Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
La Mémoire…collective
Le deuil collectif
Le XXe siècle a été, comme dit précédemment, un siècle violent. La première guerre mondiale a fait 18 millions de morts, dont 1,6 millions en France. Effectivement, la création de monuments aux morts ne date pas de la première guerre mondiale. Cependant aucune guerre n’a suscité autant de constructions. Ceci vient du fait qu’un français sur cinq a été mobilisé, et que presque toutes les communes ont perdu des habitants dans la guerre. Ainsi, plus que jamais dans l’histoire, plusieurs groupes d’individus, de familles, partageaient une même douleur provoquée par des circonstances identiques. Les victimes sont mortes pour les mêmes raisons. Dans des lieux où il y a des tensions entre deux groupes, les victimes seront sur le même monument. Dans mon expérience personnelle, ayant vécu en Ardèche, où les tensions entre protestants et catholiques perdurent, j’ai constaté que les noms des victimes étaient mélangés. Les cimetières ont été séparés, pour ces deux communautés, mais les victimes des guerres sont sur les mêmes plaques commémoratives. Ils ne sont pas morts en tant que protestants ou catholiques mais ils sont morts « pour la patrie ». Le deuil est partagé par tous, malgré les clivages religieux ou idéologiques.
Les guerres précédentes n’ont pas abouti à une construction systématique de monuments comme la grande guerre. Le fait est que les autres ne se sont pas forcément terminées par une victoire. En effet, la guerre de 1870-71 perdue contre l’Allemagne, est moins commémorée. Les monuments aux morts commémorent les victimes, mais également les victoires.
Lorsqu’une guerre est perdue, les commémorations sont moins généralisées.
Ainsi, c’est au lendemain de la guerre que l’Etat décide d’intervenir dans la construction de mémoriaux, par la loi du 25 Octobre 1919.
À l’origine, cette loi s’articulait autour de trois points centraux.
Tout d’abord les noms des « Morts pour la Patrie » devaient être inscrits sur un registre qui devait résider au Panthéon, et l’Etat devait transmettre à chaque commune la liste de ses morts. Ensuite, un monument national commémoratif devait être érigé à Paris, et enfin l’État s’était engagé à subventionner l’édification de mémoriaux dans les communes. C’était la première fois que l’Etat intervenait dans la subvention de ces monuments. Même si cette aide de l’État était symbolique, et ne permettait de couvrir que 5 % à 26 % 11du coût de construction du monument, presque toutes les communes ont fait ériger un monument aux morts. Ce geste est « frénétique » : « au vrai, l’érection des monuments s’est effectuée très rapidement, comme si elle répondait à une nécessité contagieuse, ou à une évidence unanime »12. Cette initiative de l’Etat répond à une volonté des citoyens. Cette initiative ne pouvait être purement privée. Certaines communes assuraient l’ensemble de la demande, d’autres laissaient la main à des comités de citoyens.
L’Etat a mis fin à ses subventions en 1925.
Pour finir, le 1er ou le 2 Novembre devait marquer la journée de commémoration et de glorification des morts pour la France, et cette célébration se devait d’être organisée par les communes. Cependant plusieurs points de cette loi n’ont pas été aboutis, notamment la construction d’un mémorial national à Paris.
Seul a été effectué le transfert du Soldat Inconnu à l’Arc de Triomphe en 1920. Plus tard, en 1920 c’est le 11 Novembre qui est choisi pour commémorer la Grande Guerre plutôt que le jour de la Toussaint ou celui des Trépassés.
De plus, de nouveaux changements sont entrepris dans ces lieux de mémoire. En effet, auparavant les lieux de recueillement, de commémoration, étaient des lieux liés à la religion. Ils deviennent des espaces laïques, les rendant accessibles à tous et ils sont également républicains. En effet, ils sont positionnés dans des espaces symboliques de la République : école, mairie, place centrale de la commune… Ainsi, ces monuments deviennent universels dans le sens où ils sont uniquement républicains, rassemblant les individus sous des mêmes valeurs.
Cependant, comme l’explique Halbwachs13, la mémoire collective est créée et gérée par des groupes d’individus : ainsi elle vacille avec ces derniers. Elle est évolutive, mouvante et peut disparaître, et n’est en aucun cas constante. Cependant on peut noter qu’il existe des phases de ce souvenir, une évolution temporelle de la société face à l’acceptation de sa mémoire.
Les cycles de la mémoire
La mémoire n’est donc pas acquise. Elle est choisie, revendiquée et controversée : c’est le produit d’un long processus. On peut remarquer quatre cycles14. Effectivement, ces cycles s’observent dans les suites d’ événements récents tels que la seconde guerre mondiale ou encore la guerre d’Algérie. Les phases de mémoire sont les mêmes : l’amnistie, l’amnésie, l’anamnèse et l’hypermnésie.
La première de ces phases est l’amnistie. Elle constitue une sortie de crise. Elle arrête les éventuelles poursuites judiciaires engagées à l’encourt des vaincus. Ainsi, les condamnés sont libérés de façon anticipée. Pour la seconde guerre mondiale, cette phase d’amnistie se serait déroulée en France de 1951 à 1953, des lois sont votées en faveur de personnes condamnés au moment de l’épuration, partant sur l’amnistie des faits de collaboration qui clôt un processus d’épuration de grande ampleur15. On notera qu’en 1951, au moment de la mort du Maréchal Pétain, des associations demandent la révision de son procès, et l’érige, à nouveau, en « héros de Verdun », occultant son rôle durant la seconde guerre mondiale.
La seconde phase est celle de l’amnésie. Cette phase sera par la suite, décriée, puisque par la suite le devoir de mémoire deviendra un impératif. Ainsi, après la seconde guerre mondiale, il y a eu une phase de déni, notamment dans l’implication de l’Etat français. Le mythe « de la résistance généralisée » s’installe entretenu essentiellement par le Général de Gaulle et le parti communiste, parti des 75 000 fusillés.
Durant cette période d’amnésie, la mémoire de la Shoah passe en second plan. Les autres crimes, tels que le sort réservé aux tziganes ou aux homosexuels sont également omis. De ce fait « la patrie des droits de l’homme » 16est touchée dans ses valeurs qui semblaient acquises, car elle n’a pas su réagir à ces persécutions.
Ainsi, survient la phase d’anamnèse. Un cycle flottant durant lequel il y a une relative prise de conscience. Certains évènements font remonter des débats, notamment le procès d’Eichmann en 1961 : différents écrits ou documentaires réalisés permettent à la mémoire de la Shoah de surgir. Finalement, cette phase de revendication conduit à la dernière phase : l’hypermnésie. À ce moment, la mémoire devient omniprésente et de nombreuses recherches internationales vont la restaurer, et combattre l’oubli. En 1995, le Président Chirac, reconnaît dans un discours l’implication de l’État français dans la déportation des juifs. Il s’ensuit le vote de nombreuses lois mémorielles, ainsi que la rénovation et l’agrandissement du Mémorial du Martyr Juif Inconnu, rebaptisé Mémorial de la Shoah. La mémoire est affichée et devient, de ce fait, omniprésente.
Ces phases sont vécues également dans la mémoire nantaise.
Fin des années 90 des associations nantaises relancent le débat sur la mémoire de l’esclavage et le rôle de la ville dans le commerce triangulaire. Ces revendications font débat et deviennent très présentes. Par la suite nous allons donc nous intéresser au cas de Nantes et à la façon dont peut se dérouler et s’accomplir cette phase d’hypermnésie.
L’initiative citoyenne, le cas du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes
Le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage illustre cette phase d’hypermnésie. D’occultée, la mémoire sur ce sujet est devenue omniprésente, avec un besoin de la faire émerger. Portée par un
groupe d’associations, l’édification du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage est donc apparue d’utilité publique pour soulager les blessures. Ce sont des groupes d’individus, des élus, des associations qui ont proposé d’ériger un espace commémoratif.
De quelle façon s’est déroulé le projet du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes ? Ce mémorial a suscité de nombreux débats malgré le fait qu’il commémore des faits survenus il y a 150 ans.
Dans le cas de Nantes, il s’agit d’une démarche associative qui a abouti à la construction du mémorial. C’est de ce fait une initiative citoyenne. Ainsi, le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage est un exemple symptomatique d’une démarche.
En effet, tous les mémoriaux ne sont pas le résultat d’une demande du public, ils peuvent être également impulsés par des élus. Le mémorial de Nantes, résultant au départ de l’action d’associations est est un cas unique en France. Par ailleurs, ces préoccupations demeurent toujours d’actualité puisque la construction d’un Mémorial de l’Abolition de l’esclavage à Paris figurait dans le programme du candidat à la présidence de la République Benoît Hamon.
Tout d’abord, il convient de préciser que l’aspiration mémorielle nantaise s’inscrit dans un contexte international. En effet, dans beaucoup d’autres pays, des associations réhabilitent la mémoire des victimes de l’esclavage, notamment aux États Unis.
En 1998, lors des célébrations du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, signée en 1848, un collectif composé de différentes associations se constitue. Les associations souhaitent, de cette manière, susciter une action forte, craignant que leur démarche soit occultée en raison de la
célébration du 400ème anniversaire de la promulgation de l’édit de Nantes, commémorée la même année. Lors de la cérémonie et en présence des élus conviés, notamment le Maire de Nantes, Monsieur Jean Marc Ayrault, une statue, conçue par une étudiante des Beaux Arts de Nantes, comme une ébauche de mémorial, est dévoilée. Les élus n’avaient pas été informés de la présentation de cette oeuvre, et, par ce geste symbolique, le collectif souhaitait les prendre au dépourvu, dans le but de les pousser à se positionner sur la nécessité d’ériger un mémorial, afin que la ville de Nantes assume un passé générateur de souffrance. Cette statue a été le prémisse du mémorial.
En réaction immédiate, les élus s’accordent avec le collectif sur la nécessité de le construire. Cette décision sera renforcée par le fait que, quelques jours plus tard, cette même statue est vandalisée. Ainsi, un adjoint municipal annonce « la réalisation d’une oeuvre monumentale dans le sens où elle laissera trace et donnera un signe aux Nantais et aux générations futures ».17
L’annonce du projet a généré des contestations de la part de certains habitants. Selon eux, ce mémorial visait à les culpabiliser. La responsabilité revient à des personnes qui ne sont plus ; les générations suivantes ne sont pas responsables.
Ils étaient donc, pour eux, inutile de commémorer des faits survenus il y a 150 ans.
Pour superviser ce projet, un comité a été créé en 2000, rassemblant acteurs politiques, architectes, membres des différentes associations… Le mémorial a généré de nombreux débats, notamment sur son dessin. Devrait-il être un signal ou un parcours ?
Finalement, le Maire a choisi un concept en cohérence avec le projet urbain de la ville. Le mémorial viendra se glisser, en sous sol, le long des quais de la Loire, qui seront aménagés, dans un
parcours rectiligne. Il n’y aura pas de signal marquant, c’est un projet discret dont la plupart des éléments sont présentés en partie basse.
|
Table des matières
Introduction
I- La fabrique de la mémoire collective
Avant-propos
1- La Mémoire… individuelle
A- La mort et ses rites
B- Les cimetières et les architectures funéraires
2- La Mémoire… collective
A- Le deuil collectif
B- Les cycles de Mémoire
C- L’ initiative citoyenne, le cas du mémorial de l’abolition de l’esclavage
3- La Mémoire… internationale
A- Les événements du XXème siècle
B- La fin du monde rural, le début de la mondialisation Transition
II- L’évolution des mémoriaux l’universalisation d’un langage architectural
Avant-propos
1- Des espaces de sensation
A- Une symbolique renforcée
B- En quête d’une architecture émotionnelle
Visite du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes
2- Des formes explicites, une matérialité assumée
A- La plaie
B- L’unité
C- Des ambiances minérales
D- Des ombres et des lumières
Visite du Mémorial de la Shoah de Paris
3- Du vide au plein, les différents rapports aux lieux
A- Le mémorial dans la ville
B- Un dialogue entre mémorial, paysage et éléments naturels
Visite du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe
Transition
III- De l’éthique au marketing, la création d’une activité économique
Avant-propos
1- De nouveaux lieux de mémoire hybride
A- Histoire du Musée Mémorial de la Shoah de Paris
B- Restauration et extension
C- Actions et développement
2- Les acteurs de cette tendance
A- L’Etat et les labels
B- Les architectes comme arguement de promotion
3- Les mémoriaux, nouveaux parc d’attraction ?
A- Une situation paradoxale : le tourisme de mémoire
B- Vers un tourisme débridé ?
Conclusion
Bibliographie
Médiagraphie
Iconographie
Télécharger le rapport complet