La biodiversité au sein de la zone hyporhéique
Il est généralement admis que la biodiversité d’un écotone est plus élevée que celles des communautés adjacentes (Leopold, 1933 ; Naiman et al, 1988a,b). Le cas des écotones superficiels/souterrains semblent plutôt différents, la densité et la biodiversité sont usuellement beaucoup plus importantes dans les environnements de surface que dans ceux souterrains. Par conséquent, l’écotone surface/souterrain ne correspond pas à une zone plus riche, mais à une zone d’une biodiversité intermédiaire entre deux parties adjacentes (Gibert et al., 1990) .
Maridet et Philippe (1995) en étudiant la distribution verticale des invertébrés benthiques constatent une grande concentration d’organismes (85% à 94% des organismes totaux) au niveau de la strate 0-15cm. Un pourcentage de 19% à 60% est noté au dessous de 15cm. En conséquence, ces écotones superficiel/souterrain peuvent ne pas correspondre à une zone plus riche mais plutôt à une zone de biodiversité intermédiaire entre les systèmes adjacents. La distribution et la nature des peuplements dépendent de plusieurs facteurs du milieu et de leurs interactions (Cummins et Lauff, 1968 ; Marmonier et Creuzé Des Châtelliers, 1991, Creuzé Des Châtelliers et al, 1992 ; Dole-Olivier et Marmonier, 1992a et 1992b ; Marmonier et al, 1992 ; Maridet et al, 1992 ; Marmonier et al, 1993 ; Bournaud et al, 1996…etc).
La biocénose qui se développe au niveau des aquifères alluviaux, et plus précisément dans le sous-écoulement des cours d’eau, nommée « pellicule biologique » (Dole, 1983), contient simultanément des organismes épigés du benthos et des animaux hypogés de la nappe sous-jacente (Danielopol, 1984). En effet, Les zones hyporhéiques contiennent une large variété de faune souterraine et de zoobenthos, non seulement durant les stades variés de leur vie mais aussi pendant leur cycle de vie (Coleman et Hynes, 1970 ; Stanford et Gaufin, 1974 ; Williams, 1984 ; Stanford et Ward, 1988 ; Williams, 1989 ; Boulton et al, 1992 ; Smock et al, 1992 ; Stanley et Boulton, 1993 ; Boulton et al, 1997 ; Dole-Olivier et al, 1997 ; Brunke et Gonser, 1999 ; Malard et Hervant, 1999 ; Brunke et al, 2003 ; Malard et al, 2003a, Malard et al, 2003b ; Olsen et Townsend, 2003 ; Olson et Townsend, 2005). Cette colonisation des fonds des sédiments des rivières par les organismes benthiques a été étudiée par de nombreux auteurs (Bishop, 1973 ; Williams & Hynes, 1974, Bretschko, 1981 ; Pennak & Ward, 1986 et Stanford &Ward, 1988). Au même moment, les phréatobiologistes ont remarqué que les sédiments de la rivière contiennent beaucoup d’organismes stygobiontes qui viennent du profond environnement souterrain et colonisent ces biotopes (Husmaan, 1975 ; Danielopol, 1976 ; Mestrov & Lattinger-Penko, 1977-78 ; Gibert et al, 1977 ; Dole, 1985). Cette double source pour ces organismes qui colonisent les écotones des eaux souterraines pose la question de la biodiversité des communautés de l’écotone (Gibert et al, 1990). Néanmoins, beaucoup de cette faune est inadéquatement décrite et identifiée (Clifford et al, 2006).
Dans plusieurs ruisseaux et rivières, la production des invertébrés souterrains dans la zone hyporhéique rivalise ou même dépasse celle du benthos (Stanford et Ward, 1988 ; Smock et al, 1992). Bien qu’elle soit difficile d’accès (Palmer, 1993), la zone hyporhéique renferme un biotope fascinant qui contient à l’intérieur une biodiversité fonctionnelle tronquée vu le manque des producteurs primaires ainsi que le nombre limité des tops prédateurs (Gibert et Deharveng, 2002 ; Clifford et al, 2006).
Les différents types de faune interstitielle du sous écoulement
Des benthologistes nord-américains ont proposé une classification limitée aux sédiments des cours d’eau (Williams & Hynes, 1974) basée sur l’utilisation de l’habitat entre les couches benthiques et hyporhéiques. Cette classification a été synthétisée par Marmonnier et al (1993) et Gibert et al (1994). Cette classification a été organisée par rapport à la préférence d’habitat et les spécialisations comportementales, physiologiques et morphologiques qui en résultent (Claret et al., 1999).
Le cycle de vie des organismes montrent des relations entre ces classifications. Les espèces stygoxènes (ex : les Simulies) passent tout leur cycle de vie dans les eaux de surface , quand les stygobies (ex : les crustacés syncarides) passent toute la leur dans les eaux souterraines . Une espèce stygophile peut avoir différent cycle de vie :
– Tout le cycle(1) et (4) pour différents individus de la même espèce. C’est l’hyporhéos dit permanent;
– Tout le cycle (1) et puis se déplacer (2) pour aussi différents individus de la même espèce. C’est l’ hyporhéos occasionnel ;
– Ou se déplacer (3) pour le cycle de chaque individu. Ce sont les amphibies.
Dans les aquifères poreux ; les stygophiles se divisent en 3 genres :
– L’ hyporhéos occasionnel : qui occupe habituellement les habitats épigés, mais qui ne peuvent habiter la zone hyporhéique ; ils résident dans cette zone pendant le début de leur développement, tandis que les derniers stages prédominent dans le benthos (Williams, 1984 ; Pugsley et Hynes, 1985, 1986). Dans ce cas, des individus de la même espèce peuvent passer leur vie ou une part de leur vie non seulement dans l’environnement de surface (en plus du stage aérien obligatoire) mais aussi une autre part dans les eaux souterraines durant les premiers stades afin de se protéger des prédateurs ou lors des derniers stades pour des conditions plus favorables. Un nombre important de Chironomidés, de Plécoptères et d’Ephémères, passent une bonne partie de leur cycle de vie (avant tout le stade embryonnaire et les stades larvaires précoces) en milieu hypogé (Gonser, 2001).
– l’hyporhéos permanent : qui peut compléter son cycle de vie dans la zone hyporhéique, mais qui vivent aussi dans les eaux de surface ; consiste en de nombreuses espèces (immature et adulte) généralement de forme allongée et/ou de nature fouisseuse telles que les nématodes, oligochètes, acariens, copépodes, ostracodes, cladocères et tardigrades qui peuvent être présents durant tous les stades de leur cycle de vie dans l’environnement non seulement dans les eaux souterraines mais aussi dans des habitats benthiques. Dans ce cas un stade aérien épigé n’est pas obligatoire afin de compléter le cycle de vie.
– Les amphibies : sont des spécialistes avec un stade larvaire hyporhéique et un adulte aérien. Les espèces amphibies sont un cas de stygophiles particuliers car leur cycle de vie nécessite l’utilisation des deux environnements (superficiel et souterrain). Il existe des espèces de Plécoptères (ex : plusieurs espèces d’Isocapnia) qui effectuent pratiquement tout leur cycle de vie en milieu interstitiel, elles s’enfoncent profondément dans le sédiment et ne reviennent à la surface que pour l’éclosion des animaux adultes, l’accouplement et la ponte (Gonser, 2001).
– Datry et al. (2005), Hahn (2006) et Hahn & Fuchs (2009) ont utilisé le terme «ubiquiste » pour inclure les stygophiles et les stygoxènes ensembles.
– Claret et al. (1999) soulignent le fait que les stygoxènes ont des spécialisations dans la vie dans les eaux superficielles (pigmentation, des yeux fonctionnels,…) et qu’ils se trouvent accidentellement dans les habitats de subsurface, mais peuvent néanmoins influencer les processus de ces systèmes ; via prédation comme l’indique Boulton et al. (1998) ; et réciproquement, chacun des ubiquistes stygobies et des phréatobies ont des spécialisations biologiques à la vie dans les eaux souterraines (dépigmentation, anophtalmie,..) mais les ubiquistes stygobies occupent une plus large rangée d’habitats que les phréatobies qui sont le plus souvent trouvés dans les eaux souterraines profondes et stables.
– La distinction entre les taxons stygobies et les stygophiles pourrait demeurer quelque peu arbitraire car ils partagent les mêmes caractéristiques entre autres l’anophtalmie, l’allongement du corps et la dépigmentation (Schmidt & Hahn, 2012). Gibert et al. (1994) affirment que les stygophiles ont de grandes affinités avec l’environnement souterrain parce qu’ils paraissent exploiter activement les ressources du système des eaux souterraines et cherchent activement une protection contre les situations défavorables de l’environnement de surface résultant des processus biotiques ou stochastiques ou les deux. A l’opposé de la faune stygophile (les taxons hyporhèique inclus), les taxons de la stygofaune ne sont pas bien adaptés à la zone hautement active de l’écotone (Schmidt & Hahn, 2012).
Gonser (2001) a spécifié que la biocénose près de la surface du cours d’eau se composait essentiellement de stygoxènes d’origine épigée et qu’à une certaine profondeur, on constatait une zone transitoire associant stygobies et stygoxènes (fig n°2), c’est dans cette zone que la diversité de la stygofaune est maximale, cependant à grande profondeur, on ne trouve plus que des stygobies en concentrations souvent moindres. Cette distribution verticale est une réponse aux diverses modes alimentaires et les différences d’association avec le milieu souterrain et les différents cycles de vie .
Facteurs influençant la répartition de la faune dans l’hyporhéique
Dans de nombreuses études, des gradients d’assemblages de la faune ont été trouvés tout au long de la transition entre les eaux de la surface et celle de subsurface (dans le Haut Danube : Danielopol et al., 2000 ; dans le Rhône : Marmonnier, 1988 revu par Malard et al., 2002 ; dans la Kye Burn : Olsen & Townsend, 2005).
Selon Hahn (2006) et Schmidt et al. (2007), l’échange hydrologique et les caractéristiques qui en sont liées – comme la profondeur des sédiments, l’input et l’output des nutriments et des matières organiques – sont l’un des meilleurs facteurs pour la description de la présence de la faune.
Géomorphologie du cours d’eau
La signification de l’échange hydrologique qui est spatialement variable et la nature géologique hétérogène façonnent les communautés d’invertébrés de subsurface (Brunke & Gonser, 1997 ; Stanford & Ward, 1993 ; Boulton et al., 1998 ; Hahn & Friedrich, 1999 ; Dumas et al., 2001 ; Malard et al., 2003 ; Griebler & Mosslacher, 2003 ; Hahn, 2006 ; Schmidt et al., 2007 ; Hahn & Fuchs, 2009). Fraser & Williams (1998) et Poole & al. (2006) ont mis la lumière sur l’importance des interactions existant entre les eaux souterraines et les eaux de surface ; qui sont spatiotemporellement hétérogènes ; sur les assemblages hyporhéiques et les échanges qui peuvent s’y produire. En effet, le fonctionnement de la surface et de l’hyporhéique sont clairement interdépendant. La zone hyporhéique est une source de nutriments pour les eaux de surface où la production primaire est stimulée, et qui en retour approvisionne en source de carbone organique labile pour la respiration de l’hyporhéique (Jones & Grimm, 1995). Avec l’augmentation du mélange des eaux souterraines avec celles de surface, la zone hyporhéique est devenue un site potentiellement important de rétention, de métabolisme et de minéralisations (Bencala, 1993 ; Hendricks, 1993 ; White, 1993). L’alternance des formations seuil et mouille est la première unité géomorphologique qui caractérisent les cours d’eau (Hendricks, 1993). Elle dépend de la perméabilité du lit et des changements autour du lit et de la surface (Vaux, 1962, 1968). Dans ce sens, on peut avancer que la granulométrie joue un rôle central dans la conductivité hydraulique du milieu et donc sur l’alternance de zones de «downwelling» (au niveau des seuils) et de «upwelling» (au niveau des mouilles) (Guerin, 2006). La surface du cours d’eau et l’hyporhéique sont liés à ces deux zones (Rutherford & Hynes, 1987 ; White, 1990 ; Valett et al., 1994). De plus, Les séquences seuil-mouille fonctionnent entant que site très important pour la rétention des nutriments et de la matière organique (Bencala, 1984 ; Bencala et al., 1984) et contribuent aux interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines (Hendricks, 1993).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : La biodiversité hyporhéique
I. Introduction : L’hyporhéique ; un milieu, plusieurs définitions
II. La biodiversité au sein de la zone hyporhéique
III. Les différents types de faune interstitielle du sous écoulement
IV. Facteurs influençant la répartition de la faune dans l’hyporhéique
A. Géomorphologie du cours d’eau
B. Les facteurs physicochimiques
C. Les facteurs biotiques
D. Les perturbations environnementales
Chapitre II : Etude du milieu physique
Aperçu du bassin versant de la Tafna
A. Présentation du bassin versant
B. Les réseaux hydrographiques
– Aperçu de l’oued Khémis
– Aperçu de l’oued Sikkak
– Aperçu de l’oued Chouly
C. Géologie
– Le bassin amont
– Le bassin aval
D. Hydrologie et hydrogéologie
E. Pédologie
F. Climatologie régionale
Etude climatique
a. Température
b. Précipitations
c. Diagramme ombrothermique de Bagnouls et Gaussen (1953)
G. Description et localisation des stations étudiées
– Description et localisation des stations étudiées
– Description et localisation des sources
Chapitre III : Matériels et méthodes
A. Protocole d’échantillonnage
B. Analyse physicochimique
– La température
– Le potentiel d’Hydrogène
– La conductivité électrique
– Le gradient hydraulique
C. Prélèvements faunistiques
– Méthode de récolte de la faune
La faune hyporhéique
La faune des sources
– Tri et détermination
– Indice de diversité de Shannon H’
– Traitements statistiques
Test Kriskal-Wallis
Analyse factorielle des correspondances (AFC)
Chapitre IV: Résultats et Interprétations
I. Interprétation des résultats physicochimiques
A. Evolution spatio-temporelle du gradient hydraulique (VHG)
B. Evolution spatio-temporelle de la température
C. Evolution spatio-temporelle du potentiel d’Hydrogène (pH)
D. Evolution spatio-temporelle de la conductivité (Ec)
II. Résultats faunistiques
A. Composition faunistique
– Composition faunistique globale
– Composition faunistique de chaque station (hyporhéique et sources confondus)
Station de l’oued Tafna T0
Station de l’oued Khémis K0
Station de l’oued Chouly C0
Station de l’oued Sikkak SS
B. Variations spatio-temporelles de la faune
– Structure spatio-temporelle de la faune de l’hyporhéique
Richesse spécifique
Abondance relative de la faune des stations étudiées
Indice de diversité de Shannon H’
– Structure spatio-temporelle de la faune des sources
Richesse spécifique
Abondance relative
Indice de diversité de Shannon H’
– Abondance relative globale des taxons prélevés
Au niveau de l’hyporhéique
– Abondances spatio-temporelles des taxons stygobies
– Abondances relatives spatiale des Crustacés Isopodes
– Abondances spatio-temporelles des taxons stygobies
– Abondance spatio-temporelle globale de la faune interstitielle
– Abondances spatio-temporelles d’autres taxons
Au niveau des sources
– Abondances spatio-temporelles de la faune des source
– Abondances spatiales des taxons stygobies au niveau des sources
– Abondances temporelles des taxons stygobies
C. Variabilité spatiale globale de la faune – hyporhéique et sources (AFC)
D. Variabilité spatiale de la faune de l’hyporhéique
E. Variabilité temporelle globale de la faune des stations l’hyporhéique
Discussion
Conclusion