Le travail de groupe
Après m’être intéressé aux questions professionnelles que posait mon sujet, j’ai lu quelques écrits de recherches plus poussées concernant mon cadre d’analyse. Il me paraissait incontournable de lire des ouvrages concernant le travail en groupe. La classe puzzle n’étant qu’un exemple possible d’un travail de groupe, il me fallait acquérir un certain nombre de procédures favorisant un travail pédagogique cohérent. Mes nombreux questionnements concernant les travaux de groupe ont pu trouver des réponses à travers certains ouvrages de référence. La première interrogation était : pourquoi faire des travaux de groupes et surtout quelles sont les conditions à réunir pour qu’ils soient efficaces ? Pour Philippe Meirieu, le travail de groupe permet d’ « enterrer l’enseignement magistral et donne à chacun la fierté, la satisfaction d’une création utile et tangible” et “il laisse les élèves tirer des leçons de leurs erreurs et fait en sorte qu’ils les découvrent eux-mêmes ». Pour B.Rey et M.Staszewski, le travail de groupe « favorise l’auto-socio-construction des savoirs. Cette expression rend compte du fait que, dans ce type de pratiques, la construction des savoirs de chacun est favorisée par les interactions entre apprenants ». La question est alors de savoir si le travail par coopération est une méthode qui favorise l’apprentissage des élèves. L’objectif recherché est que les élèves construisent eux-mêmes leur rapport au savoir dans la logique du « bottom up ». La coopération doit permettre aux élèves d’appréhender un problème posé ensemble. Il s’agit donc de prendre en compte la manière dont les élèves coopèrent grâce aux arguments des uns et des autres qui peuvent être en désaccord quant à la compréhension documentaire ou à la réalisation d’une tâche en rapport avec le sujet central. Le conflit socio-cognitif est une « régulation collective qui s’effectue par un changement de réponses socialement manifestes assurant la réduction du conflit. Il consiste à une coordination des points de vue ; cette transformation suppose des comparaisons et des intégrations cognitives des systèmes de réponses contradictoires ». L’importance capitale des situations problèmes en groupe réside dans le fait qu’elles réveillent automatiquement, lors de la confrontation orale, des apprenants des conflits socio-cognitifs. Viennent ensuite les questionnements d’ordre pratique sur la coopération, quelle est son apport et son intérêt pour l’apprenant? Sachant que la communication est verbale, il convient également de s’intéresser au fait d’apprendre avec l’oral. Il y a donc tout intérêt à s’intéresser au niveau d’interaction et aux pratiques langagières utilisées à l’intérieur du groupe (niveau intra-individuel) et motivées par les outils de la classe puzzle à une « dépendance des conduites langagières entre les partenaires ». Le travail de groupe est un moment particulier dans un cours car le plus souvent il advient après un travail individuel. On a donc à faire à une tâche qui rythme le cours. Il s’agit d’un épisode d’apprentissage spécifique durant lequel les élèves travaillent le plus possible en coopération dans des groupes suffisamment restreints pour que chacun puisse participer à une tâche commune, sans être directement dirigé par l’enseignant. Ce travail favorise l’autosocio-construction10 des savoirs. Cette notion rend compte du fait que, dans ce type de pratiques, la construction des savoirs de chacun est favorisée par les interactions entre apprenants. Le dialogue entre élèves, sans que le professeur ne soit présent, empêche « l’effet expert », c’est à dire qu’il empêche la résolution du problème par le professeur. Cela aurait pour effet d’empêcher les élèves de se confronter à l’autre, à une vision ou un avis différent. Ce qui nuirait à la fois au principe d’auto-construction des savoirs (constructivisme) et freinerait les élèves dans le questionnement qu’ils pourraient se poser entre eux. Mais un des objectifs de ce travail est justement qu’ils parviennent à surmonter et appréhender les conflits socio-cognitifs.
Hypothèses positives pour la réussite de la coopération
Les habitudes de travail avec les élèves ont déjà permis de dégager quelques premières hypothèses de conclusion. Même en travail de groupe, les élèves cherchent la bonne réponse en évitant les confrontations d’idées alors que c’est justement le but recherché. Néanmoins, l’apport d’outils supplémentaires et les ré-ajustements successifs permettent de faire évoluer la pratique et les démarches d’apprentissage des élèves. Les élèves n’ont pas encore le réflexe de se confronter à un autre élève. Il s’agit alors de leur expliciter l’intérêt du désaccord et de l’échange afin de les faire progresser et d’affiner la compréhension d’un sujet et de sa problématique (ou de ses problématiques). Nous avons par exemple proposé aux élèves une « étape de confrontation d’idées » en les obligeant à remplir un tableau devant leur servir à enrichir leur savoir 22:
Etape 2 J’échange avec mes camarades et je confronte mes idées avec eux.
Je suis / ne suis pas d’accord avec
un camarade sur le lien entre mon
document et la problématique
J’enrichis mon savoir grâce à la coopération et à l’échange.
Qu’ai-je appris de plus grâce aux autres ?
Nous allons donc porter une attention particulière à la capacité des élèves à échanger et à confronter leurs idées. Pour cela nous avons à disposition cet outil où l’élève doit noter les points de désaccord mais également ce que cette confrontation lui a apporté. On pourra affirmer ou infirmer l’utilité de cette étape de la classe puzzle pour la validation de la résolution d’une situation-problème grâce à la coopération. Afin d’analyser les échanges verbaux entre les élèves, nous enregistrerons les débats. Cela nous permettra de disséquer les circulations d’idées à l’intérieur d’un groupe. Ce procédé nous permettra de catégoriser les discussions (collaborative, hors-propos, métacognitive, conflictuelle, procédurale, absence de discussion23) et d’en ressortir les éléments primordiaux à l’analyse de notre sujet. Afin de voir si la situation problème a été surmontée grâce à la coopération, il conviendra également de se baser sur la trace écrite des élèves. Cette dernière doit être rédigée en groupe et en reprenant les éléments du corpus documentaire de chacun. La consigne explicitée pour les élèves est de ne pas « compiler » les exemples mais de réaliser une synthèse commune qui réponde au sujet central24. Les élèves devront eux-mêmes trouver un titre à leurs documents, le sujet central et les questionnements adjacents. Une fois en groupe, l’objectif est de coordonner leurs éléments afin de trouver une problématique commune à tous les différents corpus documentaires. Pour valider cette étape, deux outils sont à notre disposition : d’une part les enregistrements audio, dont la démarche d’analyse sera la même que précédemment, et d’autre part un tableau d’auto-évaluation. Ce dernier sert à la fois de repère pour l’élève dans les étapes du travail à réaliser mais également de support pour l’évaluation finale.
Étape 3. Mise en commun et coopération
Les étapes et conditions préalables à la rédaction de la synthèse Oui Non
Je pose des questions pour comprendre les documents des camarades en lien avec le sujet
Je suis capable d’expliquer clairement l’intérêt de mon document en lien avec le sujet
Je suis capable de faire des liens entre mon sujet et ceux de mes camarades
Je participe activement à la rédaction de la synthèse
La « toile d’araignée » a donc l’avantage d’accorder deux branches à la coopération et une aux apprentissages, elle s’attelle à responsabiliser les élèves et à les inclure dans la gestion du calme dans la classe. Pour terminer, afin de vérifier s’ils ont bien compris le cours, il conviendra de demander aux élèves d’expliciter leur démarche dans la synthèse en faisant apparaître les mots-clefs, les notions (il leur sera demandé d’échanger entre eux sur l’appropriation des notions qu’un élève aura à traiter et à expliciter à ses camarades pour qu’ils la notent et la maîtrisent dans un contexte historique défini). Afin de valider cette démarche, regarder leur questionnement sur les documents puis sur le sujet général du cours sera un bon moyen de voir s’ils le groupe a pris la mesure du sujet et de son intérêt.
Recueil de données et analyse concrète de la classe puzzle en situation d’apprentissage
Les élèves ont donc été regroupés par quatre, au hasard, avec quatre corpus documentaires différents. Le travail personnel avait logiquement permis d’aborder différentes thématiques (commerciales, politiques, militaires, maritimes, religieuses…). Les élèves devaient réaliser une tâche finale au choix et trouver eux-mêmes la problématique et les questionnements afin de permettre un réel conflit socio-cognitif entre eux. J’ai auparavant réalisé un travail de différenciation pédagogique. Un sujet était censé être plus difficile d’accès (les relations diplomatiques) que les autres et à l’inverse un sujet devait être plus simple d’accès (aspect militaire et maritime). Pour un élève ciblé comme ayant plus de difficultés, le fait d’être à lui seul une des pièces du puzzle lui permet de ne pas être exclu du groupe et de valider son apprentissage. La multiplication des points de vue et des questions que les élèves lui poseront sur son sujet valorisera ses connaissances et ses compétences. Le groupe a alors « une fonction de régulation intellectuelle 32». C’est un pari que l’on fait sur le groupe de ne pas mettre de côté une des pièces du puzzle qui risquerait de mettre en péril son travail. Il s’agit donc « d’intégrer l’activité intellectuelle dans un fonctionnement d’ensemble qui lui confère une valeur sociale33 ».
Conclusion
Pour Meirieu le travail de groupe permet d’enterrer l’enseignement magistral et donne à chacun la fierté, la satisfaction d’une création utile et tangible qui laisse les élèves tirer des leçons de leurs erreurs et fait en sorte qu’ils les découvrent eux-mêmes. Malheureusement, les exemples de classe puzzle n’offrent que trop rarement la possibilité de remédiations entre pairs. Hormis peut-être l’étape deux, quand les élèves ayant eu un même sujet se questionnent entre eux. La satisfaction principale reste quand même la validation des compétences du domaine 2. Le but est ici de s’intéresser principalement aux compétences validées du socle commun, et en particulier celles mobilisant les compétences du savoir-être. On peut également être en droit d’espérer travailler d’autres compétences, même sans les cibler explicitement avec les élèves, nous pensons alors aux Domaines 1,2 et 3 du socle de compétence du cycle 443. Il y a donc des objectifs « dissimulés » dans la classe puzzle que l’on pourrait désigner « d’ordre social » 44. Les relations interpersonnelles servant à la préparation de leur rôle d’adultes, capables de vivre en société. Les groupes coopératifs participent donc à la formation de l’individu et du citoyen. Le travail en groupe se prête particulièrement bien aux séances sur l’EMC. Effectivement, il est demandé aux élèves de savoir « respecter l’opinion des autres », de « comprendre la pertinence des règles communes », de « justifier leurs jugements »…tout cela appartient au domaine 3 du socle commun des compétences : « la formation de la personne et du citoyen ». J’imaginais donc, sous couvert du travail de groupe, faire travailler l’échange, la discussion, l’écoute, la justification, l’argumentation, la coopération. Je me suis imaginé que les élèves, en groupe, seraient à la fois plus dynamiques, mieux intégrés dans la tâche, et auraient à cœur de produire un travail qui serait de meilleur facture que s’ils travaillaient individuellement. D’une part par ce que le travail en groupe permet à l’élève de se sentir impliqué dans une dynamique collective et une démarche coopérative qui dépend à la fois de son implication et de son travail. D’autre part, je voulais que chaque apprenant ait conscience de sa place dans le groupe et de son importance ; pour cela j’ai voulu m’imprégner d’une pratique pédagogique qui ne peut pas laisser de côté un élève sans pénaliser l’ensemble de son groupe. Les compétences sociales sont alors pleinement mises à contribution et semblent trouver un fort écho positif chez les apprenants tout en renforçant un certain sentiment d’efficacité personnelle. En replaçant l’élève au centre des apprentissages, on stimule chez lui un sentiment de fierté visible dans son investissement personnel avant le travail collaboratif en groupe de pairs. Du point du vue des apprentissages, l’expérience réalisée et analysée plus haut soulève quand même des points négatifs. Effectivement, la manière dont ont été pensés les documents (trop de documents, pas assez de problématisation, trop segmentés) ont fait que la plupart des groupes se sont réfugiés derrières leurs acquis ; ce qui va à l’encontre du principe même d’objectif obstacle. Les tâches à proposer doivent favoriser l’échange, il faut donc soigner le contrat pédagogique sur les attendus et les objectifs en termes de savoir. Avec un peu de recul, on peut affirmer que la classe puzzle est à privilégier lors d’une tâche dite complexe sur un sujet inconnu. Car cela regrouperait en amont toutes les conditions (nouveaux apprentissages, objectif-obstacle…) au bon fonctionnement d’une coopération entre pairs pouvant permettre la résolution d’un conflit socio-cognitif.
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Table des matières
Introduction
I Le cadre théorique d’analyse
A) Le travail de groupe
B) Les CSC
C) Transposition didactique
II Hypothèses et analyses
A) La gestion de classe
B) Hypothèses pour la réussite de la coopération
C) Les conditions de fonctionnement d’une bonne coopération, entre savoir-faire, savoir-être et savoirs : des difficultés multiples
III Recueil de données et analyse concrète en situation d’apprentissage
A) Les rapports sociaux
B) L’appropriation par les élèves ou la fierté dans le travail
C) Les situations problèmes face à l’épreuve de la coopération
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 Fiche de préparation de séquence
Annexe 2 Documents de la classe puzzle
Annexe 3 Compétences et Items
Annexe 4 Exemple de recueil de données audio
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