La cellule et sa membrane

Les diffรฉrents traitements thรฉrapeutiques et les activitรฉs de diagnostique sont limitรฉs par la capacitรฉ que possรจdent les molรฉcules bioactives, les mรฉdicaments ou les agents de contraste ร  entrer dans les cellules. Ces molรฉcules sont souvent introduites dans lโ€™organisme en large excรจs afin quโ€™une infime fraction parvienne ร  atteindre sa cible, le reste รฉtant dรฉgradรฉ par lโ€™organisme sans atteindre sa cible. Depuis plus de vingt ans et la dรฉcouverte des peptides pรฉnรฉtrants ou ยซย Cell Penetrating Peptideย ยป (CPP), une alternative ร  la dรฉlivrance de ces produits semble avoir รฉtรฉ trouvรฉe. En effet ces peptides ont la capacitรฉ de traverser la membrane cellulaire et dโ€™entrer dans les cellules avec une cargaison, ouvrant une nouvelle voie pour la vectorisation. Du fait de leur dรฉcouverte relativement rรฉcente, les mรฉcanismes molรฉculaires de la traversรฉe de la membrane cellulaire sont encore mal caractรฉrisรฉ. Une meilleure comprรฉhension du fonctionnement de ces CPP permettrait une utilisation efficace de ces peptides dans un but thรฉrapeutique.

Cโ€™est dans ce contexte que sโ€™inscrit ma thรจse, rรฉalisรฉe en collaboration entre le Laboratoire des BioMolรฉcules (LBM) et le Laboratoire Interfaces et Systรจmes ร‰lectrochimiques (LISE) sous la direction de Sophie Cribier, Nicolas Rodriguez, Vincent Vivier et Kieu Ngo. Nous avons suivi une approche biophysique et utilisรฉ diffรฉrentes techniques issues de la physique : la mesure de force, les mesures รฉlectriques et la microfluidique, appliquรฉes ร  la biologie dans le but dโ€™รฉtudier les mรฉcanismes dโ€™internalisation des CPP. Ces mรฉcanismes, sur lesquels nous reviendront, sont de deux types : lโ€™endocytose et la translocation. Nous avons cherchรฉ ร  obtenir une description cinรฉtique et รฉnergรฉtique des diffรฉrentes รฉtapes de la translocation des CPP : lโ€™adhรฉsion, lโ€™insertion puis la traversรฉe de la membrane. Cโ€™est pourquoi nous avons dรฉveloppรฉ deux axes de travail : lโ€™un consiste ร  mettre au point un outil couplant mesure de force et รฉlectrophysiologie pour faire des mesures directement sur des cellules vivantes et le second, utilisant la microscopie de fluorescence et la microfluidique, permet une approche du problรจme de lโ€™internalisation des CPP sur systรจme modรจle.

La cellule et sa membrane

La cellule comme compartiment

Si les peptides pรฉnรฉtrants ou ยซย Cell Penetrating Peptideย ยป (CPP) sont le sujet de cette thรจse, la cellule est lโ€™environnement dans lequel ils interagissent, leur terrain de jeu ! Une cellule est lโ€™รฉlรฉment de base de tous les รชtres vivants, elle reprรฉsente la brique รฉlรฉmentaire du vivant. Elle permet de compartimenter et cloisonner des milieux rรฉactionnels. Lโ€™apparition de cette compartimentation serait dโ€™ailleurs une des รฉtapes essentielles dans lโ€™apparition du monde vivant. Une cellule est donc un milieu confinรฉ, prรฉsentant un intรฉrieur et un extรฉrieur sรฉparรฉs par la membrane plasmique, avec une composition diffรฉrente pour chacun des milieux. Nous nous concentrerons ici sur les cellules eucaryotes , constituant les organismes pluricellulaires et cibles des peptides pรฉnรฉtrants.

Cette compartimentation se retrouve รฉgalement au sein mรชme de la cellule oรน des souscompartiments, appelรฉs organites (ou organelles), sont prรฉsents dans un milieu aqueux, le cytosol (ou cytoplasme). Cette sรฉparation en diffรฉrents compartiments soulรจve la question de lโ€™adressage des composants biologiques. En effet le bon fonctionnement dโ€™une protรฉine impose une localisation prรฉcise or les protรฉines sont rarement produites sur leur lieu dโ€™action. Cela implique de transporter ces composants biologiques vers leurs compartiments cibles au sein de la cellule qui peuvent รชtre :
โ€” Les endosomes qui sont des vรฉsicules ร  lโ€™intรฉrieur des cellules. Il en existe plusieurs types et ils nโ€™ont pas le mรชme rรดle. Les endosomes prรฉcoces (ยซย early endosomesย ยป), situรฉs en pรฉriphรฉrie du cytoplasme, vont permettre de dissocier et trier ligands et rรฉcepteurs oรน un pH lรฉgรจrement acide (6 โˆ’ 6, 8) minimise les risques dโ€™endommagement des protรฉines quโ€™il va รชtre possible de rรฉutiliser tandis que les endosomes tardifs (ยซย late endosomesย ยป) et les lysosomes prรฉsentent un pH plus acide (โˆผ 5) et sont responsables de la dรฉgradation des composรฉs biologiques en vue de leur recyclage.
โ€” Le noyau est le lieu oรน se retrouve lโ€™information gรฉnรฉtique de la cellule et de lโ€™organisme. Les brins dโ€™ADN y sont transcrits et rรฉpliquรฉs. Il permet de rรฉguler lโ€™expression des gรจnes.
โ€” Les mitochondries sont les usines ร  รฉnergie de la cellule. Elles fournissent lโ€™รฉnergie par le biais de rรฉactions dโ€™oxydo-rรฉduction qui sont couplรฉes ร  la production de lโ€™adรฉnosine triphosphate (ATP), source dโ€™รฉnergie des rรฉactions en biologie. Ces rรฉactions au sein de la mitochondrie constituent la respiration cellulaire.
โ€” Et dโ€™autres encore pour lesquels nous ne rentrerons pas dans les dรฉtails tels que le rรฉticulum endoplasmique ou lโ€™appareil de Golgi qui servent notamment ร  la maturation des protรฉines, ร  synthรฉtiser et trier les molรฉcules biologiques de la cellule.

Tout comme la cellule avec la membrane plasmique, les organites intracellulaires sont dรฉfinis par un intรฉrieur et un extรฉrieur dรฉlimitรฉs par une membrane. Ces membranes ont chacune leurs spรฉcificitรฉs mais sont principalement composรฉes de deux constituants : des protรฉines et des lipides. Lโ€™objet de cette thรจse est justement lโ€™รฉtude de molรฉcules capables de traverser ces membranes pour transporter efficacement une cargaison vers ces diffรฉrents compartiments.

La membrane cellulaire comme rempart impermรฉable ?

La membrane plasmique est donc un rempart plus ou moins impermรฉable (comme nous le verrons par la suite, cf. I.3) isolant lโ€™intรฉrieur de la cellule de lโ€™extรฉrieur. Ce rรดle de barriรจre est assurรฉ par les lipides qui sโ€™organisent en bicouche. Les lipides sont des molรฉcules amphiphiles constituรฉes dโ€™une tรชte polaire hydrophile (souvent chargรฉe ou zwitterionique), et dโ€™une partie apolaire hydrophobe (des chaรฎnes carbonรฉes). Dans la bicouche les tรชtes polaires sont tournรฉes vers lโ€™extรฉrieur et les chaรฎnes carbonรฉes constituent le coeur qui reprรฉsente un environnement hydrophobe dรฉfavorable pour les molรฉcules hydrophiles et en particulier les ions. Au sein de ces lipides se retrouvent les protรฉines membranaires, insรฉrรฉes dans la bicouche, ainsi quโ€™un ensemble de glucides assemblรฉs en chaรฎne dโ€™oligosaccharides chargรฉs nรฉgativement, liรฉs covalemment aux lipides (les glycolipides) ou aux protรฉines (les glycoprotรฉines) et qui pointent vers lโ€™extรฉrieur de la cellule. Ces modifications des lipides et protรฉines, appelรฉes glycosylation, sont post traductionnelles et se produisent dans lโ€™appareil de Golgi. Ce ยซย manteauย ยป ร  la surface des cellules est appelรฉ glycocalyx. Ces diffรฉrents constituants forment un ensemble ยซย fluideย ยป dans lequel les lipides et les protรฉines difusent en permanence. Cโ€™est le modรจle de la mosaรฏque fluide proposรฉ par Singer et Nicolson [Singer and Nicolson, 1972] .

Les oligosaccharides du glycocalyx ont un rรดle structurant en rigidifiant et augmentant lโ€™adhรฉrence de la cellule, et sont รฉgalement les premiers partenaires lors dโ€™une interaction ร  la surface de la cellule. Comme nous le verrons plus loin, certains de ces polysaccharides, aussi appelรฉs glycosaminoglycanes (GAG) semblent jouer un rรดle important dans lโ€™interaction des CPP avec les cellules. Ils sont essentiellement de deux types, les sufates dโ€™hรฉparane (HS) et les chondroรฏtines sulfates (CS) .

Les protรฉines membranaires jouent plusieurs rรดles. Elles peuvent avoir un rรดle de production dโ€™รฉnergie (notamment au niveau de la membrane des mitochondries pour la respiration cellulaire), un rรดle de transporteur de matiรจre (en formant des canaux dโ€™entrรฉe ou de sortie) ou un rรดle de transfert dโ€™information (en fixant des hormones, des facteurs de croissance ou des neurotransmetteurs dans les neurones par exemple). Elles forment des liaisons non covalentes avec les lipides : des interactions polaires avec les tรชtes des lipides et des interactions apolaires avec le coeur de la membrane formant un ensemble dynamique.

Finalement les lipides sont ร  la base de la structure membranaire. Ils diffusent au sein de la membrane, couvrant jusquโ€™ร  10 ยตm2 par seconde [Thompson et al., 2007] et sont rรฉpartis de faรงon non homogรจnes. Au sein dโ€™un mรชme feuillet, il semble que des domaines lipidiques puissent se former avec une composition en lipide diffรฉrente dโ€™un domaine ร  un autre. Des domaines lipidiques de taille micromรฉtrique (appelรฉs radeaux) ont รฉtรฉ abondamment dรฉcrits sur des vรฉsicules artificielles (telles que les GUV [Bagatolli and Gratton, 2000] et les GPMV [Baumgart et al., 2007] dont nous parlons au chapitre III.1.1). Dans le cas des membranes cellulaires, les protรฉines membranaires pourraient recruter certains lipides spรฉcifiquement entraรฎnant une hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ de rรฉpartition lipidique et des domaines de quelques dizaines de nanomรจtres et transitoires seraient aussi prรฉsents [Harder et al., 1998]. Il existe รฉgalement une asymรฉtrie de composition entre les deux feuillets. La composition en lipides du feuillet externe nโ€™est pas la mรชme que celle du feuillet externe. Cela a รฉtรฉ suggรฉrรฉ pour la premiรจre fois par Bretscher [Bretscher, 1972]. Cette asymรฉtrie de composition entraรฎne une asymรฉtrie de charge, les lipides chargรฉs nรฉgativement se trouvant plutรดt dans le feuillet interne de la membrane, participant au potentiel de repos des cellules.

La membrane est donc une barriรจre complexe protรฉgeant et confinant lโ€™intรฉrieur de la cellule. En effet, des gaz (oxygรจne, dioxyde de carbone), de petites molรฉcules telles que les molรฉcules dโ€™eau et dโ€™รฉthanol ou certains composรฉs hydrophobes tels que les hormones stรฉroรฏdes peuvent diffuser lentement ร  travers la bicouche mais ce nโ€™est pas le cas des molรฉcules plus grosses comme la plupart des composรฉs organiques polaires (tels que le glucose par exemple, ou les diffรฉrents acides aminรฉs) et des ions inorganiques (K+, Ca2+, N a+…) et des molรฉcules hydrophiles plus gรฉnรฉralement. Cependant la membrane nโ€™est pas impermรฉable, la communication et les รฉchanges avec le milieu extรฉrieur sont en effet essentiels ร  la survie cellulaire. Diffรฉrents moyens vont alors รชtre mis en place par la cellule pour assurer ces รฉchanges. Par exemple, des protรฉines membranaires vont permettrent le passage de petites molรฉcules comme les ions de faรงon sรฉlective ou non en formant des canaux ioniques qui vont sโ€™ouvrir ou se fermer dans des conditions particuliรจres : par interaction avec un ligand, par la mise en place dโ€™un gradient chimique ou dโ€™un potentiel รฉlectrique. Lโ€™endocytose, mรฉcanisme dโ€™internalisation sur lequel nous reviendront plus loin, constitue รฉgalement une voie dโ€™entrรฉe dans la cellule. Ainsi il est possible pour certaines molรฉcules de traverser la membrane, cโ€™est รฉgalement le cas, de faรงon รฉtonnante, pour des peptides pรฉnรฉtrants ou ยซย cell penetrating peptidesย ยป (CPP). Ces peptides sont de ยซย grossesย ยป molรฉcules chargรฉes et ont en effet cette capacitรฉ dโ€™entrer dans les cellules en traversant la bicouche lipidique.

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Table des matiรจres

Introduction
I Les Peptides pรฉnรฉtrants, une voie dโ€™entrรฉe dans les cellules
I.1 La cellule et sa membrane
I.1.1 La cellule comme compartiment
I.1.2 La membrane cellulaire comme rempart impermรฉable ?
I.2 Dรฉcouverte des CPPs et catalogue
I.2.1 Les CPP naturels
a) Tat
b) La Pรฉnรฉtratine
I.2.2 Les CPP synthรฉtiques
a) Le Transportane
b) Pep-1
c) Les peptides polyarginines et RxWy
I.3 Voies dโ€™entrรฉes et mรฉcanisme lors de lโ€™internalisation des CPPs
I.3.1 Lโ€™endocytose
I.3.2 La translocation
I.3.3 Et pour les CPP : endocytose ou translocation ?
I.3.4 Les CPP, dans quel but ?
II Mesure de force et รฉlectrophysiologie en prรฉsence de peptides pรฉnรฉtrants
II.1 Mesure de force ร  lโ€™รฉchelle de la molรฉcule unique : diffรฉrentes techniques
II.1.1 Surface Force Apparatus (SFA)
II.1.2 Microscope ร  force atomique (AFM)
II.1.3 Pinces Optiques et Magnรฉtique
II.1.4 BioMembrane Force Probe (BFP)
II.2 Le BFP et les peptides pรฉnรฉtrants
II.2.1 Mise en place et protocole
a) Rรฉduction du bruit mรฉcanique
b) Montage et chambre dโ€™expรฉrimentation
c) Les pipettes
d) La Pรฉnรฉtratine
e) La sonde de force
f) Les cellules et vรฉsicules
g) Mesures et acquisition des donnรฉes
II.2.2 Rรฉsultats
II.3 Lโ€™รฉlectrophysiologie et le patch-clamp
II.3.1 Historique et principe de lโ€™รฉlectrophysiologie
II.3.2 ร‰lectrophysiologie et CPP
II.4 Couplage des mesures de force et dโ€™รฉlectrophysiologie
II.4.1 Mise en place et protocole
a) Les pipettes
b) Les milieux cellulaires
c) Acquisition des mesures รฉlectriques
II.4.2 Les rรฉsultats
III Lโ€™activitรฉ des CPPs sur des membranes modรจles
III.1 Les membranes artificielles comme modรจle
III.1.1 Les vรฉsicules
a) Les vรฉsicules multilamellaires (MLV)
b) Les petites vรฉsicules (SUV)
c) Les grandes vรฉsicules (LUV)
d) Les vรฉsicules gรฉantes (GUV)
e) Les vรฉsicules gรฉantes de membrane plasmique (GPMV)
III.1.2 Les membranes supportรฉes
III.1.3 Les membranes suspendues
III.1.4 Les nano-disques membranaires
III.1.5 Les bicouches ร  lโ€™interface de goutte, BIG
III.2 Les Bicouches ร  lโ€™interface de gouttes en prรฉsence de peptides pรฉnรฉtrants
III.2.1 Le principe
III.2.2 Mise en place et protocole
a) La phase aqueuse
b) La phase hydrophobe
c) Les Peptides
d) Le dรฉpรดt pour observation
e) Mesures et acquisition des donnรฉes
III.2.3 Le contrรดle du potentiel membranaire
III.3 Caractรฉrisations des BIGs
III.3.1 Lโ€™asymรฉtrie des bicouches
III.3.2 ร‰paisseur et rรฉsistance des BIG
III.4 ร‰tude de la translocation des CPP ร  lโ€™aide des BIG
III.4.1 Impact de diffรฉrents lipides sur la translocation
III.4.2 Impact de lโ€™asymรฉtrie sur la translocation
III.4.3 Conclusion et perspective
IV Microfluidique et automatisation de la formation des BIG
IV.1 Microfabrication et dรฉveloppement de notre outil
IV.1.1 La lithographie molle ou ยซย soft-lithographyย ยป
IV.1.2 Lโ€™impression 3D
IV.1.3 Former des gouttes en microfluidique
IV.2 Mise en place du systรจme
IV.2.1 Dรฉtermination de la gรฉomรฉtrie de notre systรจme
IV.2.2 Matรฉriel et mรฉthode
a) Prรฉparation des puces microfluidiques
b) Prรฉparation des solutions
c) Le systรจme Fluigent de contrรดle des flux
IV.3 Rรฉsultats
IV.3.1 Formation des BIG ร  lโ€™aide de diffรฉrentes puces microfluidiques
IV.3.2 ร‰tude de la tension interfaciale entre la phase aqueuse et la phase huile
Conclusion

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