Le service d’oncologie de l’Hôpital Universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavolona (HUJRA) Ampefiloha est l’unique centre de référence du cancer à Madagascar. Il accueille plus de 1000 patients par an. Le service a recensé 1200 patients portant de
tumeurs malignes en 2009 et 1320 en 2010 (1, 2). Parmi toutes les spécialisations de la médecine interne, l’oncologie médicale grâce à la chimiothérapie est probablement celle qui a subi les plus importants changements en pratique médicale ces 20 dernières années. En effet, la chimiothérapie a permis de guérir des tumeurs hautement malignes autrefois incurable telles que les cancers du testicule, les lymphomes et les leucémies (3). Actuellement, la chimiothérapie cytotoxique utilisée à visée curative, adjuvante, néo-adjuvante ou seulement palliative, occupe une place importante dans la prise en charge des cancers (4). Au service d’oncologie de l’HUJRA, elle constitue la principale thérapie complémentaire de la chirurgie car la radiothérapie n’est pas encore opérationnelle. Par opposition à la chirurgie et à la radiothérapie qui sont des traitements locorégionaux ; la chimiothérapie cytotoxique est un traitement systémique général. Cependant, les agents cytotoxiques sous forme injectable ne peuvent pas être fournis prêt à l’emploi par le fabricant car la dose doit être ajustée à la surface corporelle de chaque patient. Ainsi la préparation de ces doses, appelée « reconstitution », est réalisée au sein de l’unité de soins ou à la pharmacie de l’hôpital par un personnel qualifié. En effet, la manipulation de ces substances hautement toxiques en milieu hospitalier comporte :
• Des risques chimiques pour la personne amenée à les préparer ;
• Des risques de contamination microbiologiques pour la préparation et
• Des risques d’iatrogénie médicamenteuse pour le patient (5) (6).
La chimiothérapie cytotoxique
Mécanisme d’action des anticancéreux cytotoxiques
Les anticancéreux cytotoxiques regroupent un ensemble de médicaments aux modes d’action différents mais ils exercent tous une action létale sur les cellules malignes et saines à prolifération rapide. Cette propriété leurs confère l’appellation de « cytotoxiques ». Les agents cytotoxiques utilisés en chimiothérapie anticancéreuse interagissent avec l’ADN ou ses précurseurs en inhibant sa synthèse ou en induisant des lésions irréparables. Certains agents agissent après la phase de transcription. Ils interagissent alors avec des protéines et des enzymes impliquées dans la prolifération ou division cellulaire.
Les agents cytotoxiques selon leurs mécanismes d’action agissent à différentes phases du cycle cellulaire. Ainsi, on distingue :
• les médicaments cycles indépendants : ils exercent leur action cytotoxique sur les cellules en cours de prolifération ou non, par exemple, les nitrosourées.
• les médicaments cycles dépendants : ils ne sont actifs que sur les cellules en division quelle que soit la phase du cycle cellulaire (à l’exception de la phase G0). Les intercalants et certains alkylants sont cycles dépendants.
• Les médicaments phases dépendants : ils agissent sur des enzymes précises et ne sont efficaces que sur des cellules se trouvant dans une phase donnée de la division cellulaire. Ce sont les poisons du fuseau, les antimétabolites, les inhibiteurs des topoisomérases. Les médicaments cycles indépendants et cycles dépendants ont une courbe effet-dose linéaire c’est-à-dire que la proportion de cellules tuées augmente de façon linéaire avec la dose délivrée. Par contre, l’effet des médicaments phases dépendants s’accroit de façon linéaire au début de l’administration puis au-delà d’une certaine concentration, un plateau est atteint. Ceci traduit la saturation de tous les sites enzymatiques.
Effets indésirables des chimiothérapies cytotoxiques
Les effets secondaires dus à l’administration des cytotoxiques à doses thérapeutiques chez les malades atteints de cancer sont bien connus. Du fait de leurs mécanismes d’action et de leur manque de sélectivité, certains effets indésirables sont communs à tous les agents cytotoxiques par leur effet antiprolifératif. Et selon le métabolisme des molécules, des effets indésirables plus spécifiques sont décrits.
Risques chimiques encourus par les manipulateurs de cytotoxiques
Les médicaments anticancéreux présentent des toxicités intrinsèques à cause de leur action pharmacologique. Les effets indésirables chez les patients en témoignent. Les personnes chargées de leurs manipulations sont par conséquent exposées à des risques chimiques potentiellement graves. Avant d’aborder les différents types de risques encourus par les manipulateurs de cytotoxique ainsi que certains faits relatés par les littératures, il est important de parler des diverses sources d’exposition des personnels soignants à ces drogues hautement toxiques.
Sources d’exposition
Au cours de la reconstitution des médicaments anticancéreux, les manipulateurs peuvent être exposés à des vapeurs, des aérosols, des poudres ou des solutions. Ces différentes formes peuvent impliquer différentes voies d’absorptions possibles telles que les voies cutanée, digestive et pulmonaire (7).
Exposition cutanée
L’absorption des cytotoxiques par voie percutanée constituent la principale source de contamination du personnel infirmier et/ou des préparateurs en pharmacie et/ou des pharmaciens (8). Elle résulte d’un contact direct avec le contaminant ou d’un contact de la peau avec une surface contaminée. En effet, les différentes surfaces du local de préparation (plan de travail, poignet de la porte, murs, sols…) sont susceptibles d’être contaminées par les agents cytotoxiques. L’insuffisance ou l’absence d’équipement et de matériels de préparation, un mauvais geste technique et entretien du local restent les principales sources de ce type de contamination environnementale. Certains anticancéreux telles que le cyclophosphamide, le 5 fluorouracile ayant une tension de vapeur très faible à la température ambiante se vaporisent, puis se déposent sur toutes les surfaces du local de préparation (9, 10). La contamination des surfaces lors de la reconstitution des cytostatiques peut être évaluée par échantillonnage de surface en utilisant un marqueur fluorescent comme la quinine (11). Une étude couvrant 21 établissements dans lesquels les cytostatiques sont préparés sous des postes de sécurité microbiologiques (PSM) de classe II a permis de mettre en évidence dans la plupart des cas, des contaminations par le cyclophosphamide atteignant des valeurs moyennes de 0.13 ng/cm2 sur les sols, de 0.79 ng/cm2 à proximité des PSM et de 10 ng/cm2 sur les surfaces extérieures des flacons de perfusion après leur préparation. Après l’introduction d’un dispositif de sécurité permettant la préparation des cytostatiques en milieu fermé avec un système permettant d’équilibrer la pression (Securmix®), plus aucune de ces contaminations n’a pu être observée (12). Par ailleurs, une contamination extérieure des flacons livrés par l’industrie pharmaceutique par des agents cytotoxiques a été mise en évidence (13) (14). Ainsi leurs manipulation à main nue, favoriserait le passage des agents cytotoxiques à travers la peau. Enfin, les divers accidents de travail notamment, la projection cutanée, oculaire, sur la blouse, des piqûres malencontreuses par une aiguille souillée constituent également des moyens de pénétration par voie cutanée direct des cytotoxiques.
Exposition par inhalation
Les manipulations pouvant conduire à la formation d’aérosols solides ou liquides sont nombreuses. La reconstitution d’un lyophilisat ou la dilution d’un liquide, le retrait d’une aiguille hors d’un bouchon peuvent notamment provoquer un appel d’air et une éventuelle aérosolisation du produit. Ce phénomène d’aérosolisation apparait d’autant plus important que si le préparateur n’adopte pas la bonne technique pour éviter la surpression, et qu’il ne dispose pas de matériels adéquats. La mesure du taux de médicament dans l’air ambiant permet de mettre en évidence le niveau d’exposition externe aux cytostatiques du personnel infirmier et du personnel pharmaceutique. DeWerk Neal A. et coll ont relevé des quantités mesurables de 5 fluorouracile et de cyclophosphamide lors de prélèvement d’air dans le local de préparation. On a pu ainsi démontrer qu’en l’absence de mesures de protection adéquates, la préparation des cytotoxiques engendre la formation d’aérosols inhalables susceptible de contaminer le préparateur par voie respiratoire (15).
Exposition par ingestion
Les mains souillées par des cytotoxiques et qui par la suite sont portées à la bouche, l’ingestion d’aliments contaminés sont à l’origine de ce type de contamination du personnel qui manipule la chimiothérapie anticancéreuse (16). C’est pour cela entre autres qu’il est interdit de boire, de manger, de fumer dans le local de préparation et que le lavage hygiénique des mains est préconisé après chaque reconstitution de cytotoxique.
Manipulation des excréta et des vomissures des patients
Bien que la manipulation des excréta (selles, urines,…) des patients n’est pas le sujet de cette étude, elle expose aussi le personnel infirmier et une autre catégorie de personnel (personnel d’entretien,…) à des risque chimiques. En effet, la majorité des médicaments anticancéreux sont excrétés par voie urinaire ou biliaire, ils se retrouvent alors sous forme inchangée ou sous forme de métabolites actives dans les selles ou dans les urines des patients. En outre, les médicaments administrés par voie orale peuvent se retrouver dans les vomissures consécutives à leurs prises (7). Par conséquent, des mesures de protection de plus haut niveau (blouse à manche longue à poignet serré, masque de protection, gants…) doivent être adoptées afin de réduire le niveau d’exposition des personnels soignants.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: REVUE DE LA LITTERATURE
I. La chimiothérapie cytotoxique
I.1. Mécanisme d’action des anticancéreux cytotoxiques
I.2. Effets indésirables des chimiothérapies cytotoxiques
I.2.2. Toxicités Spécifiques
II Risques chimiques encourus par les manipulateurs de cytotoxiques
II.1. Sources d’exposition
II.1.2. Exposition cutanée
II.1.3. Exposition par inhalation
II.1.4.Exposition par ingestion
II.1.5. Manipulation des excréta et des vomissures des patients
II.2. Méthodes utilisées pour la mise en évidence de l’exposition professionnelle liée à la manipulation de cytotoxique
II.2.1. Étude du pouvoir mutagène des urines
II.2.2. Test cytogénotoxique
II.2.3. Méthode analytique
II.3. Les risques liés à la manipulation des cytotoxiques et les effets observés chez certains manipulateurs
II.3.1. Toxicité immédiate
II.3.2. Toxicité retardée
II.3.2.1. Carcinogénicité et mutagénicité des anticancéreux
II.3.2.2. Effets sur la reproduction
iii.preparation de medicaments a l’hopital
III.1. Définition de la préparation magistrale
III.2. Reconstitution des chimiothérapies anticancéreuses
III.2.1. Recommandations pour la manipulation des cytotoxiques à l’hôpital
III.2.2. Les recommandations des Bonnes Pratiques de manipulation des médicaments anticancéreux
III.2.2.1. Quantification du niveau d’exposition
III.2.2.2. Les recommandations pour les locaux, les équipements et matériels de préparation
III.2.2.3. Les Bonnes Pratiques de reconstitution des cytotoxiques
DEUXIEME PARTIE: MATERIEL ET METHODE
I. Objectif
II.materiel d’etude
II.1. Présentation du service
II.1.1. Organigramme du service
.II.1.2. Ressources matérielles
II.1.3. Les principales pathologies rencontrées dans le service
II.2. Organisation du service pour la mise en œuvre de la chimiothérapie
II.2.1. Organisation de la chimiothérapie
II.2.2. Responsable de la préparation et de l’administration des agents cytotoxiques injectables
III methode
III.1. Choix du référentiel
III.2. Choix des méthodes de mesures
III.2.1. Construction de la grille d’évaluation ou feuille de mesure
III.2.2. Modalités d’évaluation
III.2.2.1. Type et durée de l’étude
III.2.2. 2. Source d’information
III.2.2. 3. Taille de l’échantillon
III.3. Recueil des données
III.4. Traitement des données
TROISIEME PARTIE: RESULTATS
I repartition de l’activite de reconstitution des cytotoxiques du service
II resultats globaux
II.1. Résultats globaux de l’étude
II.2. Résultats globaux des items
II.3. Conformité des pratiques par rapport aux référentiels
II.resultats detailles
III.1. Asepsie de la préparation
III.2. Protection du personnel
III.2.1. Port d’équipement de protection individuelle
III.2.2. Gestion des déchets
III.2.3. Gestes techniques
III.3. Protection du patient
III.3.1. Contrôle de la prescription
III.3.2. Vérification des médicaments avant la reconstitution
III.3.3. Contrôle de la préparation
QUATRIEME PARTIE: COMMENTAIRES ET DISCUSSION
I.conformite globale au referentiel
II. cause des non-conformites
II.1. Contraintes matérielles
II.1.1. Insuffisance d’EPI
II.1.2. Plan de travail inadéquat
II.1.3. Matériels inadéquats
II.2. Contraintes humaines
II.2.1. Insuffisance de personnel
II.2.2. Insuffisance de formation du personnel
III. absence d’un pharmacien hospitalier
SUGGESTIONS
CONCLUSION
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