Choix d’une maladie
Sur quels critères une société pharmaceutique se base t-elle pour décider du type de maladie pour laquelle un nouveau médicament devrait être conçu ? Manifestement, il serait logique de se focaliser sur les maladies qui exigent la mise au point de nouveaux médicaments ou de molécules plus performantes. Malheureusement, en dehors des besoins médicaux, les sociétés pharmaceutiques doivent aussi prendre en considération divers facteurs d’ordre économique. Les travaux de recherche et de développement de nouveaux médicaments se traduisent par des investissements considérables. Dès lors, les compagnies doivent être sûres au départ d’avoir un retour financier satisfaisant de leurs investissements. A cause de cela, les projets de recherche ont tendance à être plutôt focalisés vers les maladies de la « société de consommation », car c’est là que l’on trouve plus facilement les personnes qui disposent des moyens voulus pour se payer de tels médicaments. Une bonne part des recherches ont trait à des maladies comme la migraine, la dépression, les ulcères, l’obésité, la grippe, le cancer ou encore les problèmes cardio-vasculaires. Beaucoup moins de travaux sont consacrés aux maladies tropicales. Une fois la maladie désignée, l’étape suivante consiste à identifier une cible appropriée pour le médicament à créer [28].
La nature : un modèle
Depuis des millénaires, les produits naturels ont fourni des quantités innombrables de composés qui présentaient une activité biologique intéressante. De nos jours encore, bon nombre de médicaments provient, soit directement d’une source naturelle, soit de l’amélioration d’un composé phare isolé à partir d’un matériau naturel. « En effet, 80% de la population mondiale utilise les plantes médicinales. En Europe, 45% des médicaments sont d’origine naturelle. Avec 40% de dérivés de produits naturels ou de produits de synthèse issus de structures naturelles et 5% de produits strictements naturels» [W1]. La plupart des produits naturels qui sont dotés d’une activité biologique sont des métabolites secondaires dont la structure est souvent très complexe. Ceci est un avantage ; en ce sens qu’il s’agit ainsi de composés faisant office de tête de série très originales. Malheureusement, une telle complexité rend leur synthèse extrêmement difficile, de sorte que le plus souvent, les composés doivent être extraits de leur source naturelle, ce qui est laborieux, onéreux et pas toujours efficace. Voilà pourquoi il est souvent plus intéressant de concevoir des analogues plus simples. En général, les produits naturels sont des sources particulièrement riches de substances chimiques originales et dont la structure est telle qu’aucun chimiste n’aurait jamais révé de les synthétiser. L’artémisinine, une substance antipaludique illustre ce fait : la molécule contient, comme on le voit un cycle trioxane, apparemment fort instable ! C’est l’une des structures les plus invraisemblables que l’on a pu élucider ces dernières années. L’artémisinine est employée en médecine traditionnelle chinoise depuis plus de deux mille ans.
Énantiomérie (chiralité)
Dans le domaine de la chimie médicinale, la séparation des énantiomères est indispensable en vue d’étudier les propriétés biologiques propres à chacun d’eux. En effet, différentes situations peuvent se présenter quant aux propriétés pharmacologiques, pharmacocinétiques et aux toxicités de deux énantiomères. Des énantiomères peuvent présenter qualitativement et quantitativement la même activité biologique. C’est le cas des cocaïnes (+) et (−) anesthésiques locaux et des prométhazines (+) et (−) antihistaminiques H [58]. Des énantiomères peuvent posséder qualitativement le même type d’activité mais d’intensité différente. Le composé le plus actif, correspondant à celui dont l’affinité de fixation sur sa cible est la plus forte, implique une interaction stéréosélective. Le cas des deux énantiomères de l’adrénaline (épinephrine), illustre bien cette situation. En effet, l’isomère (R)-(−) est 12 fois plus vasoconstriteur que l’énantiomère (S)-(+). La différence d’activité entre deux énantiomères a été interprétée par la théorie de Esson et Stedman envisageant trois points de contact dans le cas de 60 l’énantiomère le plus actif avec sa cible. La plus forte activité de la (R)-(−)- adrénaline s’expliquant par une meilleure fixation de celle-ci au récepteur avec trois sites de fixation (liaison hydrophobe de Van der Waals et liaisons hydrogène des deux groupes hydroxyle pour le noyau benzénique, liaison hydrogène pour l’hydroxyle alcoolique et liaison hétéropolaire de la fonction amine ionisée) par rapport à l’énantiomère correspondant à la (S)-(+)-adrénaline (deux sites de fixation), selon le schéma hypothétique suivant [22] [34].
Amélioration de la sélectivité sur la cible
sélectivité antiproliférative de l’estramustine pour les récepteurs des estrogènes présents dans le tissu prostatique par rapport à la chlorméthine, lors du traitement des cancers de la prostate;
sélectivité de l’inhibition enzymatique : cas des inhibiteurs de la cyclooxygénase 2 (COX-2) pour les anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase A (IMAO-A : cas des antidépresseurs) ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase B (IMAO-B : cas des antiparkinsoniens) [37].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : GENERALITES
I. LA RECHERCHE MEDICALE
I.1. La recherche fondamentale
I.2 La recherche appliquée
I.2.1 Recherches initiées par les connaissances acquises sur les cibles
I.2.1.1 Inhibiteurs d’enzymes
I.2.2. Les récepteurs
I.2.3. Les canaux ioniques
I. 3 La recherche clinique
I.3.1.Les études précliniques
I.3.2. Les études cliniques
I.3.4 Les différents types d’étude
II. LE PARCOURS ADMINISTRATIF DU MEDICAMENT
II.1 Les médicaments génériques
II.2 Situation au Sénégal
DEUXIÈME PARTIE : DES ORIGINES AU DEVELOPPEMENT CHIMIQUE DU MEDICAMENT
I. LES ORIGINES DU MEDICAMENT
I.1 La nature : un modèle
I.1.1 Origine végétale d’un médicament
I.1.2 Autres origines naturelles du médicament
I.1.2.1 Origine animale d’un médicament
I.1.2.2. Origine minérale d’un médicament
I.1.2.3 Origine marine
I.1.2.4 Origine microbiologique
I.2 Médicaments obtenus par synthèse
I.2.1 Synthèse classique
I.2.2. Synthèse combinatoire (screening)
I.2.3 Modélisation moléculaire
I.2.4 Médicaments existants déjà
I.2.4.1 Amplification d’un effet secondaire
I.2.4.2 Criblage de substances synthétiques se trouvant dans les « banques » chimiques
I.2.4.3 Médicaments pour « moi aussi »
I.2.4.4 Précurseurs et métabolites
II. RELATION STRUCTURE ACTIVITE
II.1. Méthodes d’études qualitatives des relations entre la structure et l’activité
II.1.1 Analogues structuraux
II.1.2 Isostérie
II.1.3 Bio-isostérie
II.1.4 Homologues et vinylogues
II.2 Relations quantitatives entre la structure et l’activité
II.2.1Méthode de Hansch
II.2.2 Méthode de Topliss
III. STÉRÉO-ISOMÉRIE ET MÉDICAMENTS
III.1Généralités
III.2 Isomérie géométrique (Z – E)
III.3 Énantiomérie (chiralité)
IV. MODIFICATIONS PHYSICO-CHIMIQUES D’UN MEDICAMENT
IV.1 Préparation de nouvelles formes
IV.2 Amélioration de la stabilité et de la sélectivité
IV.3 Modification au niveau structurel
TROISIÈME PARTIE : LA SYNTHESE INDUSTRIELLE DU MÉDICAMENT INTRODUCTION
I.SÉLECTION D’UNE VOIE DE SYNTHÈSE
I.1 Les éléments importants du choix
I.1.1 Sélectivité des réactions
I.1.2 Nombre d’étapes
I.1.3 Convergence de la synthèse
I.1.4 La rétrosynthèse
I.1.5 Disponibilité et coût des matières premières
I.1.6 Sécurité- environnement
I.2 Exemple de la synthèse de l’aspirine
I.2.1 Synthèse au laboratoire de l’aspirine
I.2.2 Synthèse industrielle de l’aspirine
II. DEVELOPPEMENT CHIMIQUE ET OPTIMISATION
II.1 Solvants et réactifs
II.1.1 Solvants
II.1.2 Réactifs
II.2 Conditions de réaction
II.3 Isolement des produits et enchainement éventuel des réactions (one pot)
II 4 Sécurité et environnement
II.5 Optimisation
III. EXTRAPOLATION – PRODUCTION
III.1.Les risques liés à l’extrapolation de la réaction
III.2 Incidence sur le work-up
IV. LA CHIMIE VERTE
IV.1 Principe de la chimie verte
IV.2 Quelques thèmes de la chimie verte
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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