La bande dessinée entre légitimité et médiation
La mise en valeur des archives, une mission essentielle des archivistes
La première tentative de médiation culturelle au sein d’un service d’archives date de 1867 lorsque le Marquis de Laborde met en place une exposition sur les fonds des Archives nationales, à l’Hôtel de Soubise. Dans son discours d’ouverture, le Marquis de Laborde évoque son souhait d’ouvrir les Archives nationales pour promouvoir la visibilité des archives auprès du public. Cette politique d’ouverture est oubliée durant le XXe siècle jusqu’en 1950 avec la création de services éducatifs impulsée par Charles Braibant. À partir des années 80, les activités de médiation se multiplient ainsi que le développement du goût pour le patrimoine. Brigitte Guigueno dans son article « Le public des archives et ses contrastes, au crible de plusieurs enquêtes » décrit cette époque «favorisée par le mouvement de décentralisation, le développement des actions culturelles aux archives se fait en lien étroit avec les actions politiques, les élus incitant à l’insertion des actions au sein des politiques culturelles en construction6 ». Cette mission de valorisation est arrêtée dans la loi 83-663 de Juillet 1983 puis dans le Code du patrimoine. Selon l’article L212-6 les collectivités territoriales doivent assurer « la conservation et la mise en valeur » des archives. Certaines réticences ont vu le jour : activités chronophages, vulgarisation entrainant un récit lissé et superficiel, éloignement du caractère scientifique lié aux archives, hermétisme des services eux-mêmes etc. Ces difficultés interrogent la profession de l’archiviste et son inscription dans la vie culturelle du territoire.
Les archives, matériaux de la création contemporaine
Sorties de leur cadre historique, les archives deviennent des matériaux pour la création artistique. La fiction prend une place importante dans le travail d’un artiste, et la part d’imagination qu’il associe aux archives est conséquente. Par la création, l’interprétation et l’élaboration, l’artiste manipule les archives. Éric Bonnet dans « Archives : mémoire et fiction » l’évoque : « L’artiste ne fait pas le même usage de l’archive que l’historien […] il n’est pas tenu nécessairement à une forme d’objectivité historique, de neutralité dans le traitement des objets, des images. Il fait usage du passé comme un matériau, il focalise sur certains détails et fragments et il construit un présent avec ces traces du passé.84 ». Pour Yvon Lemay et Anne Klein, les documents d’archives ne disposent pas d’une dimension uniquement scientifique et historique : « […] les archives peuvent participer à des projets variés et porter un discours pas nécessairement formellement savant ». L’artiste pose un regard critique sur le document : « Ils [les artistes] peuvent alors renouveler notre rapport avec l’archive en la réactivant, sans lui faire perdre son inscription et sa dimension historique, existentielle et politique, grâce au jeu fictionnel ».
La légitimité récente de la bande dessinée ou son institutionnalisation au sein des structures culturelles
Des théoriciens comme Thierry Groensteen, Benoît Peeters ou Pierre Fresnault-Deruelle se sont penchés sur la déconstruction de ces préjugés. Selon eux, la bande dessinée est un média artistique et narratif ludique qui possède sa place au sein de l’art. La bande dessinée est riche de supports et de courants artistiques qui touchent des publics différents. Cette diversité est le résultat de la multitude d’éditeurs indépendants qui existent.
Ces discours s’appuient sur le développement d’une culture liée à la bande dessinée. Elle est étudiée dans les universités en tant que champ de recherche et constitue le sujet de travaux universitaires, de séminaires, de colloques etc. et ne peut plus être ignorée en tant que domaine d’études. À cela s’ajoute le développement de la critique, de journaux spécialisés, et de sociétés réunies autour de la bande dessinée.
Le développement des festivals apporte aussi du crédit à la bande dessinée. Ils permettent aux artistes d’être reconnus pour leur travail artistique avec la remise de prix et de distinctions.
La bande dessinée, un outil de médiation
Les codes narratifs et graphiques de la bande dessinée font jouer le texte, l’image, le rapport au temps ainsi que les mouvements et la composition des images.
Cette relation entre le texte et l’image est essentielle dans la bande dessinée. Elle permet la visibilité et la compréhension du lecteur. Bien que codifiée, la bande dessinée dispose d’une certaine liberté graphique pouvant l’écarter du réel, et utilisant l’humour et l’exagération dans un but ludique. La bande dessinée peut être utilisée dans l’enseignement. En effet, grâce à la diversité des thèmes abordés elle peut constituer un pont avec l’histoire, le français, l’apprentissage des langues, les arts plastiques… Gilles Muhlach-Chen dans son intervention intitulée « L’image dessinée au service de la médiation patrimoniale » évoque l’aspect universaliste du dessin permettant à la bande dessinée de dépasser les barrières de la langue ainsi que les codes culturels vers une compréhension universelle. Dans l’ouvrage Sémiologie de l’image et pédagogie, pour une pédagogie de la recherche de Michel Martin, la bande dessinée est évoquée en tant qu’ « art populaire […] efficace au niveau de la lecture […] facile à décoder et attrayant ».
Un rapport nouveau aux archives et à la profession d’archiviste
Transformer l’image des archives est un objectif affiché de cette médiation. Jacqueline Ursch, ancienne directrice des archives départementales des Bouches-du-Rhône, l’affirme dans la préface de La faute au Midi : « Les archives départementales ont à cœur de montrer que les documents qu’elles conservent ne sont pas réservés à une minorité : elles souhaitent s’ouvrir au plus grand nombre, donner le goût de l’archive et de l’histoire aux jeunes générations». En ce sens l’entretien avec Jérôme Blachon a été particulièrement éclairant : « Nous avons une salle d’exposition. L’idée était de faire vivre cette salle d’exposition. L’objectif […] c’était aussi de dépoussiérer l’image des archives.». Il conclut l’entretien en rappelant le rôle culturel de l’archiviste : « Depuis maintenant une dizaine d’années la bande dessinée n’a plus l’image des gentils petits » Mickey » que l’on pouvait avoir il y a de ça quelques années supplémentaires. […] La bande dessinée est rentrée dans un âge adulte et n’est plus perçue que comme un média destiné aux enfants […] L’association entre la bande dessinée et une matière austère comme peuvent l’être les archives, est perçue de façon plutôt positive.
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Table des matières
INTRODUCTION
ÉVOLUTION DES FORMES DE MÉDIATION ET USAGE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE CONTEMPORAINE DANS LES SERVICES D’ARCHIVES
1. L’évolution de la médiation ou le rôle de l’archiviste en tant qu’acteur culturel
1.1. La mise en valeur des archives, une mission essentielle des archivistes
1.2. Des moyens mis à disposition pour la réussite d’un projet de valorisation
1.3. Vers la conquête d’un nouveau public, par la recherche d’innovations ?
2. La mise en valeur des archives à travers la création contemporaine
2.1. Un développement récent en France et encadré
2.2. Les archives, matériaux de la création contemporaine
2.3. Un rapport nouveau aux archives, au public et à la profession d’archiviste
BIBLIOGRAPHIE
ÉTAT DES SOURCES
LA BANDE DESSINÉE, UNE NOUVELLE FORME DE MEDIATION AU SEIN DES SERVICES D’ARCHIVES
1. La bande dessinée entre légitimité et médiation
1.1. Pratique culturelle, culture de masse ou objet de consommation ?
1.2. La légitimité récente de la bande dessinée ou son institutionnalisation au sein des structures culturelles
1.3. La bande dessinée, un outil de médiation
2. La bande dessinée aux archives : état des lieux
2.1. Une valorisation des archives et des archivistes
2.2. Une insertion dans des politiques locales
2.3. Quelle place pour l’artiste ?
3. Archives et bande dessinée, une image dépoussiérée ?
3.1. L’inscription de l’archiviste dans un réseau culturel
3.2. Un rapport nouveau aux archives et à la profession d’archiviste
3.3. Les services d’archives sont-ils devenus des lieux culturels ?
CONCLUSION
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