La « civic tech » : code comme instrument de solution de problèmes

La « civic tech » : code comme instrument de solution de problèmes

« Les gens doivent au moins être capables à comprendre comment fonctionne le code, même si ils ne peuvent pas l’écrire… Pour être émancipés ils doivent connaître la structure du monde, et aujourd’hui elle est en code » Jean-Baptiste L, MIT Medialab Carnet de terrain, 13 juin 2013 .

Le 13 juin 2013 je me rends, pour mon enquête de terrain, au workshop qui porte un titre provocateur : « Au code, citoyens ! ». Ce titre qui se réfère à la Révolution Française fait du code informatique une nouvelle arme, et par conséquence les utilisateurs des NTIC deviennent non plus des simples usagers, mais des « citoyens ». Le titre, tout en prétendant à une certaine originalité, s’inscrit dans la lignée de tant d’autres slogans que j’ai rencontrés au cours de mon enquête : « Make code not war » (« Faites le code, pas la guerre »), « Code 4 Humanity » ou encore « Code 4 Cause ». Dans ce contexte, le code se voit inscrit dans un champ lexical qui renvoie au social, citoyen, humanitaire, à une idée vague et indéfinie d’un bien commun. Le code est représenté dans tous ces mouvements et événements comme un nouvel instrument de résolution de problèmes (« causes», « challenges » ou « défis comme les acteurs vont les appeler), qui avaient été délégués auparavant aux agents humains, mouvements sociaux, institutions politiques ou techniques.

Avec un sous-titre parlant, « Empowerment by the code », le workshop « Au code, citoyens » tend de faire des rapprochements entre la maîtrise du code informatique, la compréhension du monde matériel et ses problèmes et l’encapacitation (empowerment) dont le code peut devenir un moteur. À l’ordre du jour un débat sur les divers programmes européens et américains qui favorisent une coopération entre les professionnels du code, les populations, les administrations publiques et les start-ups : Code4America, Code4Paris, Code Europe. Piotr Steininger, un des coordinateurs du programme «Code 4 Europe» participant au workshop, donne une vision originale du code : « Code is somewhere between technology, people and problems. Code is a lubricant for problem-solving as it helps to adjust and make the articulations between different actors of the world smoother …» [enregistrement du workshop, 13.06.2013] .

Cette définition du code comme « lubrifiant » qui permet d’améliorer les articulations entre les divers acteurs, humains et non-humains, qui forment nos sociétés, m’interpelle. Comment se fait-il que le code, une entité sans contours fixes, incluant à la fois un ensemble de pratiques concrètes corporelles et cognitives et de nombreux langages et outils en évolution permanente, d’une technicité élevée, voire, entourée par un certain élitisme (Coleman, 2012; Auray, 2002), est de plus en plus souvent évoqué en tant qu’instrument de résolution d’un spectre de problèmes publics très larges ? Comment faire le passage d’une cause sociale aux strings et fonctions de Python, Java ou C++ ? Cette équation entre le code et les solutions des problèmes sociaux n’a rien d’évident.

C’est avec ces questionnements que je commence mon premier chapitre, afin d’essayer de comprendre comment les acteurs donnent de la validité à cette équation, par quelles opérations de traduction le code devient un bien commun (« social good ») Mon objectif dans ce chapitre est de décrire cette nouvelle définition du bien commun, saisir les contours de cette citoyenneté qui est en train de se faire par le code à travers une étude des pratiques et des instruments, applications web et mobiles, qui sont produits par ce mouvement et le façonnent en retour.

« CIVIC HACKING » : LES HACKERS ET LES CITOYENS REDÉFINIS 

UN MOUVEMENT TRANSNATIONAL

Parler d’un « mouvement » ou d’un écosystème n’était jamais une volonté de ma part : par peur de produire des généralisations infondées et laisser disparaître les agencements situés qui font tenir les ensembles sociotechniques en question. Cependant, en commençant mes terrains j’ai très vite rencontré, de la part de mes acteurs, organisateurs des hackathons et développeurs, une volonté de s’inscrire dans une perspective globale. Conscients des expérimentations dans le domaine des civic techs et intéressés par l’histoire récente des dispositifs de la soi-disant démocratie électronique, ils affirment leur appartenance à un trend international, voire, mondial qui justifie pour eux leurs démarches et leurs propos, ainsi que les financements, souvent provenant des organisations internationales, qu’ils perçoivent pour organiser les événements que j’observais. Cette circulation des formats et la référence aux expériences internationales sont par ailleurs caractéristiques du mouvement de la démocratie participative, comme le note Loïc Blondiaux (2008), ainsi que Michel Callon et al. en parlant de l’adaptation des formats des forums hybrides et des conférences citoyennes (2001).

L’observation des différents événements où on code ou discute les applications citoyennes, comme les barcamps, les conférences et forums consacrés à l’innovation sociale, a fait ressortir un horizon de référence ou une mythologie commune. Autant les acteurs russes que les acteurs français se référent à un mouvement qu’ils décrivent comme né aux ÉtatsUnis mais devenu mondial. Stéphane Distinguin, président du Cap Digital, association loi 1901 française qui collabore avec le gouvernement dans le cadre de nombreux projets autour du numérique, a notamment fait un rapprochement entre l’initiative d’organiser une série d’hackathons gouvernementaux « Code4Paris » et le mouvement américain « Code4America » : « Aux États-Unis il est plus simple d’articuler le lien entre le gouvernement, les citoyens et l’innovation. En France on est encore à la recherche de moyens de rendre possibles les collaborations fructueuses entre les codeurs et la société civile, donner une voix aux codeurs. Je pense qu’il faut prendre les formats qui fonctionnent, qui marchent, bénéficier des connaissances de Code4America… Quelque chose qui marche… il faut le reprendre et c’est la beauté du numérique et de l’open source c’est qu’il se factorise, se bootstrappe…» [Enregistrement du workshop « Au code, citoyens », 13.06.2013, Le 104, Paris) .

La France est vue par de nombreux acteurs de mes terrains comme étant « en retard » sur le numérique et notamment en ce qui concerne la collaboration entre les codeurs et la société. Comme dans le domaine de la démocratie participative, où la France s’inspirait des expérimentations danoises, les acteurs français du milieu de l’innovation sociale font appel à des pratiques internationales. Dans ce sens, les événements du type « Code 4 America » deviennent des dispositifs opensource qui permettent de développer des dispositifs pour répondre à des défis locaux en s’inspirant des pratiques établies. En effet, tout comme le code ouvert, disponible sur les dépositoires, les recettes d’organisation de ces événements sont disponibles en ligne. Cependant, elles font objet d’une standardisation croissante et circulent de plus en plus en forme de manuels et guides (comme par exemple le fameux manuel « Civic apps competition handbook», ou le « Open Government Guide »). Les acteurs russes, organisateurs des hackathons civiques, se référant également à l’expérience des États-Unis, entre autres en ce qui concerne l’utilisation de la notion même des « applications citoyennes ». Comme le note Alexey SIdorenko, CEO de la plus grande ONG spécialisée en innovations sociales, « La Serre des Technologies Sociales » (Teplitsa Sotsialnyh Technologiy) :

« Les applications citoyennes (grazhdanskie prilozheniya) ce sont les « civic applications », c’est du copié-collé de l’Anglais, je ne vais pas dire que nous sommes tellement intelligents et que nous avons tout inventé. On s’est positionnés initialement sur l’expérience existante, parce que les hackathons, ça a commencé au début des années 2000, n’est-ce pas ? Et je pense que quand en 2012 la Serre a été créée, il y a eu déjà l’expérience mondiale de plusieurs années dans ce domaine… »  .

[entretien avec Alexey Sidorenko, CEO de la Serre des Technologies Sociales]. Cependant, le hackathon comme dispositif d’innovation sociale se trouve à la frontière, dans «l’entre-deux » d’une culture transnationale de la start-up, et du mouvement FLOSS (Free ou Libre et Open Source Software). Comme le notent Nicolas Auray et Samira Ouardi (2014) l’idée d’utiliser les technologies numériques pour le bien social oscille entre une vision libérale (« fournir un meilleur service à l’usager ») et une vision libertaire (« lutter pour un Internet libre et subvenir aux besoins des publics émergents »). Le code peut devenir un outil pour lubrifier les articulations entre les services publics et les usagers (qui se rapprochent alors des « citoyens sans qualités » décrits par Loïc Blondiaux, p. 68) aussi bien qu’un instrument de publicisation de nouveaux problèmes, un outil porté par des mouvements grassroots réunis autour d’une cause. L’organisateur du hackathon Spb Data Hack (applications pour la ville de Saint-Pétersbourg, basées sur la réutilisation des données ouvertes), Vitaly Vlassov, attribue l’idée même de la capacité des outils numériques de résoudre des problèmes sociaux au mouvement du logiciel libre et cite, comme un des ouvrages qui l’inspire dans l’organisation de ses événements devenus annuels depuis 2013, le livre de Tapscott et Williams, « Wikinomics » : « C’est un livre sur le crowdsourcing, sur comment un grand nombre de personnes peut t’aider à résoudre tes problèmes quand tu partages tes problèmes et tes connaissances. C’est un livre sur l’innovation ouverte, et depuis que je l’ai lu, je me suis intéressé à l’activisme citoyen dans différentes sphères » [entretien avec Vitaly Vlassov, organisateur Spb Data Hack].

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Table des matières

INTRODUCTION
Méthodes et approche
Terrains et objet de recherche
Une enquête sur l’expérience citoyenne
Une enquête sur « l’entre-deux »
Structure de la thèse
CHAPITRE 1. LA « CIVIC TECH » : CODE COMME INSTRUMENT DE SOLUTION DE PROBLÈMES
INTRODUCTION
Structure du chapitre
1. 1. « CIVIC HACKING » : LES HACKERS ET LES CITOYENS REDÉFINIS
1.1.1 Un mouvement transnational
1.1.2. L’enrôlement et la mobilisation des développeurs dans la « civic tech »
1.1.3. Le « civique » en dehors du « politique » : une certaine vision du bien commun
Conclusion de la partie 1.1
1. 2. LES HACKATHONS CIVIQUES COMME INSTRUMENTS DE PARTICIPATION : HISTOIRE ET ANALYSE DU DISPOSITIF
1. 2. 1. L’odyssée des hackathons : d’un monde confiné vers une hybridisation du format
1. 2. 2. Dramaturgie des hackathons : unité de lieu, de temps et des personnages
1. 2. 3. La temporalité des hackathons : figures obligées d’un format ad hoc
Conclusion de la partie 1.2
1.3. HACKATHONS COMME TRADING ZONES : TRADUCTIONS, BRICOLAGES ET MONTAGES
1.3.1. La problématisation : un processus dialogique
1.3.2. Entre connaissance du terrain et expertise technique : comment se figurer un problème ?
Conclusion de la partie 1.3.2
1.3.3. Les pidgins : graphiques, numériques, gestuels
Conclusion de la partie 1.3.3 : la vie courte des hackathons, un problème de traduction ?
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2. DE L’EXPÉRIENCE DU TROUBLE À L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR : CADRER, CLASSIFIER, CODER
INTRODUCTION
Methodologie et sources
Structure du chapitre
2.1. DES EXPÉRIENCES DE DÉFAILLANCE AUX IDÉES D’ARCHITECTURE INFORMATIONNELLE
2.1.1. WebNabludatel : la fraude électorale comme expérience citoyenne partagée
2.1.2. Citoyenneté ordinaire : la défaillance des infrastructures urbaines comme expérience citoyenne
2.2. DISPOSITIFS DE STANDARDISATION GRAPHIQUES ET SCRIPTURAUX: GUIDES, FEUILLES DE ROUTE, FORMULAIRES PAPIER
2.2.1. Guides : organiser et transmettre l’expertise
2.2.2. Supports graphiques : des traces d’une expérience vers une question de droit
2.2.3. Vers une automatisation de traitement des signalements : usages des SMS, Excel et réseaux sociaux
2. 3. INTERFACES NUMÉRIQUES ET STABILISATION DES CLASSIFICATIONS
2.3.1. La loi fait le code ? Les fondements juridiques des classifications et listes citoyennes
2.3.2. Parler en langage des administrations : applications citoyennes comme machines de traduction
2.3.3. De la fonction technique des classifications : entonnoirs entre clients et serveurs
2.3.4. Ce que les interfaces font aux plaintes
CONCLUSION DU CHAPITRE 2
CHAPITRE 3. LE PROBLÈME « COMME IL EST » : LES INTERFACES À L’ÉPREUVE DES USAGES
Introduction
Méthodologie et sources
Etre testeuse : une position méthodologique particulière
Structure du chapitre : les niveaux de failles
3. 1. ASSEMBLER UNE APPLICATION : DU TEST EN LABORATOIRE VERS L’ÉPREUVE DU « MONDE RÉEL »
3.1.1. Le code ne parle pas pour lui-même : les failles dans la documentation du code
3.1.2. Les testEurs : un art de faire boguer une application
3.1.3. « Le trou » en tant que tel, ou ce trou-là ? Problème de représentation graphique des anomalies
3.2. QUAND L’INTERFACE RENCONTRE L’EXPÉRIENCE : LE SENS POLITIQUE DES CLASSIFICATIONS
3. 2. 1. Qu’est-ce qui est « normal » ? La loi, l’expérience et le bon sens
3. 2. 2. Problèmes de classification : catégories monstres, postiches et résiduelles
3. 2. 3. D’une catégorie résiduelle à un problème public
3.3. LES CONTRAINTES DES « MISES EN RÉCIT ». L’EFFET « VENTRILOQUE» DES APPLICATIONS CITOYENNES
3.3.1. Application SLCAF: entre l’assistance et l’encapacitation
3.3.2. Braconnages des utilisateurs : au-delà du formatage « par le design »
CONCLUSION DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4. CHAÎNES LONGUES, CHAÎNES COURTES : NOUVELLES FORMES DE MÉDIATION SOCIOTECHNIQUE ENTRE CITOYENS ET ADMINISTRATIONS
Introduction
4.1. LES CHAINES COURTES : FAIRE DU « MATCHING » ENTRE LES PROBLÈMES ET LES SERVICES
4.1.1. De « l’Alerte Voirie » à « Dans Ma Rue » : un long chemin vers des chaînes courtes
4.1.2. Les applications administratives russes : nouveaux instruments de l’action publique
4.1.3. « L’Etat ne peut pas s’automatiser tout seul » : le marché des applications citoyennes
4. 2. CHAÎNES LONGUES. L’EXTENSION DES RÉSEAUX ET LE DETOUR COMME MOYENS DE PUBLICISER LES PROBLÈMES
4.2.1. Comment fonctionne le principe des chaînes longues ?
4.2.2. Les ruptures, les blocages, les échappatoires : quand les chaînes longues ne sont pas efficaces
Conclusion de la partie 4.2.2
4.2.3. APIs comme lieux de négociations politiques : réagencement des chaînes longues
Conclusion de la partie 4.2
CONCLUSION

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