La campagne musorstom : origine d’un programme d’exploration naturaliste

La campagne MUSORSTOM : origine d’un programme d’exploration naturaliste 

Dans un premier temps, répondre à la question « quoi » ? , c’est-à-dire réaliser un inventaire systématique. A plus long terme, dans le cadre d’une perspective évolutionniste et biogéographique tenter de répondre aux questions « pourquoi » et « comment » ? (Crosnier 1990) .

C’est de cette manière qu’Alain Crosnier décrit les objectifs d’un programme qui a pour origine une campagne océanographique réalisée en 1976 aux Philippines sous le nom de « MUSORSTOM » pour marquer la collaboration entre deux instituts français de recherche, le Muséum National d’Histoire Naturelle et l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer). A partir de la campagne MUSORSTOM s’est développé un programme d’exploration naturaliste des habitats benthiques des grandes profondeurs de la zone inter tropicale, qui a d’abord été nommé « MUSORSTOM » comme la campagne initiale, puis « Tropical Deep Sea Benhos » (TDSB) à partir de 2001, quand l’ORSTOM devient l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). La première étape d’un programme naturaliste est, comme le souligne Alain Crosnier, de décrire et d’inventorier les organismes des habitats explorés.

L’approche naturaliste compote une dimension descriptive qui est illustrée par le contenu du volume rassemblant les résultats de la première campagne. Ce volume comprend en effet plus de 550 pages d’articles de description des organismesdu benthos profond de la mer des Philippines. Dans ce premier volume paru en 1981 – soit cinq années après la récolte des spécimens – plus de 60 espèces et autres taxons de Crustacés, de Mollusques, d’Echinodermes, de Brachiopodes et de poissons sont décrits comme nouveaux et près de 600 espèces et sous-espèces sont identifiées. La préface de ce volume est rédigée par Jean Dorst, directeur du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) de Paris à cette époque, mais aussi taxonomiste. Dans l’extrait suivant, il commente les résultats de cette première campagne en insistant sur l’importance des découvertes faunistiques réalisées et sur l’influence des connaissances naturalistes sur toutes les disciplines de la biologie.

Ces chapitres glorieux de la découverte ne sont que les prémisses de l’océanographie biologique. (…) Loin de moi l’idée de minimiser la portée des travaux de ceux qui, en de savants laboratoires et à l’aide de dispendieux équipements, se préoccupent du fonctionnement intime de la cellule et vont améliorer le sort des hommes tout en acquérant de nouvelles et décisives connaissances. Ne négligeons pas pour autant les études faunistiques et taxonomiques des êtres vivants, car leur catalogue reste à dresser pour la plupart d’entre eux. La systématique est une science vivante, nécessaire au progrès de toute la biologie. (Dorst, 1981) .

Dans cet extrait, le directeur du MNHN souligne l’existence, au sein des sciences du vivant, d’une tension entre approches naturalistes et approches fonctionnelles. Aujourd’hui, comme cette thèse le montrera pour le domaine marin, cette tension est atténuée en raison des réponses nécessaires à apporter à la crise de la biodiversité, dont l’urgence rend la taxonomie centrale : elle est indispensable à l’établissement d’inventaires de ce qui vit et pour comprendre, avec l’écologie, les mécanismes qui structurent les communautés et prendre des mesures de conservation (Wilson 2000). L’affirmation selon laquelle les connaissances naturalistes sont une étape préliminaire à l’élaboration d’autres connaissances en biologie est bien présente dans la littérature scientifique comme par exemple dans l’article de Costello, May, et Stork 2013b ; cependant, le statut de ces connaissances naturalistes apparaît souvent comme un préalable à la science plutôt que le résultat d’une démarche scientifique (Dubois 2003). Ces connaissances sont souvent considérées comme des simples données (voir par exemple Garnett et Christidis 2017). Cette conception réductrice transforme les connaissances taxonomiques en résultats d’une approche strictement descriptive, ce que de nombreux articles dénoncent, comme celui de Carvalho et collaborateurs 2013 ou celui de Raposo et collaborateurs 2017. Elle minimise l’importance du cadre théorique, et donc explicatif, de la construction de ces connaissances. Dans un article de 1990 paru dans Nature, Bremer et collaborateurs prennent parti dans cette controverse et défendent la thèse selon laquelle que la taxonomie n’est pas un service dont la fonction serait de nommer les organismes, mais bien une science qui formule des hypothèses – et fournit des explications.

Taxonomist should pursue their scientific venture and stop worrying about instability in classification. Taxonomy is not a service function for labelling organisms, but a science of its own, dealing with variation, relationships and phylogeny. (Bremer et al. 1990) .

Le travail conduit dans cette thèse prend appui sur ces réflexions, en proposant une étude systématique du programme MUSORSTOM-TDSB dans le but de caractériser la démarche scientifique dans laquelle les connaissances naturalistes s’inscrivent. Pour ce faire, cette recherche s’appuie sur le vaste corpus de documents associés à ce programme qui regroupe près de 82 campagnes océanographiques réalisées entre 1976 et 2017, et des campagnes déjà prévues pour les années à venir. Ces documents ont été soumis à une analyse détaillée dont les résultats seront présentés dans la suite de ce manuscrit.

Buts du programme MUSORSTOM : le mythe originel de la recherche de Neoglyphea inopinata et l’établissement d’inventaires faunistiques 

L’équipe scientifique de la première campagne est constituée de cinq chercheurs du MNHN et de l’ORSTOM et d’un universitaire des Philippines. Tous sont taxonomistes: trois chercheurs sont spécialistes des Crustacés, un est spécialiste des Mollusques et deux sont spécialistes des Poissons. Ils embarquent à bord du navire de recherche le Vauban. Pendant 10 jours, ils explorent les fonds de la mer des Philippines, en déployant des dragues et des chaluts, principalement au-delà de 100m.

Comme évoqué ci-dessus, l’histoire de la Neoglyphea inopinata commence avec un unique spécimen vivant remonté des mers des Philippines en 1908 lors de l’expédition de l’Albatross. Près de 70 ans plus tard, deux chercheurs du MNHN, spécialistes des Crustacés, Jacques Forest et Michèle de Saint Laurent, découvrent ce spécimen et font le rapprochement avec les fossiles de la lignée des Glyphéides. Jacques Forest est le chef de mission de cette première campagne à laquelle Michèle de Saint Laurent participe également. L’objectif affiché de cette première campagne est de trouver de nouveaux spécimens en bon état, mâles et femelles, afin de compléter la description de cette espèce mais aussi de clarifier l’histoire évolutive des crustacés Décapodes. Cependant, même si la recherche de spécimens de ce “fossile-vivant” est une motivation scientifique majeure, non seulement pour la première campagne mais encore pour les deux suivantes, l’inventaire des organismes résidant dans les fonds marins des Philippines est un objectif tout aussi central :

En fait, contrairement à une opinion trop répandue, en particulier chez ceux qui ont la responsabilité de l’orientation de la recherche, les faunes et les flores, spécialement celles des océans, sont loin d’être complètement inventoriées. p44 (Forest 1981) .

Effectivement, en 1976, les fonds marins de la région des Philippines – comme dans beaucoup d’autres zones du monde – sont quasi-vierges de toute exploration, ce dont Jacques Forest fait le reproche aux responsables de la politique scientifique de l’époque. Dans ce compte-rendu, Jacques Forest présente une stratégie pour explorer ces fonds marins méconnus. Cette stratégie repose sur une approche taxonomique et une méthode d’échantillonnage précises. Pour illustrer l’importance de la stratégie d’échantillonnage, Jacques Forest évalue le nombre d’espèces de crabes communs récoltées pendant la campagne MUSORSTOM en les comparant à ceux récoltés lors d’une campagne historique (la campagne Siboga qui a lieu entre 1899 et 1900 dans les eaux indonésiennes). Près de 80 ans après leur récolte, 37 espèces de crabes communs de la famille des Goneplacidae avaient été identifiées à partir de spécimens recueillis en un an d’expédition de la Siboga, alors que 25 espèces ont été trouvées en moins de 10 jours par la campagne MUSORSTOM, et identifiées seulement 5 ans après leur récolte. Selon Jacques Forest, l’efficacité des récoltes durant la campagne MUSORSTOM n’est pas l’effet de la différence de richesse des crabes communs entre les deux zones échantillonnées mais plutôt de différences dans les méthodes d’échantillonnage. Le nombre élevé d’opérations par jour sur une aire géographique plus restreinte pendant la campagne MUSORSTOM permet un échantillonnage plus complet des habitats et donc de la faune résidant dans cette zone. Le compte rendu est rédigé comme une prospective scientifique et renvoie à des perspectives d’exploration à plus long terme :

Compte tenu des capacités actuelles de la recherche océanographique, l’un des moyens les plus efficaces pour progresser dans l’inventaire des fonds marins paraît être l’organisation d’expéditions géographiquement localisées, visant à explorer méthodiquement et successivement les divers biotopes que peut faire reconnaître une prospection préliminaire. p44 (Forest 1981) .

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I – LA CAMPAGNE MUSORSTOM : ORIGINE D’UN PROGRAMME D’EXPLORATION NATURALISTE
II – BUTS DU PROGRAMME MUSORSTOM : LE MYTHE ORIGINEL DE LA RECHERCHE DE NEOGLYPHEA INOPINATA ET L’ETABLISSEMENT D’INVENTAIRES FAUNISTIQUES
III – LES DECOUVERTES DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB : INSCRIPTION DANS LA TRADITION DES GRANDES EXPLORATIONS NATURALISTES DU 19E SIECLE
IV – LA PLACE DES FOSSILES VIVANTS DANS LES CONNAISSANCES NATURALISTES DE LA FAUNE DES PROFONDEURS ET LA DECOUVERTE DE « NOUVEAUX » TAXONS
CHAPITRE 1 : LE PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB : ACTEURS ET CONTEXTE
INTRODUCTION
I – ENTRETIENS AVEC LES ACTEURS DE LA RECHERCHE OCEANOGRAPHIQUE FRANÇAISE
II – CONTEXTE SCIENTIFIQUE, TECHNIQUE ET INSTITUTIONNEL DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
III – EVOLUTION DES AXES DE RECHERCHE DANS LA LITTERATURE GRISE : DOCUMENTS DE DEMANDES DE CAMPAGNES ET DES COMPTES RENDUS
IV – CONCLUSION
CHAPITRE 2 : CONSTITUTION DES CORPUS DE DONNEES ISSUS DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
INTRODUCTION
I – SOURCES DES DONNEES ET INTEGRATION AU SYSTEME D’INFORMATION DU MNHN
II – EVOLUTION DE LA VALORISATION SCIENTIFIQUE DES CAMPAGNES MUSORSTOM-TDSB
III – ANALYSE EXPLORATOIRE DE LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE ET DES COMMUNAUTES DE CHERCHEURS
IV – CONCLUSION
CHAPITRE 3 : LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB ET SES AUTEURS
INTRODUCTION GENERALE
I – PARTIE 1 : CARACTERISATION DE LA COMMUNAUTE DES AUTEURS QUI VALORISENT LES RECOLTES DES CAMPAGNES TDSB
II – PARTIE 2 : ANALYSE DE LA COMMUNAUTE DES AUTEURS QUI VALORISENT LES RECOLTES DE MOLLUSQUES DES CAMPAGNES TDSB
III – CONCLUSION GENERALE DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4 – CONCLUSION ET PERSEPCTIVES
I – LA PLACE DES FOSSILES VIVANTS DANS LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
II – EVOLUTION DES CONNAISSANCES TAXONOMIQUES AU TRAVERS DU CORPUS : MEMES HYPOTHESES, AUTRES METHODES ET AUTRES CARACTERES
III – CONSERVATION DE LA BIODIVERSITE ET INCIDENCE SUR LE PROGRAMME NATURALISTE MUSORSTOM-TDSB
CONCLUSION GENERALE
ANNEXE

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