Le rôle complexe des politiques dans l’acte de naissance de la candidature de Paris 2024
Nous l’avons vu, l’attribut principal de l’étude d’opportunité dont la narration va nourrir le dossier de candidature et par extension les éléments de langage de ses acteurs, est d’être avant tout un discours politique destiné à vanter les avantages d’une candidature française aux Jeux Olympiques et Paralympiques ; en somme, de séduire et de mobiliser les pouvoirs publics dans le sens d’une mise en action collective, à court terme, du projet de candidature auprès du Comité International Olympique. Lorsqu’une nation candidate à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, c’est qu’elle y trouve en filigrane un intérêt polymorphe : économique, politique, culturel, touristique, sportif ou pour le dire en termes marketing, que le fait d’organiser “un festival universel du sport” participe au 51 rayonnement de l’image de marque de la nation. L’opportunité d’accueillir un événement olympique se transforme en un argumentaire politique, tant le poids médiatique de l’événement est fort, comme l’est tout autant celui du représentant de la nation, pour ne pas dire que la place du chef de l’Etat est historique dans le cadre règles dictée par la Charte Olympique, il est utile de rappeler à cet endroit que l’Etat n’a pas la décision de la ville qui posera une candidature pour l’organisation des Jeux Olympiques. C’est au Comité National Olympique et Sportif Français que revient ce choix . D’une certaine manière, le signal – approbateur ou désapprobateur – envoyé par le chef de l’Etat, a l’allure d’un acte d’autorité : si celui-ci se positionne médiatiquement en faveur d’une candidature de la France aux Jeux Olympiques et Paralympiques, alors un premier verrou est automatiquement levé. Ce verrou ou plutôt ce moment médiatique fait partie du lancement de la candidature de Paris 2024. Il est en est le point zéro, chronologiquement parlant, et le chef de l’Etat le premier acteur médiatique de la candidature française aux JOP. En considérant d’une part que l’étude d’opportunité à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a été publiée le 12 février 2015 et, d’autre part, que sa Ministre de la Jeunesse et des Sports Valérie Fourneyron a tiré les enseignements du rapport Keneo , il ne faisait pas de doute que le Président de la République François Hollande se préparerait au moins d’ici à la fin de son quinquennat à se positionner médiatiquement en faveur d’une candidature olympique française.
Analyse de la campagne de communication “Paris entre en Jeux”
La campagne de communication intitulée “Paris entre en Jeux” créée par l’agence Darewin a été lancée dans la capitale française sous la forme d’une campagne d’affichage et d’une campagne digitale sur les réseaux sociaux. Le message, “Paris entre en Jeux” , établit un jeu de mots limpide dans le champ lexical du sport tout en faisant référence, de manière implicite, aux Jeux Olympiques. Entrer en jeu signifie le fait de prendre part à une compétition dans un temps donné. Dans ce cas précis, de signifier implicitement l’entrée de la ville de Paris, avec le Mouvement sportif et les pouvoirs public, dans la compétition des candidatures nationales auprès du Comité International Olympique et ce jusqu’au vote final du 13 septembre 2017 à Lima au Pérou. Ces éléments propres au déroulement de la candidature ne sont pas suggérés immédiatement par la campagne de communication : le message est à caractère informatif pour les Parisiens et les visiteurs de la capitale mais la référence aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 reste quelque peu floue. L’oeil averti aura cependant repéré la subtilité de la lettre “x” placée à la fin du mot Jeux pour replacer cette campagne de communication dans le contexte de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Sous le hashtag #Paris2024 placé comme un logo au centre de l’affiche, le discours se déploie de manière brève sur le même registre qu’une campagne de communication politique : “Rejoignez le mouvement” . Entendons par là une incitation à un rassemblement et au soutien de la population parisienne et française sur les réseaux sociaux, là où elle est précisément attendue. Il est donc question d’une mobilisation qui s’adresse à la population parisienne en priorité. Nous l’avons vu, le message est simple sans évoquer précisément une référence directe aux Jeux Olympiques et Paralympiques . Il l’est aussi du point de vue du visuel où trois couleurs sont utilisées : le bleu, le blanc et l’orange. Bien entendu, la référence au drapeau national n’est pas éloignée mais est privilégiée ici la couleur orange pour soutenir la référence à la piste d’athlétisme et le bleu/vert pour signifier le ciel avec la Tour Eiffel, quelque peu simplifiée dans ses contours mais icône immédiatement reconnaissable de la ville de Paris, en toile de fond. La campagne de communication digitale joue quant à elle sur le registre de l’humour pour se rapprocher encore plus de son public. Ici deux exemples de messages postés sur le compte Twitter de Paris 2024 : 66 Cette fois-ci, sans référence à la Tour Eiffel, encore une fois sans référence directe aux Jeux Olympiques, la campagne de communication s’appuie sur deux symboles du métro parisien. Les panneaux des stations montés sur les carreaux rectangulaires biseautés de couleur blanche et les noms de certaines stations qui ont été détournées au profit des disciplines sportives, de cette manière : Nation est transformée en Na(ta)tion, Javel en Javel(ot). Derrière cette campagne de communication à la fois simple et humoristique qui prend à partie les Parisiens sur un ton décalé, au moins sur les réseaux sociaux, se matérialise un message fort dans la stratégie de communication de la Mairie de Paris : celle-ci se positionne à la fois comme une marque mais aussi et surtout comme un acteur à part entière, au centre de la candidature olympique et paralympique française. Cette remarque est également valable dans la campagne de communication du département de la Seine-Saint-Denis (93) où l’élément de langage “l’animation des territoires” de l’étude d’opportunité est utilisé pour signifier prioritairement l’engagement et le soutien ( “En Seine-Saint-Denis nous sommes prêts” ) des pouvoirs publics, lesquels s’étendent au-delà des limites géographiques de la ville de Paris : il s’agit effectivement pour le département de la Seine-Saint-Denis de se positionner, comme la Mairie de Paris, en tant que marque et acteur de la candidature, mais c’est aussi et surtout l’opportunité pour ce département qui accueillera des épreuves olympiques de dessiner les contours d’une forme de dynamisme culturel, là où les enjeux sociaux et sociétaux (diversité culturelle, fortes perspectives de développement économique, héritage laissé à la population… etc) résonnent plus fortement que n’importe où ailleurs en Île-de-France et en France. Considérée objectivement, l’opportunité d’accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024 constitue un catalyseur économique, social (au sens de l’inclusion totale de sa population) et territorial, soit dans la pratique une mise en abyme du discours à caractère politique que véhicule la synthèse de l’étude d’opportunité. Pour finir, aucun élément de la campagne de communication de la Mairie de Paris ne vient suggérer l’implication, en propre, des sportifs parisiens ou français. Il s’agit a contrario d’impliquer les Parisiens dans le projet “Paris 2024”. Une communication impersonnelle, sans visage reconnaissable, où il est bien question de sport, mais mis à part les acteurs politiques à savoir le Président de la République et la Maire de Paris impliqués personnellement et médiatiquement dans la candidature, il manque encore l’incarnation du sportif. Oubli volontaire, en ce sens, de la campagne de communication de la Mairie de Paris : la voix du sportif reste à imaginer mais n’est-ce pas là aussi une sorte de politesse implicite que de le laisser entrer au centre de la scène médiatique en même temps que la campagne de communication de Paris 2024 .
Le discours fondateur de la candidature de Paris 2024 : “notre force, c’est notre rêve”
L’analyse du discours de Tony Estanguet prononcé à la Philharmonie de Paris le 17 février 2016, en ce qu’il constitue le discours fondateur de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, sera abordée sous deux angles : d’abord un angle technique où nous analyserons les procédés narratifs à l’oeuvre en complément d’une analyse sémiotique où des images tirées de la diffusion de son discours seront mises en relation avec ce premier. La mise en scène de l’acteur et le contenu de son discours jouent un rôle de première importance pour lui attribuer une légitimité de leader médiatique : seul sur la scène, le sportif doit incarner la fédération d’une équipe et de la nation autour d’un “projet ayant du sens pour la France et au service du Mouvement olympique international” . L’utilisation de ce discours et son analyse nous permettront de montrer comment la stratégie de communication de Paris 2024 franchit avec lui une nouvelle étape, de la sensibilisation à la mobilisation. La mobilisation invoque l’action, soit une mise en scène spécifique des acteurs de la candidature et le conditionnement de leur communication verbale et symbolique lors des événements médiatiques constitutifs de la candidature Paris 2024. Comme deux étapes chronologiques – indissociables mais distinctes l’une de l’autre – au sein d’une stratégie globale : informer puis agir pour fédérer. Pour conduire notre analyse technique (rhétorique et sémiotique) du discours de Tony Estanguet à la Philharmonie de Paris et afin de montrer qu’il remplit la fonction d’un discours de mobilisation (de l’action), nous avons utilisé l’approche analytique conçue par le philosophe anglais John Langshaw Austin tirée de Quand dire, c’est faire en ce qu’elle permet de montrer comment certains énoncés dits performatifs , qui incluent en eux-mêmes une incitation à l’action (leur valeur d’illocution , à savoir tout ce qu’il peut accomplir), se distinguent des énoncés dits constatifs qui ne font que décrire un fait . C’est l’association des deux dans la logique du discours, ou plutôt comment les énoncés performatifs font l’objet d’une utilisation plus abondante que les constatifs, qui en structure la trame narrative. Ces derniers étant plutôt utilisés au titre d’un storytelling à la première personne, servant à décrire le passé d’athlète de Tony Estanguet et son expérience personnelle des Jeux Olympiques.
Tony Estanguet et la candidature de Paris 2024, une construction médiatique commune
La construction médiatique de la candidature de Paris 2024 pose le problème du choix de son personnage principal : pourquoi la stratégie de communication de la candidature Paris 2024 n’a-t-elle pas mis à profit la popularité établie d’autres sportifs, plus connus que Tony Estanguet ? Pour y répondre, nous avançons l’hypothèse selon laquelle la médiatisation de la candidature de Paris 2024 et celle de Tony Estanguet (et par extension sa légitimité), devait s’effectuer sur le même plan en raison d’un désir d’accroissement commun de notoriété. Promu leader de la candidature de Paris 2024, le “champion des JO Paris 2024” et “Mister JO” Tony Estanguet ne jouit pourtant pas d’une cote depopularité à l’égal d’un Teddy Riner, le multiple champion olympique de judo. En effet, un sondage réalisé par BVA pour le magazine Phosphore et réalisé auprès d’une population mixte de 15-25 ans durant la médiatisation de la candidature de Paris 2024, ne classe pas Tony Estanguet parmi les 100 personnalités préférées du public cible. Pourtant, deux sportifs français y figurent, très bien classés : Teddy Riner (5ème) et le basketteur Tony Parker (18ème). Ces deux personnages sont classés parmi des artistes, des acteurs, des influenceurs et des personnalités politiques. S’il existe un fort enjeu d’image – aura médiatique et popularité du leader dans une campagne de promotion, ce critère n’a pas été retenu pour la promotion de Paris 2024. Autrement dit, la reconnaissance populaire et établie de son acteur principal ne constitue pas un élément saillant. L’enjeu est ailleurs : il doit être entendu comme la mise en place d’une stratégie de promotion, de lobbying,orchestrée autour d’un personnage qui a reçu tout à la fois la reconnaissance du monde sportif et qui possède une capacité d’influence immédiate auprès des membres du CIO en étant lui-même membre. De cette façon, nous déduisons que sa notoriété ira en grandissant, en même temps que le déroulement de la campagne de mobilisation. En conséquence, l’hypothèse d’une co-construction médiatique – Tony Estanguet et Paris 2024 – engendre deux significations :
– La candidature de Paris 2024 est personnifiée grâce à un athlète triple médaillé olympique, où sa légitimité de sportif de haut niveau n’a pas lieu d’être remise en question. Autrement dit, de faire usage de son palmarès et de sa légitimité dans son propre milieu pour les transformer, par translation, en un outil de narration au service de la médiatisation de la candidature.
– La candidature de Paris 2024 peut s’incarner grâce à un storytelling spécifique centré autour de la réussite sportive. Autrement dit, même s’il n’est pas connu du grand public, Tony Estanguet incarne le champion à qui tout a réussi sportivement et à qui tout peut réussir dans le cadre de la candidature de Paris 2024, en cas de victoire. Il est question ici de la création d’une véritable success story autour de Paris 2024 et de Tony Estanguet.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE De l’art de convaincre et de rallier les politiques dans l’acte de naissance de la candidature Paris 2024
Introduction partielle
1. L’étude d’opportunité, marqueur politique dans la stratégie de communication de la candidature de Paris 2024
A. Analyse de l’étude d’opportunité dans son approche narrative
B. Analyse des récurrences dans l’utilisation du terme projet dans l’étude d’opportunité
2. Le rôle complexe des politiques dans l’acte de naissance de la candidature de Paris 2024
A. François Hollande et Anne Hidalgo : premier faux pas politique sur la future candidature de la France aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024
B. “Paris entre en Jeux” : Anne Hidalgo et la Ville de Paris comme quatrième acteur dans la candidature aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024
C. Analyse de la campagne de communication “Paris entre en Jeux”
Conclusion partielle
DEUXIÈME PARTIE Les enjeux du leader et du discours de mobilisation dans la construction médiatique de Paris 2024
Introduction partielle
1. Le discours fondateur de la candidature de Paris 2024 : “notre force, c’est notre rêve”
A. La conceptualisation du message du dossier de candidature : “Nous sommes prêts pour 2024”
B. Analyse du spot “Nous sommes prêts pour 2024”
2. Tony Estanguet et la candidature de Paris 2024, une construction médiatique commune
A. Les enjeux d’une notoriété combinée
Conclusion partielle
TROISIÈME PARTIE Jouer le jeu de la surveillance constante du CIO, des médias et de l’opinion publique
Introduction partielle
1. Les différentes formes de contrôle à l’oeuvre dans la campagne de communication de Paris 2024
A. L’absence de consultation démocratique : un défaut majeur ?
B. Emmanuel Macron, atout principal de la candidature Paris 2024 ?
2. Être vu comme une “équipe” : la mise en scène conjointe du sportif et du politique dans le dispositif panoptique
A. Adopter une posture d’unité et de partage : vers une viralisation du message de la candidature
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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