FONDEMENT MORAL DE LโETAT DE DROIT
ย ย La philosophie du droit de Kant est liรฉe ร sa philosophie morale. Il est vrai que chez Kant, le fondement de lโEtat de droit ne peut รชtre quโune idรฉe de la raison pure. En dโautres termes, le droit se fonde sur la morale. Mais si tel est le cas, ร quoi consiste alors cette morale kantienne ? Pour parler de cette morale kantienne qui fonde le droit extรฉrieur, il est nรฉcessaire de rappeler le projet de Kant de fonder une philosophie morale pure quโil appelle mรฉtaphysique des mลurs. Celle-ci est fondรฉe sur le concept de ยซ pur ยป quโil dรฉfinit comme รฉtant toute philosophie ยซ qui expose ses doctrines en partant uniquement de principes a priori ยป Et ce concept doit รชtre restreint ร des objets dรฉterminรฉs par lโentendement pour รชtre appelรฉ mรฉtaphysique, ce qui conduit alors lโauteur ร parler de lโexistence de deux sortes de mรฉtaphysique : celle de nature et celle des mลurs. Ainsi il affirme: ยซ nous sommes ainsi conduits ร lโidรฉe dโune double mรฉtaphysique : dโune mรฉtaphysique de la nature et dโune mรฉtaphysique des mลurs ยป quโil appelle autrement ยซ la philosophie morale pure ยป. La diffรฉrence entre ces deux sortes de mรฉtaphysiques est que celle de la nature รฉtudie la nature au sens des objets qui existent dans le monde indรฉpendamment de nous, tandis que celle des mลurs porte sur la morale pure. Le fondement de cette philosophie morale pure est une chose importante aux yeux de Kant. Dโailleurs il considรจre que le fondement de la mรฉtaphysique des mลurs est une exigence de la raison car cette philosophie est celle qui contient lโensemble des rรจgles morales. Et รฉtant donnรฉ que la loi morale se rattache directement ร la conscience de lโexistence de lโindividu, Kant dit que lโhomme ne doit pas la chercher comme si elle รฉtait enveloppรฉe de tรฉnรจbres. Son existence est une รฉvidence et elle se prรฉsente devant lโhomme. Ainsi, parlant de ยซ cette la loi morale et du ciel รฉtoilรฉ au-dessus de nous ยป, Kant dit: ยซ ces deux choses, je nโai pas besoin de les chercher et de les deviner comme si elles รฉtaient enveloppรฉes de nuages ou placรฉes au-delร de mon horizon dans une rรฉgion inaccessible; je les vois devant moi, et je les rattache immรฉdiatement ร la conscience de mon existence. ยป Cette morale, constituรฉe dโun ensemble de rรจgles pures a priori doit constituer la source du droit extรฉrieur. En effet Kant considรจre quโune loi ne peut รชtre morale que si elle est nรฉcessaire, comme il le dit en ces termes: ยซ tout le monde doit convenir quโune loi, pour avoir une valeur morale, cโest-ร -dire pour fonder une obligation, il faut quโune loi implique en elle une absolue nรฉcessite [โฆ] ยป. Et si tel est le cas, il est donc possible de penser que lโรฉtablissement dโune lรฉgislation extรฉrieure est une idรฉe morale. En effet, dans son ลuvre Idรฉe dโune histoire universelle du point de vue cosmopolitique, le philosophe affirme ร la cinquiรจme proposition que les hommes ne peuvent surmonter les inรฉvitables violences de leur ยซ insociable sociabilitรฉ ยป (oรน lโhomme cherche ร maintenir dโune part ยซ les relations avec les autres hommes, ce qui est l’instinct social [et dโautre part naรฎt] l’injuste dรฉsir d’acquรฉrir la suprรฉmatie sur les autres [cโest-ร -dire la jalousie et la rivalitรฉ] ยป 23), que par lโintermรฉdiaire dโun droit extรฉrieur qui, ร travers la contrainte, pourra faire rรฉgner la sociรฉtรฉ civile. Il dรฉcrit ici lโรฉtat sauvage dans lequel les hommes vivaient. Et donc lโรฉtablissement dโun droit strict peut assurer la paix. Il est donc nรฉcessaire. Cette idรฉe kantienne est parallรจle ร celle de Rousseau qui considรจre que le contrat, ร partir duquel le droit est fondรฉ a pour tรขche de remplacer la libertรฉ illimitรฉe de lโhomme par une libertรฉ contrรดlรฉe. En ce sens, Rousseau affirme : ยซce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa libertรฉ naturelle et un droit illimitรฉ ร tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre; ce quโil gagne, c’est la libertรฉ civile et la propriรฉtรฉ de tout ce quโil possรจde ยป. Donc รฉmanant de la raison, lโรฉtablissement de ce droit devient important car pouvant permettre une coexistence des libertรฉs. En dโautres termes il permet de rรฉguler les libertรฉs des citoyens qui composent lโEtat civil. Cโest cette coexistence qui rend possible la vie des citoyens. Donc la mise en place dโun Etat de droit semble รชtre le dรฉbut ยซ dโune paix perpรฉtuelle ยป, la morale ne peut alors รชtre que la source du droit.ues, Paris, รฉd. Fรฉlix Alcan, Cette insociable sociabilitรฉ a รฉtรฉ aussi expliquรฉe dans ce passage de Kant : ยซ lโhomme a une inclination ร sโassocier, par ce que dans un tel รฉtat il se sent plus quโhomme, cโest-ร -dire quโil sent le dรฉveloppement de ses dispositions naturelles.ย Si lโรฉtablissement de ce droit positif est une idรฉe de la raison pure pratique car nรฉcessaire, alors quels sont les rapports qui unissent le droit avec la morale ? Les rapports quโil y a entre le droit et la morale dans la philosophie de Kant ne sont pas simples. Car tantรดt Kant parle dโune dรฉpendance tantรดt dโune indรฉpendance du droit. En effet, abordant la question de la diffรฉrence qui peut exister entre la lรฉgalitรฉ et la moralitรฉ, Kant affirme ceci ยซ la lรฉgislation qui fait dโune action un devoir et en mรชme temps de ce devoir un mobile, est une lรฉgislation รฉthique. En revanche la lรฉgislation qui nโintรจgre pas le mobile ร la loi et par consรฉquent admet un autre mobile que lโidรฉe du devoir, ellemรชme est juridique ยป. En dโautres termes, ces deux lรฉgislations se diffรฉrencient donc du mobile de leurs actions. Lโune sโintรฉresse aux motivations de lโaction, lโautre, ร la conformitรฉ de lโaction ร la loi. Cette distinction est aussi faite dans lโintroduction de la mรฉtaphysique des mลurs. Dans cette derniรจre, Kant montre que pour le droit ainsi que pour la morale, il existe des devoirs de droits. Mais lโaction faite par devoir est une action faite sans inclination ni penchant. Et ยซ Par penchant (propensio) [nous dit Kant] j’entends le principe subjectif de la possibilitรฉ d’une inclination (d’un dรฉsir habituel [concupiscentia]), en tant que cette inclination est contingente pour l’humanitรฉ en gรฉnรฉral ยป Ainsi, en voulant dรฉfinir la formule du devoir, le philosophe de Kรถnigsberg commence par รฉliminer tout ce qui nโest pas conforme au concept. Dans un premier temps, il affirme ceci : ยซ je laisse de cรดtรฉ toutes les actions quโon juge dโabord contraires au devoir quoiquโelles puissent รชtre utiles dans tel ou tel but ; car pour ces actions, il ne peut รชtre question de savoir si elles ont รฉtรฉ faites par devoir, puisquโelles ont au contraire pour caractรจre dโรชtre opposรฉes au devoir ยป28 En dโautres termes, Kant รฉcarte dโabord les actions faites par utilitรฉ car elles sont contraires au devoir. Lโaction faite par devoir est diffรฉrente de lโaction effectuรฉe dans le but dโatteindre quelque chose comme le cas de lโimpรฉratif hypothรฉtique, cโest-ร -dire une action faite par inclination ou penchant et non uniquement par devoir. En deuxiรจme lieu, il รฉcarte aussi les actions qui sont rรฉellement en conformitรฉ avec le devoir mais qui sont effectuรฉes, pas par inclination immรฉdiate mais par une autre inclination, cโest-ร -dire par intรฉrรชt personnel. Donc selon lui, pour avoir une valeur morale, lโaction doit รชtre accomplie par devoir et pas seulement en conformitรฉ avec le devoir. Et cโest dans le but dโexpliciter cela quโil donne lโexemple suivant : ยซ il est sans doute conforme au devoir quโun marchant ne surfasse pas sa marchandise aux acheteurs inexpรฉrimentรฉs ; et, quand il fait un grand commerce, le marchand sage ne surfait jamais, mais il a un prix fixe pour tout le monde, en sorte quโun enfant peut acheter chez lui tout aussi bien quโun autre. On est donc loyalement servi, mais cela ne signifie pas pour croitre que le marchant agit ainsi par devoir et dโaprรจs des principes de probitรฉ ; son intรฉrรชt lโexigeait ; car il ne peut รชtre ici question dโinclination immรฉdiate, et lโon ne peut supposer en lui une sorte dโamour pour tous ses chalands qui lโempรชcheraient de traiter lโun plus favorablement que lโautre. Voilร donc une action qui nโa รฉtรฉ faite ni par devoir, ni par inclination immรฉdiate, mais seulement par intรฉrรชt personnel ยป Ce qui permet alors de savoir que chez ce philosophe allemand, lโaction morale ne tire pas sa valeur de lโeffet quโon attend, ou dans lโinclination, ou dans lโintรฉrรชt personnel. Ainsi, Kant, aprรจs avoir รฉcartรฉ tout ce qui nโest pas fait par devoir, finit pas donner ce quโil entend rรฉellement par ce concept. En effet, dans lโintroduction ร la mรฉtaphysique des mลurs, il annonce quโun devoir est une action par laquelle chacun est obligรฉ.31 Lโobligation ร laquelle lโauteur fait rรฉfรฉrence ici est la nรฉcessitรฉ dโune action libre et exercรฉe sous lโinfluence de lโimpรฉratif catรฉgorique. Et selon Kant, la lรฉgalitรฉ tout comme la moralitรฉ, rรฉpondent toutes ร cette obligation. Cependant, il ne manquera pas aussi de prรฉciser que si toute obligation rรฉpond ร cet impรฉratif, il est donc รฉvident que lโon soit obligรฉ de diffรฉrentes maniรจres du fait de lโexistence de deux sortes de lรฉgislation. En prenant lโexemple du mensonge, Kant affirme que lโobligation morale de dire la vรฉritรฉ est un commandement de lโinstance intรฉrieure. Cโest une loi morale qui relรจve du tribunal intรฉrieur de lโindividu. Cโest dโailleurs pour illustrer cela quโil donne lโexemple du mensonge quand il sโinterrogeait sur la question du devoir: ยซ quโest-ce que le devoir ? Quโest ce quโรชtre obligรฉ ? Par exemple le devoir dโรชtre honnรชte ou de dire la vรฉritรฉ ? [ร propos de ce devoir, il dit quโ] Il y a lร un impรฉratif, cโest-ร -dire un commandement catรฉgorique, cโest-ร -dire inconditionnรฉ [โฆ] ยป. Ce que le philosophe veut faire savoir ici est que dire la vรฉritรฉ est un devoir inconditionnรฉ. Et il va mรชme jusquโร prรฉtendre quโenvers des assassins qui vous demandent si votre ami quโils poursuivent nโest pas refugiรฉ dans votre maison, dans ce cas, mentir serait un crime. Donc pour lui il faut dire la vรฉritรฉ et quelques soient les consรฉquences qui peuvent en rรฉsulter. Cependant doit -on dire toutes les vรฉritรฉs, mรชme celles qui peuvent nuire aux autres ? Si dire la vรฉritรฉ est un devoir comme le prรฉtend Kant, a-t-on droit ร la vรฉritรฉ qui peut รชtre nรฉfaste pour autrui ? La rรฉponse peut รชtre nรฉgative. Car, ce principe moral dont nous dรฉcrit Kant, sโil รฉtait pris dโune maniรจre absolue, rendrait toute sociรฉtรฉ impossible. Cโest pourquoi lโanalyse que fait Benjamin Constant semble รชtre pertinente. En effet, celui-ci rรฉfute la thรจse kantienne: ยซ dire la vรฉritรฉ est un devoir. Quโest-ce quโun devoir ? Lโidรฉe de devoir est insรฉparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un รชtre, correspond aux droits dโun autre. Lร oรน il nโy a pas de droits, il nโy a pas de devoirs. Dire la vรฉritรฉ nโest donc un devoir quโenvers ceux qui ont droit ร la vรฉritรฉ. Or nul homme nโa droit ร la vรฉritรฉ qui nuit ร autrui ยป.
LE REGENT DE LโETAT : ENTRE MAGISTRAT, SOUVERAIN ET LEGISLATEUR
ย ย La question des trois pouvoirs de lโEtat est une problรฉmatique abordรฉe par Kant et par beaucoup de penseurs comme Montesquieu. En effet, vu lโimportance que ce dernier accorde ร la constitution et lโadmiration quโil a pour celle anglaise, il affirme quโ : ยซ il y a dans chaque Etat, trois sortes de pouvoirs ; la puissance lรฉgislative, la puissance exรฉcutrice des choses qui dรฉpendent du droit des gens, et la puissance exรฉcutrice de celles qui dรฉpendent du droit civil ยป. Autrement dit ร ces yeux, lโEtat est composรฉ de trois pouvoirs que sont le pouvoir lรฉgislatif qui est celui qui donne aux reprรฉsentants du peuple le pouvoir dโรฉtablir et dโabroger certains normes ; lโexรฉcutif qui donne au prince la responsabilitรฉ dโassurer la sรฉcuritรฉ publique ; et enfin le pouvoir judiciaire qui est celui qui donne aux magistrats le pouvoir de punir en cas de crime commis. Bien avant Kant, Montesquieu avait parlรฉ de la forme parfaite dโun Etat de droit. Il considรจre que le pouvoir qui est ร la fois lรฉgislatif, exรฉcutif et judiciaire peut souvent faire naitre de la monarchie. Et cโest dans le but dโรฉviter cela quโil faudrait empรชcher tout abus de pouvoir. Ainsi, il faudrait que celui qui exerce le lรฉgislatif, nโait pas aussi le droit dโadministrer, ou jouer le rรดle de juge. Il ne faudrait pas aussi que celui qui administre ait ร lรฉgifรฉrer ou ร juger, mais que celui qui a le droit dโexercer le rรดle de juge, juge en fonction des lois consenties par le peuple. En outre, tout comme Kant, Montesquieu est aussi convaincu que le pouvoir judiciaire ne relรจve que de la compรฉtence des personnes choisies en qualitรฉ de magistrats. Autrement dit, seuls les magistrats sont habilitรฉs ร assurer le pouvoir judiciaire. Et cโest dans cette perspective quโil affirme que la magistrature ne doit รชtre exercรฉe que par : ยซ des personnes tirรฉes du corps du peuple, dans certains temps de lโannรฉe, de la maniรจre prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure quโautant que la nรฉcessitรฉ le requiert ยป, ce qui veut dire alors que les juges doivent รชtre tirรฉs du peuple. Cependant il convient de signaler que les dรฉcisions des juges, mรชme si ces derniers sont tirรฉs du peuple, ne peuvent se fonder que sur des lois gรฉnรฉrales. Cโest-ร -dire des lois consenties par le peuple. Grรขce ร la lecture de ces deux auteurs cโest-ร -dire Kant et Montesquieu, on peut retenir que les diffรฉrentes fonctions de lโEtat ne doivent pas รชtre exercรฉes par une seule personne car cela peut renvoyer au despotisme qui ne respecte pas la loi morale, or pour Kant tout individu doit avoir un sentiment moral cโest ร dire ยซ la capacitรฉ d’รฉprouver pour la loi morale un respect [โฆ]ยป,45 dโoรน alors la question de la sรฉparation des pouvoirs. Ces trois pouvoirs doivent exprimer la volontรฉ unifiรฉe du peuple. Ils doivent certes รชtre sรฉparรฉs, mais leurs tรขches doivent รชtre communรฉment liรฉes pour former un Etat civil. Le pouvoir exรฉcutif est chargรฉ de gouverner en conformitรฉ avec la loi. Cโest un pouvoir qui ne relรจve que des compรฉtences du rรฉgent de lโEtat selon Kant. Sa fonction nโest pas de faire la loi elle-mรชme mais plutรดt dโexรฉcuter ou de la faire exรฉcuter. Le gouvernement, ร travers des ministres quโil nomme, donne des dรฉcrets, mais ces derniers ne sont en aucun cas des lois car ils sont soumis mรชme aux lois issues du consentement du peuple. Il sโagit de simples ordonnances c’est-ร -dire des dรฉcisions particuliรจres et toujours rรฉvocables. Le principe de la sรฉparation des pouvoir est indispensable chez Kant. En effet il existe dans certains Etats une absorption des trois pouvoirs et ร ces yeux, cโest ยซ cette absorption du pouvoir lรฉgislatif par le pouvoir exรฉcutif qui caractรฉrise le gouvernement despotique ยป. Le despotisme selon Kant se caractรฉrise par le non-respect des libertรฉs individuelles. En dโautres termes, dans le rรฉgime despotique, les individus ne peuvent pas faire usage de leurs libertรฉs. Alors que pour Kant : ยซ pour propager les lumiรจres, il nโest rien requis dโautre que la libertรฉ ยป. En dโautres termes, le gouvernement doit รชtre de telle sorte que les individus qui la composent aient le droit de faire usage de leur libertรฉ comme celle de faire lโusage public de leurs raisons dans tous les domaines, ce qui nโest pas possible avec le rรฉgime despotique. Et si nous voulons que la raison puisse gouverner le monde, il faut le rรจgne de la libertรฉ comme le dit Kant ici : ยซ vouloir que la raison gouverne cโest donc concevoir un rรจgne de la libertรฉ ou chacun nโobรฉissant quโa sa raison sโaccorderait de lui mรชme avec les autres. ยป De ce fait lโhomme ne va plus agir parce que le droit lโoblige, donc sans soumettre ses actions ร lโimpรฉratif catรฉgorique mais agir conforment ร la loi morale. En dโautres termes, en faisant usage de sa raison, il nโaura plus besoin dโun maitre despote qui va dicter ses actions mais ces derniรจres seront faites par devoir en conformitรฉ avec la morale. Et le despotisme ne fait pas entrer lโhomme dans les lumiรจres. Car il ne respecte pas les libertรฉs individuelles, parmi lesquelles lโusage public de la raison. Cโest dโailleurs pour cette raison que Montesquieu le considรจre comme un mal politique. Car dans ce rรฉgime, il sโagit dโun seul homme qui gouverne de maniรจre autoritaire et arbitraire. Bref, cโest un รฉgarement irrationnel selon lโauteur de lโesprit des lois. Dans la mรชme perspective, Kant confirme aussi cette thรฉorie en donnantย une dรฉfinition similaire ร celle de Montesquieu. En effet aux yeux du philosophe de Kรถnigsberg, le despotisme ne peut รชtre considรฉrรฉ comme un rรฉgime qui ยซ exรฉcute de sa propre autoritรฉ les lois quโil a รฉdictรฉes lui-mรชme, cโest donc la volontรฉ gรฉnรฉrale en tant quโexercรฉe par le souverain comme sa volontรฉ privรฉe ยป. Autrement dit, lโindividu qui gouverne, le fait en fonction des lois quโil a lui-mรชme รฉtablit et ne respecte pas les lois fondamentales, ni les libertรฉs des individus qui composent le rรฉgime en question. Et si pour Kant : ยซ le pouvoir corrompt inรฉvitablement le libre jugement de la raison ยป, alors comment un seul homme peut-il gouverner et en fonction des lois quโil a lui-mรชme รฉtablit ? Car si la raison est corrompue par le pouvoir comme le dit Kant, alors les lois quโelle รฉtablit ne peuvent plus รชtre conformes ร lโimpรฉratif catรฉgorique mais faites en fonction de ses inclinations. Cโest dโailleurs pourquoi il veut que la lรฉgislation extรฉrieure soit le fruit dโun consentement de la volontรฉ gรฉnรฉrale car chaque personne a en lui une prรฉdisposition ร la moralitรฉ. Par ailleurs, aux yeux de Kant, les hommes qui sont dans les lumiรจres, ne peuvent pas vivre dans un rรฉgime despotique mais rรฉpublicain car le despotisme est un rรฉgime qui considรจre les hommes qui le composent comme des sujets soumis aux lois dโun seul maitre. Cโest en ce sens quโil affirme : ยซ seuls les hommes libres, capables de penser par eux-mรชmes, peuvent vivre dans un Etat rรฉpublicain et non despotique, cโest-ร -dire dans un Etat oรน ils sont citoyens au lieu dโรชtre les sujets dโun despote ou les esclaves dโun maitre. Ce rรฉgime despotique sโoppose au gouvernement national oรน les membres de la sociรฉtรฉ nโobรฉissent pas ร une volontรฉ arbitraire dโun maitre mais aux lois auxquelles ils ont donnรฉ leur propre accord, mais lesquelles lois ne sont vรฉritablement des lois que si elles sont conformes ร lโimpรฉratif catรฉgorique. Donc, ร partir de cette analyse, il est possible de retenir que lโabsorption des trois pouvoirs de lโEtat renvoie au non-respect du principe de la sรฉparation des pouvoirs et plus particuliรจrement ร une absorbation du pouvoir judiciaire. Cโest pourquoi il est possible de comprendre la position kantienne quand il affirme que ni le pouvoir exรฉcutif, ni le pouvoir lรฉgislatif ne doivent absorber le pouvoir judiciaire. Selon lui, ils peuvent certes choisir des juges mais ils ne doivent pas exercer le rรดle de juge. Ce rรดle revient plutรดt au peuple, cโest aux membres de la sociรฉtรฉ civile de se juger eux-mรชmes mais ร travers des lois quโils ont choisi librement. Et si Kant donne cette opportunitรฉ au peuple, cโest en effet pour รฉviter lโinjustice quโil pourrait subir en se faisant juger par ces deux pouvoirs que sont lโexรฉcutif et le lรฉgislatif. Cependant, il convient de signaler que la position kantienne sur le choix des juges pourrait dโune part รชtre remise en question. En effet selon lui le pouvoir exรฉcutif et lรฉgislatif, mรชme sโils ne doivent pas juger, ils ont le droit de choisir des juges. Mais sโil revient aux membres de la sociรฉtรฉ de se juger eux-mรชmes, doit -on accorder aussi aux autres pouvoirs, le droit de choisir des juges ? Non, car ceci serait contradictoire avec le principe de la sรฉparation des pouvoirs. En effet, sโils choisissent des juges, ils risquent de leur imposer une vision ou une ligne de conduite. Et donc lโindรฉpendance des juges ne pourrait pas รชtre effective. Bref, pour une meilleure sรฉparation des pouvoirs, et une indรฉpendance de la justice, il faudrait que les juges soient choisis par le peuple lui-mรชme. Il est vrai que Kant se range du cรดtรฉ de Rousseau pour affirmer que le pouvoir lรฉgislatif est une volontรฉ unifiรฉe du peuple. Mais lร oรน il sโoppose ร lui, cโest quand il nous parle du principe de reprรฉsentation comme lโunique forme que le gouvernement doit avoir pour รชtre en effet conforme aux principes de droits. Selon Kant, seul le principe de reprรฉsentation permet de rรฉflรฉchir dโune maniรจre rationnelle lโunion de la volontรฉ du peuple en sa capacitรฉ lรฉgislatrice. Cโest pourquoi il affirme ceci : ยซ Toute vraie rรฉpublique est et ne peut รชtre rien d’autre qu’un systรจme reprรฉsentatif du peuple, instituรฉ pour protรฉger ses droits en son nom, par lโunion de tous les citoyens au moyen de leurs dรฉlรฉguรฉs (dรฉputes). Ce principe de reprรฉsentation est capital pour le droit public car il caractรฉrise les pouvoirs de lโEtat. Il faut donc que la forme du droit soit reprรฉsentative car si non elle ne serait que lโimage du despotisme. Ce qui serait contraire aux principes du droit. Et aux yeux du philosophe de Kรถnigsberg pour que le droit soit rรฉel il faut quโil ait une libertรฉ et une loi morale fondรฉe sur cette libertรฉ. Ainsi il affirme: ยซ sโil nโy a pas de libertรฉ, ni de loi morale fondรฉe sur elle, [โฆ] dans ce cas la politique [โฆ] constitue toute la sagesse pratique et la notion du droit nโest plus quโune idรฉe dรฉpourvue de toute rรฉalitรฉ. ยป Nรฉanmoins, il convient aussi de signaler quโavec Kant, mรชme sโil y a sรฉparation des pouvoirs, il est nรฉcessaire dans chaque cas, que chaque partie du pouvoir ait un rรดle ร jouer pour rendre justice ร qui de droit. En dโautres termes, la sรฉparation des trois pouvoirs nโest pas une sรฉparation stricte car leurs rรดles sont communรฉment liรฉs. Ainsi Kant, en donnant lโexemple dโun cas comme la culpabilitรฉ ou de la non culpabilitรฉ que pourrait avoir un accusรฉ, affirme que : ยซ ce fait une fois proclamรฉ par ceux qui reprรฉsentent le peuple dans le jugement ร porter sur l’un des siens, il ne reste plus qu’ร lui appliquer la loi, ce qui est l’ลuvre du tribunal, et ร faire exรฉcuter la sentence, ce qui revient au pouvoir exรฉcutif. C’est ainsi que s’unissent les trois pouvoirs de l’รtat pour faire justice ร qui de droit ยป. Ce cas donnรฉ par le philosophe allemand montre encore une fois de plus le lien entre la morale et la justice. En effet, il existe deux dimensions se rapportant ร la notion de culpabilitรฉ : une dimension objective et celle subjective. La dimension objective correspond ร lโacte qui a รฉtรฉ commis tandis que celle subjective se rapporte au ressenti relatif ร cet acte et qui affecte toute la personne. Il sโagit dโune prise de conscience par le tribunal intรฉrieur, de la faute commise. Elle se rapporte donc ร la morale55. Ces deux dimensions doivent รชtre confondues devant toute instance extรฉrieure. Cette thรจse kantienne nโest pas une idรฉe contraire ร la morale. En effet, une sรฉparation trop stricte des diffรฉrents pouvoirs peut causer une paralysie des diffรฉrentes institutions de lโEtat. Ceci peut causer un conflit entre ces pouvoirs qui peut se solder par un coup dโEtat. Cโest lโexemple de la France sous le directoire de 1795-1799 et sous la Rรฉpublique de 1848-1851. Tout renversement de lโEtat civil est une chose contraire ร la morale car comme le dit Kant la justice ne peut รชtre obtenue que dans lโEtat civil. Donc la sรฉparation des trois pouvoirs est certes importante dans un Etat de droit mais il convient de retenir que chez Kant, leur travail est intimement liรฉ et cโest ร travers cette union quโon peut parler de justice. La sรฉparation de pouvoir chez Kant nโest pas une sรฉparation absolue. Elle consiste juste ร laisser chaque pouvoir le droit de faire valoir son autoritรฉ. Ainsi cโest leur travail communรฉment liรฉ qui fait la justice. Ces trois pouvoirs collaborent ensemble mais chaque partie occupe sa place et faisant son rรดle dans le but de permettre ร chaque citoyen de bรฉnรฉficier de ses droits. Cโest donc en rรฉalitรฉ par leur division dโune part et par leur union dโautre part quโon peut atteindre la justice et non pas le bonheur des citoyens car ce dernier nโest pas lโobjectif de la politique. Ainsi, Jules Barni, en faisant le commentaire de la doctrine du droit de Kant affirme que: ยซ le meilleur gouvernement n’est pas celui qui rend ses sujets le plus heureux, mais celui qui s’accorde le mieux avec les principes du droit et qui se rapproche le plus de cet รtat idรฉal que la raison nous donne pour modรจle ยป.
LE JUGE FACE AU DROIT DE LโEQUITE ET CELUI DE LA NECESSITE
ย ย Lโรฉquitรฉ est dรฉfinie dans la philosophie du droit de Kant comme: ยซ un droit sans contrainte ยป Pour illustrer cela, Kant fait savoir quโil y a des cas oรน, mรชme si les rรฉclamations sont fondรฉes sur un droit, on peut ne pas remplir toutes les conditions nรฉcessaires pour quโun tribunal public puisse se prononcer en notre faveur et il appelle ce droit, celui de lโรฉquitรฉ. Lโimpression quโon peut avoir ร premiรจre vue ร la lecture de la philosophie de droit de Kant est quโil nโaccorde pas une trรจs grande importance ร ce droit, puisque ce concept nโest dรฉveloppรฉ que dans quelques lignes de son ลuvre. Cependant, le peu de passage que Kant consacre ร ce droit est riche dโenseignements. Et cโest dโailleurs pour cette raison que des passionnรฉs de la philosophie de droit de Kant en ont fait un thรจme central dans certaines de leurs ลuvres, par exemple Gottlieb Hufeland et Theodore Schmalz. En effet dans son ลuvre le droit naturel pur, lโรฉquitรฉ est dรฉfinie par Theodore Schmalz comme la vertu : ยซ (โฆ) qui modรจre et dรฉtermine lโexercice de droits extรฉrieurs parfaits conformรฉment ร des devoirs extรฉrieurs imparfaits ยป. Les devoirs extรฉrieurs parfaits constituent la justice et ceux imparfaits la bienveillance. On peut donc noter avec lui que lโรฉquitรฉ est comme une bienveillance qui modรจre et qui dรฉtermine la justice. Dโun autre cรดtรฉ, Gottlieb Hufeland donne aussi sa propre conception de lโรฉquitรฉ, certes proche de celle donnรฉe par Theodore Schmalz mais qui prรฉsente aussi quelques diffรฉrences. En effet, il considรจre que lโรฉquitรฉ donne beaucoup plus de prioritรฉ ร la bienveillance que la justice. En ce sens, il affirme : ยซ Le devoir de ne pas agir ร lโencontre des droits parfaits dโautrui, sโappelle la justice (justitia) ; le devoir dโagir conformรฉment aux droits imparfaits dโautrui, et en particulier de restreindre volontairement ses propres droits parfaits au profit de ceux-ci, sโappelle lโรฉquitรฉ (aequitas) ยป De ces deux dรฉfinitions, on peut comprendre lโรฉquitรฉ comme le moyen dโadapter une loi ร certaines situations qui nโont pas รฉtรฉ dโabord bien rรฉflรฉchies afin dโobtenir une justice plus adรฉquate et plus adaptรฉe. Elle se rapporte donc ร la morale et constitue en ce sens un lien entre cette morale et le droit mis en pratique. De ce fait, elle pourrait รชtre illustrรฉe ainsi : la loi interdit formellement de brรปler les feux rouges. Mais, on peut prendre le cas dโun mรฉdecin qui commet ce genre de crime ร cause dโun appel en urgence pour sauver des vies. En faisant appel ร lโรฉquitรฉ, cet individu ne pourrait รชtre condamnรฉ par un tribunal extรฉrieur. Cependant si lโรฉquitรฉ se prรฉsente ainsi, cโest-ร -dire comme corrรฉlatif de la loi, ou encore comme le fait dโรชtre juste ร chaque situation, ne rรฉvรจle-t-elle pas aussi les limites de la loi extรฉrieure ? Le droit, en tant que lโลuvre de lโhomme ne saurait รชtre parfait. Il est limitรฉ. Et donc face ร ce genre de situation lโรฉquitรฉ constitue cette partie de lโรฉthique pouvant intervenir. Ce sens de lโรฉquitรฉ ne se diffรฉrencie pas de celui dรฉfendu par le philosophe de Kรถnigsberg. En dโautres termes, il nโexiste pas aussi un sens spรฉcifique de lโรฉquitรฉ chez Kant. Car, de la mรชme maniรจre que Theodore Schmalz et Gottlieb Hufeland, il avance dans sa mรฉtaphysique des mลurs une thรจse similaire ร celle dรฉfendue par ces deux penseurs. Pour comprendre cette conception kantienne, il est important dโabord de reconnaitre que Kant considรจre lโรฉquitรฉ comme un droit et dโailleurs il le dit dans son ลuvre leรงons dโรฉthique que: ยซ lโรฉquitรฉ est un droit ยป. Mais il faut entendre ici la notion de droit dans le sens moral et non dans le sens juridique. En effet, selon lui, lโรฉquitรฉ nโest pas une marque de bienveillance ร lโรฉgard de quelquโun dโautre. En dโautres termes, faire appel ร ce principe nโest pas une faveur quโon pourrait nous accorder mais que chaque citoyen a le droit de revendiquer quelque chose au nom de ce principe. Ainsi, il poursuit : ยซcelui qui exige quelque chose en vertu de ce principe sโappuie sur son droit ยป. Nรฉanmoins, la seule chose qui lui manque, cโest lโensemble des conditions nรฉcessaires pour quโun juge puisse, dans un tribunal extรฉrieur, plaider en sa faveur. Certes il parle au nom du ยซ droit moral ยป, mais il ne saura le faire valoir que devant le tribunal de la conscience. Cependant mรชme si Kant reconnait ce principe comme รฉtant un droit au sens moral, il rรฉfute lโidรฉe selon laquelle lโusage de la contrainte vis-ร -vis de son prochain au nom de ce principe est juste. Selon lui, lโรฉquitรฉ est certes un droit du point de vue moral, mais il donne en aucun cas le pouvoir de contraindre son prochain. Et cโest dans le but dโillustrer la nรฉcessitรฉ dโune absence de contrainte au nom de lโรฉquitรฉ que Kant donne lโexemple suivant : ยซ Si quelquโun a travaillรฉ pour moi en รฉchange dโun salaire dรฉterminรฉ, et quโil fait plus que ce que je lui avais demandรฉ, cet homme a certes le droit que je le paie pour son travail supplรฉmentaire, mais il ne peut mโy contraindre. Sโil veut remettre lโobjet de son ouvrage dans son รฉtat premier et que je mโy oppose, il doit sโen abstenir, car il ne jouit plus dโaucun droit sur ce qui mโappartient. Il nโa aucun pouvoir de me contraindre parce quโil est allรฉ au-delร des termes de notre entente ยป. On pourrait penser ici que Kant fait une contradiction en refusant le droit de contrainte, puisque cโest lui-mรชme qui a dit plus haut que le droit et la facultรฉ de contrainte ne font quโun. Mais ce quโil faut retenir est que si Kant parle de lโรฉquitรฉ, cโest au sens moral et non juridique. Or seul le droit au sens juridique sโaccompagne de la nรฉcessitรฉ de la contrainte. En voulant donner les diffรฉrentes caractรฉristiques de ce concept dโรฉquitรฉ, Kant aborde aussi lโabsence de contrat รฉtabli au prรฉalable et le premier exemple peut lโillustrer. En effet, au nom de ce principe, il y a une impossibilitรฉ de trouver une solution par le tribunal extรฉrieur, mais mรชme si tel รฉtait le cas, cette solution ne pourrait se dรฉfinir que par son indรฉtermination. En dโautres termes, aucune solution au nom de ce principe, nโa dโabord รฉtรฉ dรฉterminรฉe par un contrat au prรฉalable. Cโest pourquoi, dans sa philosophie de droit, Kant donne lโexemple suivant : ยซ Le domestique ร qui, ร la fin de lโannรฉe, on paye les gages qui lui sont dus avec une monnaie qui sโest dรฉvaluรฉe dans lโintervalle, et avec laquelle il ne peut pas se procurer ce quโil pouvait acheter pour ce montant lors de la conclusion du contrat, ne peut, face ร une valeur numรฉraire identique mais dโun pouvoir dโachat diffรฉrent, en appeler pour autant ร son droit pour รชtre dรฉdommagรฉ, et nโa au fond dโautre recours que lโรฉquitรฉ,(divinitรฉ muette qui ne peut รชtre entendue), puisque rien nโavait รฉtรฉ stipulรฉ ร ce sujet dans le contrat et quโun juge ne peut prononcer dโaprรจs des conditions indรฉterminรฉes ยป. Donc lโabsence dโun contrat dรฉterminรฉ ร lโ avance fait quโaucun juge ne peut lรฉgitimer ce droit ou de contraindre quelquโun qui en a fait usage. Nรฉanmoins, malgrรฉ les limites des juges face ร ce droit, il convient de reconnaitre que Kant considรจre lโรฉquitรฉ comme un ยซ droit moral ยป. Dโabord, tout comme le droit strict, les lois morales sont aussi exigibles. Mais on ne saurait faire du droit de lโรฉquitรฉ un droit reconnu par la lรฉgislation extรฉrieure car celle-ci est limitรฉe. En effet, sโil y a lโexistence de lois morales qui peuvent รชtre aussi objets dโune lรฉgislation extรฉrieure dans la conception de Ronald Dworking, il faut aussi reconnaitre que les lois telles que le droit de sโopposer au despotisme ou de ne pas subir de prรฉjugรฉs etc., ne peuvent รชtre inscrites dans le droit positif. De surcroit, lโexistence de lois morales est aussi nรฉcessaire pour dรฉfendre et protรฉger les droits humains afin de permettre la coexistence des libertรฉs individuelles. Cโest comme le dit Kant, en dรฉfinissant le droit comme lโaccord des arbitres ร partir dโune loi universelle de la libertรฉ. Ces propos de Kant sont dรฉfinis de deux maniรจres dans sa doctrine du droit. En effet, la dรฉfinition libรฉrale, conรงoit la loi universelle de la libertรฉ comme la simple รฉgalitรฉ prise en considรฉration entre lโensemble des citoyens de droit. Lโautre dรฉfinition consiste ร considรฉrer que lโimpรฉratif catรฉgorique est issu de cette loi universelle. Et lโรฉquitรฉ sโinscrit dans la conception libรฉrale qui prend en considรฉration lโรฉgalitรฉ. Cโest pour illustrer cela que Kant donne lโexemple suivant : ยซ celui qui, dans une sociรฉtรฉ de commerce รฉtablie sur lโรฉgalitรฉ des profits, tout de mรชme quโil a fait davantage que les autres membres, […] peut en toute รฉquitรฉ exiger de la sociรฉtรฉ davantage quโun simple partage ร รฉgalitรฉ entre les membres ยป En dโautres termes, dans une association commerciale basรฉe sur lโรฉgalitรฉ des bรฉnรฉfices, la personne qui a montรฉ beaucoup plus dโactivitรฉs peut rรฉclamer beaucoup plus que les autres, ce qui est juste. Mais il nโexiste pas de tribunal ou de juge qui puisse la contraindre ร cet acte dโรฉquitรฉ car dans le contrat, rien nโa รฉtรฉ รฉnoncรฉ ร cet รฉgard. Notre tribunal intรฉrieur est le seul tribunal qui est apte ร juger en faisant appel ร ce principe. Il y a donc le principe de lโรฉgalitรฉ qui est pris en considรฉration ici. Et cโest dโailleurs pour cette raison que, dans sa doctrine du droit, Kant considรจre que seule lโรฉquitรฉ constitue en droit, la ligne perpendiculaire qui ne sโincline pas plus dโun cรดtรฉ que de lโautre et qui met en pratique le principe de lโรฉgalitรฉ. Cette รฉgalitรฉ prise en considรฉration par lโรฉquitรฉ comme corrรฉlatif chez Kant, se retrouve aussi chez Rawls quand il explique lโรฉquitรฉ en ces mots : ยซ quand un certain nombre de personnes sโengagent dans une entreprise de coopรฉration mutuellement avantageuse selon des rรจgles et donc imposent ร leur libertรฉ des limites nรฉcessaires pour produire des avantages pour tous, ceux qui se sont soumis ร ces restrictions ont le droit dโespรฉrer un engagement semblable de la part de ceux qui ont tirรฉ avantage de leur propre obรฉissance. Nous nโavons pas ร tirer profit de la coopรฉration des autres sans contrepartie รฉquitable ยป. Donc Rawls reconnait aussi ce droit dโรฉquitรฉ mais la seule diffรฉrence avec Kant, est que selon lui, ce droit doit รชtre garanti par la justice institutionnelle ; tandis que chez Kant, seule la morale peut reconnaitre ce droit. Selon Kant, il existe deux รฉlรฉments qui รฉchappent ร lโรฉquitรฉ pour quโelle soit considรฉrรฉe comme lรฉgale par la lรฉgislation extรฉrieure. Il sโagit dโun contrat รฉtabli au prรฉalable et la contrainte. Quand celui-lร est considรฉrรฉ dans une perspective plus large, on parle alors dโune absence dโautorisation. La personne de droit a la possibilitรฉ de crรฉer des lois reconnues par la lรฉgislation extรฉrieure du fait de son pouvoir dโรฉtablir des accords. Mais il est ร admettre que ce pouvoir demande une autorisation et doit mรชme รชtre รฉtudiรฉ par les autres pouvoirs. Cโest pourquoi les grands penseurs du droit comme Dworkin jugent complexe les diffรฉrents aspects de la lรฉgislation stricte car cโest un ensemble de droits qui requiert des autorisations. Cependant, lโรฉquitรฉ constitue un ยซ droit moral ยป du fait quโelle ne peut pas รชtre soumise aux diffรฉrents pouvoirs pour acquรฉrir une autorisation dโoรน alors lโabsence dโune contrainte extรฉrieure qui le caractรฉrise. La conception kantienne de lโรฉquitรฉ est par ailleurs un rรฉsumรฉ des deux prรฉcรฉdents qui sont riches dโenseignements. Dโabord, Carl Christian Schmid semble se ranger du cรดtรฉ de Kant quand il affirme que : ยซ est รฉquitable le droit qui ne confรจre aucune autorisation de contraindre autrui, par exemple ร payer un salaire supรฉrieur lorsquโautrui a travaillรฉ davantage quโil nโรฉtait convenu. Dโun point de vue moral, ce qui est รฉquitable est juste, et lโinรฉquitรฉ et lโingratitude sont รฉquivalentes. ยป En dโautres termes, tout comme Kant, Carl Christian Schmid considรจre que lโรฉquitรฉ est certes un droit juste du point de vue de la lรฉgislation intรฉrieure, mais on ne peut utiliser en aucun cas la contrainte vis-ร -vis des autres au nom de ce droit mรชme si cโest un acte lรฉgal selon la morale. Mais comme il a รฉtรฉ dit plus haut, cette conception de Kant et de Carl Christian Schmid peut รชtre rรฉfutable car selon Kant le droit nโest que la facultรฉ de contrainte. Or lโรฉquitรฉ est un droit reconnu par eux, donc refuser la contrainte serait une contradiction de leur part. Bref nous pouvons retenir que chez Kant, lโรฉquitรฉ est un droit qui รฉchappe ร la lรฉgislation extรฉrieure car ce que chaque personne conรงoit comme รฉtant juste aprรจs lโavoir soumis ร son tribunal intรฉrieur, peut ne pas รชtre approuvรฉ par une instance extรฉrieure. Cela montre alors quโil y a lโexistence de principes qui sโinscrivent dans un rapport de soi ร soi. Ceux-ci se diffรฉrencient des principes objectifs qui en effet constituent le droit de nรฉcessitรฉ. Ce droit de nรฉcessitรฉ, dรฉfini par le philosophe Emmanuel Kant comme ยซ une contrainte sans droit ยป91 est un prรฉtendu droit selon lequel ce qui est considรฉrรฉ comme injuste en soi peut obtenir une bienveillance dans ce mรชme tribunal intรฉrieur. Selon Kant, ยซ ce prรฉtendu droit consiste en la facultรฉ, au cas oรน je courrais le danger de perdre ma vie, de lโรดter ร un autre, qui ne mโa fait aucun tort.ยป Sโopposant ร cette contrainte, Kant considรจre que ce droit de nรฉcessitรฉ est une contradiction. Car, il ne sโagit pas de lโappliquer ร lโรฉgard dโun ยซ agresseur injuste qui en veut ร ma vie ยป, ce qui est reconnu comme lรฉgitime dรฉfense de nos jours, mais sur un innocent. En tant que droit supposรฉ, le droit de nรฉcessitรฉ ne peut prรฉtendre ร un statut juridique car si tel รฉtait le cas, la lรฉgislation extรฉrieure serait en contradiction avec elle-mรชme. En dโautres termes, il ne peut avoir une loi qui autorise un tel acte dans la lรฉgislation extรฉrieure mรชme si cela peut obtenir une lรฉgitimitรฉ en soi. Il sโagit alors dโune injustice faite ร lโรฉgard dโune personne dans le but de se sauver. Ce droit est proche de la loi de la nature dรฉcrit par Thomas Hobbes. Il sโagit dโun รฉtat dans lequel chacun use ร sa guise de ses forces pour sโapproprier ce quโil dรฉsire et prรฉserver sa vie. Kant rejette totalement ce prรฉtendu droit car il est injuste et cโest pour dรฉcrire cette injustice faite au nom dโune nรฉcessitรฉ quโil donne lโexemple selon lequel un naufragรฉ qui arrache ร un de ses compagnons sa planche dans le but de sauver sa vie. Mรชme si cet acte est commis par nรฉcessitรฉ, il faut reconnaitre que cโest un acte contraire au droit positif. Car le droit nโadmet pas lโutilisation dโune maniรจre injuste, de la violence ร lโรฉgard de quelquโun. Cโest dans ce sens quโil affirme: ยซ Quoiqu’on allรจgue en ce cas un prรฉtendu droit de nรฉcessitรฉ, il est certain qu’une telle action serait contraire au droit; celui-ci, en effet, dรฉfend d’exercer aucune violence ร l’รฉgard de quiconque ne nous en fait aucune.ยป Il est donc รฉvident au sens kantien que ce droit nโest pas reconnu par la lรฉgislation extรฉrieure. Nรฉanmoins, mรชme si ce droit positif ne reconnait pas ce droit, il convient de signaler quโaucune instance extรฉrieure ne peut le punir. En dโautres termes, aucune loi peut punir un citoyen parce quโil en a fait usage pour se sauver. Car, nous dit Kant : ยซ la peine dont la loi menacerait le coupable ne pourrait รชtre plus grande pour lui que la perte de la vie ยป. Autrement dit, la peine que pourrait lui faire subir le droit strict ne pourrait pas รชtre plus grande que la mort quโil a commis sauf si ce nโest la ยซ loi du talion ยป. Mais est-il moralement acceptable dโappliquer aussi cette peine sur quelquโun qui a suivi son instinct de vie pour se ย sauver ? En se rรฉfรฉrant ร lโimpรฉratif catรฉgorique, รฉnoncรฉ par lโauteur de la critique de la raison pratique, et en tant que principe suprรชme de la doctrine du droit, il est possible alors de savoir que du point de vue de la morale, il ne serait pas acceptable de faire usage de la contrainte comme corrรฉlatif dโune telle peine car ceci ne pourrait pas รชtre รฉrigรฉ en une loi universelle du fait du mobile de lโaction, ni appliquer une peine moins grande que la mort commis. Et cโest dโailleurs pour cette raison que Kant conclut que : ยซ L’action qui consiste ร employer la violence pour se conserver soi-mรชme รฉchappe donc ร la punition 1 (impunibile), quoiqu’on ne puisse la regarder comme non coupable. ยป Ce qui veut dire alors que le droit de nรฉcessitรฉ, est un droit qui va au-delร des limites du droit strict. Celui qui prรฉtend quโil est dans ses droits en appliquant ce principe ne sโappuie ni sur le droit positif, ni sur la morale. il est donc coupable aux yeux de Kant, mรชme si on ne peut le punir. Donc lโargument de Kant se base sur lโidรฉe quโon ne peut condamner quelquโun ร mort qui, dans une situation jugรฉe dangereuse, prรฉtend quโil sโappuie sur son droit en faisant pรฉrir quelquโun dans le but de prรฉserver sa vie. Dans le sens kantien : ยซ lโacte de conservation de soi par violence ne doit pas รฉtรฉ considรฉrรฉ comme innocent (inculpabile), mais comme impunissable (impunibile)ยป. En dโautres termes, celui qui fait usage de ce droit de nรฉcessitรฉ nโest pas aux yeux de lโauteur de la mรฉtaphysique des mลurs, un รชtre innocent, mais quโil se trouve dans une position oรน le droit positif ne peut faire usage de la contrainte comme corrรฉlatif de son acte. De plus le philosophe de Kรถnigsberg rejette totalement ce prรฉtendu droit de nรฉcessite car ceci ne serait pas conforme avec la deuxiรจme formule de lโimpรฉratif catรฉgorique qui interdit que lโhomme soit considรฉrรฉ uniquement comme moyen dโatteindre tel ou tel but comme il le dit en ses termes : ยซ agis de telle sorte que tu traites lโhumanitรฉ aussi bien ta personne que dans la personne de tout autre toujours en mรชme temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ยป
|
Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE: LE DROIT POLITIQUE : ANALYSE GENERALE DE LโACTION DE LA LEGISLATION
CHAPITRE I : FONDEMENT MORAL DE LโETAT DE DROIT
CHAPITRE II : LE REGENT DE LโETAT : ENTRE MAGISTRAT, SOUVERAIN ET LEGISLATEUR
CHAPITRE III : LE JUGE FACE AU DROIT DE LโEQUITE ET CELUI DE LA NECESSITE
DEUXIEME PARTIE : LโIMPERATIF CATEGORIQUE DANS LE DROIT PENAL ET DE GRACE
CHAPITRE I : LโEGALITE COMME PRINCIPE DE BASE EN JUGEMENT
CHAPITRE II : LA QUESTION DE LA PEINE DE MORT
CHAPITRE III : LโIRRATIONALITE DU DROIT DE GRACE DU LEGISLATEUR
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
Tรฉlรฉcharger le rapport complet