JUSTICE ET MORALE CHEZ KANT

FONDEMENT MORAL DE Lโ€™ETAT DE DROIT

ย  ย La philosophie du droit de Kant est liรฉe ร  sa philosophie morale. Il est vrai que chez Kant, le fondement de lโ€™Etat de droit ne peut รชtre quโ€™une idรฉe de la raison pure. En dโ€™autres termes, le droit se fonde sur la morale. Mais si tel est le cas, ร  quoi consiste alors cette morale kantienne ? Pour parler de cette morale kantienne qui fonde le droit extรฉrieur, il est nรฉcessaire de rappeler le projet de Kant de fonder une philosophie morale pure quโ€™il appelle mรฉtaphysique des mล“urs. Celle-ci est fondรฉe sur le concept de ยซ pur ยป quโ€™il dรฉfinit comme รฉtant toute philosophie ยซ qui expose ses doctrines en partant uniquement de principes a priori ยป Et ce concept doit รชtre restreint ร  des objets dรฉterminรฉs par lโ€™entendement pour รชtre appelรฉ mรฉtaphysique, ce qui conduit alors lโ€™auteur ร  parler de lโ€™existence de deux sortes de mรฉtaphysique : celle de nature et celle des mล“urs. Ainsi il affirme: ยซ nous sommes ainsi conduits ร  lโ€™idรฉe dโ€™une double mรฉtaphysique : dโ€™une mรฉtaphysique de la nature et dโ€™une mรฉtaphysique des mล“urs ยป quโ€™il appelle autrement ยซ la philosophie morale pure ยป. La diffรฉrence entre ces deux sortes de mรฉtaphysiques est que celle de la nature รฉtudie la nature au sens des objets qui existent dans le monde indรฉpendamment de nous, tandis que celle des mล“urs porte sur la morale pure. Le fondement de cette philosophie morale pure est une chose importante aux yeux de Kant. Dโ€™ailleurs il considรจre que le fondement de la mรฉtaphysique des mล“urs est une exigence de la raison car cette philosophie est celle qui contient lโ€™ensemble des rรจgles morales. Et รฉtant donnรฉ que la loi morale se rattache directement ร  la conscience de lโ€™existence de lโ€™individu, Kant dit que lโ€™homme ne doit pas la chercher comme si elle รฉtait enveloppรฉe de tรฉnรจbres. Son existence est une รฉvidence et elle se prรฉsente devant lโ€™homme. Ainsi, parlant de ยซ cette la loi morale et du ciel รฉtoilรฉ au-dessus de nous ยป, Kant dit: ยซ ces deux choses, je nโ€™ai pas besoin de les chercher et de les deviner comme si elles รฉtaient enveloppรฉes de nuages ou placรฉes au-delร  de mon horizon dans une rรฉgion inaccessible; je les vois devant moi, et je les rattache immรฉdiatement ร  la conscience de mon existence. ยป Cette morale, constituรฉe dโ€™un ensemble de rรจgles pures a priori doit constituer la source du droit extรฉrieur. En effet Kant considรจre quโ€™une loi ne peut รชtre morale que si elle est nรฉcessaire, comme il le dit en ces termes: ยซ tout le monde doit convenir quโ€™une loi, pour avoir une valeur morale, cโ€™est-ร -dire pour fonder une obligation, il faut quโ€™une loi implique en elle une absolue nรฉcessite [โ€ฆ] ยป. Et si tel est le cas, il est donc possible de penser que lโ€™รฉtablissement dโ€™une lรฉgislation extรฉrieure est une idรฉe morale. En effet, dans son ล“uvre Idรฉe dโ€™une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, le philosophe affirme ร  la cinquiรจme proposition que les hommes ne peuvent surmonter les inรฉvitables violences de leur ยซ insociable sociabilitรฉ ยป (oรน lโ€™homme cherche ร  maintenir dโ€™une part ยซ les relations avec les autres hommes, ce qui est l’instinct social [et dโ€™autre part naรฎt] l’injuste dรฉsir d’acquรฉrir la suprรฉmatie sur les autres [cโ€™est-ร -dire la jalousie et la rivalitรฉ] ยป 23), que par lโ€™intermรฉdiaire dโ€™un droit extรฉrieur qui, ร  travers la contrainte, pourra faire rรฉgner la sociรฉtรฉ civile. Il dรฉcrit ici lโ€™รฉtat sauvage dans lequel les hommes vivaient. Et donc lโ€™รฉtablissement dโ€™un droit strict peut assurer la paix. Il est donc nรฉcessaire. Cette idรฉe kantienne est parallรจle ร  celle de Rousseau qui considรจre que le contrat, ร  partir duquel le droit est fondรฉ a pour tรขche de remplacer la libertรฉ illimitรฉe de lโ€™homme par une libertรฉ contrรดlรฉe. En ce sens, Rousseau affirme : ยซce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa libertรฉ naturelle et un droit illimitรฉ ร  tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre; ce quโ€™il gagne, c’est la libertรฉ civile et la propriรฉtรฉ de tout ce quโ€™il possรจde ยป. Donc รฉmanant de la raison, lโ€™รฉtablissement de ce droit devient important car pouvant permettre une coexistence des libertรฉs. En dโ€™autres termes il permet de rรฉguler les libertรฉs des citoyens qui composent lโ€™Etat civil. Cโ€™est cette coexistence qui rend possible la vie des citoyens. Donc la mise en place dโ€™un Etat de droit semble รชtre le dรฉbut ยซ dโ€™une paix perpรฉtuelle ยป, la morale ne peut alors รชtre que la source du droit.ues, Paris, รฉd. Fรฉlix Alcan, Cette insociable sociabilitรฉ a รฉtรฉ aussi expliquรฉe dans ce passage de Kant : ยซ lโ€™homme a une inclination ร  sโ€™associer, par ce que dans un tel รฉtat il se sent plus quโ€™homme, cโ€™est-ร -dire quโ€™il sent le dรฉveloppement de ses dispositions naturelles.ย  Si lโ€™รฉtablissement de ce droit positif est une idรฉe de la raison pure pratique car nรฉcessaire, alors quels sont les rapports qui unissent le droit avec la morale ? Les rapports quโ€™il y a entre le droit et la morale dans la philosophie de Kant ne sont pas simples. Car tantรดt Kant parle dโ€™une dรฉpendance tantรดt dโ€™une indรฉpendance du droit. En effet, abordant la question de la diffรฉrence qui peut exister entre la lรฉgalitรฉ et la moralitรฉ, Kant affirme ceci ยซ la lรฉgislation qui fait dโ€™une action un devoir et en mรชme temps de ce devoir un mobile, est une lรฉgislation รฉthique. En revanche la lรฉgislation qui nโ€™intรจgre pas le mobile ร  la loi et par consรฉquent admet un autre mobile que lโ€™idรฉe du devoir, ellemรชme est juridique ยป. En dโ€™autres termes, ces deux lรฉgislations se diffรฉrencient donc du mobile de leurs actions. Lโ€™une sโ€™intรฉresse aux motivations de lโ€™action, lโ€™autre, ร  la conformitรฉ de lโ€™action ร  la loi. Cette distinction est aussi faite dans lโ€™introduction de la mรฉtaphysique des mล“urs. Dans cette derniรจre, Kant montre que pour le droit ainsi que pour la morale, il existe des devoirs de droits. Mais lโ€™action faite par devoir est une action faite sans inclination ni penchant. Et ยซ Par penchant (propensio) [nous dit Kant] j’entends le principe subjectif de la possibilitรฉ d’une inclination (d’un dรฉsir habituel [concupiscentia]), en tant que cette inclination est contingente pour l’humanitรฉ en gรฉnรฉral ยป Ainsi, en voulant dรฉfinir la formule du devoir, le philosophe de Kรถnigsberg commence par รฉliminer tout ce qui nโ€™est pas conforme au concept. Dans un premier temps, il affirme ceci : ยซ je laisse de cรดtรฉ toutes les actions quโ€™on juge dโ€™abord contraires au devoir quoiquโ€™elles puissent รชtre utiles dans tel ou tel but ; car pour ces actions, il ne peut รชtre question de savoir si elles ont รฉtรฉ faites par devoir, puisquโ€™elles ont au contraire pour caractรจre dโ€™รชtre opposรฉes au devoir ยป28 En dโ€™autres termes, Kant รฉcarte dโ€™abord les actions faites par utilitรฉ car elles sont contraires au devoir. Lโ€™action faite par devoir est diffรฉrente de lโ€™action effectuรฉe dans le but dโ€™atteindre quelque chose comme le cas de lโ€™impรฉratif hypothรฉtique, cโ€™est-ร -dire une action faite par inclination ou penchant et non uniquement par devoir. En deuxiรจme lieu, il รฉcarte aussi les actions qui sont rรฉellement en conformitรฉ avec le devoir mais qui sont effectuรฉes, pas par inclination immรฉdiate mais par une autre inclination, cโ€™est-ร -dire par intรฉrรชt personnel. Donc selon lui, pour avoir une valeur morale, lโ€™action doit รชtre accomplie par devoir et pas seulement en conformitรฉ avec le devoir. Et cโ€™est dans le but dโ€™expliciter cela quโ€™il donne lโ€™exemple suivant : ยซ il est sans doute conforme au devoir quโ€™un marchant ne surfasse pas sa marchandise aux acheteurs inexpรฉrimentรฉs ; et, quand il fait un grand commerce, le marchand sage ne surfait jamais, mais il a un prix fixe pour tout le monde, en sorte quโ€™un enfant peut acheter chez lui tout aussi bien quโ€™un autre. On est donc loyalement servi, mais cela ne signifie pas pour croitre que le marchant agit ainsi par devoir et dโ€™aprรจs des principes de probitรฉ ; son intรฉrรชt lโ€™exigeait ; car il ne peut รชtre ici question dโ€™inclination immรฉdiate, et lโ€™on ne peut supposer en lui une sorte dโ€™amour pour tous ses chalands qui lโ€™empรชcheraient de traiter lโ€™un plus favorablement que lโ€™autre. Voilร  donc une action qui nโ€™a รฉtรฉ faite ni par devoir, ni par inclination immรฉdiate, mais seulement par intรฉrรชt personnel ยป Ce qui permet alors de savoir que chez ce philosophe allemand, lโ€™action morale ne tire pas sa valeur de lโ€™effet quโ€™on attend, ou dans lโ€™inclination, ou dans lโ€™intรฉrรชt personnel. Ainsi, Kant, aprรจs avoir รฉcartรฉ tout ce qui nโ€™est pas fait par devoir, finit pas donner ce quโ€™il entend rรฉellement par ce concept. En effet, dans lโ€™introduction ร  la mรฉtaphysique des mล“urs, il annonce quโ€™un devoir est une action par laquelle chacun est obligรฉ.31 Lโ€™obligation ร  laquelle lโ€™auteur fait rรฉfรฉrence ici est la nรฉcessitรฉ dโ€™une action libre et exercรฉe sous lโ€™influence de lโ€™impรฉratif catรฉgorique. Et selon Kant, la lรฉgalitรฉ tout comme la moralitรฉ, rรฉpondent toutes ร  cette obligation. Cependant, il ne manquera pas aussi de prรฉciser que si toute obligation rรฉpond ร  cet impรฉratif, il est donc รฉvident que lโ€™on soit obligรฉ de diffรฉrentes maniรจres du fait de lโ€™existence de deux sortes de lรฉgislation. En prenant lโ€™exemple du mensonge, Kant affirme que lโ€™obligation morale de dire la vรฉritรฉ est un commandement de lโ€™instance intรฉrieure. Cโ€™est une loi morale qui relรจve du tribunal intรฉrieur de lโ€™individu. Cโ€™est dโ€™ailleurs pour illustrer cela quโ€™il donne lโ€™exemple du mensonge quand il sโ€™interrogeait sur la question du devoir: ยซ quโ€™est-ce que le devoir ? Quโ€™est ce quโ€™รชtre obligรฉ ? Par exemple le devoir dโ€™รชtre honnรชte ou de dire la vรฉritรฉ ? [ร€ propos de ce devoir, il dit quโ€™] Il y a lร  un impรฉratif, cโ€™est-ร -dire un commandement catรฉgorique, cโ€™est-ร -dire inconditionnรฉ [โ€ฆ] ยป. Ce que le philosophe veut faire savoir ici est que dire la vรฉritรฉ est un devoir inconditionnรฉ. Et il va mรชme jusquโ€™ร  prรฉtendre quโ€™envers des assassins qui vous demandent si votre ami quโ€™ils poursuivent nโ€™est pas refugiรฉ dans votre maison, dans ce cas, mentir serait un crime. Donc pour lui il faut dire la vรฉritรฉ et quelques soient les consรฉquences qui peuvent en rรฉsulter. Cependant doit -on dire toutes les vรฉritรฉs, mรชme celles qui peuvent nuire aux autres ? Si dire la vรฉritรฉ est un devoir comme le prรฉtend Kant, a-t-on droit ร  la vรฉritรฉ qui peut รชtre nรฉfaste pour autrui ? La rรฉponse peut รชtre nรฉgative. Car, ce principe moral dont nous dรฉcrit Kant, sโ€™il รฉtait pris dโ€™une maniรจre absolue, rendrait toute sociรฉtรฉ impossible. Cโ€™est pourquoi lโ€™analyse que fait Benjamin Constant semble รชtre pertinente. En effet, celui-ci rรฉfute la thรจse kantienne: ยซ dire la vรฉritรฉ est un devoir. Quโ€™est-ce quโ€™un devoir ? Lโ€™idรฉe de devoir est insรฉparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un รชtre, correspond aux droits dโ€™un autre. Lร  oรน il nโ€™y a pas de droits, il nโ€™y a pas de devoirs. Dire la vรฉritรฉ nโ€™est donc un devoir quโ€™envers ceux qui ont droit ร  la vรฉritรฉ. Or nul homme nโ€™a droit ร  la vรฉritรฉ qui nuit ร  autrui ยป.

LE REGENT DE Lโ€™ETAT : ENTRE MAGISTRAT, SOUVERAIN ET LEGISLATEUR

ย  ย La question des trois pouvoirs de lโ€™Etat est une problรฉmatique abordรฉe par Kant et par beaucoup de penseurs comme Montesquieu. En effet, vu lโ€™importance que ce dernier accorde ร  la constitution et lโ€™admiration quโ€™il a pour celle anglaise, il affirme quโ€™ : ยซ il y a dans chaque Etat, trois sortes de pouvoirs ; la puissance lรฉgislative, la puissance exรฉcutrice des choses qui dรฉpendent du droit des gens, et la puissance exรฉcutrice de celles qui dรฉpendent du droit civil ยป. Autrement dit ร  ces yeux, lโ€™Etat est composรฉ de trois pouvoirs que sont le pouvoir lรฉgislatif qui est celui qui donne aux reprรฉsentants du peuple le pouvoir dโ€™รฉtablir et dโ€™abroger certains normes ; lโ€™exรฉcutif qui donne au prince la responsabilitรฉ dโ€™assurer la sรฉcuritรฉ publique ; et enfin le pouvoir judiciaire qui est celui qui donne aux magistrats le pouvoir de punir en cas de crime commis. Bien avant Kant, Montesquieu avait parlรฉ de la forme parfaite dโ€™un Etat de droit. Il considรจre que le pouvoir qui est ร  la fois lรฉgislatif, exรฉcutif et judiciaire peut souvent faire naitre de la monarchie. Et cโ€™est dans le but dโ€™รฉviter cela quโ€™il faudrait empรชcher tout abus de pouvoir. Ainsi, il faudrait que celui qui exerce le lรฉgislatif, nโ€™ait pas aussi le droit dโ€™administrer, ou jouer le rรดle de juge. Il ne faudrait pas aussi que celui qui administre ait ร  lรฉgifรฉrer ou ร  juger, mais que celui qui a le droit dโ€™exercer le rรดle de juge, juge en fonction des lois consenties par le peuple. En outre, tout comme Kant, Montesquieu est aussi convaincu que le pouvoir judiciaire ne relรจve que de la compรฉtence des personnes choisies en qualitรฉ de magistrats. Autrement dit, seuls les magistrats sont habilitรฉs ร  assurer le pouvoir judiciaire. Et cโ€™est dans cette perspective quโ€™il affirme que la magistrature ne doit รชtre exercรฉe que par : ยซ des personnes tirรฉes du corps du peuple, dans certains temps de lโ€™annรฉe, de la maniรจre prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure quโ€™autant que la nรฉcessitรฉ le requiert ยป, ce qui veut dire alors que les juges doivent รชtre tirรฉs du peuple. Cependant il convient de signaler que les dรฉcisions des juges, mรชme si ces derniers sont tirรฉs du peuple, ne peuvent se fonder que sur des lois gรฉnรฉrales. Cโ€™est-ร -dire des lois consenties par le peuple. Grรขce ร  la lecture de ces deux auteurs cโ€™est-ร -dire Kant et Montesquieu, on peut retenir que les diffรฉrentes fonctions de lโ€™Etat ne doivent pas รชtre exercรฉes par une seule personne car cela peut renvoyer au despotisme qui ne respecte pas la loi morale, or pour Kant tout individu doit avoir un sentiment moral cโ€™est ร  dire ยซ la capacitรฉ d’รฉprouver pour la loi morale un respect [โ€ฆ]ยป,45 dโ€™oรน alors la question de la sรฉparation des pouvoirs. Ces trois pouvoirs doivent exprimer la volontรฉ unifiรฉe du peuple. Ils doivent certes รชtre sรฉparรฉs, mais leurs tรขches doivent รชtre communรฉment liรฉes pour former un Etat civil. Le pouvoir exรฉcutif est chargรฉ de gouverner en conformitรฉ avec la loi. Cโ€™est un pouvoir qui ne relรจve que des compรฉtences du rรฉgent de lโ€™Etat selon Kant. Sa fonction nโ€™est pas de faire la loi elle-mรชme mais plutรดt dโ€™exรฉcuter ou de la faire exรฉcuter. Le gouvernement, ร  travers des ministres quโ€™il nomme, donne des dรฉcrets, mais ces derniers ne sont en aucun cas des lois car ils sont soumis mรชme aux lois issues du consentement du peuple. Il sโ€™agit de simples ordonnances c’est-ร -dire des dรฉcisions particuliรจres et toujours rรฉvocables. Le principe de la sรฉparation des pouvoir est indispensable chez Kant. En effet il existe dans certains Etats une absorption des trois pouvoirs et ร  ces yeux, cโ€™est ยซ cette absorption du pouvoir lรฉgislatif par le pouvoir exรฉcutif qui caractรฉrise le gouvernement despotique ยป. Le despotisme selon Kant se caractรฉrise par le non-respect des libertรฉs individuelles. En dโ€™autres termes, dans le rรฉgime despotique, les individus ne peuvent pas faire usage de leurs libertรฉs. Alors que pour Kant : ยซ pour propager les lumiรจres, il nโ€™est rien requis dโ€™autre que la libertรฉ ยป. En dโ€™autres termes, le gouvernement doit รชtre de telle sorte que les individus qui la composent aient le droit de faire usage de leur libertรฉ comme celle de faire lโ€™usage public de leurs raisons dans tous les domaines, ce qui nโ€™est pas possible avec le rรฉgime despotique. Et si nous voulons que la raison puisse gouverner le monde, il faut le rรจgne de la libertรฉ comme le dit Kant ici : ยซ vouloir que la raison gouverne cโ€™est donc concevoir un rรจgne de la libertรฉ ou chacun nโ€™obรฉissant quโ€™a sa raison sโ€™accorderait de lui mรชme avec les autres. ยป De ce fait lโ€™homme ne va plus agir parce que le droit lโ€™oblige, donc sans soumettre ses actions ร  lโ€™impรฉratif catรฉgorique mais agir conforment ร  la loi morale. En dโ€™autres termes, en faisant usage de sa raison, il nโ€™aura plus besoin dโ€™un maitre despote qui va dicter ses actions mais ces derniรจres seront faites par devoir en conformitรฉ avec la morale. Et le despotisme ne fait pas entrer lโ€™homme dans les lumiรจres. Car il ne respecte pas les libertรฉs individuelles, parmi lesquelles lโ€™usage public de la raison. Cโ€™est dโ€™ailleurs pour cette raison que Montesquieu le considรจre comme un mal politique. Car dans ce rรฉgime, il sโ€™agit dโ€™un seul homme qui gouverne de maniรจre autoritaire et arbitraire. Bref, cโ€™est un รฉgarement irrationnel selon lโ€™auteur de lโ€™esprit des lois. Dans la mรชme perspective, Kant confirme aussi cette thรฉorie en donnantย  une dรฉfinition similaire ร  celle de Montesquieu. En effet aux yeux du philosophe de Kรถnigsberg, le despotisme ne peut รชtre considรฉrรฉ comme un rรฉgime qui ยซ exรฉcute de sa propre autoritรฉ les lois quโ€™il a รฉdictรฉes lui-mรชme, cโ€™est donc la volontรฉ gรฉnรฉrale en tant quโ€™exercรฉe par le souverain comme sa volontรฉ privรฉe ยป. Autrement dit, lโ€™individu qui gouverne, le fait en fonction des lois quโ€™il a lui-mรชme รฉtablit et ne respecte pas les lois fondamentales, ni les libertรฉs des individus qui composent le rรฉgime en question. Et si pour Kant : ยซ le pouvoir corrompt inรฉvitablement le libre jugement de la raison ยป, alors comment un seul homme peut-il gouverner et en fonction des lois quโ€™il a lui-mรชme รฉtablit ? Car si la raison est corrompue par le pouvoir comme le dit Kant, alors les lois quโ€™elle รฉtablit ne peuvent plus รชtre conformes ร  lโ€™impรฉratif catรฉgorique mais faites en fonction de ses inclinations. Cโ€™est dโ€™ailleurs pourquoi il veut que la lรฉgislation extรฉrieure soit le fruit dโ€™un consentement de la volontรฉ gรฉnรฉrale car chaque personne a en lui une prรฉdisposition ร  la moralitรฉ. Par ailleurs, aux yeux de Kant, les hommes qui sont dans les lumiรจres, ne peuvent pas vivre dans un rรฉgime despotique mais rรฉpublicain car le despotisme est un rรฉgime qui considรจre les hommes qui le composent comme des sujets soumis aux lois dโ€™un seul maitre. Cโ€™est en ce sens quโ€™il affirme : ยซ seuls les hommes libres, capables de penser par eux-mรชmes, peuvent vivre dans un Etat rรฉpublicain et non despotique, cโ€™est-ร -dire dans un Etat oรน ils sont citoyens au lieu dโ€™รชtre les sujets dโ€™un despote ou les esclaves dโ€™un maitre. Ce rรฉgime despotique sโ€™oppose au gouvernement national oรน les membres de la sociรฉtรฉ nโ€™obรฉissent pas ร  une volontรฉ arbitraire dโ€™un maitre mais aux lois auxquelles ils ont donnรฉ leur propre accord, mais lesquelles lois ne sont vรฉritablement des lois que si elles sont conformes ร  lโ€™impรฉratif catรฉgorique. Donc, ร  partir de cette analyse, il est possible de retenir que lโ€™absorption des trois pouvoirs de lโ€™Etat renvoie au non-respect du principe de la sรฉparation des pouvoirs et plus particuliรจrement ร  une absorbation du pouvoir judiciaire. Cโ€™est pourquoi il est possible de comprendre la position kantienne quand il affirme que ni le pouvoir exรฉcutif, ni le pouvoir lรฉgislatif ne doivent absorber le pouvoir judiciaire. Selon lui, ils peuvent certes choisir des juges mais ils ne doivent pas exercer le rรดle de juge. Ce rรดle revient plutรดt au peuple, cโ€™est aux membres de la sociรฉtรฉ civile de se juger eux-mรชmes mais ร  travers des lois quโ€™ils ont choisi librement. Et si Kant donne cette opportunitรฉ au peuple, cโ€™est en effet pour รฉviter lโ€™injustice quโ€™il pourrait subir en se faisant juger par ces deux pouvoirs que sont lโ€™exรฉcutif et le lรฉgislatif. Cependant, il convient de signaler que la position kantienne sur le choix des juges pourrait dโ€™une part รชtre remise en question. En effet selon lui le pouvoir exรฉcutif et lรฉgislatif, mรชme sโ€™ils ne doivent pas juger, ils ont le droit de choisir des juges. Mais sโ€™il revient aux membres de la sociรฉtรฉ de se juger eux-mรชmes, doit -on accorder aussi aux autres pouvoirs, le droit de choisir des juges ? Non, car ceci serait contradictoire avec le principe de la sรฉparation des pouvoirs. En effet, sโ€™ils choisissent des juges, ils risquent de leur imposer une vision ou une ligne de conduite. Et donc lโ€™indรฉpendance des juges ne pourrait pas รชtre effective. Bref, pour une meilleure sรฉparation des pouvoirs, et une indรฉpendance de la justice, il faudrait que les juges soient choisis par le peuple lui-mรชme. Il est vrai que Kant se range du cรดtรฉ de Rousseau pour affirmer que le pouvoir lรฉgislatif est une volontรฉ unifiรฉe du peuple. Mais lร  oรน il sโ€™oppose ร  lui, cโ€™est quand il nous parle du principe de reprรฉsentation comme lโ€™unique forme que le gouvernement doit avoir pour รชtre en effet conforme aux principes de droits. Selon Kant, seul le principe de reprรฉsentation permet de rรฉflรฉchir dโ€™une maniรจre rationnelle lโ€™union de la volontรฉ du peuple en sa capacitรฉ lรฉgislatrice. Cโ€™est pourquoi il affirme ceci : ยซ Toute vraie rรฉpublique est et ne peut รชtre rien d’autre qu’un systรจme reprรฉsentatif du peuple, instituรฉ pour protรฉger ses droits en son nom, par lโ€™union de tous les citoyens au moyen de leurs dรฉlรฉguรฉs (dรฉputes). Ce principe de reprรฉsentation est capital pour le droit public car il caractรฉrise les pouvoirs de lโ€™Etat. Il faut donc que la forme du droit soit reprรฉsentative car si non elle ne serait que lโ€™image du despotisme. Ce qui serait contraire aux principes du droit. Et aux yeux du philosophe de Kรถnigsberg pour que le droit soit rรฉel il faut quโ€™il ait une libertรฉ et une loi morale fondรฉe sur cette libertรฉ. Ainsi il affirme: ยซ sโ€™il nโ€™y a pas de libertรฉ, ni de loi morale fondรฉe sur elle, [โ€ฆ] dans ce cas la politique [โ€ฆ] constitue toute la sagesse pratique et la notion du droit nโ€™est plus quโ€™une idรฉe dรฉpourvue de toute rรฉalitรฉ. ยป Nรฉanmoins, il convient aussi de signaler quโ€™avec Kant, mรชme sโ€™il y a sรฉparation des pouvoirs, il est nรฉcessaire dans chaque cas, que chaque partie du pouvoir ait un rรดle ร  jouer pour rendre justice ร  qui de droit. En dโ€™autres termes, la sรฉparation des trois pouvoirs nโ€™est pas une sรฉparation stricte car leurs rรดles sont communรฉment liรฉs. Ainsi Kant, en donnant lโ€™exemple dโ€™un cas comme la culpabilitรฉ ou de la non culpabilitรฉ que pourrait avoir un accusรฉ, affirme que : ยซ ce fait une fois proclamรฉ par ceux qui reprรฉsentent le peuple dans le jugement ร  porter sur l’un des siens, il ne reste plus qu’ร  lui appliquer la loi, ce qui est l’ล“uvre du tribunal, et ร  faire exรฉcuter la sentence, ce qui revient au pouvoir exรฉcutif. C’est ainsi que s’unissent les trois pouvoirs de l’ร‰tat pour faire justice ร  qui de droit ยป. Ce cas donnรฉ par le philosophe allemand montre encore une fois de plus le lien entre la morale et la justice. En effet, il existe deux dimensions se rapportant ร  la notion de culpabilitรฉ : une dimension objective et celle subjective. La dimension objective correspond ร  lโ€™acte qui a รฉtรฉ commis tandis que celle subjective se rapporte au ressenti relatif ร  cet acte et qui affecte toute la personne. Il sโ€™agit dโ€™une prise de conscience par le tribunal intรฉrieur, de la faute commise. Elle se rapporte donc ร  la morale55. Ces deux dimensions doivent รชtre confondues devant toute instance extรฉrieure. Cette thรจse kantienne nโ€™est pas une idรฉe contraire ร  la morale. En effet, une sรฉparation trop stricte des diffรฉrents pouvoirs peut causer une paralysie des diffรฉrentes institutions de lโ€™Etat. Ceci peut causer un conflit entre ces pouvoirs qui peut se solder par un coup dโ€™Etat. Cโ€™est lโ€™exemple de la France sous le directoire de 1795-1799 et sous la Rรฉpublique de 1848-1851. Tout renversement de lโ€™Etat civil est une chose contraire ร  la morale car comme le dit Kant la justice ne peut รชtre obtenue que dans lโ€™Etat civil. Donc la sรฉparation des trois pouvoirs est certes importante dans un Etat de droit mais il convient de retenir que chez Kant, leur travail est intimement liรฉ et cโ€™est ร  travers cette union quโ€™on peut parler de justice. La sรฉparation de pouvoir chez Kant nโ€™est pas une sรฉparation absolue. Elle consiste juste ร  laisser chaque pouvoir le droit de faire valoir son autoritรฉ. Ainsi cโ€™est leur travail communรฉment liรฉ qui fait la justice. Ces trois pouvoirs collaborent ensemble mais chaque partie occupe sa place et faisant son rรดle dans le but de permettre ร  chaque citoyen de bรฉnรฉficier de ses droits. Cโ€™est donc en rรฉalitรฉ par leur division dโ€™une part et par leur union dโ€™autre part quโ€™on peut atteindre la justice et non pas le bonheur des citoyens car ce dernier nโ€™est pas lโ€™objectif de la politique. Ainsi, Jules Barni, en faisant le commentaire de la doctrine du droit de Kant affirme que: ยซ le meilleur gouvernement n’est pas celui qui rend ses sujets le plus heureux, mais celui qui s’accorde le mieux avec les principes du droit et qui se rapproche le plus de cet ร‰tat idรฉal que la raison nous donne pour modรจle ยป.

LE JUGE FACE AU DROIT DE Lโ€™EQUITE ET CELUI DE LA NECESSITE

ย  ย Lโ€™รฉquitรฉ est dรฉfinie dans la philosophie du droit de Kant comme: ยซ un droit sans contrainte ยป Pour illustrer cela, Kant fait savoir quโ€™il y a des cas oรน, mรชme si les rรฉclamations sont fondรฉes sur un droit, on peut ne pas remplir toutes les conditions nรฉcessaires pour quโ€™un tribunal public puisse se prononcer en notre faveur et il appelle ce droit, celui de lโ€™รฉquitรฉ. Lโ€™impression quโ€™on peut avoir ร  premiรจre vue ร  la lecture de la philosophie de droit de Kant est quโ€™il nโ€™accorde pas une trรจs grande importance ร  ce droit, puisque ce concept nโ€™est dรฉveloppรฉ que dans quelques lignes de son ล“uvre. Cependant, le peu de passage que Kant consacre ร  ce droit est riche dโ€™enseignements. Et cโ€™est dโ€™ailleurs pour cette raison que des passionnรฉs de la philosophie de droit de Kant en ont fait un thรจme central dans certaines de leurs ล“uvres, par exemple Gottlieb Hufeland et Theodore Schmalz. En effet dans son ล“uvre le droit naturel pur, lโ€™รฉquitรฉ est dรฉfinie par Theodore Schmalz comme la vertu : ยซ (โ€ฆ) qui modรจre et dรฉtermine lโ€™exercice de droits extรฉrieurs parfaits conformรฉment ร  des devoirs extรฉrieurs imparfaits ยป. Les devoirs extรฉrieurs parfaits constituent la justice et ceux imparfaits la bienveillance. On peut donc noter avec lui que lโ€™รฉquitรฉ est comme une bienveillance qui modรจre et qui dรฉtermine la justice. Dโ€™un autre cรดtรฉ, Gottlieb Hufeland donne aussi sa propre conception de lโ€™รฉquitรฉ, certes proche de celle donnรฉe par Theodore Schmalz mais qui prรฉsente aussi quelques diffรฉrences. En effet, il considรจre que lโ€™รฉquitรฉ donne beaucoup plus de prioritรฉ ร  la bienveillance que la justice. En ce sens, il affirme : ยซ Le devoir de ne pas agir ร  lโ€™encontre des droits parfaits dโ€™autrui, sโ€™appelle la justice (justitia) ; le devoir dโ€™agir conformรฉment aux droits imparfaits dโ€™autrui, et en particulier de restreindre volontairement ses propres droits parfaits au profit de ceux-ci, sโ€™appelle lโ€™รฉquitรฉ (aequitas) ยป De ces deux dรฉfinitions, on peut comprendre lโ€™รฉquitรฉ comme le moyen dโ€™adapter une loi ร  certaines situations qui nโ€˜ont pas รฉtรฉ dโ€™abord bien rรฉflรฉchies afin dโ€™obtenir une justice plus adรฉquate et plus adaptรฉe. Elle se rapporte donc ร  la morale et constitue en ce sens un lien entre cette morale et le droit mis en pratique. De ce fait, elle pourrait รชtre illustrรฉe ainsi : la loi interdit formellement de brรปler les feux rouges. Mais, on peut prendre le cas dโ€™un mรฉdecin qui commet ce genre de crime ร  cause dโ€™un appel en urgence pour sauver des vies. En faisant appel ร  lโ€™รฉquitรฉ, cet individu ne pourrait รชtre condamnรฉ par un tribunal extรฉrieur. Cependant si lโ€™รฉquitรฉ se prรฉsente ainsi, cโ€™est-ร -dire comme corrรฉlatif de la loi, ou encore comme le fait dโ€™รชtre juste ร  chaque situation, ne rรฉvรจle-t-elle pas aussi les limites de la loi extรฉrieure ? Le droit, en tant que lโ€™ล“uvre de lโ€™homme ne saurait รชtre parfait. Il est limitรฉ. Et donc face ร  ce genre de situation lโ€™รฉquitรฉ constitue cette partie de lโ€™รฉthique pouvant intervenir. Ce sens de lโ€™รฉquitรฉ ne se diffรฉrencie pas de celui dรฉfendu par le philosophe de Kรถnigsberg. En dโ€™autres termes, il nโ€™existe pas aussi un sens spรฉcifique de lโ€™รฉquitรฉ chez Kant. Car, de la mรชme maniรจre que Theodore Schmalz et Gottlieb Hufeland, il avance dans sa mรฉtaphysique des mล“urs une thรจse similaire ร  celle dรฉfendue par ces deux penseurs. Pour comprendre cette conception kantienne, il est important dโ€™abord de reconnaitre que Kant considรจre lโ€™รฉquitรฉ comme un droit et dโ€™ailleurs il le dit dans son ล“uvre leรงons dโ€™รฉthique que: ยซ lโ€™รฉquitรฉ est un droit ยป. Mais il faut entendre ici la notion de droit dans le sens moral et non dans le sens juridique. En effet, selon lui, lโ€™รฉquitรฉ nโ€™est pas une marque de bienveillance ร  lโ€™รฉgard de quelquโ€™un dโ€™autre. En dโ€™autres termes, faire appel ร  ce principe nโ€™est pas une faveur quโ€™on pourrait nous accorder mais que chaque citoyen a le droit de revendiquer quelque chose au nom de ce principe. Ainsi, il poursuit : ยซcelui qui exige quelque chose en vertu de ce principe sโ€™appuie sur son droit ยป. Nรฉanmoins, la seule chose qui lui manque, cโ€™est lโ€™ensemble des conditions nรฉcessaires pour quโ€™un juge puisse, dans un tribunal extรฉrieur, plaider en sa faveur. Certes il parle au nom du ยซ droit moral ยป, mais il ne saura le faire valoir que devant le tribunal de la conscience. Cependant mรชme si Kant reconnait ce principe comme รฉtant un droit au sens moral, il rรฉfute lโ€™idรฉe selon laquelle lโ€™usage de la contrainte vis-ร -vis de son prochain au nom de ce principe est juste. Selon lui, lโ€™รฉquitรฉ est certes un droit du point de vue moral, mais il donne en aucun cas le pouvoir de contraindre son prochain. Et cโ€™est dans le but dโ€™illustrer la nรฉcessitรฉ dโ€™une absence de contrainte au nom de lโ€™รฉquitรฉ que Kant donne lโ€™exemple suivant : ยซ Si quelquโ€™un a travaillรฉ pour moi en รฉchange dโ€™un salaire dรฉterminรฉ, et quโ€™il fait plus que ce que je lui avais demandรฉ, cet homme a certes le droit que je le paie pour son travail supplรฉmentaire, mais il ne peut mโ€™y contraindre. Sโ€™il veut remettre lโ€™objet de son ouvrage dans son รฉtat premier et que je mโ€™y oppose, il doit sโ€™en abstenir, car il ne jouit plus dโ€™aucun droit sur ce qui mโ€™appartient. Il nโ€™a aucun pouvoir de me contraindre parce quโ€™il est allรฉ au-delร  des termes de notre entente ยป. On pourrait penser ici que Kant fait une contradiction en refusant le droit de contrainte, puisque cโ€™est lui-mรชme qui a dit plus haut que le droit et la facultรฉ de contrainte ne font quโ€™un. Mais ce quโ€™il faut retenir est que si Kant parle de lโ€™รฉquitรฉ, cโ€™est au sens moral et non juridique. Or seul le droit au sens juridique sโ€™accompagne de la nรฉcessitรฉ de la contrainte. En voulant donner les diffรฉrentes caractรฉristiques de ce concept dโ€™รฉquitรฉ, Kant aborde aussi lโ€™absence de contrat รฉtabli au prรฉalable et le premier exemple peut lโ€™illustrer. En effet, au nom de ce principe, il y a une impossibilitรฉ de trouver une solution par le tribunal extรฉrieur, mais mรชme si tel รฉtait le cas, cette solution ne pourrait se dรฉfinir que par son indรฉtermination. En dโ€™autres termes, aucune solution au nom de ce principe, nโ€™a dโ€™abord รฉtรฉ dรฉterminรฉe par un contrat au prรฉalable. Cโ€™est pourquoi, dans sa philosophie de droit, Kant donne lโ€™exemple suivant : ยซ Le domestique ร  qui, ร  la fin de lโ€™annรฉe, on paye les gages qui lui sont dus avec une monnaie qui sโ€™est dรฉvaluรฉe dans lโ€™intervalle, et avec laquelle il ne peut pas se procurer ce quโ€™il pouvait acheter pour ce montant lors de la conclusion du contrat, ne peut, face ร  une valeur numรฉraire identique mais dโ€™un pouvoir dโ€™achat diffรฉrent, en appeler pour autant ร  son droit pour รชtre dรฉdommagรฉ, et nโ€™a au fond dโ€™autre recours que lโ€™รฉquitรฉ,(divinitรฉ muette qui ne peut รชtre entendue), puisque rien nโ€™avait รฉtรฉ stipulรฉ ร  ce sujet dans le contrat et quโ€™un juge ne peut prononcer dโ€™aprรจs des conditions indรฉterminรฉes ยป. Donc lโ€™absence dโ€™un contrat dรฉterminรฉ ร  lโ€™ avance fait quโ€™aucun juge ne peut lรฉgitimer ce droit ou de contraindre quelquโ€™un qui en a fait usage. Nรฉanmoins, malgrรฉ les limites des juges face ร  ce droit, il convient de reconnaitre que Kant considรจre lโ€™รฉquitรฉ comme un ยซ droit moral ยป. Dโ€™abord, tout comme le droit strict, les lois morales sont aussi exigibles. Mais on ne saurait faire du droit de lโ€™รฉquitรฉ un droit reconnu par la lรฉgislation extรฉrieure car celle-ci est limitรฉe. En effet, sโ€™il y a lโ€™existence de lois morales qui peuvent รชtre aussi objets dโ€™une lรฉgislation extรฉrieure dans la conception de Ronald Dworking, il faut aussi reconnaitre que les lois telles que le droit de sโ€™opposer au despotisme ou de ne pas subir de prรฉjugรฉs etc., ne peuvent รชtre inscrites dans le droit positif. De surcroit, lโ€™existence de lois morales est aussi nรฉcessaire pour dรฉfendre et protรฉger les droits humains afin de permettre la coexistence des libertรฉs individuelles. Cโ€™est comme le dit Kant, en dรฉfinissant le droit comme lโ€™accord des arbitres ร  partir dโ€™une loi universelle de la libertรฉ. Ces propos de Kant sont dรฉfinis de deux maniรจres dans sa doctrine du droit. En effet, la dรฉfinition libรฉrale, conรงoit la loi universelle de la libertรฉ comme la simple รฉgalitรฉ prise en considรฉration entre lโ€™ensemble des citoyens de droit. Lโ€™autre dรฉfinition consiste ร  considรฉrer que lโ€™impรฉratif catรฉgorique est issu de cette loi universelle. Et lโ€™รฉquitรฉ sโ€™inscrit dans la conception libรฉrale qui prend en considรฉration lโ€™รฉgalitรฉ. Cโ€™est pour illustrer cela que Kant donne lโ€™exemple suivant : ยซ celui qui, dans une sociรฉtรฉ de commerce รฉtablie sur lโ€™รฉgalitรฉ des profits, tout de mรชme quโ€™il a fait davantage que les autres membres, […] peut en toute รฉquitรฉ exiger de la sociรฉtรฉ davantage quโ€™un simple partage ร  รฉgalitรฉ entre les membres ยป En dโ€™autres termes, dans une association commerciale basรฉe sur lโ€™รฉgalitรฉ des bรฉnรฉfices, la personne qui a montรฉ beaucoup plus dโ€™activitรฉs peut rรฉclamer beaucoup plus que les autres, ce qui est juste. Mais il nโ€™existe pas de tribunal ou de juge qui puisse la contraindre ร  cet acte dโ€™รฉquitรฉ car dans le contrat, rien nโ€™a รฉtรฉ รฉnoncรฉ ร  cet รฉgard. Notre tribunal intรฉrieur est le seul tribunal qui est apte ร  juger en faisant appel ร  ce principe. Il y a donc le principe de lโ€™รฉgalitรฉ qui est pris en considรฉration ici. Et cโ€™est dโ€™ailleurs pour cette raison que, dans sa doctrine du droit, Kant considรจre que seule lโ€™รฉquitรฉ constitue en droit, la ligne perpendiculaire qui ne sโ€™incline pas plus dโ€™un cรดtรฉ que de lโ€™autre et qui met en pratique le principe de lโ€™รฉgalitรฉ. Cette รฉgalitรฉ prise en considรฉration par lโ€™รฉquitรฉ comme corrรฉlatif chez Kant, se retrouve aussi chez Rawls quand il explique lโ€™รฉquitรฉ en ces mots : ยซ quand un certain nombre de personnes sโ€™engagent dans une entreprise de coopรฉration mutuellement avantageuse selon des rรจgles et donc imposent ร  leur libertรฉ des limites nรฉcessaires pour produire des avantages pour tous, ceux qui se sont soumis ร  ces restrictions ont le droit dโ€™espรฉrer un engagement semblable de la part de ceux qui ont tirรฉ avantage de leur propre obรฉissance. Nous nโ€™avons pas ร  tirer profit de la coopรฉration des autres sans contrepartie รฉquitable ยป. Donc Rawls reconnait aussi ce droit dโ€™รฉquitรฉ mais la seule diffรฉrence avec Kant, est que selon lui, ce droit doit รชtre garanti par la justice institutionnelle ; tandis que chez Kant, seule la morale peut reconnaitre ce droit. Selon Kant, il existe deux รฉlรฉments qui รฉchappent ร  lโ€™รฉquitรฉ pour quโ€™elle soit considรฉrรฉe comme lรฉgale par la lรฉgislation extรฉrieure. Il sโ€™agit dโ€™un contrat รฉtabli au prรฉalable et la contrainte. Quand celui-lร  est considรฉrรฉ dans une perspective plus large, on parle alors dโ€™une absence dโ€™autorisation. La personne de droit a la possibilitรฉ de crรฉer des lois reconnues par la lรฉgislation extรฉrieure du fait de son pouvoir dโ€™รฉtablir des accords. Mais il est ร  admettre que ce pouvoir demande une autorisation et doit mรชme รชtre รฉtudiรฉ par les autres pouvoirs. Cโ€™est pourquoi les grands penseurs du droit comme Dworkin jugent complexe les diffรฉrents aspects de la lรฉgislation stricte car cโ€™est un ensemble de droits qui requiert des autorisations. Cependant, lโ€™รฉquitรฉ constitue un ยซ droit moral ยป du fait quโ€™elle ne peut pas รชtre soumise aux diffรฉrents pouvoirs pour acquรฉrir une autorisation dโ€™oรน alors lโ€™absence dโ€™une contrainte extรฉrieure qui le caractรฉrise. La conception kantienne de lโ€™รฉquitรฉ est par ailleurs un rรฉsumรฉ des deux prรฉcรฉdents qui sont riches dโ€™enseignements. Dโ€™abord, Carl Christian Schmid semble se ranger du cรดtรฉ de Kant quand il affirme que : ยซ est รฉquitable le droit qui ne confรจre aucune autorisation de contraindre autrui, par exemple ร  payer un salaire supรฉrieur lorsquโ€™autrui a travaillรฉ davantage quโ€™il nโ€™รฉtait convenu. Dโ€™un point de vue moral, ce qui est รฉquitable est juste, et lโ€™inรฉquitรฉ et lโ€™ingratitude sont รฉquivalentes. ยป En dโ€™autres termes, tout comme Kant, Carl Christian Schmid considรจre que lโ€™รฉquitรฉ est certes un droit juste du point de vue de la lรฉgislation intรฉrieure, mais on ne peut utiliser en aucun cas la contrainte vis-ร -vis des autres au nom de ce droit mรชme si cโ€™est un acte lรฉgal selon la morale. Mais comme il a รฉtรฉ dit plus haut, cette conception de Kant et de Carl Christian Schmid peut รชtre rรฉfutable car selon Kant le droit nโ€™est que la facultรฉ de contrainte. Or lโ€™รฉquitรฉ est un droit reconnu par eux, donc refuser la contrainte serait une contradiction de leur part. Bref nous pouvons retenir que chez Kant, lโ€™รฉquitรฉ est un droit qui รฉchappe ร  la lรฉgislation extรฉrieure car ce que chaque personne conรงoit comme รฉtant juste aprรจs lโ€™avoir soumis ร  son tribunal intรฉrieur, peut ne pas รชtre approuvรฉ par une instance extรฉrieure. Cela montre alors quโ€™il y a lโ€™existence de principes qui sโ€™inscrivent dans un rapport de soi ร  soi. Ceux-ci se diffรฉrencient des principes objectifs qui en effet constituent le droit de nรฉcessitรฉ. Ce droit de nรฉcessitรฉ, dรฉfini par le philosophe Emmanuel Kant comme ยซ une contrainte sans droit ยป91 est un prรฉtendu droit selon lequel ce qui est considรฉrรฉ comme injuste en soi peut obtenir une bienveillance dans ce mรชme tribunal intรฉrieur. Selon Kant, ยซ ce prรฉtendu droit consiste en la facultรฉ, au cas oรน je courrais le danger de perdre ma vie, de lโ€™รดter ร  un autre, qui ne mโ€™a fait aucun tort.ยป Sโ€™opposant ร  cette contrainte, Kant considรจre que ce droit de nรฉcessitรฉ est une contradiction. Car, il ne sโ€™agit pas de lโ€™appliquer ร  lโ€™รฉgard dโ€™un ยซ agresseur injuste qui en veut ร  ma vie ยป, ce qui est reconnu comme lรฉgitime dรฉfense de nos jours, mais sur un innocent. En tant que droit supposรฉ, le droit de nรฉcessitรฉ ne peut prรฉtendre ร  un statut juridique car si tel รฉtait le cas, la lรฉgislation extรฉrieure serait en contradiction avec elle-mรชme. En dโ€™autres termes, il ne peut avoir une loi qui autorise un tel acte dans la lรฉgislation extรฉrieure mรชme si cela peut obtenir une lรฉgitimitรฉ en soi. Il sโ€™agit alors dโ€™une injustice faite ร  lโ€™รฉgard dโ€™une personne dans le but de se sauver. Ce droit est proche de la loi de la nature dรฉcrit par Thomas Hobbes. Il sโ€™agit dโ€™un รฉtat dans lequel chacun use ร  sa guise de ses forces pour sโ€™approprier ce quโ€™il dรฉsire et prรฉserver sa vie. Kant rejette totalement ce prรฉtendu droit car il est injuste et cโ€™est pour dรฉcrire cette injustice faite au nom dโ€™une nรฉcessitรฉ quโ€™il donne lโ€™exemple selon lequel un naufragรฉ qui arrache ร  un de ses compagnons sa planche dans le but de sauver sa vie. Mรชme si cet acte est commis par nรฉcessitรฉ, il faut reconnaitre que cโ€™est un acte contraire au droit positif. Car le droit nโ€™admet pas lโ€™utilisation dโ€™une maniรจre injuste, de la violence ร  lโ€™รฉgard de quelquโ€™un. Cโ€™est dans ce sens quโ€™il affirme: ยซ Quoiqu’on allรจgue en ce cas un prรฉtendu droit de nรฉcessitรฉ, il est certain qu’une telle action serait contraire au droit; celui-ci, en effet, dรฉfend d’exercer aucune violence ร  l’รฉgard de quiconque ne nous en fait aucune.ยป Il est donc รฉvident au sens kantien que ce droit nโ€™est pas reconnu par la lรฉgislation extรฉrieure. Nรฉanmoins, mรชme si ce droit positif ne reconnait pas ce droit, il convient de signaler quโ€™aucune instance extรฉrieure ne peut le punir. En dโ€™autres termes, aucune loi peut punir un citoyen parce quโ€™il en a fait usage pour se sauver. Car, nous dit Kant : ยซ la peine dont la loi menacerait le coupable ne pourrait รชtre plus grande pour lui que la perte de la vie ยป. Autrement dit, la peine que pourrait lui faire subir le droit strict ne pourrait pas รชtre plus grande que la mort quโ€™il a commis sauf si ce nโ€™est la ยซ loi du talion ยป. Mais est-il moralement acceptable dโ€™appliquer aussi cette peine sur quelquโ€™un qui a suivi son instinct de vie pour se ย sauver ? En se rรฉfรฉrant ร  lโ€™impรฉratif catรฉgorique, รฉnoncรฉ par lโ€™auteur de la critique de la raison pratique, et en tant que principe suprรชme de la doctrine du droit, il est possible alors de savoir que du point de vue de la morale, il ne serait pas acceptable de faire usage de la contrainte comme corrรฉlatif dโ€™une telle peine car ceci ne pourrait pas รชtre รฉrigรฉ en une loi universelle du fait du mobile de lโ€™action, ni appliquer une peine moins grande que la mort commis. Et cโ€™est dโ€™ailleurs pour cette raison que Kant conclut que : ยซ L’action qui consiste ร  employer la violence pour se conserver soi-mรชme รฉchappe donc ร  la punition 1 (impunibile), quoiqu’on ne puisse la regarder comme non coupable. ยป Ce qui veut dire alors que le droit de nรฉcessitรฉ, est un droit qui va au-delร  des limites du droit strict. Celui qui prรฉtend quโ€™il est dans ses droits en appliquant ce principe ne sโ€™appuie ni sur le droit positif, ni sur la morale. il est donc coupable aux yeux de Kant, mรชme si on ne peut le punir. Donc lโ€™argument de Kant se base sur lโ€™idรฉe quโ€™on ne peut condamner quelquโ€™un ร  mort qui, dans une situation jugรฉe dangereuse, prรฉtend quโ€™il sโ€™appuie sur son droit en faisant pรฉrir quelquโ€™un dans le but de prรฉserver sa vie. Dans le sens kantien : ยซ lโ€™acte de conservation de soi par violence ne doit pas รฉtรฉ considรฉrรฉ comme innocent (inculpabile), mais comme impunissable (impunibile)ยป. En dโ€™autres termes, celui qui fait usage de ce droit de nรฉcessitรฉ nโ€™est pas aux yeux de lโ€™auteur de la mรฉtaphysique des mล“urs, un รชtre innocent, mais quโ€™il se trouve dans une position oรน le droit positif ne peut faire usage de la contrainte comme corrรฉlatif de son acte. De plus le philosophe de Kรถnigsberg rejette totalement ce prรฉtendu droit de nรฉcessite car ceci ne serait pas conforme avec la deuxiรจme formule de lโ€™impรฉratif catรฉgorique qui interdit que lโ€™homme soit considรฉrรฉ uniquement comme moyen dโ€™atteindre tel ou tel but comme il le dit en ses termes : ยซ agis de telle sorte que tu traites lโ€™humanitรฉ aussi bien ta personne que dans la personne de tout autre toujours en mรชme temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ยป

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Table des matiรจres

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE: LE DROIT POLITIQUE : ANALYSE GENERALE DE Lโ€™ACTION DE LA LEGISLATION
CHAPITRE I : FONDEMENT MORAL DE Lโ€™ETAT DE DROIT
CHAPITRE II : LE REGENT DE Lโ€™ETAT : ENTRE MAGISTRAT, SOUVERAIN ET LEGISLATEUR
CHAPITRE III : LE JUGE FACE AU DROIT DE Lโ€™EQUITE ET CELUI DE LA NECESSITE
DEUXIEME PARTIE : Lโ€™IMPERATIF CATEGORIQUE DANS LE DROIT PENAL ET DE GRACE
CHAPITRE I : Lโ€™EGALITE COMME PRINCIPE DE BASE EN JUGEMENT
CHAPITRE II : LA QUESTION DE LA PEINE DE MORT
CHAPITRE III : Lโ€™IRRATIONALITE DU DROIT DE GRACE DU LEGISLATEUR
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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