proche.
L’équipe des formateurs
L’équipe compte douze formateurs sur Dijon et six autres qui travaillent dans d’autres villes de Bourgogne. Elle est composée de cinq « anciens formateurs » mais les autres ont intégré l’équipe il y a moins de deux ans (il s’agit de leur première expérience en tant qu’enseignant de FLE). Il s’agit globalement d’une équipe jeune.
Le formateur se trouve dépourvu à ces débuts (et par la suite) face aux différentes attentes du public et de la formation linguistique en elle-même. Comme nous l’avons perçu dans la description du cahier des charges de l’OFII, cette formation est très exigeante au niveau de son ingénierie mais également de son contenu.
La première difficulté est la prise en charge des apprenants non scripteurs ou peu scolarisés comme le rappelle H. Adami (2012 : 22) « le niveau de scolarisation acquis par les migrants dans leur pays d’origine constitue un élément déterminant dans le processus d’apprentissage/acquisition ». Certains formateurs n’ont pas été formés pour intervenir dans ce cadre et doivent également adapter la formation à d’autres stagiaires ayant effectué des parcours universitaires (et dont les attentes relèveraient plus du FLE). Le partage des ressources et des idées est très fréquent, tous les formateurs essaient de créer des ressources au plus proche des besoins des stagiaires. Hormis certains manuels tels que « Ma clé Alpha », « Au boulot ! » et « Trait d’Union » par exemple, la plupart des autres manuels ne correspondent pas aux compétences à travailler dans la « charpente » CIEP et ne sont pas adaptés au niveau en français de certains stagiaires. La préparation des séances demande beaucoup de temps.
H. Adami (2012 : 28) précise également que le français langue étrangère en lui-même ne suffit pas à la prise en charge des stagiaires peu scolarisés. Il mentionne les travaux de V. Leclercq (2007) lorsqu’il affirme que « la formation linguistique des migrants est fortement ancrée dans un autre domaine disciplinaire : les sciences de l’éducation et de la formation, et notamment de la formation de base ». La deuxième difficulté est bien le fait que dans les groupes de stagiaires de niveau infra A1, lorsque le formateur aborde les données chiffrées, il réalise que certains stagiaires ne savent pas faire de simples additions, tandis que l’utilisation d’un ordinateur est une réelle découverte pour d’autres.
La troisième difficulté est que le formateur peut être également désorienté lorsqu’il doit aborder des thèmes plus ancrés dans le théorique comme les élections ou encore la liberté de déplacement. Il ne peut trouver des ressources dans les manuels et passe beaucoup de temps sur internet. Il finit par créer ses propres ressources qu’il essaie d’adapter aux différents profils des apprenants. C’est ainsi que « les formateurs professionnels intervenant dans ce domaine ont la particularité de n’être pas seulement des didacticiens. Leur domaine d’intervention est également celui du travail social, de l’insertion ou de l’ingénierie de la formation » Adami, 2012 : 31). Il peut arriver qu’un stagiaire demande des conseils suite à des problèmes de logement, de factures, de scolarisation de ses enfants, etc.). Le formateur est donc lui aussi confronté à tous les domaines relatifs à l’intégration.
Au niveau pédagogique, il contrôle les heures de chaque stagiaire pour lui faire passer son test intermédiaire et finale, récupère et s’occupe des justificatifs des absences, gère les émargements en fin de mois et constitue les dossiers de fin de parcours, etc. Parmi les formateurs, une personne fait passer les tests initiaux à l’OFII et place les nouveaux stagiaires dans des groupes, d’autres sont évaluateurs pour les tests oraux du TEF. Les formateurs, outre la partie enseignement, ont une charge administrative importante.
Les formateurs sont particulièrement motivés, ils apprécient ce public en général docile et avenant, ils s’y attachent parfois. Toutefois la charge émotionnelle peut être importante et le découragement par rapport aux lents progrès de certains stagiaires peu ou pas scolarisés survient parfois. L’équipe enseignante est très solidaire et s’entraide lors de difficultés rencontrées.
Une adaptation en continue
La formation linguistique a évolué. Elle s’est uniformisée et s’inscrit désormais dans un cadre exigeant. Elle a été conçue à partir du contenu du CECRL pour un public ayant un niveau A1.1 à B1.
Le contenu, la méthodologie, l’orientation pédagogique et les modalités de gestion de groupe sont accessibles notamment grâce à une mallette pédagogique et dans le livret du formateur.
L’association parle de « français de survie ». Il s’agit de préparer le stagiaire à agir le plus rapidement possible dans sa nouvelle société d’accueil. Toutes activités doivent faire sens dans le cadre de cette approche.
Les adultes migrants : un public hétérogène
Le public concerné par ce projet est composé de quatorze adultes qui sont arrivés en France depuis moins de cinq ans, c’est-à-dire des primo-arrivants6. Leur niveau de français a été évalué par des tests initiaux effectués lors de la signature de leur Contrat d’Intégration Républicaine. Ils ont tous un niveau infra A1 et sont donc débutants en français. Nous chercherons ici à mieux définir ces personnes en tant qu’individus qui ont des parcours de vie variés mais également en tant qu’apprenants qui peuvent avoir des parcours d’apprentissage également très différents. L’objectif sera alors de faire un état des lieux des difficultés qu’ils peuvent rencontrer à partir des tests de l’OFII et cela particulièrement à l’écrit.
Des parcours de vie
Certaines personnes ont des statuts différents, certaines sont des réfugiés ou des demandeurs d’asile alors que les autres se sont installées en France pour des raisons économiques ou familiales. Les réfugiés sont des personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine car elles risquent des persécutions alors que les demandeurs d’asile ont déposé un dossier auprès de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour une protection mais contrairement aux réfugiés leur dossier est toujours en cours d’examen. Quelle que soit la raison de leur venue en France, tous les stagiaires du CIR sont en situation d’exil ; ils doivent faire face à des difficultés relatives à l’usage de la langue cible, à l’intégration sociale, culturelle et professionnelle dans le pays d’accueil.
Le choix de quitter leur pays est souvent douloureux et la période d’adaptation dans leur nouveau pays n’est pas évidente. Beaucoup d’apprenants sont en France depuis deux, trois, quatre ans et font face à des problèmes familiaux, de santé, de logement, etc. La plupart d’entre eux cherchent un travail (seule une personne âgée ne souhaite pas travailler) alors que d’autres travaillent déjà à mi-temps le matin ou le soir, avant ou après les cours de français. Nous rejoignons ici, dans le cadre de notre public, M. Tuovenin (2019 : 18) pour qui « une des difficultés de l’enseignement des migrants est leur condition instable, aussi bien physiquement que psychiquement ». Cependant, les stagiaires du CIR cherchent dans leur grande majorité à réussir les projets qu’ils se sont fixés et sont volontaires et motivés. Il s’agit d’un public très demandeur lors des cours de français qui n’hésite pas à exprimer ses besoins très variés.
Ce public est également multiculturel. Dans le groupe de stagiaires, nous comptabilisons dix nationalités différentes (afghane, syrienne, kosovar, tunisienne, soudanaise, chinoise, libyenne, marocaine, turque et nigérienne). Certains d’entre eux ont vécu dans d’autres pays européens comme l’Espagne ou l’Allemagne, d’autres ont déjà voyagés dans d’autres pays et en France. Nombreux sont ceux qui ont donc déjà été confrontés à de multiples cultures. Comme le signale H. Adami (2011 :7) en citant D. Cuche (2001) « ce qui se déplace, en réalité, ce sont des individus ; et ces individus, du fait de leur migration, sont menés à évoluer ». Il est très courant en cours de voir des personnes de différents pays communiquer entre eux en différentes langues, certains sont plurilingues. Ils n’ont donc plus qu’une seule culture relative à celle du pays d’origine, au contraire, ils ont une richesse culturelle qu’il est nécessaire de prendre en compte et qui est toujours susceptible d’évoluer. C’est la raison pour laquelle, nombreux sont les chercheurs qui préfèrent analyser la biographie des individus que la culture qui est sensée les représenter. Des personnes d’un même pays peut avoir connu des expériences très diverses alors que d’autres d’origines différentes peuvent avoir beaucoup d’intérêts communs (comme le fait d’être une mère isolée dans un pays étranger ou encore avoir des problèmes de logement).
Dans le cadre de ce projet, nous nous intéressons à l’entrée dans l’écrit, le niveau de scolarisation des stagiaires semble être un point essentiel du point de vue institutionnel. D’ailleurs selon M.de Ferrari (2008 : 3), « dans la formation linguistique à visée d’insertion, les publics sont nommés dans les termes d’« alpha » et de « FLE » en fonction de leur scolarisation ou de leur absence de scolarisation ». Nous remarquons ici que le score le plus bas en compétences écrites est égal à 1 (une personne qui n’a jamais été scolarisée) alors que le score le plus élevé est égal à 35 (une personne qui a suivi un cursus universitaire). Toutefois deux stagiaires non scolarisés ont réussi à obtenir une note totale à l’écrit supérieure à 15/50.
Les difficultés à l’écrit ne sont pas uniquement liées au degré de scolarisation, C. Bagna & al. (2017 : 413) différencient plusieurs profils d’apprenants qui sont en difficulté à l’écrit :
• « Les apprenants qui ont une L1 sans système d’écriture
• Les apprenants qui ont une L1 avec un système d’écriture qui n’est pas acquis faute de scolarisation ou pour d’autres raisons
• Les apprenants qui ont jusqu’à trois ans de scolarisation
• Les apprenants qui ont été scolarisés mais qui ont un système d’écriture autre que le latin
• Les apprenants faiblement alphabétisés dans la L2 indépendamment du système d’écriture de la L1 ou du premier langage dans lequel ils ont acquis l’alphabétisation. » (Traduction personnelle)
C’est ainsi que dans le groupe concerné, un stagiaire a dit qu’il n’a jamais réussi à apprendre à écrire enfant et que « quelque chose n’allait pas dans sa tête » alors que d’autres stagiaires qui ont un alphabet non latin et qui écrivent dans leur langue n’arrivent pas à accéder à l’écrit en alphabet latin.
Un autre point à prendre en compte est le fait que le niveau de scolarisation déclaré par les stagiaires dans leur pays d’origine ne correspond aux normes, contenus, modalités de la culture scolaire française. Certaines scolarisations ont été vécues en discontinue du fait de guerres par exemple. Par ailleurs, certains systèmes éducatifs étrangers peuvent s’appuyer principalement sur l’oral (la place de l’écrit étant, au contraire, très importante dans la culture scolaire française).
Nous considérerons la non scolarisation comme un facteur important pour expliquer les difficultés d’accès à l’écrit dans un contexte d’intégration linguistique mais d’autres stagiaires scolarisés dans leur pays seront également concernés par ce projet.
Les composantes orales et écrites
Si nous observons les résultats des stagiaires aux tests initiaux, nous constatons de fortes disparités.
Les compétences orales oscillent entre 0 et 29,5/50. Toutefois, nous remarquons que les stagiaires de ce groupe comme des autres groupes progressent très rapidement à l’oral au fur et à mesure des cours. La grande majorité des stagiaires de l’association obtiennent au moins la moyenne au test final à l’oral.
Les scores en compétences écrites sont plus à nuancer. La compréhension écrite oscille entre 0 et 23/25 avec huit stagiaires sur quatorze qui obtiennent entre 11 et 23. Là encore, le repérage de mots dans un court texte à l’aide d’un QCM s’acquiert au cours de la formation assez rapidement et les résultats au test final sont globalement positifs. La production écrite est celle qui questionne le plus. Les stagiaires obtiennent dans leur grande majorité entre 1 à 5/25 ce qui correspond à l’activité où ils remplissent un formulaire avec leur prénom, nom, adresse. Toutefois, écrire des mots ou des phrases dans les autres activités de production écrite n’est réalisable que pour trois stagiaires dans ce groupe. Accéder à l’écrit en tant que moyen de communication est un long très long processus et comprendre un texte ou en produire est un objectif qui n’est pas atteint pour certains stagiaires de ce niveau en fin de formation.
Le choix du projet
L’orientation du projet
J’ai commencé à travailler en tant que formatrice FLE à l’association Frate un an avant d’y effectuer mon stage de master. J’ai pu à cette occasion me former auprès de mes collègues et de la responsable pédagogique qui est devenue par la suite ma tutrice. Je me suis alors rendu compte que les méthodes « miracles » n’existaient pas face à un public hétérogène et multiculturel d’un niveau infra A1 et que toute l’équipe était toujours à la recherche de solutions pour améliorer ses pratiques.
Le cadre dans lequel s’effectue la formation linguistique est celle du Contrat d’Intégration Républicaine. Le terrain est donc fortement institutionnalisé puisqu’il correspond à celui des prestataires qui ont répondu au cahier des charges de l’OFII. Les stagiaires ont quant à eux, l’obligation de suivre cette longue formation parsemée de tests à laquelle ils se raccrochent pour s’intégrer. Entre formation certificative (peu adaptée à un public non lecteur/non scripteur) et formative (à visée intégrative), le formateur tente de trouver des réponses aux difficultés d’apprentissage de certains stagiaires comme celles relatives à l’écrit.
Je n’ai pas eu de mandat particulier lors de mon stage. J’ai décidé d’orienter ce projet dans le champ de la didactique de l’écrit pour deux raisons. La première est que, comme nous l’avons mentionné, les stagiaires pas ou peu scolarisés progressent très lentement au niveau de la production écrite ; la seconde est que parallèlement, les attentes des tests de l’OFII et du TEF (pour un niveau B1) sont de plus en plus exigeantes dans ce domaine.
Plusieurs questions ont été à la base de ce projet : Comment développer des compétences écrites à travers les différents thèmes abordés par la charpente du CIEP ? Est-il possible de se focaliser uniquement sur l’écrit dans un projet avec des non lecteurs/non scripteurs ? Comment rendre acteur le stagiaire par rapport à sa formation et son insertion ? Comment les stagiaires peuvent-ils se former mutuellement ? Comment inclure un public hétérogène dans un même projet ?
La problématique
J’ai décidé de prendre du recul par rapport aux évaluations et essayé d’aborder la production écrite de manière créative. Il s’agit dans ce projet de l’accès à l’écrit, ce qui concerne surtout les stagiaires peu ou pas scolarisés, toutefois les stagiaires qui ont plus de facilité pourront également progresser puisque les attentes dépendront du niveau des stagiaires. Le point de départ de ce mémoire vient d’un questionnement personnel. Si les stagiaires comprennent et se font comprendre oralement assez rapidement en français, la question de l’écrit est problématique. J’ai bien tenté différentes approches didactiques pour faciliter l’acquisition de compétences à l’écrit, mais j’aimerais en tenter une nouvelle. Dans le cadre de l’intégration sociale des stagiaires, je désire travailler sur des « outils » de communication présents dans la vie quotidienne des stagiaires. Le projet consiste à créer une affiche sur un des thèmes de l’ancien déroulé-type du CIEP qui reste un document dont les formateurs peuvent s’inspirer pour créer leurs séances. Le thème choisi est celui de l’égalité femmes/hommes, un thème qui interroge et qui est très culturellement ancré. Il me semble intéressant de faire participer les stagiaires sur ce sujet très médiatisé en leur laissant la parole. Les stagiaires devront ensemble produire une affiche.
Nous avons également voulu prendre du recul par rapport à ce terrain afin de le considérer sous une autre dimension. Pour cela, nous nous appuierons sur P. Blanchet (2011) pour qui un terrain est […] un espace temporel, social et situationnel (au sens des micro-situations d’interactions) et donc le terrain n’est pas une chose, ce n’est pas un lieu, ni une catégorie sociale, un groupe ethnique ou une institution […] c’est d’abord un ensemble de relations personnelles où on apprend des choses » (Agier, 2004 cité dans Blanchet, 2011).
Notre objectif est de considérer « cet ensemble de relations personnelles où on apprend des choses » d’autant plus que comme nous l’avons vu, il serait dommage de ne pas tenir compte d’une richesse culturelle bien présente chez ces stagiaires. Mais dans le cadre de la création d’une affiche, d’autres questions surgissent : En quoi la production iconique sur un enjeu social favorise une articulation entre différentes perceptions du monde afin de donner un sens à un fait sociétal ? Comment retranscrire sur l’affiche-objet la co-construction d’une pensée commune par le choix d’une image et d’un texte ? Comment produire un document iconique faisant sens ?
Nous chercherons donc à répondre à la problématique suivante : Comment faciliter l’entrée dans l’écrit d’un public adulte, multiculturel et hétérogène à travers la création d’un document iconique ?
Méthodologie
J’ai opté pour la méthode de la recherche action décrite par M. Catroux, 2002. Face aux difficultés persistances à l’écrit de certains stagiaires, j’ai donc cherché à porter un regard critique sur mes pratiques d’enseignement de l’écrit. De ce fait, je désire m’appuyer sur une autre méthode qui favorise l’accès au sens et à la production des écrits sociaux à travers la création d’une affiche par le bais d’une créativité mutualisée.
Ma démarche, dans la partie suivante, consiste à m’appuyer sur la connaissance du champ relatif à ma problématique qui est : comment favoriser l’entrée dans l’écrit d’un publique adulte et hétérogène à travers la production d’un document iconique. Plusieurs notions doivent être approfondies au préalable dans le cadre théorique. La première est celle de la notion de besoin langagier, dans le cadre de la formation linguistique et auprès de ce public, j’essaierai donc en première partie de mieux percevoir quelles sont les attentes du public et celles des concepteurs de cette formation. Puis pour la deuxième notion, il sera question de développer le champ théorique lié à la didactique de l’écrit et plus précisément à l’entrée dans l’écrit d’un public peu ou pas scolarisé et en situation d’intégration linguistique. La troisième notion à définir est celle de la sémiologie et de l’aspect multidimensionnel du document iconique et l’intérêt d’un tel document par rapport à l’accès à l’écrit de ce public dans le cadre d’une intégration linguistique et culturelle.
Ce n’est qu’à partir de ces lectures que je pourrais prendre des actions et planifier mon projet dans la troisième partie de ce mémoire.
L’objectif de ce projet est de favoriser l’accès à l’écrit par le biais d’un travail axé principalement sur la compétence pragmatique. Cette compétence semble essentielle afin de comprendre et produire des écrits sociaux.
Des stagiaires, des besoins et des objectifs de formation
Chaque public à ses propres caractéristiques qui sont plus ou moins prises en considération par les référentiels et les programmes de formation. Il est en effet délicat de répondre aux besoins et attentes de tous aux vues de la diversité du public et des multiples situations dans lesquelles les stagiaires peuvent se trouver à un moment donné. Nous allons définir certaines réalités propres à ce public et tenter de comprendre comment les besoins de formation ont été pris en compte. Il s’agit de savoir sur quelles bases nous allons aborder par la suite l’apprentissage du français en contexte d’immersion et plus particulièrement de l’écrit.
Les caractéristiques du public
Nous avons déjà présenté certaines caractéristiques propres au public concerné par ce projet dans notre étude du contexte. Il s’agit à présent de prendre en considération des caractéristiques plus générales décrites notamment par certaines statistiques ou recherches afin de tenter de définir ce que peut représenter les besoins sur lesquels se sont basés les rédacteurs et coordinateurs des référentiels.
Différentes identités
Les profils de ces personnes en situation d’exil sont très variés. Vers les années 60, il s’agissait d’hommes jeunes venant travailler en France. Dorénavant, il y a autant de femmes que d’hommes, elles représentaient 51% des immigrants en 2013 7. De plus, leur âge varie principalement entre 25 et 54 ans (53%) et 34,1 % ont 55 ans ou plus8. Les origines se sont également très diversifiées. Cette évolution a entrainé des situations familiales plus variées ; désormais, beaucoup de stagiaires ont des enfants scolarisés et côtoient des jeunes célibataires. Nous verrons que les formations linguistiques cherchent à s’adapter à ces nouveaux profils de stagiaires. Ils ont des projets variés à prendre en compte.
Plusieurs distinctions doivent être faites si l’on désire mieux comprendre les caractéristiques des apprenants.
La première est de déterminer la différence entre le fait d’immigrer ou d’émigrer. Selon le site officiel de l’Office québécois de la langue française émigrer signifie « quitter son pays pour aller s’installer dans un autre » alors qu’immigrer signifie « entrer dans un pays étranger pour s’y fixer de façon durable ou définitive ».
La deuxième distinction est celle énoncée par A. Benhassen (2017 : 26). Pour lui, « l’immigrant, qui est le participe présent du verbe immigrer désigne […] un processus en cours, d’une personne qui immigre ou qui a immigré (Académie française, 1986) […] contrairement à « immigré » désignant une action achevée de déplacement ». De ce fait, les stagiaires se situent dans un processus en cours de réalisation et s’adaptent en continue aux nouvelles données de leur environnement immédiat tout en étant en immersion dans leur nouveau pays.
Le public va donc être perçu par rapport à un parcours qui est loin d’être linéaire et qui ne se termine pas lors de la signature du CIR. Ce n’est qu’à partir des expériences passées des stagiaires que l’on peut tenter de les comprendre ; l’hétérogénéité de ce public ne permet pas d’établir des caractéristiques générales. C’est dans ce cadre que l’on pourra mieux percevoir la notion de « besoins », qui n’est pas uniforme et qui est souvent évolutive puisqu’elle est reliée à la situation présente des apprenants du point de vue de leur situation familiale, professionnelle et économique.
Des vécus et une maturité
Nous devons également tenir compte du fait que cette formation se réalise dans le domaine de l’andragogie, c’est-à-dire en relation avec des adultes qui ont déjà acquis une multitude de compétences dans leur passé et qui ont développé certains automatismes et perceptions du monde. Il n’est pas possible de comparer la pédagogie et l’andragogie. Les adultes, aux vues de leurs expériences scolaires ou professionnelles et de leur disposition (famille ou travail en parallèle des cours), n’ont pas les mêmes méthodes et facilités d’apprentissage qu’un enfant. De même, au niveau de l’apprentissage du français pour des non lecteurs/scripteurs, M. de Ferrari (2008 : 2) précise que « lorsque que l’on apprend à lire et à écrire tardivement, les dynamiques d’apprentissage différent profondément de celle de l’enfant ».
Des besoins
Un besoin représente un manque et la formation s’appuie en général particulièrement sur les manques et non pas sur les atouts du public concerné. La question est ici de comprendre dans quel domaine didactique nous nous situons pour mieux percevoir ces besoins.
Les apprenants sont souvent peu scolarisés et peu qualifiés, ce qui a abouti à la conception d’un référentiel FLI adapté à ce public. V. Leclercq (2017 : 64) remarque aussi que ce secteur de l’insertion « englobe l’ensemble des dispositifs s’adressant à des adultes ou jeunes adultes maîtrisant mal un certain nombre de compétences de base, nécessaires à la vie sociale et professionnelle, et notamment de compétences langagières ». Il n’est pas rare de trouver dans les manuels de FLE destinés à ce public des pages destinées par exemple à l’apprentissage des calculs simples (« Au boulot !), d’autres destinées à l’utilisation de l’ordinateur (« Traits d’Union ») ou encore dans la charpente de l’OFII des séances portant sur les données chiffrées, le repérage dans l’espace (à travers la géographie de la France) ou la recherche d’emploi.
Le français langue d’intégration a cette spécificité qu’il s‘appuie sur différents domaines comme la sociologie, la linguistique, la formation de base, l’insertion des adultes, etc.
Des besoins objectifs aux besoins subjectifs
Au niveau des besoins langagiers, E. Lebreton (2017 : 155) fait remarquer que « cette notion reste souvent peu explicitée et la confusion entre les besoins objectifs et subjectifs d’une part, entre besoins langagiers et objectifs d’apprentissage d’autre part perdure ».
Pour montrer la complexité de ces besoins objectifs et subjectifs, elle cite J-C. Beacco et al. (2014) qui définissent les besoins langagiers par « des situations de communication (orale ou écrite) que les migrants adultes concernés souhaitent devenir capables de gérer ou que l’on veut qu’ils soient capables de gérer » (2017 : 157).
E. Lebreton (2017 :156) définit les besoins subjectifs comme « ceux exprimer par les apprenants » et les besoins objectifs comme « ceux exprimés par un tiers ».
Au niveau des besoins langagiers objectifs, pour D. Little (2008) la formation linguistique vise à : « […] permettre aux migrants d’utiliser la langue de la communauté hôte de façon basique » (cité dans Lebreton 2017 : 159).
La difficulté est de cerner comment enseigner « cette langue de survie », H. Adami remarque que « les organismes de formation retenus dans le cadre de cet appel d’offre doivent également suivre la trame d’une « charpente », qui liste les objectifs socio langagiers liés à la vie quotidienne, publique ou professionnelle que les apprenants doivent être en mesure d’atteindre à l’issue de la formation mais les contenus linguistiques de la formation ne sont pas [voire très peu] explicités » (2019 : 4).
La situation est beaucoup plus complexe de la part des stagiaires. L’hétérogénéité des parcours et des perceptions de l’apprentissage de la langue varient.
E. Lebreton (2019 : 14) cite la définition des besoins langagiers de R. Richterich (1985) : « […] la notion de besoin langagier correspond bien à cette double ambition, car elle fait immédiatement référence à ce qui est nécessaire à un individu dans l’usage d’une langue étrangère pour communiquer dans les situations qui lui sont particulières ainsi qu’à ce qui lui manque à un moment donné pour cet usage et qu’il va combler par l’apprentissage ».
Ce qui semble nécessaire à acquérir pour un individu dépend du parcours de ce dernier et cela aussi bien par rapport aux besoins langagiers qu’aux méthodes d’apprentissage.
H. Adami (2011 : 14) retrace les parcours de certains de ces apprenants, il montre ainsi que les méthodes d’apprentissage privilégiées par les apprenants ou les besoins sont très différents. Parmi ces histoires de vie que ce chercheur retrace, nous retrouvons un médecin qui n’apprend que par l’écrit et la grammaire malgré ses difficultés à gérer les interactions orales de la vie quotidienne, une mère de famille, isolée, peu scolarisée qui doit se débrouiller seule, deux salariés un pas et l’autre peu scolarisés avec « une approche de l’apprentissage […] exclusivement orale » qui doivent suivre une formation pour améliorer leur écrit dans le cadre de leur emploi, etc. Or ces parcours conditionnent les besoins ressentis des stagiaires.
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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Partie 1 – Le contexte
CHAPITRE 1. Le cadre de la formation linguistique
1.1 Vers la création d’un contrat d’Intégration Républicaine
1.2 La formation linguistique du CIR
1.3 Le bilan de l’évolution de la formation
CHAPITRE 2. Le centre de formation
2.1 L’association Frate formation conseil
2.2 L’orientation pédagogique
2.3 L’équipe des formateurs
2.4 Une adaptation en continue
CHAPITRE 3. Les adultes migrants : un public hétérogène
3.1 Des parcours de vie
3.2 Des parcours d’apprentissage
CHAPITRE 4. Le choix du projet
4.1 L’orientation du projet
4.2 La problématique
4.3 Méthodologie
Partie 2 – Le cadre théorique
CHAPITRE 5. Des stagiaires, des besoins et des objectifs de formation
5.1 Les caractéristiques du public
5.2 Des besoins
CHAPITRE 6. L’accès à l’écrit contextualisé
6.1 D’une vision autonome de l’écrit à la littératie
6.2 La dimension cognitive des interactions entre usages oraux et écrits
6.3 La co-construction des compétences au niveau de la production d’écrits
CHAPITRE 7. L’accès à l’écrit par les genres de discours
7.1 Le genre de discours comme objet didactique
7.2 L’affiche, un document iconique multidimensionnel
Partie 3 – La mise en place du dispositif
CHAPITRE 8. La conception du projet
8.1 Présentation du dispositif
8.2 Les préconisations du cahier des charges et le public
8.3 Les objectifs de la formation
CHAPITRE 9. La production de l’affiche
9.1 Les activités de compréhension des écrits sociaux
9.2 Les activités de production des écrits sociaux
9.3 La difficile entrée dans l’écrit collaboratif
Chapitre 10. L’évaluation
10.1 Analyse des composantes pragmatique et compositionnelle
10.2 Évaluation des affiches et du projet par les stagiaires
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Table des annexes
Table des matières
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