LA CITOYENNETÉ ET LES JEUNES
L’éclatement des trajectoires d’entrée dans la vie adulte ainsi que les transformations du monde du travail nous amènent à reconsidérer les façons qu’ont les jeunes d’appartenir à la société. Nous avons vu que le travail a perdu de son lustre à titre de vecteur de l’intégration. De plus, la notion même d’intégration semble inapte à rendre compte de l’adhésion des jeunes à la société tant sa nature est relative. De ce fait, l’étude de la citoyenneté chez les jeunes serait plus en mesure de nous éclairer sur leur adhésion à la société car elle rend compte du lien social et politique qui nous unit. Le terme de citoyenneté fait entre autres référence aux droits et devoirs qui lient l ‘ensemble des individus à la communauté. Il sous-entend également une certaine identification collective et une participation aux affaires communes : « … la citoyenneté correspond aux formes toujours provisoires et changeantes de participation et d’identification à la communauté, qui peut prendre le nom de nation, de pays ou de société. » (Hamel, 2000, p.65). Le sujet est à la mode et nombreuses sont les invitations au renouvellement de la citoyenneté. Quoi qu’il en soit, Molgat (2000, p.75) nous met en garde contre l’utilisation du concept de la citoyenneté qui est à son avis : « . . . un concept socialement construit, sensible aux changements et objet de diverses manipulations».
C’est pourquoi il sera d’abord question de l’origine de la citoyenneté et de son évolution dans l’histoire. Ce retour dans le temps nous mènera jusqu’à un survol du modèle de citoyenneté qui prévaut au Canada. En second lieu, il s’agira de situer la citoyenneté dans son contexte actuel et de mettre en lumière certaines transformations auxquelles celle-ci est présentement confrontée. Dans un troisième temps, la citoyenneté sera abordée dans une perspective plus théorique où deux conceptions de citoyens seront présentées, c’est-à-dire : les modèles républicain et libéral. Enfin, un dernier point portera sur les débats entourant la situation des jeunes d’aujourd’hui face à la citoyenneté.
Historique de la citoyenneté
L’étude de la citoyenneté nous oblige à porter un regard sur ses origines. C’est pourquoi une brève rétrospective de celle-ci sera présentée afin d’illustrer son évolution au fil du temps 1 Ce survol, loin d’être exhaustif, nous permettra de retracer les influences (notamment anglaises et françaises) qui ont façonné le modèle de citoyenneté en présence actuellement au Canada. Par ailleurs, nous nous attarderons peu sur un autre moment fort de la démocratie et de la citoyenneté, c’est-à-dire; les évènements entourant la Déclaration d’indépendance des États-unis (1776), afin de concentrer notre attention sur une ligne directrice mettant en relief deux idéaux types de la citoyenneté. La première forme de citoyenneté trouve son ongme dans le berceau de la démocratie, c’est-à-dire à Athènes dans la Grèce Antique. De là émerge le pnnc1pe de gestion des affaires communes par le peuple, sur une base libre et égalitaire. La communauté des citoyens représente l’unique détentrice de la légitimité politique et décide par le fait même des affaires communes de la cité. La loi représente l’expression de l’ensemble des citoyens et repose sur le principe que tous sont égaux devant elle. Ainsi, on n’obéit plus à quelqu’un qui possède le pouvoir mais à un ensemble de lois définies par la communauté de citoyens.
C’est un gouvernement du peuple par le peuple ! La citoyenneté prend forme dans l’action. Par l’entremise d’une démocratie directe et non représentative, le citoyen athénien participe entre autre aux travaux de l’Assemblée populaire (Ecclésia), lieu du pouvoir législatif et décisionnel. Il est un véritable acteur de la vie politique compte tenu des différentes charges qu’il peut exercer sur une base régulière. La citoyenneté se fonde sur un partage de valeurs communes. Le citoyen, ne pouvant être conçu comme un être isolé, appartient à un ensemble politique et moral (la cité) avec lequel il partage un idéal commun. La citoyenneté se manifeste ainsi dans la dimension publique de l ‘existence « On n’est pas citoyen au sein d’une famille, qui est la dimension affective et intime, strictement privée, de la vie personnelle» (Castillo, 2000, p.7). Instrument d’unité sociale, la citoyenneté est la reconnaissance d’une vertu qui se mérite au terme d’une intégration réussie. Malgré sa fonction d’unité sociale, la citoyenneté n’est pas accordée à tous. Seuls les garçons nés d’une mère et d’un père athéniens ont le privilège d’être citoyens athéniens excluant ainsi les femmes, les esclaves, les métèques et les citoyens déchus. Malgré la participation du peuple à la gouvernance publique, le modèle grec demeure une démocratie limitée à ceux qui possèdent le statut de citoyen. Signe de quoi citoyenneté ne va nécessairement toujours de pair avec égalité. L’histoire de la citoyenneté nous amène ensuite à l’époque de la Rome antique. À l’image du modèle grec, la citoyenneté romaine repose au départ sur le principe de la vertu et des droits qui en découlent. Toutefois, réservée au départ aux élites fortunées, la citoyenneté prend des allures d’une aristocratie de citoyens dans la mesure où les plébéiens, les femmes, les affranchis et les esclaves n’ont aucun droit. Le système politique alors mis en place ressemble davantage à un régime monarchique où le roi est élu par une classe d’élites.
Une citoyenneté nationale en perte de vitesse
Un premier constat réside dans le déclin de la citoyenneté fondé à partir d’un État-nation (Weinstock 2000, Duchastel 2000, Boisvert 2000, Schnapper 2000). C’est que depuis les trois derniers siècles, l’ affirmation de la citoyenneté a toujours été associée à l’indépendance nationale. Weinstock (2000) croit que le modèle de citoyenneté dans lequel nous vivons est en voie d’être dépassé au profit d’une citoyenneté de plus en plus éclatée. Il souligne premièrement le fait que l’État-nation représente de moins en moins l’unique garant des droits individuels. Il doit désormais partager cette responsabilité avec des instances supra (ex. : ONU, OMC) et infra-nationales (ex: provinces, régions). Deuxièmement, le contexte pluraliste (diversité culturelle, linguistique, religieuse, morale, … ) qui caractérise nos sociétés modernes, cumulé aux droits des minorités font en sorte qu’une définition homogène de la citoyenneté à partir de l’État-nation s’avère dépassée. La troisième mutation concerne l’expansion de la société civile qui, par le biais d’associations et d’organismes regroupe librement les individus en fonction d’intérêts communs et cela, sans l ‘entremise de l ‘État. Ces mutations font en sorte que la référence identitaire principalement canalisée autour de l’État-nation, est de plus en plus distribuée entre de multiples pôles (société civile, niveau supra et infra national).
À partir des exemples du Québec et du Canada, Duchastel (2000) illustre comment la conception de la citoyenneté à partir de l ‘État-nation a fait place à une vision plus ouverte et inclusive. Il dégage deux distinctions entre le Canada et le Québec dans leur représentation identitaire de la communauté. Il souligne le fait que les Canadiens anglais font peu référence à l’idée de nation. Ils présentent plutôt le Canada comme un ensemble de citoyens partageant des institutions sur un territoire commun. À l’inverse, les Québécois semblent avoir tendance à utiliser une terminologie qui fait d’avantage référence à des notions collectives telles que peuple ou nation. Au fil des années, ces deux conceptions ont évolué. L’identité canadienne est progressivement passée d’une conception sociale et universelle garantie par des institutions politiques à une représentation particulariste du citoyen, arbitrée par les tribunaux dans le contexte de la charte des droits et libertés. Au Québec, c’est la façon de concevoir la nation qui a changé. Depuis l’époque de Duplessis, c’est une vision politico-ethnique (race canadienne-française et catholique) qui a fait progressivement place à une vision politico-culturelle pour en arriver finalement à une représentation d’une culture francophone commune.
Le déclin des instances d’intégration
Un autre constat réside dans la perte d’efficacité des instances dont la mission concerne l’éducation à la citoyenneté. Dominique Schnapper souligne que les instances sociales, qui autrefois assuraient l’intégration nationale, sont en déclin: «Qu’il s’agisse de l’École, de l’Église, des syndicats, ou des grands services de la nation, aucune institution n’exerce plus une autorité qui s’impose par elle-même» (Schnapper, 2000, p. 204). L’école et l’armée ne sont plus en mesure de transmettre des valeurs nationales et patriotiques. La baisse de fréquentation dans les églises et la difficulté de recrutement au sein des partis politiques sont des signes de remise en question des institutions par lesquelles s’était construite la société nationale. C’est que les individus se donnent maintenant le droit de juger, au cas par cas, s’ils doivent ou non obéir aux normes prônées par ces instances. Cette liberté s’effectue au nom de l’épanouissement personnel qui démontre sans aucun doute la prépondérance de l’individualisme au sein de nos sociétés occidentales.
Cette liberté est également témoin de la pluralité des façons d’être et de vivre rendant ainsi caduques toutes visions ho listes de la société. De son côté, Jacques Beauchemin (2000) met en perspective les divergences actuelles entre des instances qui en appellent au renouvellement citoyen ; c’est-à-dire: la société civile (groupes communautaires, groupes de défense des droits et d’usagers), les divers paliers de gouvernements (fédéral, provincial, municipal) et l’école.
C’est que le désengagement de l’État face aux politiques sociales a fait en sorte de favoriser la prise en charge du citoyen. Le bon citoyen est désormais responsable ! Il est moins dépendant des programmes de soutien de l’État et ne constitue pas un fardeau pour celui-ci. Pour la société civile, la citoyenneté passe par une participation véritable aux débats politiques portant sur les grandes orientations de la société. C’est pourquoi elle désire au contraire que l’État intervienne afin de soutenir la capacité des individus à intégrer la société. L’École quant à elle, souhaite le développement de compétences liées à l’ouverture et à la tolérance aux autres afin de préparer les jeunes à une société marquée par le pluralisme des valeurs. Toutefois, ce qui étonne l’auteur c’est que ces trois visions convergent sur un point; c’est-àdire que le renouveau citoyen passe par l’ individu. Le citoyen idéal c’est un individu conscient de ses droits et respectueux de ceux des autres. C’est également quelqu’un qui est plus autonome dans ses difficultés et ouvert à la discussion dans un cadre démocratique.
Cette tendance à mettre le fardeau du renouvellement citoyen sur l’ individu pourrait occulter le rôle que peuvent jouer les institutions. En effet, celles-ci ne semblent pas remises en cause malgré le fait qu’elles ne partagent pas une vision commune du citoyen. C’est comme dire que les institutions n’influencent pas la société et les individus.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION
CHAPITRE I CONCEPTIONS DE LA JEUNESSE ET PERSPECTIVES D’INTÉGRATION
1.1 Les conceptions multiples de la jeunesse
1.2 Perspectives d’intégration des jeunes
CHAPITRE II LA CITOYENNETÉ ET LES JEUNES
2.1 Historique de la citoyenneté
2.2 La citoyenneté au Canada
2.3 Une citoyenneté en changement
2. 3.1 Une citoyenneté nationale en perte de vitesse
2.3.2 Le déclin des instances d’intégration
2.3.3 Judiciarisation de la citoyenneté
2.4 Conceptions libérale et républicaine de la citoyenneté
2.6 La situation actuelle des jeunes face à la citoyenneté
CHAPITRE III CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
3.1 Présentation des hypothèses
3.2 Définition des composantes liées à 1 ‘hypothèse
3.3 Méthodologie
CHAPITRE IV ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
4.1 Analyse des commentaires recueillis
4.1.1 Conception globale du citoyen
4.1.2 Conception du citoyenjeune
4.1.3 Conception de la dimension juridique de la citoyenneté
4.1.4 Conception de la dimension pratique de la citoyenneté
4.1.5 Conception de la dimension identitaire de la citoyenneté
4.2 Interprétation des résultats
4.2.1 Analyse en lien avec la dimension juridique
4.2.2 Analyse en lien avec la dimension pratique
4.2.3 Analyse en lien avec la dimension identitaire
4.2.4 Interprétation des résultats en lien avec les hypothèses
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
Questionnaire d’entrevue
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