La Bouffée Délirante (BD)

La Bouffée Délirante (BD) désigne un état psychotique d’installation brutale, à la symptomatologie délirante riche et polymorphe, dont l’évolution est rapidement et spontanément résolutive (en quelques semaines) avec retour à l’état psychique antérieur. Ce dernier caractère aurait pour conséquence de ne pouvoir porter ce diagnostic qu’après la résolution de l’épisode. Le pronostic à court terme est le plus souvent favorable, cependant les récidives sont fréquentes et parfois l‘évolution se fait vers ou révèle la schizophrénie ou la psychose maniaco-dépressive (PMD) qui sont des indicateurs pronostiques. Ce « coup de tonnerre dans un ciel serein » [36] est, pour Ey, « caractérisé par l‘éclosion soudaine d‘un délire transitoire polymorphe dans ses thèmes et ses expressions. Il constitue une véritable expérience délirante en ce sens que le délire y est vécu comme une donnée immédiate de la conscience modifiée, comme une -expérience- qui s‘impose au sujet (intuitions, illusions, hallucinations, sentiments d‘étrangeté, de mystère, etc.) ». L‘étude d‘un groupe autonome de Psychose Délirante Aigue (PDA), non réductible de facto aux deux grandes entités issues de la dichotomie kraepelinienne, rejoint en pratique l‘étude des bouffées délirantes polymorphes. Plusieurs autres termes sont utilisés pour désigner ou qualifier des états correspondants à la BD. Le défaut d‘unanimité dans les courants de pensées psychiatriques actuelles pour nommer de tels états pathologiques se reflète au niveau des multiples appellations utilisées par les auteurs : PDA, schizophrénie aiguë, expérience délirante primaire, trouble schizophréniforme, psychose réactionnelle brève, psychose atypique, etc. L‘épisode psychotique aigu traduit une fragilité mais aussi une plasticité. La prise en charge et le traitement en conditionnent le devenir dans une dialectique ouverte entre le sujet, porteur d‘une histoire singulière, son environnement et les modalités d‘interaction proposées par le cadre thérapeutique.

En psychiatrie africaine, la BD est, selon Collomb, la « forme psychopathologique caractéristique », et par conséquent, est très fréquente dans les pays africains en général et au Sénégal en particulier avec une prévalence de 30% de PDA contre 15% de schizophrénie. La BD pose-t-elle la même problématique, un demi-siècle après, dans un contexte sénégalais qui a connu des changements importants concernant la santé mentale et la « notion de pathologie psychiatrique » ? Cette entité est-elle restée la même sur le plan épidémiologique et clinique ou a-t-elle évoluée devant les profondes mutations de la Société et du tissu sociétal sénégalais soumis à l‘urbanisation croissante et ses méfaits, à l‘exode rural, au chômage et l‘acculturation qui ont fini par installer une société de vitesse, de risques, de crises, d‘urgence, d‘imprévisibilité et d‘incertitude ?

EPIDEMIOLOGIE

La BD est plus fréquente en Afrique (30%, 19,53%) qu‘en Occident (5%). La sex-ratio, classiquement favorable aux femmes selon la littérature, s‘est vue inverser en faveur des hommes selon des études plus récentes. L‘adulte jeune (15 à 35) est classiquement le terrain propice avec un âge moyen de 25 à 30 ans. L‘existence d‘un terrain spécifique ou favorable est fréquemment incriminée : de la « déséquilibration » du dégénéré [36], à la fragilité des toutes premières relations objectales en passant par le relevé d‘antécédents névropathiques ou de traits schizoïdes ou tantôt de potentialité inscrite dans une structure.

HISTORIQUE

Schématiquement, l‘histoire de cette entité pathologique peut se concevoir en trois phases :
– D‘abord, sa naissance avec principalement les travaux de Magnan et ses élèves ;
– Puis, son éclipse avec l‘ère kraepelinienne et bleulérienne;
– Enfin, sa réapparition dans la nosographie.

Au moment où la notion de BD se dégage des travaux de Magnan en 1886 et de ses élèves [36], en particulier Legrain et Saury, l‘opposition aigu/chronique ne se présente pas dans les termes que nous lui connaissons aujourd‘hui [35]. L‘aigu est alors constitué par défaut, comme du chronique non abouti, sur la toile de fond de la théorie de la dégénérescence de Morel, qui permettait d‘articuler l‘accidentel, le permanent et l‘héréditaire [36]. Magnan décrit une manière de délirer « qui est le propre des héréditaires » et l‘oppose point par point au délire chronique à évolution systématique.

D‘où l‘expression « délire d‘emblée », historiquement première, le terme de « bouffées » ne s‘imposant qu‘ultérieurement, avec la fortune qu‘on lui sait. Sitôt posée, cette notion connaît une éclipse. L‘école française développe, avec Chaslin, la « confusion mentale primitive » qui englobe en partie les bouffées délirantes. Côté allemand, la réorganisation du champ psychiatrique opérée par la classification de Kraepelin et la conception bleulérienne de la schizophrénie agissent dans le sens du rejet de l‘autonomie des bouffées délirantes. La première nie en quelque sorte la forme délirante aiguë, en dehors des accès de la psychose maniaco dépressive, la seconde intègre cette forme aiguë au processus des schizophrénies, prélude à l‘extraordinaire extension de ce groupe. Côté français, le premier quart du XXème siècle verra s‘édifier l‘ensemble des délires chroniques, au fil de fines descriptions appuyées sur les «mécanismes» du délire, auxquelles leurs auteurs laisseront souvent leur nom. Point intéressant, ces entités sont généralement dotées d‘un appendice identifiant des variétés aiguës et curables. Elles complètent, dans un souci d‘exhaustion, la description de la forme chronique, prévalente. Il en va ainsi des « folies raisonnantes » de Serieux et Capgras auxquelles Valence, élève de Serieux, rajoute des « états interprétatifs essentiels curables» dans sa thèse [6]; des « idéalistes passionnés » de Dide et Guiraud qui admettent des variantes légères, d‘évolution favorable [6] ; de la psychose hallucinatoire chronique de Ballet qui connaît une forme aiguë [6]; du délire d‘imagination de Dupré et Logre suivi de la description de « psychoses imaginatives aiguës » [16]. On relèvera encore la paranoïa rudimentaire de Janet, épisode délirant aigu, réactionnel à des événements traumatisants, survenant chez des psychasthéniques, et la paranoïa abortive de Gaupp, entités plus proches des bouffées délirantes par leurs conditions d‘installation que par leur expression clinique, comme le délire sensitif de Kretschmer.

Au fond, ces différentes descriptions reflètent le caractère têtu des faits cliniques, où l‘acuité persiste, pourrait-on dire. C‘est avec les contributions de Halberstadt [27] sur la psychose délirante dégénérative aiguë, de Targowla sur les délires polymorphes [59] et de Dublineau [15] que la référence à l‘œuvre de Magnan [36] redevient explicite dans l‘école psychiatrique française. On y rajoutera le « délire curable à structure oniroïde » de Petit, en 1937, travail contemporain de l‘apparition des thérapeutiques de choc [47]. Ce sont ensuite les études psychiatriques de Ey [19, 20, 21] qui fixent pour longtemps la forme et la sémiologie des BD tout en les asservissant à sa théorie de l‘organodynamisme. Figures de la pathologie de la conscience, elles se situent à un niveau intermédiaire de déstructuration de celle-ci, entre les crises maniaco-dépressives et les états confuso-oniriques, plus profonds. Avec l‘ensemble des psychoses aiguës, elles sont opposables aux pathologies de la personnalité que sont les névroses et les psychoses chroniques. Restaurées, les bouffées délirantes reprennent place sur la scène nosographique et paraissent se maintenir, au-delà de l‘organodynamisme. La deuxième moitié du XXème siècle les dotera de travaux à dimension psychopathologique [23, 32, 33], alors que d‘autres mettront à l‘épreuve leur validité sur une base critériologique, dans un mouvement général (et international) de réorganisation des classifications des affections mentales [18]. Mais l‘insistance de la clinique paraît encourager le maintien de cette notion sous des appellations équivalentes (Classification internationale des maladies, dixième révision (CIM 10) ; Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM IV). Des études et des synthèses récentes [12, 13] en confortent la spécificité ou encore s‘interrogent sur l‘aptitude d‘une approche par trop catégorielle à saisir quoi que ce soit du fait psychopathologique propre à ces états psychotiques aigus.  La piste des facteurs déclenchants se révélant peu spécifique, les travaux actuels privilégient l‘étude des traits de vulnérabilité ou de prédisposition dont l‘identification précoce aurait une incidence thérapeutique [18]. En Afrique noire, il a fallu attendre le XXème siècle pour avoir les premiers écrits sur la BD avec Aubin [cité par Collomb] en 1939, Collomb en 1965 au Sénégal [10], Ouedrago en 1996 [45,46] et Karfo en 2011 au Burkina Faso, Menick Mbassa Daniel en 2010 au Cameroun [39]. Ces auteurs et bien d‘autres ont tous insisté sur l‘aspect culturel qui confère à la BD une particularité singulière et caractéristique de la psychopathologie en Afrique noire.

PSYCHOPATHOLOGIE 

Le délire chronique à évolution systématique selon Magnan [36] est une entité morbide à la « marche» rigoureuse et prévisible. A contrario, le délire d‘emblée apparaît comme un ratage, un accident. Il n‘est que la production éphémère, occasionnelle, d‘un être prédisposé dont la « déséquilibration » (stigmate de la dégénérescence au quotidien) ne permet pas un délire chronique. L‘acuité signifie l‘inachèvement et, partant, la propension à la récidive et à la répétition, ainsi que le caractère accidentel et occurrent du déclenchement. Dans cette perspective, divers facteurs sont incriminés, comme autant de « prétextes » à délirer : puberté, ménopause, puerpéralité, facteurs toxi-infectieux, perturbations émotionnelles, facteurs liés à la vie sociale [18]… A travers ses « expériences délirantes primaires », Jaspers entrevoie l‘originalité structurale des PDA. Au cours de ces expériences, le malade éprouve des impressions bouleversantes, des significations mystérieuses, redoutables ou merveilleuses, telles la dépersonnalisation, le dédoublement de la personnalité, le sentiment de métamorphose, autant d‘impressions qui évoquent les expériences crépusculaires provoquées par le hachich et renforcent donc les analogies structurales avec le rêve.

Aussi, d‘un point de vue phénoménologique, Jaspers considère la PDA comme une forme originale de trouble de la conscience, une « conscience délirante et hallucinatoire aigüe ». Mayer-Gross, cité dans la thèse de Durand (1968), va confirmer et enrichir les idées jaspériennes quant aux rapports structuraux. Pour lui, le trouble commun de ces états délirants aigus est la « conscience oniroïde ». « Cette conscience, écrit-il, emprunte au rêve les lois de la pensée symbolique et scénique, et à la crépuscularisation et au rétrécissement de la conscience son trouble plus ou moins accusé ». Trois niveaux d‘altération de la conscience sont distingués. Ils réalisent différents tableaux cliniques selon l‘intrication des modes de pensée vigile et des modes de pensée hypnagogique, et selon la réaction thymique provoquée. Cependant, Mayer-Gross souligne les difficultés de faire un pronostic pour ces épisodes aigus du fait de leur analogie avec certains états thymiques. Ces états oniroïdes se rencontrent aussi au cours de certaines toxi-infections et au cours de certaines schizophrénies [26, 37,38]. Claude et ses élèves voient dans ces états oniroïdes une structure originale caractérisée par un mélange de fiction et de réel, en regroupant dans le cadre de ces états oniroïdes, mentisme, délire d‘interprétation aigu, délire d‘imagination aigu, bouffée hallucinatoire, onirisme dégradé et délire de signification. Contrairement à Petit qui va diviser les délires de persécution curables en deux groupes : délires à structure oniroïde et délires à structures de réalité. Les délires oniroïdes constituent un ensemble scénique intensément vécu, dramatique, mais qui conserve toujours un « caractère angoissant d‘inachevé ». Distincts de l‘onirisme authentique, proches des états paranoïdes, ces états oniroïdes sont reliés à un bouleversement psychique paroxystique dont l‘évolution habituelle est la guérison : le « passage à la chronicité, écrit Petit, reste sinon fréquent, du moins impossible ».

Ainsi, à travers tous ces efforts d‘analyse psychopathologique, prédomine le besoin de donner une place à part à ces états délirants aigus qui n‘évoluent pas vers la chronicité. C‘est Ey [20] qui donnera une autonomie à ces psychoses en classant les maladies mentales en deux grandes catégories : les troubles de la conscience et les troubles de la personnalité. S‘appuyant sur les théories organodynamistes jacksoniennes, il distingue trois niveaux de déstructuration de la conscience ; le niveau supérieur est celui des accès maniaco-dépressifs, le niveau le plus profond correspond aux confusions oniriques, les BD étant à un degré de dissolution de la conscience intermédiaire. Deux versants caractérisent ces BD. Le premier, dit négatif, se traduit cliniquement par des signes déficitaires (attitude d‘égarement du patient, fixité du regard, rêvasserie), et correspond à l‘inhibition, au déficit des fonctions de ce niveau intermédiaire. Le second versant, positif, correspond à la libération des activités nerveuses inférieures, et se traduit cliniquement par la production délirante. D‘un point de vue phénoménologique, les PDA traduisent, selon Ey, la perturbation de « l‘ordre du subjectif et de l‘objectif ». L‘organisation normale du champ de la conscience suppose, en effet, que nos expériences soient vécues dans un espace virtuel où s‘ordonnent et se limitent les valeurs de l‘objectif et du subjectif. C‘est à « la déstructuration de cet espace vécu », corporel, psychique, imaginaire que correspondent ces épisodes délirants aigus. Il y a ainsi interpénétration, « osmose du subjectif et de l‘objectif ». Follin considère ces états comme des épreuves délirantes comportant non seulement la désorganisation des fonctions de présentification ordonnant le champ de conscience et l‘adaptation du sujet dans son courant temporo-spatial (en accord avec Ey), mais encore Follin les considère comme l‘altération de cette zone périphérique de la personnalité où la personne s‘exprime comme personnage dans un rôle et une identité reconnus par autrui et authentifiés par lui-même.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. EPIDEMIOLOGIE
II. HISTORIQUE
III. PSYCHOPATHOLOGIE
IV. NOSOGRAPHIE
IV.1. La classification française (INSERM)
IV.2. La classification internationale des maladies (OMS, CIM-10)
IV.3. Le (DSM IV-TR) de l‘association américaine de psychiatrie
V. CLINIQUE
VI. THERAPEUTIQUE
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
I. MATERIEL ET METHODE
I.1. Cadre de l‘étude
I.2. Type d‘étude
I.3. Période de l‘étude
I.4. Objectifs de l‘étude
I.5. Population d‘étude
I.6. Méthode
I.7. Limites
I.8. Considérations éthiques
II. RESULTATS
II.1. Prévalence
II.2. Caractéristiques sociodémographiques
II.3. Caractéristiques cliniques
III. DISCUSSION
III.1. Prévalence
III.2. Caractéristiques sociodémographiques
III.3. Les caractéristiques cliniques
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE

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